Le tremblement de terre du Népal qui touche l’un des pays les plus pauvres du monde nous le rappelle avec horreur : face aux catastrophes naturelles, les peuples ne sont pas égaux, dans la vie comme dans la mort.
Pour les pauvres, les inégalités sociales et écologiques se traduisent par un plus grand nombre de victimes et de destructions matérielles. La très grande majorité vit dans des régions très exposées, souffrant d’une cruelle absence de réseaux d’alerte, d’un développement urbain anarchique et d’un défrichage des terres favorisant les inondations et glissements de terrain.
Selon le rapport de l’Observatoire des situations de déplacements internes, 32,4 millions de personnes ont été forcées de quitter leur domicile à la suite d’une catastrophe naturelle en 2012, dont seulement 1,3 million dans les pays du Nord.
Double peine
En 2004, le tsunami en Asie avait joué un rôle de révélateur et en 2010 le séisme d’Haïti l’avait amplement confirmé. Les populations subissent des discriminations avant, pendant et après le cataclysme. Elles endurent une double peine en fonction de leur place sur l’échiquier de la géopolitique mondiale.
Nous savons bien qu’au sein même d’un pays, les privilégiés et les plus défavorisés n’ont pas droit au même traitement, comme l’avait démontré l’ouragan Katrina aux Etats-Unis. Un séisme, même de grande ampleur, ne devient une catastrophe qu’en raison du manque de capacités d’adaptation de ceux qu’il touche.
Dans les pays pauvres, la prévention des risques n’existe que sur le papier. Il n’y a ni plan de prévention des risques ni de Plan Orsec à Katmandou. Les constructions au rabais ne protègent pas mais aggravent les ravages. Afin de réduire les impacts des tremblements de terre, les pays concernés mettent en place des normes sismiques en fonction de leurs moyens. L’exemple du Japon, pays riche situé dans une zone très sismique, dont plus de 80% de la population vit en ville, est à mille lieues du Népal en termes de prévention et de gestion des risques. Les moyens financiers investis lui permettent d’assurer la sécurité des habitants et de réduire au maximum les pertes.
« Extractivisme »
Avec la reconstruction, les inégalités continuent de plus belle. Et souvent la spéculation et la corruption s’en mêlent. Au Népal les contradictions de la société productiviste apparaissent une nouvelle fois en pleine lumière. Alors que l’Exposition universelle, cette vitrine de l’occidentalisation du monde depuis 150 ans, s’ouvre à Milan, les journaux télévisés nous montrent des images confondantes des nouvelles inégalités. Les pays occidentaux tentent à tout prix de ramener leurs touristes, encombrant souvent l’aéroport de Katmandou au détriment de l’aide aux populations. Ce qui se passe dans l’Everest, lieu de tourisme pour les trekkeurs riches des pays riches, supplante parfois en temps imparti celui consacré aux Népalais victimes de la catastrophe. Les alpinistes et les randonneurs paient des sommes faramineuses aux sociétés d’assurances pour avoir le droit d’être ramenés par des hélicoptères qui délaissent les villages excentrés.
Laurent Fabius procède chaque jour au décompte des touristes français retrouvés alors que ni la France ni l’Union européenne ne s’engagent au-delà de l’envoi des sauveteurs et des équipes médicales humanitaires. Ceux-ci deviennent les héros du jour alors que les autorités népalaises, elles, sont stigmatisées pour ne pas avoir mis leurs piètres moyens au service de l’aide internationale.
On apprend, effarés, qu’une semaine auparavant s’était tenu un colloque international à Katmandou où les scientifiques avaient prévenu qu’à tout moment un séisme pouvait se déclencher. Pourtant, jusqu’au dernier moment, rien n’a été fait. Comme toujours. Avec la crise climatique, qu’accentue l’extractivisme, cette mamelle de la société productiviste, le cercle vicieux va s’amplifier à coup d’inondations, de sécheresses, d’ouragans, de typhons…
Bons sentiments
La pauvreté va accroître la vulnérabilité des populations face aux risques et les catastrophes vont continuer à alimenter et à aggraver la pauvreté. Déjà, les îles de l’Océanie menacées par le réchauffement et ses conséquences, dénoncent l’hypocrisie des pays riches. Leurs dirigeants constatent ses effets dévastateurs sur des habitants qui ne sont responsables en rien d’une telle situation.
Journaliste, j’avais déjà constaté tout cela il y a trente ans lors de la catastrophe naturelle d’Armero en Colombie, comme à Mexico, lors d’un tremblement de terre. L’indignation d’un jour n’a entraîné aucun changement dans les politiques de gouvernance mondiale. Les bons sentiments dégoulinants de ces derniers jours risquent d’être oubliés au Bourget, en décembre 2015, au profit d’effets d’annonces sans lendemain. Décidément, ce n’est pas le climat qu’il faut changer, mais le système.
Source : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/chez-noel-mamere