Source : http://www.marianne.net
Vendredi 12 Juin 2015 à 5:00
Marianne : Vous avez été convoqué par le commissariat du 11ème arrondissement de Paris. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Thomas Coutrot : J’ai reçu une convocation à me rendre dans ce commissariat en tant que personne mise en cause dans une affaire de — je cite la personne qui m’a auditionné — « vol en réunion » de mobiliers à la BNP. A ce stade il n’y a pas de mise en cause, mais une enquête préliminaire.
« Vol en réunion » ? C’est une accusation très grave...
Le terme de vol n’est vraiment pas justifié. Le 7 mars dernier, je me suis rendu, accompagné d’une vingtaine de militants, dans une agence BNP située à côté du siège d’Attac (voir la vidéo ci-dessous). Je leur ai alors remis un acte de réquisition citoyenne expliquant que nous les délestions de sièges et qu’ils seraient rendus à BNP le jour où cette banque décidera officiellement de fermer toutes ses filiales dans les paradis fiscaux. Pour rappel, l’évasion fiscale correspond entre 60 et 80 milliards d'euros par an. Le mardi suivant cette action citoyenne, la banque portait plainte contre nous.
Et quelle est l’étendue de cette « réquisition citoyenne » comme vous l'appelez ?
La plainte est très précise là-dessus. On me reproche d’avoir participé au « vol » donc de cinq chaises, dont deux tabourets, deux chaises et un fauteuil… D’ailleurs, ceux qui ont fait la plainte devaient être très rigoureux puisqu’ils tenaient à faire la différence entre fauteuil et chaise, le premier étant munit de petites roullettes, une distinction essentielle... Et anecdote pour anecdote, lorsque l’enquêtrice m’a demandé ma profession, je lui ai indiqué que j'étais économiste. Mais sur mon PV d’audition, il était indiqué « conseiller financier », ce que je me suis empressé de démentir. Mais l’enquêtrice m’a expliqué que ce n’était pas elle qui décidait de cette appellation mais un logiciel. Donc pour les concepteurs de ce logiciel lorsque l’on est économiste, on est forcément au service de la finance, ça en dit long...
Plus sérieusement, pourquoi avoir décidé de mener cette action ?
La mise en place de filiales dans les paradis fiscaux par les banques et notamment la BNP sont des faits largement connus. On ne compte plus le nombre de reportages, de rapports d’ONG et de commissions d’enquêtes parlementaires qui ont révélé ces agissements. Résultat : rien n’a changé ! Nous ne sommes pas confrontés au problème de la connaissance de ces éléments mais de l’inertie des pouvoirs publics sur cette question. Aucune mesure n’a été prise pour empêcher la possibilité pour ces banques d’offrir des mécanismes d’évasion fiscale à leurs clients. On voulait donc montrer qu’avec des formes d’actions originales, on peut pousser le politique à bouger. Et c’est même une nécessité car c’est le sentiment d’impuissance qui conduit au désespoir et nourrit par exemple le vote FN. Nous voulons rompre avec cette impuissance en inventant des formes d’actions citoyennes nouvelles. La disproportion entre la réquisition de cinq chaises et le coût de l’évasion fiscale est significative. J'ai remis hier des chaises de BNP aux économistes Philippe Askenazy, Henri Sterdyniak et André Orléan à l'EHESS. Nous les rendrons lorsque BNP aura fait l’annonce qu’elle met fin à ses filiales aux Iles Caïmans…