Oriane, 28 ans, fait la liste des avantages immédiats : « Cela limite le gaspillage, l’obsolescence programmée. »
Je me dis qu’on n’est parfois pas très loin du « solutionnisme technologique », l’idée que la technologie peut résoudre « facilement » des problèmes sociaux.
Je tombe ainsi sur un designer sympathique, fraîchement sorti d’école, qui tripote des cactus dans des prototypes en plastique. La brochure qui traîne sur la table fait frissonner :
« Nous travaillons sur les cyborgs végétaux destinés à augmenter les plantes et leur donner de nouveaux usages et de nouveaux comportements. »
Pierre-Louis et le prototype de « plante connectée », le 3 mai 2015 (Rémi Noyon/Rue89)
Des plantes connectées... Le gentil designer (il s’appelle Pierre-Louis) me renseigne :
« La base robotique est équipée de capteurs – humidité, luminosité, richesse du sol. La plante est montée sur des roues. La base va traduire les besoins de la plante et la plante va se déplacer. On peut imaginer que le système repère les zones les plus polluées de la ville et que les plantes convergent vers cette zone pour en absorber le CO2. »
Dans le même genre de réponse simple à un problème complexe, il y a les Balloons, dont l’idée semble altruiste, mais dont on voit vite les dérives : des ballons qui s’allument chez vos grands-parents, d’une simple pression sur votre smartphone, pour montrer que vous pensez à eux. Plus besoin de téléphoner !
On n’imprime pas encore des maisons
Comme beaucoup, ces designers espèrent suivre la trajectoire suivante : un prototype (en open source) est facilement réalisé grâce à la démocratisation des outils. Il est présenté dans des salons, puis ces promoteurs lancent une campagne de cofinancement sur des plateformes comme Kickstarter ou Ulule. S’ils réunissent les fonds nécessaires, la production peut commencer. C’est le mouvement que suit le PancakeBot, une imprimante à crêpes...
Mais en dix ans d’existence (surtout aux Etats-Unis), le mouvement « maker » a eu le temps de décanter et de séparer l’utopique du réalisable. Ainsi, l’idée que chacun pourra produire de chez soi (ou près de chez soi) est pour l’instant un fantasme. L’utilisation d’une imprimante 3D demande des compétences de modélisation 3D et l’on reste dans de petits objets en plastique usiné. On peut aller plus loin en se servant de machines « traditionnelles » (perceuse à colonne, découpe laser, etc.), mais cela demande de l’appétit et du temps.
Guilhem Peres, cofondateur d’eMotion Tech, une start-up toulousaine qui commercialise de petites imprimantes 3D, surtout pour les profs de technologie, pense que ce mythe ne perdure que dans le grand public :
« Les gens viennent nous voir pour nous dire : “On peut imprimer une maison comme en Chine.” Mais non. »
Le porte-parole non officiel du mouvement « maker » en France est un certain Bertier Luyt, qui a fondé le FabShop en Bretagne. C’est un grand type mince, à la voix cassée par les interviews. Je m’attendais à un bonhomme persuadé qu’il allait tout bousculer, mais il est plutôt mesuré :
« Les imprimantes 3D sont avant tout des machines de prototypage. »
Pierre-Emmanuel nuance de même :
« Nous sommes encore un peu tôt en terme de maitrise de la technologie pour tout faire et pour que des assiettes produites dans un FabLab à côté de chez vous soient compétitives par rapport à celles de Monoprix. »
Sus à la boîte noire
L’essentiel est peut-être ailleurs. Dans une ambition plus modeste : détricoter la technologie, la démystifier. C’est pour cela que Guilhem Peres tient à vendre ses imprimantes 3D en kit :
« La vendre assemblée serait une hérésie. »
Cet « esprit bidouilleur », qui passe aussi par le partage de plans et de « trucs » en ligne, permettrait de réconcilier le grand public avec la technologie. De rentrer plus finement dans les enjeux posés par le numérique qu’avec une attitude purement « technosceptique » ou « technoenchantée ». Il faut apprendre à coder pour décoder.
Casquette sur la tête, manettes dans les mains, Gaël Langevin s’emploie à développer un robot en open source. La carcasse est fabriquée grâce à une imprimante 3D, le programme est aussi librement disponible sur Internet :
« Le but est de changer l’état d’esprit sur la robotique. S’assurer que les gens ne vont pas voir débarquer des robots de grandes entreprises et ne pas comprendre ce qui est derrière. Cela pourrait aussi permettre d’éviter certaines dérives. »
Mais n’est-ce pas à destination des « happy few » ?
« Pas forcément. Un prof de technologie peut s’emparer d’un petit module – le doigt, par exemple – et le faire fabriquer à ses élèves. »
Hugo est biologiste de formation. Il s’occupe du BioHackLab, à Brest :
« Dans la biologie, on rencontre la même problématique : l’appropriation du savoir avec le brevetage du vivant. A terme, des entreprises bidouilleront des humains. Il va y avoir de l’eugénisme. Mon but est que les gens ne soient pas démunis, comprennent les implications. Cela passe, par exemple, par la démonstration de l’extraction de gènes. »
Eloge du fer à souder
L’autre tendance qui semble animer les gens présents, c’est la joie de mettre la main dans la matière, de souder, de découper, de manipuler. Cela n’est pas sans faire écho à l « Eloge du carburateur », de Matthew Crawford, que certains connaissent bien sur le salon (et que des riverains de Rue89 citent régulièrement).
Ce « philosophe col bleu » remet à l’honneur le travail manuel face aux « services » dématérialisés. Les « Makers » redonnent ainsi de la matérialité à du virtuel.
Hugo :
« On a fait un aller-retour. Du virtuel, on repasse au matériel, au hardware. Et avec le biohack, nous allons encore plus loin, nous repartons carrément vers le vivant. »
La cofondatrice des « Maker Faire », Sherry Huss, jette un oeil à des hordes de gamins qui se disputent des fers à souder.
« Je pense que le monde manque d’ingénieurs. C’est aussi un moyen de donner envie. »
Où sont les babas ?
A regarder les exposants, je ne peux pas m’empêcher de penser à la fameuse mythologie des « garages ». Ces endroits de créativité qui ont donné forme à des groupes comme Apple ou Google, bien éloignés des valeurs baba cools.
D’abord, il n’y a rien de nouveau. C’est le repackaging d’un plaisir, d’un hobby qui existe depuis des années : bricoler. Surtout, même si les bidouilleurs affichent souvent un esprit « non commercial », les grandes entreprises ne sont jamais loin.
Ainsi, Microsoft fait la promotion de ses initiatives « ouvertes » annoncées le 29 avril et Leroy Merlin du « TechShop » qu’il compte ouvrir à la fin de l’année, en région parisienne.
Simon, l’un des membres de Leroy Merlin, explique :
« L’idée est de donner l’accès à un parc avec beaucoup d’outillage. Un peu comme un club de gym. On pourra dire aux clients de Leroy Merlin : plutôt que d’acheter votre mobilier, achetez les matériaux et venez le faire vous-même. C’est quand même plus satisfaisant. »
Il est plutôt amusant de voir Leroy Merlin vanter la production quasi artisanale de meubles...
Ce sera comme le bio ou le développement durable, pense Gaël Langevin : tout le monde va se réclamer de l’« open source » – gouvernements et entreprises.
Pour certains, ce ne sera que du vernis. Pour d’autres, une nouvelle manière de travailler. Et il y aura les puristes, qui crieront à la dénaturation.
Source : http://rue89.nouvelobs.com