En 2010, le Cameroun a signé un Accord de partenariat volontaire (APV) avec l’Union européenne (UE). Cet accord commercial est censé mettre fin au commerce de bois tropical illégal à travers différents outils techniques. Avec cet accord, le Cameroun s’est engagé à ne commercialiser que du bois légal vers l’UE. En contrepartie, l’UE a promis de faciliter l’accès de son bois à son marché et de l’autoriser à émettre des « autorisations FLEGT », jouant le rôle de certificat de légalité.
Mais le mécanisme ne semble pas fonctionner au Cameroun, ainsi que dans les autres pays du bassin du Congo signataires d’un APV. Samuel Nguiffo, secrétaire général du Centre pour l’environnement et le développement (CED), une ONG camerounaise, fait ici une analyse de la situation, alors que l’UE est en pleine évaluation du mécanisme lancé il y a dix ans.
- Samuel Nguiffo
J’ai commencé à m’intéresser à l’exploitation forestière au Cameroun il y a une vingtaine d’années. A l’époque, je ne comprenais pas pourquoi des décisions semblant relever du bon sens pour gérer efficacement les forêts et préserver leurs fonctions et usages primordiaux n’étaient pas prises. Ainsi, le modèle de gestion proposé par la loi de 1994 pour les forêts au Cameroun [1], intéressant sur le papier, n’a pas été testé avant d’être appliqué à l’ensemble des forêts du pays. Alors qu’il montrait des limites inquiétantes liées à la qualité de la gouvernance, il a été étendu aux autres pays du bassin du Congo, marqués par le même déficit chronique de gouvernance.
On a fini par se retrouver avec un système de gestion des forêts déplaçant le centre de décision des autorités politiques compétentes vers les bailleurs de fonds, au mépris des principes d’appropriation et de durabilité. Les efforts déployés par plusieurs agences de coopération pour une gestion durable des forêts ont été par conséquent vains : leurs propositions et innovations techniques, telle l’institution de la fiscalité décentralisée ou de la foresterie communautaire, n’ont pas été appliquées, faute de volonté politique.
Mise en œuvre des APV en panne
Le contexte général n’ayant pas changé, on ne peut guère s’étonner que la mise en œuvre des APV soit en panne dans plusieurs pays d’Afrique centrale. Faut-il pour autant abandonner l’initiative ? Au moins trois considérations sont à prendre en compte.
Il faut d’abord souligner que l’UE garde la question de la gouvernance forestière sur son agenda politique, avec un dispositif qui impose une obligation de rendre compte liant les deux partenaires. C’est un point positif important alors que de nombreuses agences de développement ont renoncé à s’investir dans ce secteur ou ont perdu de leur influence.
- FLEGT : Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux
Moins positif, on constate que les APV n’ont pas résolu le problème de l’exploitation forestière illégale - sans parler de la durabilité qui n’apparaît qu’en filigrane dans les textes : les opérations illégales se poursuivent, parfois avec la complicité des autorités nationales ou locales.
Le diagnostic ayant précédé la mise en place des APV aurait dû en réalité être affiné. Cela aurait permis de distinguer au moins deux cas de figure. Premier cas : celui des Etats ayant la volonté de faire des réformes. Dans ces pays, les mesures techniques proposées par les APV peuvent aider à pallier les carences de l’administration. Le système de traçabilité ou la « grille de légalité » peuvent lui permettre de renforcer son efficacité et son objectivité dans le contrôle forestier.
Second cas : celui des Etats sans volonté politique. Dans ces derniers, il aurait fallu construire cette volonté politique qui fait défaut avant de passer à la phase technique : il est difficile de résoudre des questions politiques avec des solutions techniques... On pourrait imaginer un dialogue entre l’UE et le pays producteur concerné : un ancien chef d’Etat européen pourrait être mandaté auprès du chef d’Etat du pays partenaire, pour le sensibiliser et obtenir de sa part des engagements, dont le respect serait vérifié via des indicateurs politiques. Une telle démarche est évidemment délicate : jusqu’où l’UE peut aller sans être accusée d’ingérence ? A partir de quand doit-elle suspendre le dialogue avec un pays peu enclin à améliorer sa gouvernance pour ne pas être accusée de complicité ? [2]
Nouvelles menaces
Aujourd’hui, les forêts sont confrontées à de nouvelles menaces, comme celle du bois dit « de conversion », non prises en compte par les APV, ces derniers ayant été conçus avant l’actuelle ruée sur les terres forestières à des fins agricoles, minières ou pour la construction de grandes infrastructures. Ces problématiques nouvelles constituent un test de flexibilité pour les APV et leurs signataires : parviendront-ils à adapter l’outil, en gardant les objectifs de respect de la légalité et d’amélioration de la gouvernance ?
Les décideurs politiques dans les pays producteurs font souvent comme si les demandes pour une gestion durable visaient l’arrêt de l’exploitation forestière, et donc desservaient le développement. Mais l’exploitation illégale ne profite ni à l’Etat ni aux communautés, et la redistribution au niveau local des retombées financières de l’exploitation du bois n’a jamais fonctionné. Les revenus de l’Etat sont loin de ce qui était annoncé. La ressource est détruite sans que le développement suive.
Il y a donc urgence à agir et à prendre enfin en compte la question de la volonté politique dans la définition des stratégies pour une gestion durable des forêts. L’UE doit agir d’autant plus rapidement que sa marge de manœuvre baisse. Le marché européen n’a accueilli en 2014 qu’environ 20 000 m3 de grumes camerounaises, contre 500 000 m3 pour la Chine, sur un total de 780 000 m3 exportés. [3] Cette tendance rend encore plus nécessaire une réforme de la gestion des forêts dans les pays producteurs afin qu’elles soient mieux protégées...
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Source : http://www.reporterre.net