Jeudi 10 Septembre 2015 à 5:00
« La négociation collective, le travail et l’emploi ». En costume noir, cravate bleue, sous les lambris Belle Epoque de l’Hôtel de Vogüe où, en 1946, les commissaires au plan réinventaient un avenir à la France, l’austère Jean-Denis Combrexelle a présenté son rapport à la presse (voir ci-dessous), comme on livre le testament professionnel de treize années passées à la tête de la DGT, la direction générale du Travail : l’occasion rêvée de tordre le cou aux clichés et de clouer le bec aux perroquets qui dénigrent la loi.
« Illisible et trop volumineux » le code du travail ? D’accord, mais la faute à qui ? A l’administration qui pinaille ou aux politiques qui veulent avoir une loi à leur nom ? Pas seulement. Si ce droit comporte des milliers de pages, insiste ce haut fonctionnaire, c’est aussi parce que les organisations professionnelles, par leur lobbying, complexifient à dessein les textes lors de leur examen par le Conseil d’Etat, le Parlement, le Conseil constitutionnel. D’autant plus habités par un désir intarissable de « sécurisation juridique » que le dialogue social, morcelé en 750 branches, est en réalité peu fructueux !
Car c’est la deuxième flèche décochée par Combrexelle, au Medef notamment : depuis quinze ans (loi Aubry en 1998-2000 ; Fillon en 2004 ; Larcher en 2007, loi Bertrand en 2008, Sapin en 2014, Macron-Rebsamen en 2015), la France est l’un des pays d’Europe qui donne le plus de place à la négociation collective (95% des salariés sont couverts). Sauf que « toutes ces réformes n’ont pas enclenché une dynamique nouvelle », assure-t-il. Nombre de directeurs des ressources humaines négocient « à l’aveugle sans se préoccuper du contenu de l’accord de branche couvrant le secteur de leur entreprise. » Dès 2008, la loi leur a donné la possibilité de déroger aux 35 heures. Ils ne l’ont pas fait. Plus ahurissant : en 2014, seuls 2% des accords d’entreprise se sont intéressés aux conditions de travail, une régression de deux points par rapport à 2012 ! Seize branches seulement ont conclu un accord sur la pénibilité. Les négociations sur l’égalité homme-femme sont restées collées… sur le code du travail. En dépit d’un buzz impressionnant, seuls 10 accords de maintien dans l’emploi ont été signés. Peanuts ! Pis encore : des centaines de branches professionnelles, trop petites, sont inactives.
Des dirigeants mondialisés hors-sol
Dans les grands groupes largement ouverts à la mondialisation, les PDG, leurs comités exécutifs se concentrent sur les marchés émergents, épaulés par des bataillons de mercenaires stratèges, de comptables. Déformés par cette culture internationale, ils ne voient dans la négociation collective à la française qu’un particularisme, et non un levier de compétitivité. « Le management moderne n’inclue pas ou peu la négociation », déplore Combrexelle. Ils préfèrent donc engager des plans sociaux plutôt que plancher en amont sur une gestion prévisionnelle des emplois qui pourrait faire évoluer les salariés.
Les patrons de PMI-PME, de leur côté, sont à la merci de donneurs d’ordre qui les malmènent. Quant aux acteurs syndicaux, aux cadres vieillissants pour certains, ils rechignent à négocier quand il n’y a pas « de grain à moudre ». La crise a même brisé les relations de confiance minimales qu’ils avaient avec les dirigeants d’entreprise…
De ces constats riches et lucides que conclure ? Quarante-quatre propositions qui proposent grossièrement… de continuer sur la même voie, en restreignant le domaine de la loi (cantonnée à l’ordre public).
Ainsi, avant même que les partenaires sociaux ne s’emparent du rapport, Manuel Valls a déjà annoncé qu’il voulait donner aux entreprises et aux branches professionnelles, avant mi-2016, plus de latitudes pour négocier des accords valables quatre ans sur l’emploi, les rémunérations, le temps et les conditions de travail. Bref, qu’en matière sociale, il n’y aurait plus d’alternative. Alors que l’on sait pertinemment qu’en Allemagne, au Portugal, en Espagne et même en Irlande, la décentralisation de la protection du travail a mis sous pression les syndicats, accéléré la dualisation du marché du travail entre secteurs gagnants et secteurs perdants (au point que l’Allemagne a du introduire un Smic)…
Satisfait des déclarations du Premier ministre, le Medef a immédiatement surenchéri en souhaitant que la réforme annoncée permette « de discuter de tout, y compris de la durée du travail dans chaque entreprise ». A l’opposé, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT a critiqué cette évolution : « En dérogeant au code du travail, on va créer des inégalités croissantes entre les salariés qui travaillent dans des entreprises où il y a des syndicats, et celles où il n’y en a pas », a-t-il martelé. Que pense réellement Jean-Denis Combrexelle de ses préconisations? « C’est un pari », reconnaît-il laconiquement. Question : les Français, qui ont l’habitude de répondre sur les questions sociales dans les urnes à leurs dirigeants, ont ils encore envie de miser ?
Source : http://www.marianne.net