La France ne veut pas d’un “Grexit”. Ces derniers jours, elle multiplie les initiatives diplomatiques pour l’éviter : Angela Merkel était à Paris lundi soir pour permettre la reprise des négociations ; Michel Sapin est parti jeudi à Francfort pour rencontrer Wolfgang Schäuble et, selon plusieurs sources confirmant une information du Guardian, la France a dépêché plusieurs hauts fonctionnaires auprès du nouveau ministre grec des finances Euclide Tsakalotos pour préparer les mesures que la Grèce doit présenter à ses créanciers. « On ne ménage pas notre peine et on le fera jusqu’au bout », explique-t-on à l’Élysée. « Nous parlons à tout le monde », dit le ministre français des finances.
Jeudi, le séminaire du gouvernement, réuni à Matignon, était aussi quasi exclusivement consacré à la Grèce. « Cette fois, la France est au centre du jeu. Nous sommes les seuls à pouvoir parler à tout monde. C’est justement le rôle d’une diplomatie. Contrairement à ce que croit Nicolas Sarkozy, ce n’est pas de sortir le revolver pour faire croire qu'on est le plus fort », estime Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur auprès de Laurent Fabius. « Ce n’est pas un sujet technique. Là, la technique n’a même aucun sens, explique un autre des participants, sous couvert d’anonymat. Ce n’est pas l’Europe des petits comptables qui peut changer la donne. C’est la dignité d’un peuple qui est en jeu, l’avenir de l’Europe, nos frontières à l’Est et au Sud. Cela dépasse les tableaux Excel des technocrates. »
Au gouvernement, à Matignon et à l’Élysée, tous semblent d’accord : il faut tout faire pour maintenir la Grèce dans l’euro. Pour l’histoire, d’abord. « La France a toujours cherché à faire avancer l’Europe et je ne vais pas ne pas être conforme à cette histoire, et à la place de la France, j’allais dire presque à sa dignité », a affirmé François Hollande, mardi soir à Bruxelles, après un énième Eurogroupe. Il croit à ce « projet européen », « cette belle idée », « ce vieux rêve, devenu une réalité, (…) une magnifique construction », selon les mots du premier ministre Manuel Valls.
François Hollande l’a toujours assumé : l’Europe est son horizon politique. Toutes ces années, il a rappelé son attachement à Jacques Delors, du moins à ce qu’il représente, lui qui a commencé son parcours militant dans les clubs “Témoins” de l’ancien président de la Commission. Pour le chef de l’État, le départ de la Grèce de la zone euro, voire de l’Union européenne, serait d’abord une catastrophe politique. « Notre génération, c’est de ne pas faire en sorte que nous connaissions la dislocation de l’Europe », a également prévenu Manuel Valls mercredi. « La France ne raisonne pas à court terme, explique-t-on aussi à l’Élysée. L’Europe est un projet qui se déploie sur plusieurs décennies, qui nous dépasse tous et mérite d’être défendu en tant que tel. C’est l’intérêt général européen. » Un proche du chef de l’État résume : « Il faut savoir prendre une responsabilité historique. »
L’attachement européen de François Hollande n’est pas seulement idéologique : il correspond aussi à sa manière de faire de la politique, de la concevoir. La machinerie bruxelloise, dont il s’est souvent plaint en privé (la lenteur, les petits pays qu’il faut prendre en compte, etc.), et la culture du compromis entre la gauche et la droite qui règne à Bruxelles et Strasbourg ne détonnent guère avec le caractère et la ligne politique du chef de l’État. Il ne croit pas au rapport de forces et à la mise en scène du combat politique. Il croit à l’alignement progressif des intérêts entre gens raisonnables.
De ce point de vue, la stratégie radicalement politique d’Alexis Tsipras lui est totalement étrangère. Tout comme l’idée que le « couple franco-allemand » puisse être dépassé. Son ancrage est fondamentalement celui de l’axe Paris-Berlin, par nécessité, par idéologie et aussi parce qu’il est politiquement persuadé de la pertinence d’une grande partie des mesures mises en place en Allemagne depuis l’agenda 2010 de Gerhard Schröder. « Penser que l’Europe peut avancer en tapant sur l’Allemagne est une hérésie », dit aussi un ministre du gouvernement.