Le compte à rebours est lancé. Le vote solennel de l’Assemblée nationale sur le projet de loi renseignement aura lieu mardi 5 mai dans l’après-midi.
Une dernière journée cruciale pour les opposants au projet, qui comptent bien faire basculer de leur côté les députés hésitants. Voici comment.
1 Un coup de téléphone aux 577 élus
Le Tank est plein à craquer. Cet espace de « coworking » parisien a été mobilisé ce lundi pour regrouper les opposants au projet de loi sur le renseignement, qui doit être voté mardi par les députés.
Les opposants et l’hémicycle reproduit (Robin Prudent/Rue89)
Sur un mur blanc, sont affichés les visages, les noms et les partis politiques des 577 députés. Des gommettes rouges, vertes, des cœurs... sont collés sur certains clichés. Pas de coloration uniforme, le projet de loi divise au sein même des groupes parlementaires.
L’UMP Thierry Solère a une gommette verte, il a annoncé qu’il voterait contre. Alors que son voisin, David Douillet (UMP aussi), vient de se voir coller un point rouge. Un militant raccroche tout juste avec lui :
« Il a été très clair, son avis est tranché. Pour lui, la loi présente les garanties suffisantes. J’ai tenté quelques arguments mais il n’a rien dit de plus. »
Annotations (Robin Prudent/Rue89)
Certains députés ont le droit a des petites attentions. Des cœurs roses signalent ceux qui ont pris position publiquement contre le projet de loi. On retrouve Sergio Coronado (EELV), Cécile Duflot (EELV) ou Henri Guaino (UMP).
Standard en surchauffe
Mais l’enjeu est surtout présent pour les députés encore indécis. Ceux-là on droit à une « bulle » jaune. Pendant les appels, les militants des associations (comme Amnesty International ou La Quadrature du Net) et de partis politiques (EELV et le Parti communiste) déroulent un argumentaire bien préparé et une invitation, cordiale, à regarder le film « CitizenFour » sur l’affaire Edward Snowden.
Les inquiétudes d’Eva Joly (Robin Prudent/Rue89)
Au milieu des listes d’appels, la députée européenne Eva Joly (EELV), exprime ses inquiétudes :
« Tout ce qui peut être fait sera fait. Si on donne les moyens d’écouter toutes les télécommunications françaises, le pouvoir l’utilisera. Pas forcément Hollande ou Cazeneuve, mais d’autres le feront. Surtout que les possibilités sont très larges. Ils pourraient intervenir contre les manifestants de Notre-Dame-des-Landes.
Un gouvernement qui propose et vote cette loi ne peut pas être qualifié “de gauche”. Il instaure un Etat de surveillance. D’autant plus que ce ne sont pas des algorithmes qui vont permettre de lutter contre le radicalisme, mais le renseignement de proximité. »
Le standard de l’Assemblée Nationale commence à chauffer et les redirections téléphoniques vers les attachés parlementaires finissent bien souvent dans le vide. Pas de quoi décourager les militants. Cécile Coudriou, responsable de la campagne #UnFollowMe pour Amnesty International s’étonne :
« C’est tout de même inquiétant que certains députés ne répondent pas, ni par téléphone ni par Twitter. »
Rester calme...
Après quelques essais infructueux à la permanence du député Kader Arif, la militante arrive à engager la conversation avec l’attaché parlementaire de la socialiste Fanélie Carrey-Conte. Elle fait un debriefing aux autre militants.
« Il semble que la députée penche contre, mais elle est entrain de consulter d’autres avis. J’ai peur que le groupe PS la dissuade alors je lui ai cité les députés socialistes qui se sont engagés contre le projet.
Je pense que ça peut vraiment avoir un impact d’exposer nos arguments calmement, lorsque les personnes sont indécises. »
Un Post-it jaune rappellera à tous que cette députée peut basculer de leur côté.
Applaudissements : Jean Lassalle votera contre
Soudain, des applaudissements retentissent dans la pièce principale. Un député, encore hésitant, aurait finalement choisi son camp : il votera contre le projet de loi renseignement. Ce député, c’est Jean Lassalle (Modem). La militante qui est intervenue au téléphone se félicite.
« J’étais sur un terrain assez favorable et il a écouté attentivement nos arguments. A la fin de la conversation, il m’a dit clairement : il votera contre. »
Les militants inscrivent les informations sur les députés (Robin Prudent/Rue89)
Un cœur rose de plus sur le mur des députés. Mais pas encore de quoi faire changer l’issue du vote de mardi pour Julien Bayou, porte-parole d’EELV, qui anticipe le coup d’après :
« Il faudra continuer avec le Sénat, il paraît qu’ils sont plus sages…
Dans tous les cas, on va essayer de faire passer des amendements. Nous ne sommes pas contre une loi sur le renseignement, mais là, trop de dispositions sont attentatoires aux libertés. »
Les militants continueront à appeler toute l’après-midi. Pas question de perdre un seul vote.
2 Des débats et un documentaire pour mieux comprendre
Les députés ne sont pas les seuls à convaincre des dangers de la surveillance de masse. Une large partie de l’opinion semble acquise, ou du moins indifférente, aux mesures contenues dans la loi renseignement.
Pour mobiliser largement la société civile, des associations et des médias continuent à faire œuvre de pédagogie.
Mediapart lance, dès ce lundi 16 heures, un grand débat sur leur site, en accès libre. Intitulé « Six heures contre la surveillance ». Au programme : des interventions des syndicats et des militants associatifs et politiques qui s’opposent au projet et des extraits de films.
Les députés Pouria Amirshahi (PS), Isabelle Attard (Nouvelle Donne) et Sergio Coronado (EELV), qui se sont engagés publiquement contre le texte, prendront aussi part aux discussions.
« Un vaccin contre la surveillance »
Pour élargir le débat sur la surveillance de masse, un projection du documentaire »CitizenFour » sur Snowden est aussi organisée au Tank, à Paris à 20h30. Les places sont gratuites, mais l’inscription obligatoire.
L’un des organisateurs, Elliot Lepers, explique le choix du film :
« Aux Etats-Unis, nous avons un exemple de surveillance de masse, avec ses dérives, ses échecs pour l’attentat de Boston et sa remise en cause récente autour du Patriot Act.
C’est un vrai vaccin contre la surveillance. »
Tous les députés ont été invités à la projection, avec peu de réponses pour le moment.
3 Une manifestation...
... au-dessus des « oreilles » de l’Etat
Depuis quelques semaines, les pétitions contre le projet de loi engrangent des dizaines de milliers de signatures et le nombre d’associations mobilisées ne cesse d’augmenter, avec l’arrivée remarquée de l’Association des victimes du terrorisme.
Pour faire état de cette mobilisation de la société civile, une grande manifestation contre la loi est prévue ce lundi soir à 18h30 sur l’esplanade des Invalides.
La précédente mobilisation contre le projet de loi renseignement, le 13 avril 2015 (Robin Prudent/Rue89)
Le lieu n’a pas été choisi par hasard. A quelques mètres sous terre, se trouvent les locaux du service d’écoute du renseignement français.
Un « sous marin » qui pourrait voir son activité redoublée si la loi était votée.
D’autres rassemblements en province sont aussi prévus ce lundi soir. Un ultime sursaut pour barrer la route à la surveillance généralisée.
Source : http://rue89.nouvelobs.com