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3 juillet 2015 5 03 /07 /juillet /2015 20:11

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

L’aéroport de Toulouse a été privatisé au profit d’une société-écran

|  Par Laurent Mauduit

 

 

 

La privatisation de l'aéroport de Toulouse-Blagnac est éclaboussée par des scandales chaque jour plus nombreux. Soupçonné de corruption, l'acquéreur chinois, Mike Poon, est en fuite. Selon notre enquête, sa société française, Casil Europe, n'a que 10 000 euros de capital, et son siège social, place de la Madeleine, à Paris, est fictif.

 

Ce devait être une grande fête protocolaire et diplomatique ! C’est du moins comme cela que les autorités françaises avaient conçu l’événement. À l’occasion de la visite en France du premier ministre chinois, Li Keqiang, qui a commencé lundi par un rendez-vous à l'Élysée avec François Hollande, le premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’économie Emmanuel Macron avaient pris la décision de dérouler le tapis rouge à leur hôte, en organisant pour lui des déplacements en grande pompe aux quatre coins de l’Hexagone, de Paris jusqu’à Marseille, en passant par Toulouse et les usines d’Airbus.

Mais l’étape toulousaine, qui devait être jeudi le temps fort de ce voyage officiel, risque de se transformer en calvaire. Car Manuel Valls et Emmanuel Macron, qui espéraient engranger quelques gros contrats, notamment aéronautiques, auront du mal à chanter les formidables mérites de la coopération économique franco-chinoise au moment précis où elle est éclaboussée par un scandale, celui de la privatisation de la gestion de l’aéroport de Toulouse, qui prend de plus en plus d’ampleur.

Selon notre enquête, non seulement le président chinois de la société qui a remporté la privatisation, Mike Poon (aussi appelé Poon Ho Man), a disparu, et son nom est évoqué dans une affaire de corruption ; mais de surcroît, la société qu’il a créée pour gagner la privatisation à Toulouse, qui est dénommée Casil Europe, a tout d’une société fictive, ne disposant que d’un capital dérisoire et affichant une adresse fictive pour son siège social à Paris. Ce qui risque de donner de nouveaux arguments de campagne au Collectif contre la privatisation (ici sa page Facebook et là le blog sur Mediapart).

Pour comprendre l’enchevêtrement de ces scandales à répétition, il faut se souvenir de la genèse de l’histoire (lire La scandaleuse privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac). D’abord, Emmanuel Macron a prétendu qu’il ne s’agissait pas d’une privatisation puisque si les investisseurs chinois faisaient effectivement l’acquisition de 49,9 % de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, l’État gardait 10 % du capital et, avec les collectivités locales (Région, département et ville de Toulouse), disposait toujours de la majorité du capital. Mais à l’époque, en novembre 2014, Mediapart a révélé qu’il s’agissait d’un mensonge (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti et Aéroport de Toulouse : les preuves du mensonge). Dans notre enquête, nous en avions apporté la preuve irréfutable : publiant des fac-similés du pacte d’actionnaires secret, nous avions révélé que ce dernier liait en réalité l’État non pas aux autres collectivités publiques mais aux investisseurs chinois et donnait à ceux-ci les pleins pouvoirs pour gérer la société française. Bien que l’affaire ait suscité beaucoup d’émoi, le ministre de l’économie n’a pourtant pas changé de ligne de conduite et a toujours refusé que le pacte d’actionnaires dans sa version intégrale soit rendu public.

 

Affichette du Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport
Affichette du Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport
 

Et le scandale ne s’arrêtait pas là. Nous avons aussi révélé que cette société Casil Europe s’imbriquait dans un groupe opaque, détenu par cet oligarque chinois dénommé Mike Poon et son épouse Christina, et dont la holding de tête se dénomme Capella Capital Limited, une holding immatriculée aux îles Vierges britanniques. Cette holding de tête a pour filiale à 100 % une société dénommée Friedmann Pacific Investiment Holdings Limited, dont le pays d’immatriculation est inconnu : cette dernière société aurait elle-même une filiale dénommée Friedmann Pacific Asset Management Limited, immatriculée aux îles Vierges britanniques. Nous racontions dans cette même enquête que cette société avait elle-même une autre filiale dénommée China Aircraft Leasing Groups Holdings Limited, implantée aux îles Caïmans.

 

 

Mais à ce premier scandale est venu plus récemment s’ajouter un autre. Plusieurs agences de presse ont annoncé ces derniers jours que le dénommé Mike Poon avait disparu et que son nom était cité dans un scandale de corruption (lire Toulouse : la privatisation éclaboussée par un scandale). Le 22 juin, l’agence Reuters a apporté ces précisions : « Selon le quotidien South China Morning Post, qui cite des sources proches connaissant bien le groupe, Poon Ho Man a disparu il y a plus d'un mois. Son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption menée par les autorités auprès de l'une des compagnies clientes de CALC, China Southern Airlines. Le loueur avait déclaré vendredi qu'il n'avait pas été avisé d'une quelconque enquête concernant Poon Ho Man et que l'examen des dossiers concernant les échanges avec China Southern n'avait révélé aucune irrégularité. Un porte-parole a refusé de faire de nouveaux commentaires après les informations diffusées vendredi. »

Or, depuis cet article, le mystère s’est encore un peu plus épaissi. Le même quotidien chinois anglophone, South China Morning Post, dans un article en date du 29 juin (que l’on peut consulter ici), indique que 5,38 millions d’options détenues par Mike Poon sur la société China Aircraft Leasing ont été exercées le 19 juin, à un prix de 0,16 dollar, soit 90 % de moins que leur valorisation boursière, sans que l’on sache qui avait donné ces ordres de cession. Cela équivaut donc à 860 800 dollars ou 770 000 euros. Près de 429 000 options de la société Friedmann Pacific Asset Management ont également été cédées, dans les mêmes conditions mystérieuses.

 

Une société sans siège social ni boîte aux lettres

Où Mike Poon a-t-il donc disparu ? Et pourquoi ces options ont-elles été vendues ? À tous ces mystères, il va falloir en ajouter encore d’autres, car nous avons aussi voulu mieux connaître qui était cette société Casil Europe, à laquelle a été offerte dans ces stupéfiantes conditions la privatisation de la gestion de l’aéroport de Toulouse. Or, nous sommes allés, dans ce domaine-là aussi, de surprise en surprise.

D’abord, les premiers statuts de la société, qui ont été déposés au greffe du tribunal de commerce de Paris, font apparaître (voir document ci-dessous) que la société disposait à ses débuts d’un capital dérisoire : tout juste 10 000 euros.

 

 

Autre révélation apportée par ces statuts : cette société Casil Europe est en fait contrôlée par une autre société dénommée Sino Smart Inc. Limited, dont le siège serait à Hong Kong, et qui serait aussi la propriété du même Mike Poon. Mais visiblement, cette structure est elle aussi une société-écran ou une coquille juridique, puisque sa date de constitution est toute récente, à savoir le 24 septembre dernier (voir ici).

Encore plus stupéfiant, les mêmes statuts font apparaître que le siège social de Casil Europe est situé au numéro 6 de la place de la Madeleine à Paris. Ce qui fait très chic et sérieux, puisqu’il s’agit de l’un des quartiers les plus huppés de la capitale. Mais si l’on poursuit la lecture des statuts de la société, on peut y faire une autre découverte inattendue :

 

 

On y découvre en effet que cette société Casil Europe a procédé à la « signature d’un contrat de domiciliation avec la société Wolters Kluwer France », qui est une société d’édition professionnelle (ici son site internet). Trouvant cela passablement étrange, nous nous sommes donc rendus au 6, place de la Madeleine, à Paris. Et nous avons cherché en vain ses bureaux : il n’y en a pas. Nous avons aussi cherché si la société disposait au moins d’une boîte aux lettres : sans plus de succès. Nous avons alors interrogé la gardienne de l’immeuble, qui nous a expliqué comment les choses se passaient.

 

(Cliquer sur la photo pour l'agrandir)

 

Pour la façade, un contrat de domiciliation a bel et bien été signé entre Casil Europe et Wolters Kluwer France, dont le nom apparaît sur la plaque à l’entrée de l’immeuble (voir photo ci-contre). Cette société Wolters Kluwer France a un service qui s’occupe pour des clients de leurs annonces légales ou leur offre une domiciliation. Mais, concrètement, le rôle de Wolters Kluwer France s’arrête là. Et quand du courrier arrive au nom de Casil Europe, c’est la gardienne elle-même qui se charge de le faire suivre à la bonne adresse. C’est-à-dire à destination de Honk Kong ? À notre question, elle nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous apporter spontanément de réponse, car elle avait la charge de faire suivre les correspondances de quelque 400 sociétés.

Quoi qu’il en soit, l’affaire prend une tournure de plus en plus stupéfiante. On peut la résumer ainsi : dans le plus grand secret, Emmanuel Macron a privatisé la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à une société-écran qui n’a pas pignon sur rue en France et dont le PDG, mis en cause dans une affaire de corruption, a pris la fuite après avoir vendu en catastrophe des actions en sa possession.

Interrogée par La Tribune qui lui demandait comment elle réagissait à la disparition de l’actionnaire chinois Mike Poon, Anne-Marie Idrac, qui préside le conseil de surveillance de la société de gestion de l’aéroport, a eu cette réponse dont on ne sait si elle est inspirée par une niaiserie crasse ou une radicale mauvaise foi : « Je ne sais pas où est Mike Poon mais, à vrai dire, cela ne m'importe pas tellement. »

Tout au long de la visite du premier ministre chinois en France, toutes les parties prenantes de l’affaire seront pourtant hantées par le spectre de Mike Poon, ce mystérieux oligarque qui s’est fait la belle avec ses secrets et un gros paquet de dollars. En espérant que les rumeurs de corruption qui circulent actuellement en Chine n’aient pas un jour des prolongements en France.

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

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