Mardi 30 Juin 2015 à 5:00
Mille milliard d’euros en moins dans son PIB, 1,9 million de chômeurs en plus, une augmentation 51,1 milliards d’euros de sa dette publique, voilà ce que coûterait à la zone euro une nouvelle crise financière mondiale selon un rapport commandé par le secrétaire général du Parlement européen, Klauss Welle, qui devrait être publié en fin de semaine et auquel Marianne a pu avoir accès. D'après les projections réalisées par les économistes Gaël Giraud et Thore Kockerols, « les renflouements [des banques européennes] seraient encore nécessaires au détriment du contribuable européen, et ajoutent les auteurs du rapport, même si l’architecture de l’Union bancaire (prévu en 2023) était déjà en place aujourd’hui ».
L’Union bancaire, adoptée par le Parlement européen le 15 avril 2014, a été louée de toutes parts. A l’époque, Michel Barnier, commissaire européen chargé des Services financiers se réjouissait sur Twitter : « Nous disposons d'un système véritablement européen pour superviser toutes les banques de la zone euro et traiter leurs faillites éventuelles ». Et l’eurodéputée socialiste Elisa Ferreira d’avancer que « le système européen sera conçu pour que l'argent des contribuables soit mieux protégé, en faisant en sorte que les banques soient en première ligne et paient pour leurs propres erreurs ». Quant à notre Moscovici national, depuis le commissariat européen aux Affaires économiques et financières et à la Fiscalité de se féliciter d’« un accord majeur », d'« un accord décisif », d'« un accord de portée historique ».
L’Union bancaire introduit des mécanismes destinés à prévenir les faillites bancaires et éviter qu’une nouvelle crise bancaire ne se transforme en crise de la dette. L’idée étant d’introduire une mutualisation du risque en cas de faillite. Les banques de la zone euro seront ainsi gérées selon le Mécanisme de résolution unique (MRU) qui reposera sur deux piliers. D'un côté, un conseil chargé de la liquidation des banques. De l'autre, un fonds de résolution commun d’un montant de 55 milliards d’euros alimenté par le secteur bancaire censé renflouer ses établissements.
Si les auteurs du rapport saluent « le pas important » de ce mécanisme financier européen, leurs conclusions ne laissent pourtant que peu de place au doute. « Nous constatons que les coûts pour l’économie réelle seront bien plus importants que les simples milliards nécessaires pour renflouer les banques ». Dit autrement, le coût de la crise ne se limitera pas au seul refinancement bancaire. Selon les modèles envisagés, les effets macroéconomiques que pourraient avoir une nouvelle crise — c’est en cela que réside la nouveauté de cette étude — pourraient être dramatiques. Sur dix ans, les auteurs estiment que « les coûts d’un choc financier de taille moyenne dans la zone euro (…) correspondront à une perte cumulée de 1 000 milliards d’euros du PIB (…), des pertes d’emplois à hauteur de 1,9 million (…) et une augmentation de 51,1 milliards d’euros de la dette publique. » Cela représente 100 milliards d’euros de pertes potentielles par an, et 190 000 potentiels chômeurs en plus sur la même période. De quoi donner un sacré vertige… Et les auteurs de cette étude ne s’arrêtent pas en si bon chemin : « Le lien entre un secteur bancaire européen fragile et des finances publiques lourdement endettées pourrait rendre l’impact d’une nouvelle crise financière plus grave qu’elle ne l’était au lendemain de 2008 (…) et pourrait même mettre en danger la survie de la zone euro ».
Et de pointer du doigt les causes : la concentration excessive du secteur bancaire européen, et la taille des banques « too big to fail » (en français, « trop grosse pour tomber »). En 2013, selon l’étude, l’ensemble des actifs de BNP Paribas représentait 93,5 % de la dette souveraine française, et 87,4 % du PIB français. Pour la Société générale, 64 % de la dette publique et 60 % du PIB. « Ensemble, la BNP et la Société générale représentent pas moins de 147,4 % du PIB de la France. »
Et ce n’est rien en comparaison de la situation luxembourgeoise, dont toute référence devrait disparaître du rapport officiel final, selon une source européenne, car la présidence du Conseil de l’Union va... au Grand-Duché à partir de ce 1er juillet. Coincé entre la France, l’Allemagne et la Belgique, le Luxembourg attire nombre de filiales de banques en raison de son régime fiscal bien connu. Et risque d’être victime de son succès. « Le Luxembourg apparaît comme le membre de la zone de l’euro le plus exposé ». Car le pays rassemble sur son territoire les filiales de cinq banques de la zone en euro qui, en cas de faillite, pourraient emporter l’économie. Les actifs de ces filiales représentent 530 % de son PIB et, en cas de coup dur, on voit mal comment le Luxembourg pourrait les renflouer. Ainsi, « la faillite de la Deutsche Bank, précise les auteurs, représenterait une menace à hauteur de 60 % du PIB de l’Allemagne, mais 223 % de celle du Luxembourg ».
Quant à la concentration bancaire qui représente « le facteur clé d’un risque systémique », en France, « les cinq banques les plus grandes comptent près de 50 % de l’ensemble des actifs des banques du pays ». On comprend donc facilement les conséquences terribles d’une nouvelle crise de l’une de ces banques et, a fortiori, si cette crise les touche toutes dans le même temps. Pour remédier à cette situation, les auteurs avancent l’hypothèse « de ne pas renflouer les banques en défaut ». Un scénario à l’islandaise en définitive. Ce pays a refusé de faire porter aux citoyens les erreurs des banques, a assuré les comptes des petits épargnants et a traîné devant la justice les responsables islandais de la crise de 2008. Résultat : une dette nationale passée en quatre ans de 95 % du PIB à 82 %, une division par deux de son taux de chômage de 2009 et un PIB supérieur à ce qu’il affichait avant la crise de 2008. Comme quoi, le « there is no alternative » très présent dans les têtes de nos élites est loin d’être une réalité.
Quid finalement du rempart qu'est censé représenter l’Union bancaire ? Eh bien pas grand-chose selon l’étude. Même en imaginant que les mécanismes prévus seraient complètement opérants, les 55 milliards du Fonds de résolution commun (FRC), destinés à renflouer les banques en cas de crise, n’auraient qu’un impact très limité. « Même en triplant le montant du FRC, les effets néfastes d’un choc financier ne seraient que marginalement amortis », écrit le rapport. En clair, « ces mesures sont loin d’être suffisantes pour rendre l’Union bancaire européenne efficiente, et d’autres améliorations sont nécessaires. »
Pour parvenir à un résultat, les deux experts sont partis de deux postulats faux : nous sommes en 2014 et l’Union bancaire est intégralement achevée.
En 2014 donc, une crise financière heurte l’Europe. En Espagne, ce second choc financier pressurise le marché de l’emploi, le chômage grimpe immédiatement à 26 %. Le niveau de la dette publique augmente drastiquement, passant à 112 % du PIB, contre 101 % auparavant. Désastre à tous les niveaux.
Même impact au Luxembourg : il faut attendre 2016, deux longues années, avant de voir pointer la reprise. Le niveau du PIB stagne. Le Duché étant moins sensible sur l’emploi, le taux de chômage augmente peu. Néanmoins, le système bancaire a fâcheusement été percuté, faisant planer une menace significative à long terme sur les finances publiques. Le niveau de la dette augmente de 35 %.
Le Fonds de résolution commun (FRC) constitué de 55 milliards d’euros, principalement alimenté par le secteur privé, se dégonfle à vue et s’avère largement insuffisant. Catastrophe. La mutualisation du risque capote. Ce qu’il reste des fonds de l’Union bancaire ? Pas un centime.