Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 16:45

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

 

Tribune 11/05/2015 à 18h34
Oui, l’agriculture biologique peut nourrir la planète

Jacques Caplat, agronome

 

 

Lorsque est abordée la question, essentielle, de la lutte contre la faim dans le monde, il est fréquent d’entendre dire que l’agriculture biologique présente des limites à cause de ses rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, prétendument démontrés par plusieurs « études scientifiques ». Or ce poncif est faux et trompeur et témoigne d’une approche scientifique archaïque.

Des comparaisons biaisées

Les études académiques généralement citées pour comparer les rendements en agriculture biologique et en agriculture conventionnelle présentent deux points communs qui ne sont pas anodins :

  • elles sont réalisées en milieux tempérés (Europe et Amérique du Nord) ;
  • leur méthodologie est caricaturalement réductionniste.
Making of

Une première version de ce texte a été publiée sur le blog Changeons d’agriculture. Jacques Caplat nous a autorisé à en reproduire ici une version réduite. Nous l’en remercions. L’article original intégral est bien sûr disponible sur le blog de l’auteur. Thibaut Schepman

Le premier aspect devrait inciter tout agronome compétent à en parler avec d’immenses précautions. Il n’y a aucun sens à tirer des conclusions agronomiques à partir d’essais réalisés dans un contexte climatique particulier, puisque les agricultures sont extrêmement diverses d’une région à l’autre de la planète.

Même en négligeant le second (et considérable) problème, la moindre des choses serait de proscrire drastiquement toute formule fumeuse du type « la bio a de moins bons rendements » et d’avoir la précaution de dire « la bio en milieux tempérés a de moins bons rendements ». La nuance est déjà de taille, car les milieux tempérés ne couvrent qu’un quart de la planète et ne concernent qu’un dixième de sa population ! Extrapoler des (supposés) résultats européens ou canadiens à l’agriculture biologique dans son ensemble est une preuve d’ethnocentrisme assez consternant.

 

Le deuxième aspect est essentiel. Pourquoi ai-je employé le terme réductionniste ? Parce que ces comparaisons sont basées sur une méthode qui consiste à modéliser des situations schématiques, dans lesquelles un seul paramètre changera. C’est le principe de la démarche réductionniste, qui prétend qu’une comparaison impose de ne faire varier qu’un seul facteur à la fois, et que le protocole expérimental devra « construire » une telle situation où la réalité est réduite à un modèle contrôlé, c’est-à-dire à une projection, une simplification.

Or cette approche est totalement dépassée dans la plupart des sciences, pour la simple raison qu’elle conduit à comparer des constructions intellectuelles... et jamais la réalité. Dans la réalité, il est exceptionnel (pour ne pas dire fantasmatique) qu’un élément d’un système change sans que d’autres éléments, avec lesquels il est en relation, ne changent aussi. Ces comparaisons réductionnistes impliquent par conséquent de construire une situation artificielle, qui permettra certes des mesures simples suivies d’un traitement statistique significatif et publiable, mais qui fausse sciemment les conditions d’analyse.

Comment disqualifier la bio

Non seulement cette démarche est hautement critiquable dans les sciences du vivant (et heureusement de plus en plus marginale en dehors de l’agriculture), mais elle est en outre une pure manipulation lorsqu’il est question d’agriculture biologique. En effet, la définition originelle et fondamentale de l’agriculture biologique est de constituer un système agricole, mettant en relation agrosystème, écosystème et humains.

En bio, les paramètres n’ont de sens que dans leurs relations mutuelles et varient toujours de façon combinée. Par conséquent, faire varier « un unique paramètre » dans un système biologique signifie très exactement nier ce système, le détruire, le trahir. Dans la mesure où l’agriculture conventionnelle est, à l’inverse, précisément basée sur une démarche réductionniste et sur des paramètres isolés, il va de soi que le choix de tels protocoles est, dès le départ, un biais méthodologique gravissime qui, de facto, préjuge à l’avance du résultat et disqualifie ces études.

Pour bien comprendre l’absurdité des protocoles en cause, il est important de connaître les fondements agronomiques de l’agriculture biologique, et en particulier la nécessité vitale de tendre vers des cultures associées et des semences adaptées au milieu. Il existe sans doute un malentendu sincère de la part des agronomes qui mènent ces pseudo-comparaisons, qui ignorent en général que le développement de la plupart des maladies et parasites des végétaux actuels provient de l’inadaptation des variétés aux milieux, ainsi que de la destruction des relations entre les plantes et les sols.

« La même chose moins la chimie »

Ils semblent par ailleurs avoir oublié que, lorsqu’une plante est cultivée en association avec d’autres plantes (cultures associées), le rendement global de la parcelle est toujours supérieur à celui de cultures pures séparées (même si, bien entendu, le rendement particulier de la culture principale est plus faible).

Enfin, ils ne prennent manifestement pas garde au fait que les modes de production imposent des successions culturales (rotations) différentes.

Concrètement, les études régulièrement citées en défaveur de la bio concernent généralement du blé, c’est-à-dire la culture la plus adaptée à une conduite conventionnelle réductionniste – et la plus défavorable à l’agriculture biologique. Passons, car indépendamment de ce premier biais, c’est toute la méthode qui est affligeante.

Les expérimentateurs mettent en place deux cultures dans des conditions identiques :

  • D’un côté, ils implantent un blé conventionnel. Pour cela, ils utilisent des semences d’une variété inscrite au catalogue officiel (ce qui est impératif pour autoriser sa culture commerciale), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent avec le soutien de la chimie (engrais et pesticides).
  • D’un autre côté, ils implantent la même variété (dogme de toute comparaison réductionniste : un seul facteur doit varier), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent sans aucun recours à la chimie.

Vous avez bien lu. La deuxième partie de la comparaison est intégralement conventionnelle, à l’exception de la suppression des engrais et pesticides de synthèse. Il s’agit donc d’une comparaison entre un « blé conventionnel standard » et un « blé conventionnel sans chimie ».

Voilà le cœur du malentendu : la plupart des agronomes, par incompréhension ou négligence, semblent croire sincèrement que l’agriculture biologique serait « la même chose moins la chimie », comme s’il existait une seule voie agronomique, comme si les techniques actuelles étaient les seules possibles.

C’est hélas la preuve d’une méconnaissance inquiétante de l’histoire agricole mondiale et de la profonde multiplicité des solutions imaginées dans les divers « foyers » d’invention de l’agriculture. Une agriculture basée sur des variétés standardisées (et en outre sélectionnées pour être soutenues par la chimie de synthèse, dans des procédés de sélection qui emploient trois fois plus de chimie que les cultures commerciales !), en culture pure, sans écosystème, n’est pas autre chose que de l’agriculture conventionnelle. Avec ou sans chimie, elle n’est certainement pas une culture biologique.

Ces comparaisons consistent donc à dépenser des millions d’euros (ou de dollars) pour constater qu’un modèle agricole intégralement construit autour de la chimie fonctionne moins bien lorsqu’on lui supprime le recours à la chimie. En d’autres termes, pour enfoncer des portes ouvertes. J’oubliais : cela permet également de publier. Les résultats n’apportent strictement aucune information, mais ils sont conformes aux règles de publication.

Comment comparer ce qui semble incomparable ?

Il va de soi que des comparaisons réductionnistes peuvent, faute de mieux, apporter des informations contextualisées. C’est par exemple le cas des criblages variétaux, menés par plusieurs instituts de recherche en agriculture biologique. Ils consistent à mesurer les performances comparées de plusieurs variétés dans des conditions identiques. Ici, les parcelles expérimentales représentent une réduction consciente et ciblée, et ne prétendent pas comparer des systèmes. Ces criblages visent à répondre à une question explicite et sans ambiguïté : dans les conditions imposées par le contexte agricole européen et nord-américain, quelle variété réussit le mieux en bio (ou plutôt, en réalité ici, « sans chimie ») ?

Les conditions de ces essais ne correspondent pas à une agriculture biologique complète, puisqu’il n’y a ni cultures associées ni agroforesterie, et puisque les variétés comparées sont issues de la sélection standardisée et chimique qui s’impose actuellement aux paysans occidentaux. Mais ces limites sont intégrées puisqu’elles constituent justement le cadre dans lequel il s’agit d’identifier les marges de manœuvre existantes.

Nous en revenons alors à la question sensible : comment comparer les deux agricultures ? Sans modèle construit autour de projections intellectuelles et de paramètres contrôlés par des équations simples, beaucoup d’agronomes semblent perdus. Pourtant, d’autres sciences ont dépassé cet obstacle depuis longtemps. Lorsqu’il s’agit de comparer des organismes, les chercheurs ont recours à de grands échantillons in situ. Ainsi, pour étudier le comportement des oiseaux face aux changements climatiques, il n’est évidemment pas question de mettre des oiseaux en cage, et il est fait appel à des observations nombreuses d’oiseaux dans leurs milieux naturels.

L’agriculture biologique est, dans sa définition originelle et sa mise en œuvre concrète, un organisme systémique. Elle est donc obligatoirement liée à un environnement et à des pratiques sociales (techniques, outils, traditions, savoirs, besoins, choix de société), et aucune « parcelle expérimentale » artificielle ne peut la réduire à un modèle simple. Chaque ferme est unique... mais les fermes se comptent par millions en Europe et par centaines de millions dans le monde. Il suffit dès lors de mesurer les rendements réels, sur plusieurs années, dans un vaste échantillon de fermes réelles.

Des rendements supérieurs en bio

Il est parfaitement possible de définir les pratiques permettant de classer chaque ferme dans la catégorie « conventionnelle » ou dans la catégorie « biologique » : présence ou absence de produits chimiques (qui ne suffisent pas à définir la bio, mais dont la suppression met en branle ses pratiques systémiques), cultures pures ou associées, absence ou présence des arbres, semences standardisées ou adaptées aux milieux, etc. Il est parfaitement possible ensuite de mesurer les rendements pluriannuels et de les soumettre à un traitement statistique. Pour peu que l’échantillon soit suffisant, le résultat est parfaitement scientifique... et même publiable dans les revues académiques.

Il se trouve que plusieurs études internationales ont procédé de la façon que je préconise ici : rapport [PDF] d’Olivier De Schutter (à l’époque rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, fin 2010), rapport [PDF] du PNUE en Afrique (programme des Nations unies pour l’environnement, 2008), vaste étude [PDF] de l’université d’Essex (Pretty et al., 2006). Le résultat est édifiant : toutes ces études, réalisées dans les pays non tempérés (c’est-à-dire les trois quarts de la planète), montrent que l’agriculture biologique y obtient des rendements supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.

Pourtant, il faut l’admettre, les rendements sont moins favorables à la bio dans les milieux tempérés. Même si les études que je critique plus haut exagèrent et faussent les résultats, il est vrai que, pour une partie des productions, la bio européenne et canadienne obtient actuellement des rendements inférieurs de 5 à 20% à ceux de l’agriculture conventionnelle (cf. études du Rodale Institute en Amérique du Nord et du FiBL [PDF] en Europe ; notons qu’il n’y a déjà plus de différence significative aux États-Unis).

 

La bio la moins performante du monde

Cela est inévitable, puisque l’agriculture bio de nos pays est soumise à des distorsions considérables : règlementations sur les semences qui obligent à utiliser des variétés standardisées et sélectionnées pour la chimie, faibles connaissances en matière de cultures associées et d’utilisation des arbres en agriculture, fiscalité construite depuis 70 ans pour faire peser les contributions sociales sur le travail (et donc défavoriser le travail au profit du pétrole), etc.

Face à tous ces obstacles, les agriculteurs bio européens et nord-américains ont l’immense mérite d’inventer, d’expérimenter, de s’adapter, et de parvenir peu à peu à réduire leur handicap. Mais sans remise à plat des politiques agricoles de nos pays, l’agriculture bio des milieux tempérés restera la moins performante du monde.

Le mythe des rendements bio insuffisants pour nourrir le monde est ainsi le résultat combiné d’une erreur méthodologique monumentale, d’un ethnocentrisme occidental et de politiques publiques qui entravent les pratiques biologiques. Il est temps de relever notre regard et d’avancer.

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes
  • : Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
  • Contact

Texte Libre

INFO IMPORTANTE

 

DEPUIS DEBUT AOÛT 2014

OVERBLOG NOUS IMPOSE ET PLACE DES PUBS

SUR NOTRE BLOG

CELA VA A L'ENCONTRE DE NOTRE ETHIQUE ET DE NOS CHOIX


NE CLIQUEZ PAS SUR CES PUBS !

Recherche

Texte Libre

ter 

Nouvelle-image.JPG

Badge

 

          Depuis le 26 Mai 2011,

        Nous nous réunissons

                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



  Th-o indign-(1)

55

9b22