Jeudi 18 Juin 2015 à 5:00
Journaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales
L’économie n’est pas une science exacte, on le savait. Pour d’autres, de plus en plus nombreux, elle relève plus de la pensée magique dont les prophètes, sûrs de leurs évidences inaccessibles, assènent leurs pronostics de jours meilleurs à venir à condition pour les « petites gens » de toujours se serrer la ceinture. D’attendre et de voir. Les experts du FMI ne feront rien pour redorer le blason des élites économiques. Nombre de leurs ordonnances à respecter pour sortir de la crise se sont révélées d’énormes fourvoiements, dont on se demande d’ailleurs si le seul « droit à l’erreur » est une excuse suffisante quant à partir de ces diagnostics des centaines de millions de personnes ont été soumises à des politiques d’austérité pendant plusieurs années.
En janvier 2013, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, gourou du FMI, tête pensant de DSK, alors à la tête de l’institution avait admis une faute : avoir sous-estimé les effets néfastes des cures d’austérité préconisées par le fonds monétaire depuis des années. Une simple erreur de calcul sur un coefficient multiplicateur. Trois fois rien. Le problème étant que c’est à partir de ce type de calculs fumeux et approximatifs que le FMI élabore de savantes théories économiques qu’il impose aux gouvernements du monde entier. A l’époque, Marianne avait fait sa une sur cette erreur de calcul aux conséquences dévastatrices : « Dans son “Panorama de l’économie mondiale” publié en octobre dernier, le FMI a d’abord reconnu, au détour d’une page repérée par les seuls spécialistes, que les multiplicateurs actuels pouvaient être compris “entre 0,9 et 1,7”. C’est-à-dire entre deux et trois fois plus ! (…) Les conséquences sont abyssales : en obligeant les gouvernements d’Europe du Sud à réduire drastiquement les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités, le FMI a fait plonger la demande intérieure deux à trois fois plus vite que prévu. La suite, hélas, est connue : faillites en série, explosion du chômage et manifestations monstres dans les rues d’Athènes ou de Lisbonne. Comme le dit le proverbe japonais, “Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou” ».
"Une croissance plus forte des salaires est essentielle pour que les perspectives macroéconomiques [reviennent au vert]"
Ce qui aurait pu servir de leçon n’a en fait servi à rien. Régulièrement des études, produites par de grandes institutions financières américaines, que l’on pourrait juger complètement masochistes, viennent remettre en cause, les politiques économiques qu’elles préconisent mais sans jamais qu’il n’y ait la moindre évolution politique constatée. En septembre 2014, la banque Morgan Stanley publiait ainsi une étude qui démontrait qu’une augmentation toujours plus forte des inégalités salariales plombait tout retour de la croissance. « Une croissance plus forte des salaires est essentielle pour que les perspectives macroéconomiques (reviennent au vert), car cela aiderait à ce que les ménages dépensent plus largement et ce dans tous le spectre des revenus » écrivent les auteurs qui en appellent alors très clairement à une hausse générale des salaires dans leur étude destinée aux barons de la finance. Aussi vite publiée par la banque, aussi vite l'étude est-elle oubliée par les dirigeants politiques qui n’ont pour horizon économique que l’austérité...
Dans le même ordre d’idées, dans une toute récente étude sur les inégalités, des économistes du FMI se sont permis récemment une folie estivale : contester la théorie libérale du « ruissellement ». L’idée que l’enrichissement des plus riches par ruissellement — l’image est belle… — finit toujours par contribuer à la croissance et donc à la réduction des inégalités. Fumisterie ! Les économistes du FMI capables de penser contre eux-mêmes auraient désormais établi que plus la fortune des riches s’accroît, moins la croissance est forte. Selon leur calcul, si les 20 % les plus riches augmentent leur fortune de 1 %, le PIB global lui baisse de 0,08 %. « Cela semble suggérer (sic) que les bénéfices ne retombent pas » sur les plus pauvres, écrivent les économistes du FMI. Thatcher et Reagan doivent se retourner dans leur tombe et même faire un double salto car les économistes préconisent la mise en place d’une politique totalement inverse à celle recommandée jusque-là par les institutions libérales : une augmentation de 1 % de la part des revenus détenus par les 20 % les plus pauvres est associée à une croissance plus forte de 0,38 %.
Dans son édition du jour Le Monde cite, lui, une étude de l’OCDE parvenue globalement aux mêmes conclusions : « l’augmentation des inégalités entre 1985 et 2005 a coûté près de 4,7 points de croissance cumulée dans les pays avancés », compte tenu du sort réservé aux 40 % les plus défavorisés.
"En 2010, Europe et FMI ont délibérément refusé de considérer la Grèce comme insolvable dans le but de protéger les intérêts des grandes banques européennes"
Dernier point, ces économistes hétérodoxes du FMI démontent une autre certitude du FMI et de toutes nos élites politiques et économiques en écrivant que « des règles plus souples d'embauche et de licenciement, des salaires minimums plus bas et des syndicats moins puissants sont associées à de plus grandes inégalités » ou encore qu’« une période prolongée d'inégalités plus élevées dans les économies avancées a été associée à la crise financière (de 2008-2009) en renforçant l'endettement par effet de levier (...) et en permettant aux groupes de pression de pousser vers plus de dérégulation financière ».
Même au sein du « board » du FMI, certains semblent douter de la stratégie mise en place pour sauver la Grèce, par exemple. C’est le cas du « frondeur » brésilien Paulo Batista. Comme nous le relevions en mars dernier et comme le remarque aujourd'hui la blogueuse-essayiste Coralie Delaume, celui-ci a récemment expliqué que les sommes reçues par Athènes avaient été principalement utilisées pour « permettre le désengagement, par exemple, des banques françaises ou allemandes ». Constat confirmé par Philippe Legrain, ancien conseiller économique de José Manuel Barroso, auditionné jeudi dernier par la « commission pour la vérité sur la dette grecque », mise en place par le Parlement grec. Il raconte qu’en « 2010, les grands dirigeants européens et le directeur du FMI de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, ont délibérément refusé de considérer la Grèce comme insolvable dans le but de protéger les intérêts des grandes banques européennes. En effet, selon les statuts du FMI, cette institution ne pouvait pas prêter à un État dont la dette était déjà insoutenable ». Comme le note encore Delaume, il était néanmoins indispensable de prêter à la Grèce, non pas pour sortir les Grecs de la crise, mais pour « aider les banques françaises et allemandes, principales créancières d’Athènes et respectivement engagées à hauteur de 20 et 17,2 milliards d’euros, à retirer leurs billes sans une égratignure ».
En plus de multiplier les erreurs théoriques, nos grands experts se plantent donc aussi, et c’est fort logique, quand ils passent aux travaux pratiques.
Peut-être faudra-t-il, un jour, demander des comptes à ces institutions internationales qui régulent l’ordre économique — et social — mondial sans aucun mandat politique venu des peuples, qui mettent la pression sur les gouvernements, imposent des règles indiscutables à des pays encore souverains à partir d’études pseudo-savantes, dont on voit assez rapidement les catastrophes sociales bien concrètes qu’elles produisent mais dont il faut des années pour en démontrer l’impéritie économique.
L’ensemble de ces études ne feront malheureusement pas évoluer les politiques économiques de ces gouvernements et institutions sûrs de leurs certitudes. Même si elles vacillent les unes après les autres. En juillet 2012, Mario Draghi déclarait dans un entretien au Monde « l’euro est irréversible ». Aujoud’hui, chaque jour, les marchés tremblent au rythme des alertes au « Grexit » qui feraient trembler cet euro, loin d’être aussi fort qu’on nous l’a survendu depuis les années 80. Après tout, Keynes avait sans doute raison « la seule chose dont on soit sûr c’est qu’à long terme, nous serons tous morts ».
Source : http://www.marianne.net