Peut-on condamner la barbarie de l’Etat islamique autoproclamé, et fermer les yeux sur le châtiment tout aussi barbare infligé au blogueur saoudien Raef Badawi ?
On pourrait croire la réponse simple et relevant du bon sens, mais la realpolitik de l’heure révèle les hypocrisies et les faux-semblants dès lors que d’immenses intérêts sont en jeu – et c’est le cas avec l’Arabie saoudite.
La confirmation, dimanche, par la Cour suprême du royaume d’Arabie saoudite, de la peine de 1 000 coups de fouet et dix ans de prison infligée il y a un an au blogueur saoudien Raef Badawi jugé coupable d’« insulte à l’islam », place pourtant la France, les Etats-Unis et les autres alliés du royaume wahabite face à cette question embarrassante.
La confirmation de la sentence est intervenue après des semaines de polémique autour de cette condamnation et des premiers 50 coups de fouet infligés au jeune homme en janvier dernier, et l’espoir qu’avait fait naître la suspension de la mise en œuvre de cette peine qui, rappelons-le, devait lui être infligée au rythme de 50 coups de fouet par semaine...
La décision de la Cour suprême est sans appel : Raef Badawi, sauf grâce royale, sera donc bien soumis à cette peine dont on a du mal à voir en quoi elle diffère de celles qu’infligent les djihadistes dans les zones qu’ils contrôlent en Syrie et en Irak.
« Libérez mon mari immédiatement »
Ensaf Haidar, l’épouse de Raef Badawi, lors de son passage à Paris le 29 mai 2015 (Kamil Zihnioglu/AP/SIPA)
Son épouse, Ensaf Haidar, qui vit au Canada et se trouvait récemment en France, a adressé un appel aux autorités saoudiennes afin qu’elles le relâchent :
« Il y a un an, vous avez condamné mon époux à dix ans de prison et 1 000 coups de fouet. Il y a quatre mois, vous l’avez flagellé en public comme s’il était un affreux criminel. Exprimer son opinion n’est pas un crime, j’exhorte le roi Salman ben Abdelaziz Al Saoud à libérer mon mari immédiatement et à mettre fin à ses souffrances. »
Les organisations de défense des droits de l’homme se sont mobilisées en sa faveur.
Amnesty International a ainsi appelé la communauté internationale et en particulier les alliés occidentaux de l’Arabie saoudite « à faire pression sur les autorités afin de les inciter à libérer Raif Badawi et les dizaines d’autres prisonniers d’opinion qui sont injustement maintenus en détention dans les geôles du royaume »
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La réaction de Reporters sans frontières à l’annonce de la Cour suprême (capture)
La France, meilleur ami de l’Arabie ?
La question se pose en effet à tous les membres de la coalition internationale engagée contre l’EI, dont fait partie la France.
Paris, surtout depuis l’élection de François Hollande, est devenu le « meilleur ami » de l’Arabie saoudite. Le président français était le mois dernier l’invité exceptionnel du roi Salman et du Conseil de coopération du Golfe (CCG), un « honneur » jamais accordé précédemment à un dirigeant occidental.
Sans faire du « droitdelhommisme » primaire, on voit mal comment François Hollande – et les autres alliés de Ryad – peut continuer à afficher un soutien aussi éclatant à la monarchie saoudienne tant que le sort de Raef Badawi reste sous la menace de ce châtiment cruel.
François Hollande et le roi Salman d’Arabie saoudite, le 5 mai 2015 à Ryad (CHRISTOPHE ENA/POOL/AFP)
Le roi Salman, qui tente depuis quelques mois de sortir son pays de la torpeur dans laquelle l’avait plongé la gérontocratie régnante, n’a pas montré, jusqu’ici, la même disposition d’esprit sur les questions sociétales :
- les peines de mort se sont multipliées,
- le sort des femmes reste l’un des plus rétrogrades du monde musulman ;
- et le châtiment frappant Raef Badawi a pris des dimensions de symbole de l’intolérance à toute déviance intellectuelle.
Si la lutte contre le djihadisme se fait avec des alliés qui s’en distinguent peu, sinon par leur clientélisme et leur positionnement géopolitique, elle perd l’argument moral sur lequel se fait pourtant sa communication.
Un premier pas nécessaire mais sûrement pas suffisant serait une grâce royale pour Raef Badawi. Un seul coup de fouet de plus serait un coup de fouet de trop pour un homme dont le seul crime est de penser différemment de son roi ! Au XXIe siècle.