A l'occasion d'un débat à Berlin mercredi 20 mai où il s'est vu attribuer le Prix du livre politique par la fondation Friedrich Ebert, l'économiste Thomas Piketty a abordé une question sensible outre-Rhin : la restructuration de la dette grecque. Pour lui, l'effacement d'une partie de la dette allemande en 1953 doit servir d'exemple.
Voilà qui va peut-être faire avancer le débat outre-Rhin. L'économiste Thomas Picketty, invité à Berlin par la fondation Friedrich Ebert qui lui a décerné ce mercredi le Prix du livre politique, s'est clairement prononcé en faveur d'une restructuration de la dette grecque. Surtout, il a rappelé l'exemple allemand d'après-guerre. Comme nous le racontions dans Mediapart en février, au cours de la conférence de Londres qui rassemblait les Alliés en 1953, les négociateurs s'étaient en effet entendu pour réduire de 50 % la dette extérieure allemande et pour repousser le remboursement d'une partie de la dette restante au moment de la future réunification de l'Allemagne, une fois que la « question allemande » serait réglée.
L'économiste français, axant son discours sur la question des dettes publiques, a ainsi rappelé que deux pays européens ont, par le passé, eu des dettes « plus élevées que la Grèce aujourd’hui » : la Grande-Bretagne au XIXe siècle, après les guerres napoléoniennes, et l’Allemagne après 1945 - chacune à hauteur d’environ 200 % de leur produit intérieur brut. Ce qui a permis à l'Allemagne de sortir du surendettement, c'était précisément cette conférence de 1953. Ce fut « une très bonne chose », a jugé Thomas Piketty dans son discours, que relate le correspondant du Monde à Berlin : cela lui a permis de reconstruire le pays et de redevenir une grande puissance économique mondiale. Pourquoi ne fait-on pas la même chose avec la Grèce aujourd’hui ? « Les jeunes Grecs doivent-ils être davantage tenus responsables des erreurs commises dans le passé que les Allemands en 1953 ? Pourquoi leur refuser ce que l’on a accepté de la part des Allemands ? », s'est interrogé le chercheur. « Si la crise financière est née aux Etats-Unis en 2008, ceux-ci l’ont résolue rapidement mais elle est devenue une crise européenne car nous n’avons pas pris les bonnes décisions. On a voulu diminuer les déficits publics trop vite. C’est pour cela que le chômage est aujourd’hui si élevé. »
Face à Thomas Picketty se trouvait, pour débattre, le maire de Hambourg, Olaf Scholz. Ce pilier du SPD s'est nettement distancé des propos de l'économiste français. « On a contracté beaucoup trop de dettes en Europe ces dix dernières années » : c'est selon lui l'une des causes de la crise. Quant à la Grèce, elle a déjà été beaucoup aidée, y compris par des pays comme la Slovénie qui sont moins riches qu’elle. Tirer un trait sur la dette grecque serait donc pour ce politique allemand non seulement injuste mais inutile. Ce qu’il faut, c’est qu’Athènes « trouve sa place sur les marchés mondiaux » et que le pays se réforme en profondeur, notamment en taxant les plus riches. « C’est de l’hypocrisie, a rétorqué Thomas Picketty. On dit à Athènes de taxer les riches mais ceux-ci mettent leur argent dans des banques françaises ou allemandes qui refusent de fournir des informations aux autorités grecques sur leurs clients ».
Restructurer la dette grecque est l'un des objectifs majeurs du gouvernement Tsipras depuis son arrivée au pouvoir fin janvier. L'exemple allemand fait partie depuis longtemps de l'argumentaire du dirigeant de Syriza, qui en parlait déjà à Mediapart en avril 2014. Dans le contexte de la rigidité de l'exécutif allemand face à toute velléité de négocier la dette héllène, Athènes a fait valoir en outre que Berlin ne s'était jamais acquitté de réparations de guerre alors que la Grèce a été ravagée pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour l'heure, l'exécutif Merkel se refuse à rouvrir le dossier, même si le président allemand Joachim Gauck s'est dit favorable à un règlement de cette question.
Déjà, en janvier, l'économiste de l'EHESS s'était prononcé pour un effacement de la dette grecque. « On a besoin de restructurer la dette grecque, mais je pense qu'il faut aller au-delà. Il faut repenser la façon dont on organise la zone euro. Le gouvernement français a un rôle central à jouer », avait-il déclaré. Depuis, la discussion entre Athènes et ses créanciers sur ce sujet n'a pas avancé d'un pouce, l'exécutif Tsipras et les institutions européennes étant empêtrés dans des négociations interminables sur la fin du programme d'assistance financière apporté à la Grèce, en échange de nouvelles mesures d'austérité exigées par Bruxelles et le FMI.
Source : http://www.mediapart.fr