ENCADRE :
Maison de santé / Centre de santé : quelle différence ?
La maison de santé est un regroupement de médecins libéraux, généralistes et/ou spécialistes, qui répond au problème de l’isolement. Les médecins partagent les frais comme le secrétariat.
Dans un centre de santé, géré par une municipalité ou une mutuelle, les médecins sont salariés et touchent un salaire fixe chaque mois, contrairement au paiement à l’acte dans le secteur libéral.
Didier Ménard a passé toute sa carrière dans le quartier populaire et pauvre des Francs-Moisins à Saint-Denis, où il a monté un cabinet médical « dans un appartement du quartier ».
« En tant que médecin, on pensait qu’il fallait mieux exercer la médecine dans le milieu qu’on connaissait le mieux »
Un milieu particulier, où les patients ont des histoires atypiques. De par leurs origines - le quartier est composé en majorité de personnes issues de l’immigration - et des histoires personnelles compliquées. On y trouve « les populations les plus précaires, les plus vulnérables », selon le docteur Ménard. Et de rajouter :
« La faculté de médecine ne prépare pas du tout à ça, ce n’est pas notre mission. On nous apprend à faire un diagnostic, puis un traitement, et puis c’est terminé. Or là, évidemment ça ne marche pas comme ça. Donc on comprend assez facilement que pour un certain nombre de soignants confrontés à cette réalité là, ils ne se sentent pas en capacité de répondre aux besoins. Et je pense d’ailleurs qu’il ne vaut mieux pas qu’ils s’installent s’ils n’ont pas cette capacité ou cette compétence, car ils seront en souffrance et la population n’y trouvera pas ce qu’elle cherche ».
Une inadéquation qui n’a pas permis à ce type de territoire d’attirer les médecins généralistes. Mais Didier Ménard a vu les choses évoluer. Doucement. Pour combler ce « manque » dans la formation des médecins, il y a désormais le stage chez le praticien.
J’ai reçu des jeunes internes qui sont venus travailler pendant six mois dans la cité des Francs-Moisins, raconte Didier Ménard. Certains n’ont pas été séduits. C’est le moins que l’on puisse dire. Et d’autres ont été séduits, ils se sont formés au contact des anciens et sont devenus aujourd’hui des professionnels compétents pour travailler dans ces quartiers.
Le médecin des Francs-Moisins se réjouit de l’ouverture de ces stages mais aimerait qu’on aille plus loin, et qu’on enseigne cette « médecine médico-psycho-sociale » car « ce n’est pas dévalorisant d’aller travailler dans une cité du 93. C’est même une histoire professionnelle passionnante » :
Plus généralement, que ce soit dans le domaine de la santé ou dans les services publics en général, en ville comme à la campagne, le docteur Didier Ménard pointe la responsabilité des pouvoir publics : « L’Etat a failli à sa mission ».
Mais loin d’être fataliste, le médecin met en avant le succès des maisons de santé, « outil le plus pertinent » qui répond aux nouvelles attentes des médecins. Il en existe 600 aujourd’hui, et le Premier ministre Manuel Valls en promet 800 d’ici la fin de l’année :
La densité de médecins généralistes « va s’effondrer complètement dans les cinq ans »
La répartition des médecins généralistes ne serait pas problématique aujourd’hui selon certains syndicalistes.
« La différence de densité pour les généralistes est de un à trois selon les départements. Il y a des professions pour lesquelles ces différences sont beaucoup plus importantes. Un à sept chez les infirmières par exemple » avance Claude Leicher, président du syndicat MG France, premier syndicat chez les médecins généralistes.
Mais le médecin prédit une aggravation de la situation : « la densité de généralistes (…) va s’effondrer complètement partout en France dans les cinq ans qui viennent » avec le départ à la retraite des médecins papy-boomers.
Aujourd’hui, s’il n’y a pas une installation massive de jeunes en médecine générale, la population ne trouvera plus, ou difficilement, de médecins traitants près de chez elle. Or tous les systèmes de santé dans le monde entier sont organisés à partir de la proximité et des soins ‘primaires’.
Autre explication du faible nombre de médecins généralistes installés et opérationnels : les conditions de travail : « sur presque 19.000 postes (en médecine générale) proposés aux étudiants en médecine, on en a retrouvé sept ans après que 5.000 médecins généralistes effectivement installés ».
La raisons ? « Les conditions d’exercice de la médecine générale en France sont désastreuses. C’est une spécialité maltraitée », explique Claude Leicher :
« C’est un enjeu démocratique et républicain »
Le Collectif Interassociatif Sur la Santé (CISS) suit depuis de nombreuses années la question des déserts médicaux et a évalué les politiques publiques qui ont tenté de répondre au problème.
Christian Saout, le secrétaire général délégué du CISS partage le constat de Claude Leicher sur la « difficulté aujourd’hui pour les médecins d’aller s’installer dans un certain nombre d’endroits. Je pense qu’ils estiment que dans ces endroits là, soit leur rémunération n’est pas suffisante, soit leurs conditions de vie ne sont pas celles qu’ils attendent ».
Mais il pointe également, comme Didier Ménard, la responsabilité de l’Etat « qui n’a pas eu de vision de ce qu’était la médecine générale ».
Notre pays a eu le regard essentiellement tourné vers l’hôpital depuis 70 ans. On ne s’est pas intéressé à la médecine générale de premier recours. Or, ce sujet nous revient à la figure parce qu’aujourd’hui on a de moins en moins besoin d’hôpital, grâce aux traitements qui guérissent ou qui maintiennent les gens à domicile avec une qualité de vie suffisante. La médecine d’aujourd’hui et encore plus celle de demain sera une médecine ambulatoire alors que notre réponse est essentiellement hospitalière.
En résumé, selon Christian Saout :
« Le défi devant lequel on se trouve est de savoir comment on fait, pour implanter des services de médecine générale dans tous les endroits du territoire ».
Chiffres 2014 sur la médecine générale (1) © Conseil National de l'ordre des médecins
Car les politiques menées jusqu’ici n’ont pas été couronnées de succès. Tous les gouvernements depuis 30 ans « ont essayé de traiter la question des déserts médicaux, surtout dans la période récente parce que cela s’est aggravé ».
Il y a d’abord eu les incitations financières pour attirer les médecins dans les zones rurales.
« On a un peu arrosé le sable, juge Christian Saout. On a donné des aides, on a fait des incitations positives mais cela a surtout constitué des effets d’aubaine pour les médecins. Et ça n’a pas du tout permis de combler les déserts médicaux. Au contraire, ils se sont aggravés dans un certain nombre d’endroits. Et les prévisions sont assez inquiétantes ».
Pourtant, si rien ne fonctionne, le secrétaire général du CISS prédit un accès à la santé à deux vitesses.
Pour la France des grandes villes et des bords de côtes, j’aurais une offre de santé humaine et pour mes arrières pays et mes quartiers et mes cités, j’aurais une offre électronique (…) pour pouvoir dire qu’on fait quand même quelques chose.
Chiffres 2014 sur la médecine générale (2) © Conseil National de l'ordre des médecins
A l’opposé des incitations « positives » la solution serait la contrainte. Il s’agirait d’encadrer l’installation des médecins pour en diriger un nombre suffisant vers les zones « sous-denses ».
Une pratique à laquelle ne croit pas Christian Saout.
En revanche, sans aller jusqu’à cette contrainte, il existe des outils de « désincitation » à l’installation en surnombre des médecins. Il s’agirait par exemple de « ne pas conventionner de nouveaux médecins dans les zones déjà en surnombre. Par exemple sur les grandes villes ou sur les bords des rivages maritimes, arrêter d’autoriser l’installation de médecins conventionnés ».
Chiffres 2014 sur la médecine générale (3) © Conseil National de l'ordre des médecins
Christian Saout et le CISS pensent également qu’un changement du mode de rémunérations des médecins pourrait faire évoluer la situation actuelle : « Au lieu d’être rémunéré à l’acte il s’agirait de rémunérer les médecins à la capitation ou au forfait (…) On va forcer les médecins implicitement à aller chercher des forfaits là où ils sont : dans les déserts médicaux » où il n’ y a pas de médecins, mais où il y a des patients « donc des forfaits ».
Les avantages à ce mode de rémunération sont multiples : les médecins n’ont pas à se préoccuper de leur salaire à la fin du mois. Et pour les patients, c’est « la possibilité, au temps des maladies chroniques, de disposer d’une heure avec son praticien parce qu’il ne sera pas en train de rechercher des consultations à l’acte à 23 euros pour faire ‘tourner’ son cabinet » explique Christian Saout. Pour lui, des décisions fortes et politiques devront être prises pour faire avancer le dossier. « On ne peut pas en rester aux clivages actuels. Cela provoque de la crispation chez les professionnels de santé, particulièrement chez les médecins. Et cela provoque du désarroi chez nos concitoyens qui se demandent à quoi sert de payer des impôts si c’est pour ne pas trouver des réponses de santé » :
Le député Pierre Morel A l’Huissier a été confronté à la désertification médicale. Avec l’absence de médecin dans sa commune de 400 habitants et dans le canton de 2.000 habitants.
Sur les contraintes qui pourraient-être imposées lors de l’installation des médecins, il reconnaît que :
C’est un sujet clivant. Il y a les partisans des mesures coercitives et ceux qui n’en souhaitent pas. J’avais été plutôt favorable aux mesures coercitives.
Bien que selon, l’opposition ne viennent pas tant des médecins généralistes que de leurs syndicats représentatifs.
« Aujourd’hui, on est au bout du bout. Si les mesures incitatives auprès des facultés de médecine ne sont pas suffisantes, il faudra certainement arriver à une cartographie » des secteurs où les médecins ne pourront pas s’installer.
Le député se souvient avoir de médecins résumant ainsi les déserts médicaux en milieu rural de a situation de la manière suivante :
Il ne faut pas faire un AVC le vendredi soir parce que samedi-dimanche on n’est pas sûrs d’avoir une réponse médicale ». Cela revient à de la « non-assistance à personne en danger.
Dans beaucoup de secteurs, des médecins de 55 ans et 56 ans sont sur le point de partir à la retraite, et pour certains, ils ne seront pas remplacés, faute de candidats.
« C’est maintenant qu’il faut prendre les décisions » prévient le député de la Lozère :
Des médecins libéraux qui ne seraient plus libre de s’installer comme ils le souhaitent ? Une très grave erreur selon Claude Leicher :
En début d’année, Manuel Valls a annoncé une grande conférence sur la santé, animée par des personnalités reconnues du monde médical, autour de la modernisation du système de santé, et en particulier l’avenir du métier et du mode d’exercice médical.
Source : http://www.franceculture.fr/emission-pixel-services-publics-vraiment-pour-tous-2015-06-12