Behind The Numbers - La nouvelle propagande de la Bourse
18 octobre par Elise Van Durme , Olivier Bonfond
CC - Flickr - Guillaume Bavière
A l’initiative d’un fond d’investissement privé, Treetop pour ne pas le citer, l’exposition Behind the Numbers (« Derrière les chiffres ») , nous propose de mieux comprendre l’univers de la Bourse et son fonctionnement, jusqu’au 8 novembre à Bruxelles. Le volet historique ne manque pas d’intérêt. Quand on sait quelle responsabilité accablante endosse la Bourse dans la crise économique et sociale actuelle, il est intéressant d’observer quels moyens elle déploie pour, comme on peut le lire sur les panneaux de l’exposition, « réhabiliter son image ». Amateurs d’informations nuancées : s’abstenir. Dommage que cela se fasse à destination de publics scolaires et familiaux, avec la caution d’organes de presse dit de référence.
Sans la Bourse, que serait-on ?
Au cours de la visite, on trouve des panneaux d’informations, illustrés de photos, et on peut visionner plusieurs animations vidéo ainsi qu’une capsule sur grand écran où sont interviewés Jacques Berghmans (Co-fondateur de TreeTop Asset Management) et Bruno Colmant (ex-président de la Bourse de Bruxelles et président du Belgian Finance Club). De la pédagogie et de la personnification, l’exposition n’en manque pas. La Bourse a ses héros… Le visiteur, venu s’informer sur le rôle de cette grande institution, ressortira avec les messages suivants : la Bourse se porte très bien ; le rendement des actions est historiquement imbattable ; il n’est pas raisonnable de laisser son argent sur un compte d’épargne qui a un rendement réel négatif ; il faut investir en Bourse, mais pour bien le faire, il est préférable de passer par l’expertise des fonds d’investissement ; Il ne faut pas avoir peur des crises financières car « elles ont une vertu régulatrice et sont liées à la nature humaine et au progrès humain ».
Cela donne furieusement envie d’ouvrir une salle d’expo sur le vrai visage de la Bourse, celle qui a provoqué la crise économique, la récession, le chômage, les conséquences sociales et environnementales d’un investissement, les preuves irréfutables que les grandes institutions financières sont coupables de très graves délits : escroquerie en bande organisée, blanchiment d’argent, fraude fiscale à grande échelle, etc. Derrière les chiffres, en fait, il y a toujours les chiffres. Les grandes banques, les grandes compagnies d’assurance, les fonds de pension ainsi que les fonds spéculatifs (hedge funds) y pratiquent toutes sortes d’opérations hautement spéculatives afin de faire toujours plus de profit. Sur le marché des devises, où 5000 milliards de dollars s’échangent chaque jour, 98 % des opérations sont purement spéculatives, tandis que ces achats et ventes peuvent se faire sur quelques millièmes de secondes.
La Bourse n’est donc pas avant tout un « lieu de financement des entreprises et, par là, lieu de progrès ». Elle est surtout le lieu de toutes les spéculations, et cela handicape notre économie. Le 8 octobre 2015, John Bogle, gourou de la finance de Wall Street, démontrait, chiffre à l’appui, que les Bourses non seulement n’apportent rien à l’économie réelle, mais jouent le rôle de parasites et provoquent un gâchis considérable |1| ! Eric Domb, businessman wallon et patron du parc animalier de Pairi Daiza, déclarait récemment, après avoir réussi à se retirer de la Bourse : « Cela fait des années que je souhaite faire sortir mon entreprise de la Bourse. Je ressens en effet un vrai décalage entre les valeurs de Pairi Daiza et celles régissant le monde financier. Quitter la Bourse serait la meilleure manière de pérenniser l’âme de Pairi Daiza et ses valeurs |2| » ? Cela ne fait pas de lui un gauchiste révolutionnaire mais simplement un entrepreneur qui, dans ce cas, veut faire passer le projet et le développement de son entreprise avant la rémunération des actionnaires.
Après tout, il n’y a pas de quoi s’émouvoir, on ne devait pas s’attendre à autre chose de la part d’un fond d’investissement privé, qui se sert allègrement de l’expo pour inciter les citoyens à lui confier leur épargne. C’est davantage la couverture pédagogique qui est gênante. A ce titre, on peut également regretter la collaboration de Tempora (« spécialiste belge de la conception, réalisation, promotion et gestion d’expositions ») qui, censée inscrire sa démarche dans « la recherche de l’équilibre entre le ludique, l’esthétique et le respect rigoureux des acquis |3| », nous avait souvent proposés des expositions plus « équilibrées » en terme de contenu. Regrettable également que des grands médias d’information, comme par exemple Le Soir, De Morgen ou encore La RTBF Première, soutiennent cette initiative. Est-ce réellement le rôle des grands médias ayant pignon sur rue de participer à la transmission de telles valeurs ?
Sans elle, ce serait moins pire…
En 2007, Frédéric Lordon proposait une mesure intéressante pour mettre la Bourse au pas : le SLAM (shareholder limited authorized margin, ou marge actionnariale limite autorisée). En deux mots, cette mesure vise à bloquer le taux de rendement de l’action boursière à 7% grâce à un couperet fiscal |4|. En 2010, conscient de la pression de plus en plus destructrice que la Bourse exerce sur le monde du travail, Frédéric Lordon pose clairement la question de fermer les bourses en concluant : « Elle est une machine à fabriquer des fortunes (et de la misère). Et c’est tout. Bien sûr, pour ceux qui s’enrichissent, ça n’est pas négligeable. Mais pour tous les autres, ça commence à suffire |5|. » Irait-on mieux sans les Bourses ? Dans une exposition qui se veut pédagogique et à destination du grand public, il serait tout simplement salutaire d’au moins poser la question…
|1| Faljaoui Ahmid, « Wall Street : les révélations perturbantes d’un financier « repenti » », 8 octobre 2015, Levif.be
|2| La Libre Belgique, 11 septembre 2015, Par la Rédaction
|3| Voir tempora-expo.be
|4| LORDON Frédéric, « Enfin une mesure contre la démesure de la finance, le SLAM ! », février 2007
|5| LORDON Frédéric, « Et si on fermait la Bourse… », février 2010, Le Monde diplomatique
/http%3A%2F%2Fcadtm.org%2FIMG%2Fmoton736.png%3F1430120656)
est économiste, conseiller au CEPAG et auteur du livre “Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité" Editions Aden. Juin 2012.
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
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Source : http://cadtm.org