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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

En Californie, touche pas à mon eau

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

En Californie, touche pas à mon eau

|  Par Iris Deroeux

 

 

La Californie est à sec mais aussi à cran depuis que le gouverneur de l’État a fixé un objectif de réduction de la consommation d’eau de 25 %. Citoyens accrochés à leurs piscines, agriculteurs paniqués à l’idée de produire moins, écologistes inquiets… Tout le monde se renvoie la balle et en attendant, la consommation d’eau reste beaucoup trop élevée.

 

De notre correspondante aux Etats-Unis.- Tout a commencé avec une mise en scène parfaite : le gouverneur démocrate de Californie expliquant depuis une station de ski réputée, au nord de San Francisco, que non, définitivement non, on ne pouvait plus continuer ainsi. À l’endroit précis où Jerry Brown donnait sa conférence de presse, début avril, la neige aurait dû atteindre au moins un mètre, voire beaucoup plus. Sauf qu’il avait les pieds parfaitement au sec, sur une herbe brune. L’image devait frapper les esprits et mieux faire passer la pilule : Jerry Brown annonçait à ses concitoyens qu’il leur imposait un objectif ambitieux, celui de réduire de 25 % leur consommation d’eau dans les neuf mois à venir afin de faire face à la sévère sécheresse frappant l’État depuis 2011. Ce rationnement, ne concernant pas le secteur agricole, serait orchestré par les quelque 400 agences en charge de l’approvisionnement en eau des villes californiennes. Il viendrait s’ajouter à d’autres restrictions datant de janvier 2014, lorsque l’État d’urgence a été déclaré par le gouverneur, ainsi qu’à un rationnement de l’eau imposé aux fermiers par les autorités fédérales.

Mais début mai, le résultat n’est pas glorieux. Les Californiens n’ont réduit leur consommation d’eau que de 3,6 % par rapport au mois de mars 2014, selon les derniers chiffres publiés par le State Water Ressources Control Board, le bureau en charge des ressources en eau de l’État. Et sur le terrain, quand ce n’est pas du désintérêt, ce qu’on observe ressemble à un mélange de mauvaise foi, de peur panique à l’idée de devoir changer son mode de vie, et de colère. Le voisin est toujours plus fautif ; l’État en demande trop. Un autre argument souvent entendu est que les Californiens ne devraient être les seuls à fournir de tels efforts puisque les trésors de la Californie profitent à tous, aux États-Unis et ailleurs, que ce soit ses zones touristiques, son agriculture, son eau…

 

Dans la Central Valley.
Dans la Central Valley. © I.D

 

L’État est en effet très riche, c’est le plus riche des États-Unis. Si la Californie était un pays, ce serait ainsi la 7e puissance économique mondiale. C’est aussi le plus peuplé : il compte aujourd’hui 38,8 millions d’habitants, contre moins de 16 millions dans les années 1960. D’où cette question, qui se pose de manière de plus en plus pressante : à quel prix la Californie peut-elle continuer à se développer ainsi ?

« Il est temps de reconnaître que la Californie est dans une situation de pénurie permanente : même dans une année de précipitation "normale", la demande en eau est plus importante que ce que la nature fournit, ce qui mène à des conflits politiques grandissants, une surexploitation des nappes phréatiques insoutenables, la destruction des rivières, ruisseaux et marais de l’État. Le changement climatique causé par l’activité humaine ne fait qu’empirer ce mélange », résume ainsi le scientifique Peter Gleick, spécialiste des questions environnementales, dans un post de blog (à lire ici). En effet, si cette sécheresse n’est pas la première à frapper l’État, il y a cette fois-ci des facteurs aggravants : la Californie est toujours plus peuplée, et l’impact du changement climatique sur les réserves en eau est de plus en plus indéniable.

Ces réserves proviennent de deux sources principales : des eaux de surface d’une part, comme la couverture neigeuse des montagnes et les cours d’eau ; et celle pompée dans les nappes phréatiques d’autre part. « 70 % de l’eau consommée dans l’État est puisée dans des réservoirs alimentés par l’eau de la Sierra Nevada, au nord, et par des rivières. Cette eau est acheminée du nord vers le sud de l’État via un système de canaux, de barrages et d’aqueducs », nous explique David Sedlak, du Centre d’étude de l’eau de l’université de Berkeley. Il précise que ces infrastructures n’ont pas été modernisées depuis des décennies : la gestion des ressources n’est donc plus optimale et l’édifice devient si fragile que l’approvisionnement en eau du sud de l’État pourrait être menacé.

« Les 30 % restants sont puisés dans les nappes phréatiques », poursuit le chercheur. Et ceux qui possèdent un puits peuvent pomper cette eau sans limite à défaut d’une législation claire en la matière. Ce flou juridique est en train de devenir un autre sujet majeur de tensions. S'ajoute à cette équation « le fait que l’eau est historiquement peu chère aux États-Unis, bien moins chère qu’en Europe. Ce qui pousse les Américains à en consommer plus ».

 

Un golf à Palm Springs, dans le désert.
Un golf à Palm Springs, dans le désert. © I.D
 

Face à cette situation, un plan de réforme drastique, sur le long terme, paraît logique et nécessaire. Sauf que pour le moment, rien de tel n’est au programme. Le gouvernement local préfère agir au coup par coup, en adoptant surtout des mesures d’urgence comme celle venant de frapper les citadins californiens. Et cette stratégie des petits pas, bien que jugée très insuffisante par certains, suscite déjà tensions et hystérie… « Vous arrivez en pleine tempête ! » lâche ainsi Jim Beecher, fermier rencontré dans la Central Valley, le cœur agricole de la Californie et le symbole d’une agriculture intensive extrêmement gourmande en eau. 

Planter des cactus

Première étape pour prendre la mesure de la crise : Palm Springs, à deux heures de Los Angeles, dans la vallée de Coachella. Construite en plein désert, sur des terres indiennes, cette ville se veut une destination touristique de premier plan, en particulier pour les golfeurs puisque les alentours comptent pas moins de 125 golfs. Quelque 44 000 habitants à l’année, un chiffre multiplié par trois en saison : c’est un spot de golf très apprécié des stars hollywoodiennes mais aussi de retraités américains, canadiens et même européens, qui viennent passer ici de longs mois d’hiver et barboter dans leurs piscines privées pour mieux supporter la chaleur écrasante. La consommation d’eau par habitant y bat donc tous les records.

 

Palm Springs.
Palm Springs. © I.D
 

L’État a décrété qu’ici, les habitants devraient réduire leur consommation de 36 %, et non de 25 %. Atteindre cet objectif est un véritable casse-tête pour l’agence de l’eau locale, un organisme privé du nom de Desert Water Agency, qui n’a d’autre choix que d’obtempérer. « Sinon, nous devrons payer 10 000 dollars d’amende par jour à Sacramento [la capitale de l’État] », ne cesse de répéter le comité directeur de l’agence, réuni fin avril face à un public très en colère.

Nous sommes dans les locaux de la Desert Water Agency le jour d’une réunion publique au cours de laquelle l’agence énumère la série de restrictions qu’elle compte adopter. Quelque 400 habitants ont fait le déplacement, du jamais vu selon l’agence, et la tension est telle qu’on n'est pas loin du pugilat. La scène pourrait même s’avérer comique si n’étaient pas en jeu les ressources et l’environnement d’un État tout entier.

Partant du principe que 70 % de l’eau consommée à Palm Springs l’est en extérieur, voici ce que contient la résolution de l’agence : il est désormais interdit d’arroser les surfaces en dur et de nettoyer le sol des parkings ; les restaurants doivent servir et resservir de l’eau seulement si les clients le demandent ; des horaires précis et limités sont instaurés pour l’arrosage des jardins ; les gazons sur les ronds-points et bas-côtés ne doivent plus être arrosés ; les fontaines doivent être éteintes « sauf si des poissons ou des tortues y vivent »… Quant aux piscines, il est fortement déconseillé de les vider et remplir entre juin et octobre. Notons que sur ce dernier point, face à la colère de nombreux pisciniers présents, l’agence accepte d’adopter le verbe « déconseiller » plutôt que celui d’« interdire ». Car, c’est un fait, certains habitants n’en reviennent pas qu’on leur demande de tels efforts.

« Sans piscines, Palm Springs ne survivra pas ! Des millions ont été investis dans des publicités présentant cette région comme le paradis pour jouer au golf et plonger dans une piscine… 36 % de réduction de la consommation de l’eau, c’est inatteignable ! » s’emporte Ted, à la tête d’une entreprise de réparation de piscines. « S’il vous plaît, réfléchissez, n’agissez pas à la va-vite, on doit protéger l’eau mais aussi notre économie », implore un autre piscinier. « Et pourquoi les compagnies étrangères ont-elles encore le droit de pomper notre eau allègrement ? » s’enquiert un autre habitant, faisant référence aux entreprises comme Nestlé (qui détient plus de 70 marques d’eaux en bouteille) disposant de permis délivrés par les autorités fédérales leur permettant de puiser l’eau du coin pour ensuite la vendre en bouteilles.

L’agence n’a aucun pouvoir là-dessus, elle le dit, tente de calmer l’assemblée, puis rappelle que la ville n’en serait « peut-être pas là si on avait fait plus attention depuis dix ans ». Elle conclut : « De toutes façons, nous n’avons que 70 employés qui ne sont pas des policiers de l’eau, donc on a beau avoir de nouvelles obligations, nous n’allons pas pouvoir surveiller tout le monde. » Cette déclaration sonne comme un aveu d’impuissance.

Dehors, la discussion se poursuit. « Comprenez que les piscines, ce sont juste des symboles, personne ne va en mourir si elles restent vides bien sûr… Mais cette ville, c’est leur vie. Les gens ont peur que la vallée se dépeuple ! » tient à nous expliquer Brenda, qui partage son temps entre Palm Springs et la côte est des États-Unis. D’autres, assez nombreux, sont excédés par le comportement de leurs concitoyens. « J’en ai entendu certains crier, en tapant du poing sur la table : “Je veux ma pelouse, j’ai droit à ma pelouse” ! Cette histoire de “droits individuels” vire à l’obsession et ça me rend dingue, les gens doivent se réveiller », glisse Victor, bénévole à la mairie.

« Nous avons un vrai problème d’éducation à l’écologie, surtout des plus âgés, surtout de ceux qui viennent d’États américains où l’eau abonde », estime encore Kate Castle. Élue « citoyenne verte de l’année » par la mairie, fan d’Al Gore, elle est la gestionnaire d’un complexe de 299 maisonnettes à Palm Springs, où elle s’est donc lancée dans une véritable mission éducative. Par exemple ? « En convaincant les habitants que les cactus étaient plus jolis que les pelouses, et aussi plus judicieux puisqu’on vit dans le désert. » Ça n’a pas été simple, mais ça a marché. Les espaces communs du lotissement, désormais recouverts de plantes désertiques, en attestent.

 

Kate Castle nous montre les plantes désertiques qui ont remplacé les pelouses.
Kate Castle nous montre les plantes désertiques qui ont remplacé les pelouses. © I.D
 

Cela dit, même Kate a du mal à comprendre « pourquoi ceux qui utilisent le plus d’eau dans l’État [les agriculteurs] ne sont pas eux aussi assis à la table des négociations. Cela m’échappe ».

C’est un fait : l’eau californienne est à 80 % consommée par le secteur agricole, qui ne représente pourtant que 2 % du PIB de l’État. Entre autres solutions pour faire face à la sécheresse, il pourrait donc sembler logique de limiter la consommation d’eau du secteur agricole voire de réformer ce secteur tout entier. « On pourrait décider de produire moins de nourriture par exemple, de se concentrer sur des cultures moins gourmandes en eau. Sauf que c’est un sujet politiquement explosif dans l’État… Ici, on n’impose pas aux fermiers ce qu’ils doivent produire. D’autant qu’ils ont déjà l’impression d’avoir fait des sacrifices ces dernières années », explique David Sedlak, du Centre d’étude de l’eau de l’université de Berkeley.

Puiser l'eau des aquifères…

Pour mieux cerner le problème, direction la Central Valley, le cœur agricole de Californie. 2,5 millions d’hectares de terres y sont cultivées et produisent 25 % de la nourriture consommée par les Américains. La qualité des sols et du climat en a fait le lieu parfait pour exploiter pas moins de 250 cultures différentes, des fruits et légumes au coton en passant par les noix… Des cultures très rentables et particulièrement gourmandes en eau, comme celle des amandes (près de 80 % des amandes produites dans le monde viennent de Californie), des pistaches ou encore de la luzerne (dont le foin permet de nourrir les bœufs), y sont devenues très populaires.

La Central Valley est encore la région qui produit la plus grosse quantité de tomates en conserve au monde et c’est précisément le principal producteur local de tomates qui accepte de nous recevoir pour témoigner de son expérience de la sécheresse. Parmi les fermiers et agro-industriels que nous avons contactés, Farming D est la seule société à nous ouvrir ses portes. « Je veux bien servir de symbole des méchants fermiers qui gaspillent l’eau pour leurs seuls profits », glisse avec cynisme Jim Beecher. « Les gens pensent que leur nourriture pousse dans les épiceries, il faut qu’ils comprennent comment ça marche », ajoute-t-il.

 

 

Jim Beecher, devant un champ de tomates.
Jim Beecher, devant un champ de tomates. © I.D

 

Nous le rencontrons dans les bureaux de Farming D, ferme de 3 900 hectares, « medium large » selon les critères californiens, gigantesque comparée aux exploitations françaises. Ici sont donc produites chaque année des tonnes de tomates ensuite mises en conserves : 70 % de celles vendues sur le marché américain. Mais Farming D produit aussi du blé, des laitues, des amandes et un peu de luzerne.

Si Jim Beecher prend le temps de nous parler, c’est qu’il estime faire de son mieux pour réduire sa consommation en eau depuis quelques années. « La sécheresse, on en souffre depuis plus longtemps et de manière plus prononcée que quiconque dans l’État, commence le fermier. Nous sommes en situation de pénurie d’eau depuis 2011. » Jim Beecher fait ainsi référence au rationnement mis en place par le gouvernement fédéral. Car dans cette région, traditionnellement, les exploitations sont irriguées grâce à des canaux acheminant l’eau des fleuves Sacramento et San Joaquin. Sauf que le niveau de ces fleuves ayant dangereusement baissé, les autorités fédérales ont décidé de couper temporairement cette source alimentation. « On reçoit zéro ! » résume Jim Beecher. Il a donc fallu s’adapter.

« Nous avons mis certaines terres en jachère, nous avons cessé de produire du coton », nous explique-t-il en nous faisant visiter une partie de l’exploitation en voiture. Il nous montre les maisonnettes où logent les cinquante employés à temps plein qui vivent sur les terres, « tous mexicains ». « Ce sont les premiers à souffrir de la sécheresse », note-t-il. En effet, les conséquences sur l’emploi se sont déjà fait sentir. Une étude de l’Université de Californie évalue à 2,2 milliards de dollars les pertes du secteur agricole californien pour l’année 2014, et à 17 000 le nombre d’emplois perdus, saisonniers ou à temps complet.

Jim Beecher s’est aussi mis à aller chercher l’eau là où il y en avait : dans les nappes phréatiques. Sans nous donner de chiffres, il avoue avoir creusé et continuer de faire creuser des puits afin de prélever l’eau dans les aquifères californiens autant qu’il en a besoin. « Je sens qu’on va bientôt être limités, cela dit », note-t-il, inquiet de ce qui se trame à Sacramento. En l’occurrence, des mesures restreignant ces prélèvements sont bel et bien en voie d’adoption, mais rien ne sera mis en œuvre avant… 2020.

Le fermier souligne enfin qu’il a réduit la consommation d’eau de l’exploitation « d’un cinquième depuis 1998 ». « Nous avons investi dans le système d’irrigation le plus performant qui soit », à savoir un système d’irrigation au goutte-à-goutte enterré permettant en effet de limiter le gaspillage d’eau. Nous poursuivons notre discussion sur les méthodes d’agriculture conventionnelles, qu’il défend bec et ongles. « C’est le seul moyen de nourrir tout le monde, juge-t-il. Bien sûr que les tomates organiques sont meilleures que les miennes, mais elles sont beaucoup plus chères. »

 

"Pas d'eau, pas d'emplois", signale une pancarte en bordure d'un champ.
"Pas d'eau, pas d'emplois", signale une pancarte en bordure d'un champ. © I.D

 

Il reconnaît cependant que « les agriculteurs sont loin d’être parfaits dans cette région, notamment si on regarde la façon dont sont traités les travailleurs journaliers » ; que certains « résistent au changement, qu’il sera difficile de réformer quoi que ce soit »… Mais au bout du compte, selon lui, cette crise de l’eau s’avérera salutaire, « en nous obligeant tous à moderniser nos systèmes d’irrigation ».

D’autres se montrent un peu moins optimistes et beaucoup plus radicaux. « C’est tout bonnement impossible de continuer ainsi ! » tranche l’historien Richard White, spécialiste de l’Ouest américain à l’université de Stanford. « Ce qui se trame dans la Central Valley, c’est une crise environnementale mais aussi sanitaire. L’usage des pesticides à outrance provoque une pollution bien plus forte que dans une métropole comme Los Angeles et des maladies en pagaille. C’est une région dont on parle peu finalement, puisqu’elle ne colle pas avec le récit d’une Californie où les gens auraient un mode de vie sain et seraient plus sensibles à l’écologie qu’ailleurs », analyse l’historien.

« L’agro-industrie jouit d’un pouvoir à Sacramento qui dépasse de loin son poids économique réel, c’est une constante et un mystère de la vie politique californienne », poursuit-il. De quoi freiner durablement les réformes d’ampleur nécessaires afin de protéger l’eau et l’environnement de la Californie à long terme ? Peut-être pas, car les organisations écologistes sont aussi très puissantes à Sacramento. Reste à savoir comment réussir à asseoir tout le monde autour d’une table, à réfléchir sereinement au futur de l’État, et à agir. Rapidement.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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