C’est une économie grecque dévastée qui semble émerger cinq semaines après l’instauration du contrôle des capitaux, de la fermeture des banques et des marchés. Fermée depuis le 29 juin, la Bourse d’Athènes a rouvert lundi 3 août, donnant une première mesure des dommages causés par ces restrictions. Dans les premières échanges, le marché, bien que strictement encadré – les ventes à découvert avaient notamment été interdites – affichait une chute de 22,8 %, avant de se reprendre pour terminer la séance sur une baisse de 16,23 %.
Les chiffres ont les allures d’un krach boursier. « La situation sur le marché boursier grec est appelée à empirer avant de s’améliorer. Il y a encore beaucoup de questions critiques qui doivent être résolues », prédit Luca Paolini, chef stratégiste de Pictet à Londres, cité par l’agence Bloomberg. Parmi les questions critiques, figure celle des banques, très fortement touchées par la fermeture des guichets et le contrôle des capitaux décidés le 29 juin. Dès les premiers échanges, les cinq principales banques grecques – National Bank of Greece, Attica Bank, Piraeus Bank, Eurobank, Alpha Bank – s’effondraient et touchaient la limite à la baisse de 30 % fixée par les autorités boursières.
L’inquiétude sur la solidité du secteur bancaire s’est renforcée avec la publication au même moment de l’indice Markit sur les prévisions des directeurs d’achat. Un indice très suivi par les milieux financiers, qui donne une représentation du climat des affaires. Pour la Grèce, cet indice fait état d’une chute sans précédent. En un mois, il est tombé de 46,9 à 30,2 – le point d’équilibre de cet indice s’établit à 50 – dans l’industrie manufacturière grecque.
« Des contractions record ont été enregistrées dans tous les domaines, que ce soit dans la production, les carnets de commandes, l’emploi et les stocks », commente Phil Smith, économiste de Markit, impressionné par les chiffres. « La production manufacturière s’est effondrée en juillet alors que la crise de la dette s’est amplifiée. Les entreprises ont fait face à une chute spectaculaire des commandes et étaient souvent dans l’incapacité de se procurer des produits dont ils avaient besoin, en particulier à l’étranger, la fermeture des banques et les restrictions sur les capitaux nuisant gravement à leur activité. La demande a été gravement frappée en raison des incertitudes sur l’avenir de la Grèce, amenant à la fois une chute des commandes et des exportations. Il faudra beaucoup de temps pour tout ceci se redresse », poursuit-il. Avant de conclure : « Bien que l’industrie manufacturière représente une très faible part de la production grecque, l’ampleur de la chute envoie un signal inquiétant sur la santé de l’économie dans son ensemble. »
Ce n’est que la première traduction chiffrée du contrôle des capitaux et de la fermeture des banques imposés le 29 juin après la décision de la BCE de ne plus assurer la liquidité des banques (lire : La BCE enclenche le plan B). Même si les banques ont rouvert depuis quinze jours, les retraits sont limités à 60 euros par jour et à 420 euros par semaine et le contrôle des capitaux est maintenu. Pour longtemps, selon de nombreux observateurs. Compte tenu de ces mesures restrictives, la récession est inévitable, d’après de nombreux économistes. Ils tablent sur une chute d’au moins 2 % du PIB cette année, après une baisse de 25 % depuis 2008. Mais leurs prévisions ne prennent pas en compte les effets récessifs du troisième plan de sauvetage européen, estimés au moins à une chute de 4 à 5 points de PIB supplémentaires, s’il est adopté.
Ce nouvel effondrement de l’économie fragilise un peu plus le système bancaire grec. Les banques, qui ont dû faire face à 40 milliards d’euros de retrait depuis décembre 2014, dépendent entièrement de la Banque centrale européenne pour assurer la liquidité du système. Les fonds d’urgence de liquidité (ELA) accordés par la BCE s’élèvent désormais à 92 milliards d’euros. Mais leur solvabilité est désormais aussi en question. À combien se montent désormais leurs créances douteuses, alors que l’économie s’effondre, que les entreprises ne peuvent plus travailler et honorer leurs échéances, que les ménages n’ont plus de quoi rembourser leur crédit ?
De la Troïka au Quadrige
Une recapitalisation des banques grecques, accompagnée peut-être d’une réorganisation du système et de fusion de certains établissements, s’impose. Fin juin, les premières estimations évoquaient le chiffre de 10 milliards d’euros. Mais plus le temps passe, plus les risques augmentent et plus l’addition s’alourdit : aujourd’hui, le chiffre de 25 milliards d’euros circule à Francfort comme à Athènes. Des tests de résistance (stress tests) devraient être menés dans le courant du mois pour évaluer le montant des besoins réels des banques.
Selon le Financial Times, le sujet serait inscrit dès cette semaine à l’agenda des négociations entre le gouvernement grec et le dénommé “Quadrige”, puisque désormais le Mécanisme européen de stabilité a rejoint les membres de l’ancienne Troïka (Union européenne, FMI et BCE). Les banques sont au cœur du plan de sauvetage européen.
Les responsables européens sont restés très silencieux sur le dossier. Mais en coulisses, les désaccords sont nombreux, comme d’habitude. Toujours convaincu que la sortie de la Grèce de la zone euro est la meilleure solution possible et finira par s’imposer, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, défend une ligne dure, la moins engageante pour le reste de l’Europe : le renflouement des banques grecques doit, selon lui, passer par l’éviction des actionnaires et des créanciers bancaires et par la mise à contribution des déposants par le biais d’une taxation des dépôts, comme cela s’est fait à Chypre, comme cela est prévu dans les textes européens.
Cette solution ne convient pas du tout à Mario Draghi, le président de la BCE, à la France et à l’Italie notamment. Sortant pour une fois de sa légendaire réserve, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, s’est fait le porte-parole de ces oppositions : « Je suis contre l’idée de solliciter les gros déposants grecs car ce sont aujourd’hui en majorité des PME. Cela reviendrait à détruire l’outil productif du pays », a-t-il déclaré le 24 juillet dans un entretien au Monde. Face à l’urgence de la situation, de la menace d’un effondrement du système bancaire, il préconise une première recapitalisation « dès cet été, afin de stabiliser le système ». Dans l’urgence, cet apport, soutient la BCE, pourrait être réalisé par le Mécanisme européen de stabilité, le fonds de sauvetage européen, qui dispose encore d’une petite dizaine de milliards d’euros. Cet argent serait garanti par les privatisations à venir.
Quelle ligne va l’emporter ? Une course de vitesse en tout cas s’est engagée. Plus le temps avance, plus un accord formalisé avant le 20 août, date d’une nouvelle échéance de paiement à la BCE, sur le troisième plan de sauvetage grec paraît s’éloigner. Le FMI a déjà annoncé qu’il excluait d’y participer, si les créanciers européens n’acceptaient une restructuration de la dette. De son côté, Berlin a fait savoir, par le biais du magazine Focus, qu’obtenir le vote du Bundestag, indispensable dans le processus du troisième plan de sauvetage grec, avant le 20 août lui paraissait hors de portée. Il suggère donc un nouveau prêt-relais à la Grèce, comme cela a été fait en juillet, mais consenti cette fois par le Mécanisme européen de stabilité.
Cette solution n’aurait que des avantages aux yeux de Berlin. D’une part, cela permettrait d’assurer le remboursement de l’échéance de 3,2 milliards dus à la BCE par Athènes. Comme en juillet, l’argent prêté d’une main par les créanciers reviendrait dans l’autre, sans qu’il n’en coûte rien aux Européens, même si cela alourdit un peu plus la dette de la Grèce. D’autre part, cela diminuerait les capacités du fonds européen : il faudrait bien trouver une autre solution alors pour renflouer les banques grecques, en commençant par en appeler aux déposants. Même si rien n’est ouvertement dit, cette dernière mesure pourrait être celle qui amène les Grecs, déjà passablement désorientés et déstabilisés par tout ce qu’ils ont vécu ces derniers mois, à finalement opter pour une sortie de l’euro. Sans en avoir l’air, Wolfgang Schäuble continue d’avancer ses pions.
Source : http://www.mediapart.fr