Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Elle est dirigée par une PDG à deux visages. Un visage pour les médias : une chef d’entreprise, bonne fée de droite qui court les plateaux dénoncer les freins à la croissance en France sous la gauche, le carcan de la fabrique du chômage (le code du travail « obèse », les prud’hommes…) et qui affiche son credo social : parier sur les chômeurs de longue durée, les seniors, les personnes en difficulté (drogués, anciens détenus, jeunes tentant une réinsertion ou fraîchement diplômés…). Et un autre visage, en interne : une patronne « façon tyran nord-coréen » faisant régner un management qui broie, détruisant la personnalité de ses salariés de l’intérieur. Par la peur, la délation, l’humiliation…
"MSS", c’était le rêve, retrouver un emploi, pas trop mal payé, un peu plus que le SMIC. Ils l’avaient, redevenaient « quelqu'un ». Enfin. Cédric était « heureux ». Le chômage l’avait conduit à la rue. SDF, il errait de chambres d’hôtels sociaux payés par la préfecture en squats. Il avait tout perdu : son logement mais aussi sa femme, la garde de leur fille. C’est en racontant sa spirale infernale sur le plateau du Grand Journal de Canal + qu’il avait décroché ce job. De l’ombre à la lumière. Toute la magie de la télé.
Le lendemain de ses quelques minutes de gloire télévisée, "MSS" le débauche du chômage très longue durée. Cédric court chez Tati se payer un costume bon marché. Tout en conservant les étiquettes pour se faire rembourser au cas où, craignant un canular. Il tiendra le coup six mois dans cette PME où il perd son identité pour hériter d’un trigramme, "CPO", et où on vous distribue les chèques-restaurants au compte-gouttes, « limite à genoux ».
Nicolas, lui, résistera un an. Il a postulé après avoir regardé la télé et ladite PDG de "MSS" qui, dans le petit écran, disait réhabiliter l’humain dans sa PME contre la loi de la finance qui sévit dans les multinationales…
Une fois dehors, de retour à la case Pôle emploi, écrire, aligner les maux en mots, s’est imposé à eux. Catharsis indispensable de 250 pages, plus efficace que les antidépresseurs. Thérapie pour se reconstruire. Se relever d’une expérience dévastatrice où les logiques contemporaines de l'entreprise, le chômage record, le marché du travail ultra-tendu autorisent les procédés managériaux les plus inhumains et violents pour soumettre et exploiter les individus. « Un de perdu, dix de retrouvés », leur a-t-on asséné comme autant de gifles. Et parce que la peur de la précarité, du chômage, de l’inactivité, de la misère qui touche le voisin, le « je n’ai pas le choix » développent une capacité d’acceptation et de soumission hors norme.
« Chez "MSS", nous sommes tombés dans un trou encore plus profond que celui du chômage », dit Cédric. Il a écrit sa part de témoignage sur son téléphone portable dans le dénuement de son squat près de la gare du Nord, visité par des ministres du gouvernement. « J’étais comme une bête dans une caverne. Ce livre m’a resocialisé. Lors de sa promotion, j'échappais pendant 48 heures au squat, on me payait l’hôtel, le train, le restaurant. » Il a 38 ans, « un âge déjà vieux pour le marché de l’emploi », n’a toujours pas retrouvé de travail, met un point d’honneur à être rasé tous les jours de près et bien vêtu, fait en sorte que les trous de ses semelles et de ses chemises ne soient pas visibles, comme son adresse sur le CV – il est domicilié dans permanence sociale d'action. Sinon « c'est la double peine ».
Il survit avec le RSA. 470 euros qu’il a, durant une période, entièrement consacrés à sa fillette dont il avait exceptionnellement la garde, en raison des problèmes de santé de son ex-femme. N'ayant « pas le choix », elle vivait avec lui dans son coin de squat qu'il avait aménagé « comme une chambre d'enfants avec des posters et des jouets ». Il lui racontait que « papa » et elle étaient « en voyage, comme en vacances », que « bientôt », ils auraient « une maison ». Chaque matin aussi, il la déposait à l'école, une belle école au milieu d’enfants qui vivent dans le coton. La cantine aurait dû être gratuite, compte tenu de sa condition sociale. Il a payé le plein tarif chaque jour. « Personne ne devait soupçonner que ma fille avait un père chômeur et SDF. » Le RSA ne suffisait pas. Alors il lavait les vitres des véhicules aux feux rouges, multipliait les petits jobs au noir.
Le matin de son entretien vidéo à Mediapart, Cédric avait comme tous les jours consulté les annonces de Pôle emploi Ile-de-France. Il y en avait 157 pour toute la région. Quelques semaines plus tard, il nous envoyait ce SMS : « J'ai retrouvé du boulot pas longtemps. Je remplace une secrétaire pendant deux semaines dans une société de voiture avec chauffeur pour laquelle j'avais fait du car-wash. Hélas pas de contrat ». Il recherche toujours ce qu'il appelle « le graal », « n'importe quel travail qui serait déclaré » et qui lui permettrait de retrouver sa vie d'avant, de « redevenir Monsieur tout le monde, qui fait boulot-métro-dodo ». Nicolas, lui, a migré en province, commercial dans une entreprise qui vend des voitures électriques, un emploi très loin de son cœur de métier gangréné par une profonde crise économique et morale : le journalisme mais dans « une boîte où on est humain ».