Surprenant. Incroyable. Inimaginable. Depuis quelques jours, la nouvelle court sur les réseaux sociaux : une boutique sans argent vient de s’installer à Paris, dans le 12e. Un monde de commerce où le porte-monnaie n’existe pas. Alors forcément, il fallait tester.
Arrivée ce mercredi après-midi, dans le hall de l’ancienne gare de Reuilly, avenue Daumesnil (12e) , où est installé le magasin. C’est bondé. Des jeunes, des mères de familles, des couples de personnes âgées. Derrière le comptoir, Debora Fischkandl, directrice de la structure, explique en chaîne : "Ce n’est pas un échange. Vous regardez. S’il y a quelque chose qui vous plait, vous l’emportez. Et puis une prochaine fois, vous pourrez amener quelque chose ! C’est complètement gratuit. Et c’est vraiment du don."
Ici, chacun peut donc venir et emmener ce qui lui plaît. Et amener des objets devenus inutiles, déco, petit objet, petit électroménager, vaisselle… "Tout ce qui se trouve une maison et qui est transportable, en bon état, est réutilisable tel quel", détaille Debora. En face, les clients acquiescent. Un peu perdus quand même, avant de murmurer un "ben… merci". Une boutique totalement gratuite ? Dingue.
"La gratuité, ça reste surprenant", reconnaît Debora. "Mais j’espère que dans quelques années ce sera entré dans les mœurs." Sans doute. Car après un petit temps d’hésitation, chacun s’y fait… et part fureter, tripoter, dépouiller les portants de vêtements, disséquer les piles de bouquins. Théo, la vingtaine branchée, a repéré une chemise. "Elle est trop petite pour moi. Du coup j’ai beaucoup hésité à la prendre, mais j’aime beaucoup son côté graphique. Je vais la transformer en sac." Il arrive de Belleville avec 5-6 amis. "J’ai vu passer ça sur Facebook, j’en ai parlé à un ami qui en a appelé un autre… Et voilà !"
A côté, Alexandre valide : "C’est chouette ce principe du don." Pourtant, il repart les mains vides. "Comme c’est gratuit, on se dit qu’on ne va pas prendre quelque chose qu'on n'utiliserait pas spécialement, et qui pourrait servir à d’autres." Ils confient cependant une "petite déception" : "On pensait que c’était dans une vraie boutique, plus grande. Mais il faut attendre que ça se développe un peu."
D’autres ont davantage de mal avec le principe de prendre sans contrepartie. A la caisse (qui n'en n'est pas une), Juliette arrive du 15e arrondissement. "Je trouve ça gênant de juste prendre et repartir. Ce serait mieux qu’il y ait vraiment un échange…" Mais elle a trouvé la solution : elle repartira chercher ses affaires chez elle, pour en ramener d’autres.
En attendant, au comptoir, le défilé continue. Debora n’est pas loin d’être débordée. Mais garde le sourire. "En ce moment, on a une centaine de visites chaque jour", explique-t-elle. "Ça fait vraiment plaisir que ça fonctionne." Surtout, le public est très mélangé : "Au début, c’était surtout des gens du quartier qui se donnaient le mot. Mais là, il y a une bonne com’ sur les réseaux sociaux, dans les médias : des gens viennent de loin, font parfois une heure de transport parfois avec des gros sacs de dons. C’est incroyable !"
A la base de ce magasin, l’association La boutique sans argent, créée en 2013. "Nous organisons régulièrement des zones de gratuité, sur un lieu où pendant quelques heures tout est gratuit", explique Debora. "Mais dès le départ, l’idée était de s’installer quelque part durablement pour créer un espace de don." Ce type de magasin gratuit fleurit déjà à l’étranger depuis quelques années, en Allemagne, aux Pays-Bas, mais aussi en France, à Mulhouse. "On s’est dit qu’il fallait implanter ça ici à Paris." Justement, la maison des associations du 12e arrondissement lance un appel à projet pour animer le hall d’entrée. La Boutique sans argent est retenue. Bingo.
Mais pourquoi la gratuité est-elle si importante ? "On n’est plus dans l’optique de 'c’est une bonne affaire', explique Debora. On est vraiment dans le don, la générosité. C’est aussi pour ça que les gens aiment. C’est un peu comme le cercle familial ou proche où on fait tourner les vêtements trop petits, sauf qu’on va un peu au-delà." Autre intérêt : permettre que tout le monde soit à égalité dans l’acquisition des objets. "C’est ouvert à tous, jeunes, vieux, riches, pauvres, Parisiens ou non", explique Debora. "Et cette générosité est contagieuse : C’est du don, un cadeau que quelqu’un vous offre, anonyme. On peut être reconnaissant et avoir envie de faire la même chose !"
> Siga Siga, la boutique sans argent, au 181, avenue Daumesnil, dans l'ancienne gare de Reuilly (12e). Du lundi au samedi de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h.
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