Pour rebondir sur ce débat, Mediapart a convié deux acteurs qui, chacun dans leur rôle, gravitent autour de l'institution. Jacqueline Balsan, vice-présidente du mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), est coordinatrice du Comité pour une répartition équitable de l’emploi et des revenus, qui gère une maison des chômeurs et des citoyens solidaires à Montpellier. Carole Tuchszirer, socio-économiste au Centre d’étude pour l’emploi, suit depuis plus de vingt ans le service public de l’emploi.
Cet énième dénonciation de l'incurie de Pôle emploi ne les surprend guère : « La montée spectaculaire du chômage est arrivée en même temps que la fusion, rappelle Jacqueline Balsan. Je ne crois pas que remettre en question Pôle emploi soit la meilleure des réponses face au chômage. Des dysfonctionnements, il y en a. Mais ce rapport est calculé : quand on veut supprimer un service public, on dit qu'il fonctionne très mal. Et ça, c'est inacceptable. » Carole Tuchszirer, de son côté, n'est qu'à « moitié étonnée ». Et de citer les nombreux rapports à charge sur le service public de l'emploi, tels que celui de l'IGAS et de l'IGF.
Pour autant, les points qui fâchent sont nombreux : la question du placement, la dématérialisation des procédures ou encore l'accès numérique aux offres d'emploi. Le gouvernement a d'ailleurs répondu en partie à ces critiques en dévoilant opportunément l'Emploi store, qui regroupe sur un nouveau site ses offres et celles collectées sur le web. Un « agrégateur » utile selon Carole Tuchszirer, qui voit d'un bon œil « le virage numérique » opéré ces dernières années par Pôle emploi. Jacqueline Balsan rappelle cependant les difficultés auxquelles se confrontent les plus précaires quant à l'outil numérique, tant sur le plan de la recherche d'emploi que de l'indemnisation. « Et on retrouve souvent dans cette catégorie les chômeurs de longue durée…»,poursuit la représentante du CNCP, qui pointe le risque d'un service de l'emploi à deux vitesses.
L'accès à l'indemnisation est relativement épargnée par la Cour des comptes. Pourtant, les crises récentes, et celle des droits rechargeables en particulier, ont considérablement terni l'image de Pôle emploi auprès des usagers. L'assurance chômage est « tout sauf un droit portable », confirme Carole Tuchszirer. La raréfaction du contact individuel et la rationalisation de processus sont également décriés tant par la militante que la chercheuse, qui en détaillent les conséquences pour les usagers comme pour les agents. Elles se rejoignent également sur le fond du problème. « Ce qui détermine le taux de chômage, c'est le niveau de croissance et pas Pôle emploi, qui ne crée ni ne détruit des postes. L'enjeu est d'abord économique. »
Le salut viendra-t-il du contrôle ? C'est en tout cas l'avis de l'OCDE, qui estime, comme la Cour des comptes, que Pôle emploi n'est pas assez sévère sur le contrôle de la recherche effective d'emploi. L'organisation économique va dans le même sens que le gouvernement, qui a décidé de consacrer plus de moyens à cette question, en créant des équipes dédiées dans chaque région (le système a déjà été expérimenté dans quatre régions pilotes, PACA, Poitou-Charentes, Haute-Normandie et Franche-Comté, avec un taux de radiation qui varie de 8 à 35 %). « Soyons clair, le contrôle sur des faits réels, sur des fausses déclarations, ou détournement d'indemnisation, je suis absolument d'accord, rappelle Jacqueline Balsan. Mais les contrôles seront faits comment, de manière aléatoire, sur dénonciation ? Aujourd'hui, les chômeurs nous disent quoi ? “On envoie des lettres de candidature, les employeurs ne répondent pas”, “Faut-il imprimer à chaque fois que je fais un mail pour justifier de ma recherche ?”... Je pense que ce dispositif, comme l'offre raisonnable d'emploi, ne peut pas être pérenne. » Vieille lune, le contrôle des chômeurs « revient systématiquement en période de chômage de masse », rappelle Carole Tuchszirer. « La crispation est permanente autour des 370 000 offres d'emploi non pourvues. Mais c'est une catégorie fourre-tout, car ce chiffre comprend aussi des entreprises qui avaient prévu de recruter et qui retirent leur offre ! Donc ce débat m'agace, personne n'est d'accord sur le chiffre car le sujet est éminemment politique. »
Source : http://www.mediapart.fr