La réaction de Manuel Valls est tombée comme un couperet, quelques minutes à peine après le rejet par la justice des recours des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, vendredi midi : « Le Premier ministre prend acte de cette décision qui doit entraîner la reprise des travaux. La réalisation du projet est ainsi à nouveau engagée après avoir été suspendue depuis fin 2012. » Pour Matignon, « le projet va donc pouvoir se poursuivre ». L’ancien chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, si discret habituellement, n’a pas boudé son plaisir, et tweeté : « La décision du TA confirme une nouvelle fois la validité de ce projet d'intérêt général. L'Etat de droit doit désormais être respecté #NDDL. »
Et le président de la région Pays de la Loire, Jacques Auxiette, s’est aussitôt réjoui de la communication de Matignon, « qui annonce que cette décision doit entraîner la reprise des travaux, marquant ainsi la fin de la période de suspension décidée par l’État ». Pour l’élu, l’un des plus fervents partisans du transfert de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique vers la zone d’aménagement différé autour du village de Notre-Dame-des-Landes, « aucune procédure en cours ne peut désormais empêcher la réalisation de l’aéroport, tant au niveau national qu’au niveau européen ».
Tout n’est pourtant pas si simple. Pendant sa campagne présidentielle, en 2012, François Hollande avait promis à des agriculteurs en grève de la faim contre le projet de nouvel aéroport (voir ici notre reportage à l'époque) qu’aucuns travaux ne commenceraient avant la fin des recours juridiques. En janvier dernier, sur France Inter, il confirmait que « quand les recours seront épuisés, le projet de Notre-Dame-des-Landes sera lancé ».
Les recours expirent-ils avec les jugement du 17 juillet (voir les décisions sous l'onglet Prolonger) ? Pas selon Thomas Dubreuil, avocat des requérants (plusieurs associations dont l’Acipa, le collectif historique d’opposants, le CéDpA regroupant des élus et EELV) : « Nous allons saisir la cour administrative d’appel car nous ne sommes pas satisfaits des jugements du tribunal administratif qui a évacué des sujets centraux comme celui de la compensation. Si le juge d’appel nous semble mal appliquer le droit, nous saisirons le Conseil d’État. Les recours ne sont pas épuisés. L’accord sur le moratoire est toujours en vigueur. Nous nous appuyons sur la parole présidentielle. Cela rajoute au moins trois ans de procédure. Nous sommes sereins. » L’Acipa et le CéDpA, dans un communiqué commun, rappellent que « le projet d’extension du port de Nantes-Saint-Nazaire, à l’est de Donges, a été abandonné en 2009, suite à l’annulation du jugement en cour administrative d’appel ». Et qu’il est donc encore possible à la justice d’arrêter le projet d’aéroport.
Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, « il n’y aura jamais épuisement des recours ». Par ailleurs, le litige avec la commission européenne n’est toujours pas levé, Raphaël Romi, professeur de droit public, explique ainsi que la France n’a toujours pas répondu à la mise en demeure de Bruxelles sur le pré-contentieux portant sur l’absence de certaines évaluations d’impact environnemental dans le dossier de l’aéroport nantais.
Sollicités vendredi matin, ni l’Élysée, ni le ministère de l’écologie n’ont accepté de se positionner sur la fin ou non du moratoire présidentiel. Tous deux ont renvoyé vers Matignon. La préfecture de Loire-Atlantique n’a pas plus donné suite à nos demandes de précisions. En début de mois, le nouveau préfet, Henri-Michel Comet, avait pourtant déclaré devant le conseil départemental : « Nous attendons encore quelques décisions de justice. Nous n’attendrons pas les épuisements. Le gouvernement prendra une décision sur la façon de progresser après les décisions de justice cet été » (c’est le site Reporterre qui l’avait signalé).
Les travaux de construction de l’aéroport ne peuvent pas démarrer dès cet été en raison de plusieurs obstacles juridiques. La préfecture n’a pas publié l’arrêté autorisant la destruction du campagnol amphibie, petit rongeur menacé au niveau mondial et donc protégé par la loi, et présent un peu partout sur la zone concernée par le projet d’aéroport. Elle n’a pas non plus autorisé le défrichement du bois de Rohanne, occupé par des opposants qui y vivent en cabanes dans les arbres, qui s’étend sur une grande partie de la ZAD, à l’emplacement prévu de la piste du projet d’aéroport.
Autre problème : impossible de déplacer des espèces animales en été, explique François de Beaulieu, membre des Naturalistes en lutte qui ont expertisé la biodiversité de la ZAD. Il faut attendre l’automne et pour certaines, la fin de l’hiver pour y être autorisé par le droit de l’environnement. Or ces transferts sont obligatoires dans le but de préserver un peu de la faune et de la flore condamnées par le bétonnage du bocage. Pour autant, l’appel du jugement du tribunal administratif de Nantes n’est pas suspensif. Concrètement, le rendu de ces jugements clôt une importante séquence juridique et renvoie le gouvernement à ses responsabilités politiques, alors que Ségolène Royal a plusieurs fois déclaré ne pas être favorable au projet.
Plusieurs scénarios semblent possibles.
- La non-décision
Il ne se passe rien sur le terrain : pas de retour des gendarmes sur les routes, pas de tentative d’expulsion, mais l’État reprend l’instruction des procédures administratives gelées depuis deux ans, à commencer par le permis de construire de l’aérogare, déposé par AGO, la filiale de Vinci concessionnaire du projet, mais pas examiné par la préfecture. Il publie les arrêtés sur le défrichement de la forêt de Rohanne et le campagnol amphibie. Celui-ci devrait être attaqué par les opposants, qui s’appuient sur l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN), instance consultative du ministère de l’environnement, qui a rendu à l’unanimité un avis défavorable à la demande de dérogation pour la destruction de cette espèce protégée.
Le gouvernement laisse passer le sommet sur le climat, ce qui lui évite le ridicule de présider la COP 21 et, en même temps, de construire un aéroport qui émettra des centaines de milliers de tonnes de CO2. Contradiction dénoncée vendredi par Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, sur Twitter : « S'entêter sur un nouvel aéroport à #NDDL l'année du climat en dit long sur la santé mentale du gouvernement. » Laisser passer les élections régionales et espérer une alliance de second tour avec EELV, alors que, rappelle le sénateur écologiste du cru Ronan Dantec, « on ne peut pas rassembler la gauche et faire l’aéroport ». Laisser passer les élections présidentielles, et laisser le dossier sur les bras de la prochaine majorité présidentielle. La déclaration d’utilité publique de l’aéroport expire en 2018 et l’on sait désormais que l’indemnisation à verser à Vinci en cas d’arrêt du projet ne serait pas faramineuse.
- La consultation locale
La commission d’Alain Richard sur le dialogue environnemental propose d’organiser des consultations locales d’électeurs sur les projets litigieux d’aménagement du territoire. Une idée reprise dans l’article 28 de la loi Macron. « Cette procédure nous a été présentée comme une possible voie de sortie des projets enkystés et bloqués par des occupations de type ZAD », explique Arnaud Gossement, membre de la commission Richard. Les ordonnances de l’article seraient en préparation et pourraient sortir dans les semaines qui viennent. Une consultation locale serait possible à la fin de l’année ou en début d’année prochaine. Dans ce type de système, tous les électeurs du département, ou d’un autre périmètre géographique, sont appelés à se prononcer pour ou contre le projet de Notre-Dame-des-Landes. C’est une forme de référendum local. Difficile de prévoir quel en serait le résultat, dans une région où des habitants se disent lassés de la bataille autour d’un aéroport imaginé dans les années 60.
- Les petits pas
Le gouvernement attend l’automne et commence, discrètement, sans des légions de gendarmes et de CRS, à déplacer des espèces et à préparer le terrain pour les travaux en 2016. C’est le scénario le plus improbable. La mobilisation reste forte autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Le week-end des 11 et 12 juillet, un rassemblement d’opposants a réuni 10 000 personnes, selon l’Acipa. À la moindre alerte, en quelques heures, des centaines de personnes pourraient y converger pour protéger la zone. Difficile dans ces conditions d’imaginer qu’une intervention préparatoire aux travaux se déroule dans le calme.
- L’opération casques à pointe
Le gouvernement choisit la manière forte et publie un arrêté d’évacuation de la ZAD. Comme en 2012, lors de l’opération César, il mobilise des centaines de gendarmes et de policiers pour vider la zone de ses occupants. C’est le scénario de la tension et de l’affirmation de la raison supérieure du maintien de l’ordre. C’est aussi un message envoyé aux militants pratiquant la désobéissance civile qui préparent des actions pendant la COP 21, afin de les décourager d’entreprendre des actions trop radicales. C’est le scénario catastrophe, avec le risque de faire des blessés et de causer la mort d’une nouvelle personne, près d’un an après la mort de Rémi Fraisse à Sivens. C’est aussi la division assurée de la gauche avec les écologistes pour la présidentielle de 2017.
Le jugement du tribunal administratif de Nantes porte sur 17 recours concernant l’application de la loi sur l’eau et de celle sur les espèces protégées. Une procédure proche de celle concernant le projet de Center Parcs à Roybon dans l’Isère, pourtant bloqué, lui, jeudi 16 juillet, par la justice, qui a annulé un arrêté préfectoral autorisant la destruction de zones humides dans la forêt de Chambaran, préalable au démarrage du chantier de construction de ce centre de loisirs. La différence de traitement est flagrante. Pour François de Beaulieu, des Naturalistes en lutte, « c’est paradoxal car l’enjeu de l’eau est beaucoup plus important à Notre-Dame-des-Landes, dont la zone humide est bien plus étendue que dans l’Isère ». Raphaël Romi, professeur de droit, souligne l’absence de prise en compte des enjeux de la compensation dans le dossier de l’aéroport alors que « 80 % des agriculteurs qui avaient été pressentis pour signer une convention de compensation avec le maître d’ouvrage, la refusent et que donc concrètement la compensation ne peut pas se faire ». Il s’étonne aussi de la non prise en compte d’un récent arrêt du Conseil d’État qui annule le décret des Autorités environnementales, ces instances consultatives du ministère de l’écologie.
Pour le Conseil, elles ne sont pas assez autonomes dans leur fonctionnement et leur budget. Or il leur incombe notamment de rendre un avis sur les arrêtés concernant l’application de la loi sur l’eau. Si bien que pour le juriste, cela aurait dû motiver l’annulation de cet arrêt pour le projet d’aéroport.
Le week-end dernier, sur un champ de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une fois la nuit tombée, des dizaines de personnes regardaient s’élever dans le ciel une petite montgolfière traînant derrière elle une banderole lumineuse : « Ciel LIBRE. » Ce n’est pas encore fait.
Source : http://www.mediapart.fr