Plusieurs responsables de Nouvelle Donne, dont la députée Isabelle Attard et des membres du bureau national, annoncent dans Mediapart qu'ils quittent l'organisation. « Nouvelle Donne ne changera rien à la vie politique », déplorent-ils.
La crise couvait depuis des mois. Elle éclate aujourd'hui au grand jour. Dans une tribune publiée ce dimanche 21 juin par Mediapart, soixante militants et responsables de Nouvelle Donne annoncent leur « démission collective » de l'organisation fondée fin 2013 par l'économiste Pierre Larrouturou, inlassable promoteur de la semaine de quatre jours. Un départ avec fracas, qu'ils ont annoncé ce dimanche, au tout dernier moment, à Pierre Larrouturou.
Parmi les signataires, des figures du parti, comme l'ancienne députée écologiste Isabelle Attard, coprésidente de Nouvelle Donne jusqu'en début de cette année, trois membres du bureau national dont le porte-parole national Joseph Boussion, plusieurs responsables ou ex-responsables de groupes locaux, d'ex-candidats aux élections départementales et européennes, et de simples militants.
« Nouvelle Donne ne changera rien à la vie politique », déplorent-ils. « Le constat est amer car nous faisons partie des 549.774 électeurs qui avons cru que le mouvement vers un renouveau était lancé », allusion au score des européennes où Nouvelle Donne, qui se lançait tout juste, avait réuni 3 % des suffrages exprimés. « Les instances de Nouvelle Donne dépensent plus d'énergie à organiser leur entre-soi qu'à préparer les alternances de demain. […] Nouvelle Donne est aujourd'hui un parti qui absorbe les énergies plus qu'il ne les dynamise », ajoutent-ils.
La personnalité du coprésident, Pierre Larrouturou, médiatique figure de proue, n'échappe pas à la critique. « Il faut remercier Pierre Larrouturou, qui fut et demeure un inspirateur talentueux, ce sont bien ses idées qui nous ont rassemblé(e)s et que nous avons défendues. Malheureusement le talent ne fait pas le leader, et le visionnaire, en refusant de prendre des positions claires et donc forcément clivantes, nous a souvent rendus inaudibles. »
« Après avoir vainement essayé de faire avancer le mouvement malgré les tourmentes, l'opacité de ces dernières semaines a rendu évidente l'inutilité de notre présence dans un parti vidé de son sens », poursuivent les signataires. « Pierre est sympa, sincère, mais en-dehors des réalités », déplore Joseph Boussion.
« Je regrette cette décision, a réagi dimanche Pierre Larrouturou, joint par Mediapart. Joseph et Isabelle sont des amis, j'espère que c'est un moment de fatigue. On n'abandonne pas un bébé de 18 mois parce qu'il a mal aux dents et qu'il crie la nuit. »
À son lancement, Nouvelle Donne entendait à la fois constituer une force alternative à la gauche au pouvoir, avec des pratiques politiques nouvelles par rapport aux autres partis de gauche que Larrouturou, routard de la politique passé par le PS et EELV, connaissait d'ailleurs bien. Conseil citoyen élu par des militants tirés au sort (une sorte de parlement interne, en plus du bureau national), refus strict du cumul des mandats, signature d'une charte éthique qui s'impose aux militants et candidats, autonomie des groupes locaux etc. : Nouvelle Donne voulait changer les pratiques politiques. Dans la foulée des collectifs Roosevelt, l'organisation défendait un programme de relance économique et écologique en rupture avec les solutions libérales. Il y a quelques jours encore, Pierre Larrouturou et Isabelle Attard présentaient, avec le soutien de parlementaires socialistes et communistes, un plan d'urgence « pour éviter l'effondrement » proposant « 1 000 milliards contre le climat », un recours au chômage partiel massif ou la séparation des banques d'affaires et de détail.
Mais au sein du parti, le climat s'est détérioré. Nouvelle Donne a connu de nombreux départs (lire ici notre enquête parue en mars). Seules 5 500 personnes ont repris leur carte cette année – ils étaient 11 000 l'an dernier. « Il y a eu une grosse déperdition », assure Joseph Boussion. À l'issue de l'assemblée générale de Nouvelle Donne à Montreuil, le 31 janvier, des soupçons de fraude dans l'élection du conseil citoyen ont pesé lourd.
Dans un rapport du 11 mai que Mediapart s'est procuré (ci-dessous), le magistrat Éric Alt, vice-président d'Anticor et ex-candidat Nouvelle Donne aux européennes en Île-de-France, a conclu à une « procédure entachée d'irrégularités » et recommandé l'annulation de la désignation d'ici au 30 septembre prochain ainsi qu' une réforme des statuts, jugés trop complexes.
« Il y a eu des choses pas claires au niveau du tirage au sort qui a précédé la désignation du conseil citoyen, déplore Isabelle Attard. Et depuis, le conseil citoyen est presque devenu un tribunal politique qui veut les pleins pouvoirs. Où est la politique autrement ? » « Une minorité clivante empêche le travail de se faire, abonde Syvie Tassin, fondatrice du groupe local de Nantes et adhérente du premier jour. Manque de transparence, opacité permanente, mille-feuille d'instances, responsables incapables de déléguer : il n'y aucune fluidité, aucune dynamique possible. Au départ, il y avait une énergie collective formidable, maintenant, les adhérents désertent les réunions. » Les signataires reprochent surtout à Pierre Larouturrou de ne pas avoir tranché. « On lui a pourtant demandé très souvent de le faire, mais il a peur du conflit », se désole Sylvie Tassin.
De son côté, Pierre Larrouturou assure que le conseil citoyen contesté démissionera bien d'ici au 15 septembre. « Joseph et Isabelle exigaient sa démission immédiate, mais la présomption d'innocence existe. » Il annonce aussi de nouveaux statuts, moins « lourds », pour « mi-juillet ». « Nouvelle Donne n'est pas à l'arrêt, insiste-t-il. Maintenant qu'on se remet à faire de la politique, des dizaines d'adhérents nous rejoignent chaque semaine: 800 depuis le 30 avril! »
Ces derniers jours, les tensions ont atteint un degré supérieur alors que les groupes locaux sont en train de discuter de leur participation aux élections régionales de décembre prochain. « Aux départementales, nous n'étions pas présents dans de nombreux d'endroits, mais avec les rassemblements citoyens (militants locaux, écologistes, PG, etc.) nous avons fait de bons scores et la campagne était enthousiasmante, explique la députée Isabelle Attard. Mais alors qu'en Normandie, nous avons validé en AG le fait que nous partions avec les rassemblements citoyens, le conseil citoyen a décidé que nous devons partir seuls, ou ne pas participer du tout, ce qui est irréaliste ! Nous n'avons pas de ligne politique : pourquoi Pierre Larrouturou ne dit-il pas, par exemple, que nous partirons aux régionales dans les listes citoyennes si leurs candidats sont d'accord avec notre charte éthique ? La politique, c'est aussi discuter avec d'autres organisations, à moins de considérer qu'on ne fait pas d'alliances parce qu'on est purs et blancs. Résultat, les mois passent et on regarde passer les trains alors que les Français attendent de l'action politique. »
Pierre Larrouturou, lui, estime que la question des alliances aux régionales ne peut être tranchée avant les journées d'été du mois d'août. « Huit personnes ne peuvent pas décider seules. La recomposition du paysage politique à gauche est compliquée. À Nouvelle Donne, il y a des gens nouveaux en politique qui refusent totalement les alliances et d'autres, plus expérimentés, qui réfléchissent en terme d'alliances plus classiques. Ce débat, il faut l'avoir entre nous ! »
« Le virage, on l'a raté après les européennes, assure l'ex porte-parole Joseph Boussion. À ce moment-là, nous aurions dû nous métamorphoser pour constituer un Conseil national de la République de 2015, un Podemos à la française. Au lieu de cela, nous nous sommes enferrés dans le sectarisme et le repli sur soi. Les idéalistes ont pris le dessus, au point d'empêcher toute action politique. Et sur le fond, notre programme n'a pas évolué. »
S'ils quittent Nouvelle Donne, les signataires comptent bien « participer à un nouvel élan, initier, soutenir ou rejoindre certains des rassemblements citoyens qui émergent dans notre pays ». « L’heure est au rassemblement autour de ce qui nous paraît impératif : permettre la mutation de notre économie, de notre justice sociale, ériger en principe de société la transition énergétique nécessaire à notre survie. Le temps des luttes partisanes stériles est révolu, c'est le regroupement des forces vives qui prime », écrivent-ils. « Nous allons nous retrouver cet été, nous réfléchissons à une coopérative politique », explique Sylvie Tassin.
« Sur le fond, les propositions de Nouvelle Donne sont toujours indispensables à la politique, poursuit Isabelle Attard, députée depuis 2012, qui avait quitté EELV à la création de Nouvelle Donne. Nous avons essayé, ça a échoué, c'est décevant mais ce n'est pas grave ! Il faut désormais recréer des groupes d'actions politiques locales qui dépassent les partis. Il va y avoir des recompositions à gauche, on ne peut pas rester au statu quo actuel. » « Nous reprenons donc notre liberté pour avancer en confiance vers l'avenir. Nous élargissons le cercle de toutes celles et ceux qui, avec, et en dehors des partis, veulent faire de la politique au service des citoyens », concluent-ils.
Cliquer ici pour lire la tribune « Pourquoi nous quittons Nouvelle Donne »