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..C’est du moins ce qu’un contrôle de divers assureurs par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR) laisse penser.
par Michel Crinetz, ancien superviseur financier, Collectif Roosevelt
En fait, ils étaient morts depuis longtemps, mais leur contrat leur survivait, et faisait prospérer leur assureur, qui continuait à prélever les frais de gestion et sa part des bénéfices. Quand il “n’oubliait” pas de revaloriser des capitaux décès pendant 20 ou 30 ans…
Des bénéficiaires se sont plaint des retards importants des assureurs à les prévenir et des montants proposés étrangement faibles. Nos députés s’en sont émus, et ont voté depuis 2007 des lois obligeant les assureurs à consulter le RNIPP (répertoire national d’identification des personnes physiques) pour savoir si leurs assurés étaient décédés, puis à rechercher les bénéficiaires. L'ACPR et la Cour des comptes sont allées vérifier si ces lois étaient effectivement appliquées.
Pas vraiment. Pas toujours, en tout cas.
L'ACPR a trouvé des centaines de milliers de contrats d’assurance-vie non réglés depuis longtemps, pour au moins 4,6 milliards d’euros. Les assureurs ont rétorqué qu’il n’était pas facile de trouver les bénéficiaires. Même le conjoint et les enfants, clients de l’assureur, à la même adresse que le défunt ? Ou des associations caritatives connues ?
“En fait, ils étaient morts depuis longtemps, mais leur contrat leur survivait, et faisait prospérer leur assureur, qui continuait à prélever les frais de gestion et sa part des bénéfices”
Mais si l’assuré a déménagé, eu d’autres enfants ou changé de conjoint, il faut payer des salariés pour faire des recherches, ou des honoraires à des généalogistes allant chercher des aïeux ou cousins en France ou à l’étranger. Ce serait plus coûteux que de conserver les fonds qui, en attendant, rapportent. Environ 1 % de 4,6 milliards, cela fait 46 millions par an. Désormais, l’argent non attribué doit être transféré au bout de dix ans à la Caisse des dépôts. Mais si on oublie ? Et puis, pour un décès dont on ne s’est pas informé, ce délai ne commence jamais.
L’autorité a infligé trois amendes en 2014 : 10 millions d’euros à Cardif (BNP Paribas), 40 millions à la CNP (La Poste, les Caisses d’épargne et… la Caisse des dépôts), 50 millions à Allianz Vie (qui avait même “purgé” des contrats non réglés !). Les punis ont, devant l’ampleur finalement supportable des sanctions (inférieures aux profits récoltés ?), renoncé à faire appel ; et déclaré qu’ils allaient prendre des mesures. Espérons-les suffisantes, et que les autres assureurs restitueront aussi aux bénéficiaires plusieurs milliards d’euros leur revenant dès 2015, car en 2016, les fonds iront se faire oublier à la Caisse des dépôts.
Félicitons notre superviseur national pour ce nécessaire rappel aux lois ; du moins aux assureurs.
Pour les banques, le compte n’y est pas
Du côté des banques, la Cour des comptes a trouvé au moins 1,5 milliard d’euros dormant sur 1,8 million de comptes et livrets inactifs appartenant notamment à 674 014 centenaires – contre seulement 20 106 centenaires recensés en France. Sans compter les coffres-forts, qui rapportent aussi, ni les 0,4 % de commissions sur les nombreux livrets A.
Nos parlementaires, qui s’étaient émus pour les contrats vie, ont été beaucoup moins réactifs et exigeants avec les banquiers, lesquels ne devront interroger le répertoire national qu’en 2016, soit 8 ans après les assureurs. Et toujours pas d’obligation de rechercher les héritiers, on se demande pourquoi. Ainsi, leurs clients, très peu mobiles de leur vivant, le sont encore moins après leur mort !
“Du côté des banques, la Cour des comptes a trouvé au moins 1,5 milliard d’euros dormant sur 1,8 million de comptes et livrets inactifs appartenant notamment à 674 014 centenaires – contre seulement 20 106 centenaires recensés en France”
Le Code civil fait obligation d’exécuter ses contrats de bonne foi (article 1134) – même aux banquiers –, et donc de contacter les héritiers une fois le décès connu. L’ACPR ne doit faire appliquer que les textes visant les établissements financiers, pas les règles générales du Code civil. Suggérons donc à nos très chers banquiers de trouver de bonne foi et rapidement les héritiers, avant qu’ils ne meurent à leur tour…
Source : http://www.lenouveleconomiste.fr