François Hollande n'a rien voulu entendre. Malgré les divers appels à accorder l'asile à Julian Assange depuis les nouvelles révélations sur les écoutes de la NSA, l'Élysée a rejeté fermement vendredi toute possibilité de séjour en France pour le fondateur de WikiLeaks. Une décision critiquée à droite comme à gauche.
Dans une tribune publiée jeudi sur Mediapart, des personnalités comme Edgar Morin, Jacques Audiard, Eva Joly, Thomas Piketty, Éric Cantona, Romain Gavras ou Vincent Cassel s'adressaient à la France et estimaient que « les révélations de WikiLeaks donnent à ses plus hauts représentants l’opportunité de laver l’humiliation subie et, ce faisant, de réaffirmer les valeurs de la France et sa souveraineté, en accordant sa protection à Julian Assange et Edward Snowden ». Une pétition en ligne a également été lancée. Dans la foulée, Julian Assange a signé une lettre ouverte à François Hollande dans Le Monde pour le convaincre de lui accorder l'asile. Peine perdue.
Sur Twitter, l'association SOS-Racisme s'est étonnée de la rapidité avec laquelle l'Élysée a répondu au fondateur de WikiLeaks et de la bizarrerie de la procédure (lire notre article) :
Erythréens, yéménites, syriens,… tous sont heureux d'apprendre que @ofpra met désormais 58 mn pour examiner les demandes d'asile #Assange
Dans un communiqué publié vendredi, Europe-Écologie Les Verts (EELV) se dit « scandalisé de la réponse – aussi immédiate que laconique – apportée par le président de la République à la demande de protection formulée par Julien Assange ». « La rapidité de la réponse constitue en soi un terrible aveu de faiblesse qui rappelle tristement l’interception illégale de l’avion du président bolivien par les autorités françaises qui craignaient que Snowden soit réfugié à l’intérieur. (...) Le rejet de la demande d’asile de Julien Assange est une atteinte claire et profonde aux valeurs de notre République, tant la situation qu’il subit est indigne et les risques de persécutions qu’il encourt sont réels et nombreux », poursuit le parti écologiste, qui appelle François Hollande à « revenir sur cette décision et à mettre enfin en œuvre les principes qui ont fondé le rayonnement moral de la France depuis des siècles : la justice, l’équité, et la protection des plus faibles. »
La députée européenne Eva Joly a quant à elle fait le lien avec l'actualité grecque :
Non-assistance à la Grèce en danger, refus d'accueillir #Assange. La France de Hollande voit ses valeurs rétrécir chaque jour @wikileaks
Isabelle Attard, députée et ancienne militante d'EELV, a redit sur Twitter vendredi qu'il fallait accorder l'asile à Assange. « Je suis scandalisée que les lanceurs d'alerte qui prennent des risques pour nous aider soient traités comme des criminels ! », explique-t-elle.
Je soutiens la demande d'asile en France de Julian #Assange. Et vous ? IA
Au Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon est du même avis.

Au PS, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (aile gauche) et les députés Arnaud Leroy et Yann Galut font partie de ceux qui sont favorables à ce que Julian Assange trouve asile en France :
La France doit accueillir J. Assange qui le demande. Protéger lanceurs d'alerte et liberté. Ne pas céder aux pressions US. Rétorsion NS
À droite, Thierry Mariani (LR, ex-UMP) partage le même point de vue :
Oui ! #Snowden et #Assange doivent avoir l'asile politique dans notre pays. #cc @jpmignard
Le fondateur de #WikiLeaks demande l'asile à la France. Lui accorder serait ENFIN le début d'une réaction sérieuse face à l'espionnage US !!
Même chose pour le FN Florian Philippot :

Un imbroglio judiciaire : les États-Unis et les plaintes pour viol en Suède
L'Élysée peut toujours se cacher derrière la situation juridique complexe de Julian Assange. Si le rédacteur en chef de WikiLeaks est bien dans le viseur des États-Unis depuis que son site a publié, au printemps 2010, les documents de l’armée américaine fournis par Chelsea Manning, la justice suédoise réclame aussi son extradition pour une affaire d'agression sexuelle et de viol.
Au mois d’août 2010, alors que WikiLeaks est au sommet de sa popularité, deux jeunes femmes suédoises déposent plainte contre Julian Assange. Lors de relations sexuelles au départ consenties, il lui est notamment reproché d'avoir refusé d'utiliser un préservatif, ou de l'avoir retiré sans prévenir, des faits qui, en Suède, peuvent relever du viol. Julian Assange se trouve alors en Grande-Bretagne, à qui la Suède demande son extradition. Au terme de deux années de bataille juridique, il finit par se réfugier, le 19 juin 2012, dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur à Londres et demande l’asile à ce pays. Il y est depuis toujours bloqué, menacé d’être interpellé dès qu’il passera la porte de l’ambassade.
Julian Assange © Reuters
Julian Assange ne nie pas avoir eu des relations sexuelles avec ses deux accusatrices, mais dément avoir retiré son préservatif sans leur consentement. Selon ses défenseurs, c’est la police qui aurait fortement incité les deux femmes à déposer plainte. WikiLeaks affirme en effet que cette procédure est téléguidée par les États-Unis afin d’obtenir l’extradition de Julian Assange dès qu’il sera arrivé en Suède. Celui-ci s’est d’ailleurs dit prêt à se présenter devant la justice, à la condition que les autorités suédoises s’engagent à ne pas le transférer vers un autre pays. Ce qu’elles ont refusé au nom de l’indépendance de la justice.
Le problème est que, pour l’instant, Julian Assange n’est officiellement inculpé d’aucune charge, ni aux États-Unis ni en Suède. Pour être formellement inculpé, il devrait être auditionné par la procureur en charge de l’enquête. Mais celle-ci s’est jusqu’à présent refusée à faire le voyage jusqu’à Londres, malgré les demandes répétées de WikiLeaks et le feu vert des autorités britanniques. « Elle devait venir à Londres le 17 ou le 18 juin dernier, mais elle n’a entamé ses démarches auprès de l’ambassade que trois jours avant, affirme Juan Branco, conseiller juridique de WikiLeaks. Ce qui est bien entendu bien trop tard. Elle a prétendu une erreur technique. Mais ce que nous constatons, c’est en fait un double langage. »
De leurs côtés, les États-Unis se gardent bien d’annoncer l’ouverture officielle d’une enquête qui ne ferait que confirmer les craintes des avocats d’Assange. Celle-ci semble pourtant bien être une réalité. Au cours d'une conférence de presse organisée au mois de janvier à Genève, l'équipe juridique de WikiLeaks, menée par le juge espagnol Baltazar Garzon, a présenté des emails montrant que Google collaborait avec la justice américaine en lui fournissant des données sur certains membres de WikiLeaks. Le 9 juin dernier, le hacker et journaliste Jacob Appelbaum, qui a par ailleurs travaillé avec WikiLeaks, a révélé que Google avait été obligé de transmettre ses données personnelles aux autorités afin d’alimenter le dossier d’inculpation de Julian Assange par un grand jury. « Jusqu’à présent, lorsque nous affirmions que les États-Unis faisaient tout pour obtenir de la Suède l’extradition de Julian Assange, on nous traitait de complotistes. Aujourd’hui, nous savons que c’est vrai », estime Juan Branco.
Mais cet imbroglio juridique pourrait bientôt se débloquer. « Au mois d’août, trois des quatre charges dont Julian Assange est accusé vont être prescrites », explique Juan Branco. « Il ne restera que la plus lourde, "viol mineur", pour laquelle il risque jusqu’à 10 ans de prison. Il y a une grande chance pour que l’ensemble du dossier soit clos. En effet, à cette occasion, l’ensemble de l’affaire sera réexaminée, un nouveau mandat d’arrêt devra être délivré, et il faudra le justifier. Or, il n’y a eu dans ce dossier aucun acte d’enquête depuis 2010. » Selon le conseiller juridique, « le parquet sait que ce dossier est vide et cherche en fait une porte de sortie tout en gardant la tête haute ».
Si les poursuites sont abandonnées contre lui en Suède, rien ne dit pourtant que la France, qui ne veut pas froisser les États-Unis, reviendrait sur sa position de ne pas accorder l'asile. Quant à Edward Snowden, lui aussi à l'origine de très nombreuses révélations sur l'espionnage mis en place par la NSA, il est toujours bloqué en Russie. La France lui avait refusé, il y a deux ans, un sauf-conduit qui lui aurait permis de déposer une demande d'asile en bonne et due forme.
Source : http://www.mediapart.fr