“Le 19/24 juillet nous serons à Kobanê”
Avant de partir pour Suruç, Aydan Ezgi Sancı avait posté ce message sur son réseau [traduit par Etienne Copeaux]:
Aujourd’hui, des centaines de jeunes venus de Turquie et du Kurdistan du nord ont pris la route pour participer à la reconstruction de Kobanê. En cet anniversaire de la révolution de Rojava [le Kurdistan syrien] défendue corps et âmes par nos camarades, il s’agit d’un pas important dans la construction et le renforcement d’une culture. Nous avons combattu ensemble, ensemble nous reconstruirons.
Vous souvenez vous de cette image qui avait fait le tour d’Internet en décembre 2014 ?
Témoignant de la violence policière, cette photo prise lors de l’arrestation d’un militant, pendant une manif pour Kobanê, était devenue une icône représentative la répression policière. Le flic pas content que l’homme continue à scander le slogan “Stop aux tortures !” lui écarte -et déchire- la bouche avec une haine quasi palpable sur la photo….
Vous avez dit torture ?
Cet homme s’appelle Cebrail Günebakan. La violence policière n’avait pas réussi à arrêter ce jeune militant. La violence fanatique l’a fait. Il est une des personnes décédées par la bombe explosée aujourd’hui à Suruç.
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Dans cet attentat on ne peut lire qu’un avertissement et vengeance de Daech envers les soutiens de Kobanê. Des rumeurs sur le fait que les membres circuleraient relativement facilement en Turquie, que les blessés seraient transportés et soignés dans les hopitaux turcs, traversent le pays. Et les aides d’arsenal révelés appuient ces rumeurs.
Plus le soutien et la résistance s’élargit plus le risque de riposte de la part de Daech est palpable. Plus Daech affrontera les soutiens de Kobanê en Turquie avec une violence croissant, plus ces derniers se radicaliseront et élargiront leur rangs… Effet boule de neige, sur une boule de feu…
32 vies de plus, enlevées par l’utilisation systématique de la violence -d’état et des fanatiques- pour faire taire ceux qui revendiquent une véritable démocratie, une véritable égalité, une véritable paix. La solidarité internationale est de mise aussi contre toutes les formes d’oppression et tous les intégrismes !
Quoi qu’il arrive les 32 jeunes morts à Suruç ne seront pas oubliés…
Koray Çapoğlu, Cebrail Günebakan, Hatice Ezgi Sadet, Uğur Özkan, Nartan Kılıç, Veysel Özdemir, Nazegül Poyraz, Kasım Deprem, Alper Sapan, Cemil Yıldız, Okan Pirinç, Ferdane Kılıç, Yunus Emre Şen, Çağdaş Aydın, Alican Vural, Mehmet Ali Vural, Osman Çiçek, Mücahit Erol, Mehmet Ali Barutçu, Aydan Ezgi Şalcı, Ali Rıza Aslan, Nazlı Akyürek, Serhat Devrim, Ece Dinç, Emrullah Akalın, Murat Yurtgül, Erdal Bozkurt, İsmet Şeker.
Vous pouvez trouver les portraits de ces jeunes dans l’article d’Etienne Copaux : Les jeunes victimes de Suruç ont un nom et un visage.
Source : http://kedistan.fr
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Source : http://ovipot.hypotheses.org
Le « massacre de Suruç/Pirsûs » (20 juillet 2015) : cinq points
Par Jean-François Pérouse · 23 juillet 2015
Cérémonie funéraire de Hatice Ezgi Sadet, le 22 juillet 2015 à Ümraniye (Ihlamurkuyu Cemevi)
On a enterré hier mercredi 22 juillet des jeunes victimes du « massacre de Suruç/Pirsûs » dans diverses périphéries d’Istanbul, de Maltepe à Gazi, en passant par Ümraniye. Avant-hier 21 juillet, sur le site Internet « Siyasi Haber » le bloggeur Ahmet Saymadı – dont les papiers lors des événements de Gezi ont été très suivis – a posté une note intitulée « Désormais Kobanê c’est Istanbul ». Dans cette note il écrit : « La bombe qui a explosé à Suruç, a en même temps explosé à Gülsuyu, à Soğanlı, à Kadıköy et à Kurtuluş ».
Dans la continuité de nos notes précédentes sur Okmeydanı (voir nos éditions des 4 et 7 avril 2014), sur la frontière turco-syrienne (voir notre édition du 26 septembre 2014) et sur l’entrée d’Istanbul dans la guerre syrienne (voir notre édition du 14 octobre 2014), alors que la colère et la stupeur règnent largement dans une partie de l’opinion, que des victimes restent non identifiées et que l’enquête se poursuit, quelques points seulement.
- L’organisation socialiste de jeunesse qui a organisé ce mouvement de solidarité avec Kobane, SGDF – la Fédération des Associations de Jeunesse Socialiste, formée en 2005 – est liée non pas au mouvement kurde directement, mais au Parti Socialiste des Opprimés (ESP), lui-même issu en 2010 de la Plateforme Socialiste des Opprimés (ESP. Parti marxiste-léniniste, l’ESP a cependant eu pour fondatrice la co-responsable (eşbaşkan) actuelle du parti kurde HDP, Figen Yüksekdağ. A ce titre, SGFD est une des expressions manifestes de l’articulation récemment reconfigurée entre extrême gauche turque et mouvement kurde : les origines mêlées des victimes du massacre et l’importance de celles de socialisation alévie en sont des indices. Le public de SGDF est avant tout étudiant et dans une moindre mesure lycéen ; d’où le jeune âge (jusqu’à 16 ans !) et l’origine urbaine des victimes.
- À l’échelle de la Turquie, cet attentat ne vise donc pas directement et exclusivement le mouvement kurde. Il vise la nouvelle alliance qui s’est exprimée aux élections de juin 2015 (alliance issue partiellement des soulèvements de Gezi de juin 2013), qui associe gauchistes turcs, alévis et mouvement kurde. Il vise aussi le mouvement féministe de Turquie, nombre de victimes étant des femmes. Les ferments d’un renouveau du champ politique turc, au-delà des paradigmes ethniques ou religieux, étaient en ligne de mire.
- Ce massacre, qui se nourrit d’une conjoncture internationale de désordre et de violences extrêmes, a une dimension très turque. Il semble qu’à l’instar de l’attentat meurtrier de Diyarbakır du 5 juin 2015 – à la veille des élections législatives – les responsables soient des citoyens turcs, issus d’une même filière ou d’un même environnement idéologico-activiste (Adıyaman). À cet égard, on comprend mal les tolérances dont ont été l’objet les auteurs des deux attentats – dont on suppose qu’ils se connaissaient – de la part des forces de sécurité turques comme des institutions du renseignement. Comme le souligne le chroniqueur Aydın Engin dans le Cumhuriyet du 23 juillet 2015, « l’EI est en nous, et parmi nous, ce n’est plus une menace extérieure ». Si les franchissements de la frontière turco-syrienne sont désormais mieux contrôlés, les circulations internes à la Turquie et les activités d’anciens combattants djihadistes turcs retournés ces derniers mois en Turquie semblent l’être beaucoup moins systématiquement.
- À une échelle plus régionale, ce massacre intervient le lendemain des célébrations du début de l’insurrection autonomiste de Kobanê, le 19 juillet 2012. En effet, c’est à partir de cette date que les Kurdes de Syrie, et notamment ceux du canton de Kobanê, ont décidé de prendre leur défense et leur organisation en mains, rompant avec le gouvernement syrien comme avec les autres opposants armés à celui-ci. La coïncidence de calendrier est donc significative. De part et d’autre de la frontière, de Kobanê à Suruç/Pirsûs, on est ainsi passé en quelques heures, de l’allégresse des commémorations à l’horreur du cauchemar. Le massacre survient aussi alors que l’EI perd des positions sur plusieurs fronts en Syrie comme en Irak, comme une aveugle démonstration de force de nuisance persistante aux portes mêmes de Kobanê « perdu » fin janvier 2015.
- Quoi qu’il en soit, ce massacre montre le risque de la projection du champ politique turc sur le terrain syrien – les différents acteurs du jeu turc s’identifiant, parfois jusqu’à la compassion active, à différents acteurs du sanglant théâtre syrien -, pour ne pas parler du débordement du chaos syrien sur le territoire turc. Seul le versant armé du mouvement kurde – et quelques combattants internationalistes plus ou moins aguerris – fait le lien entre ces deux régimes d’action, non sans schizophrénie parfois. Se rendant à Kobanê, ces jeune du SGDF sont entrés dans un champ infernal auquel ils n’étaient pas formés/préparés et ont été happés par le chaos syrien. La responsabilité des hommes politiques turcs de tout bord qui projettent leurs rivalités dans le champ syrien est donc grave.
Source : http://ovipot.hypotheses.org