« Les Français, arrêtez de polluer ! », « Engie, arrête d’être obsédé par le profit et passe aux renouvelables », « le charbon tue ». Le 15 mai, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Johannesburg, en Afrique du Sud, contre le projet de centrale à charbon de Thabametsi, porté par Engie, ex-GDF-Suez, dans le bassin du Waterberg (dans la province du Limpopo). Elles ont marché jusqu’au consulat français, à l’appel de deux ONG, Earthlife et Sacsis (le service d’information de la société civile sud-africaine).
Leur porte-parole, Dominique Doyle, l'assure : « C’est un enjeu de vie et de mort. La centrale française causera des morts prématurées et contribuera à la catastrophe du changement climatique. » La région du Waterberg souffre de pénurie d’eau, et les écologistes craignent que l’exploitation de nouvelles mines de charbon pour alimenter la centrale n’aggrave le problème. « Alors que l’Europe et les États-Unis reconnaissent que produire de l’électricité à partir de charbon est une technologie dépassée et dangereuse, la France décide de continuer à soutenir l’industrie du charbon dans les pays en développement, tout en considérant que le charbon est sale et dangereux sur le sol national. »
Le charbon est un angle mort de la politique énergétique française. C’est logique, il ne sert à produire que 4 % de l’électricité en France. Mais à l’étranger, EDF et Engie, ex-GDF-Suez, y ont souvent recours pour produire du courant électrique. Cette combustion est très émettrice de CO2, gaz le plus responsable du dérèglement climatique. Un rapport des Amis de la terre et d’Oxfam en révèle l’ampleur : la totalité des centrales à charbon gérées par EDF et Engie dans le monde émet l’équivalent de la moitié des émissions de toute la France. Rejetées pour la plupart à l’extérieur de nos frontières, elles ne sont pas comptabilisées dans l'inventaire national. Elles restent invisibles à l’échelon strictement national, alors qu’elles sont produites par deux groupes industriels dont l’État est actionnaire.
« On ne pensait pas qu’il était possible que des entreprises d’un État qui va accueillir le sommet mondial sur le climat en décembre, la COP 21, émettent autant de CO2. C’est tellement incohérent », commente Malika Peyraut, chargée de campagne Énergie aux Amis de la terre. EDF est détenu à 84 % par l’État français, et Engie, ex-GDF-Suez, à 33 %.
Au total, les deux groupes possèdent tout ou partie de 46 centrales à charbon dans le monde. En Chine, en Pologne, au Royaume-Uni et en Belgique pour l’électricien. En Allemagne, en Australie, aux États-Unis, en Inde, en Thaïlande, au Chili, au Brésil… pour le gazier. Des chercheurs du programme « actifs bloqués » (« stranded assets ») de l’université d’Oxford, qui travaillent sur la bulle financière créée par les réglementations sur le dioxyde de carbone, ont calculé qu’elles émettaient chaque année plus de 151 millions de tonnes de CO2 ( à partir des bases de données de Platts, une agence spécialisée). C’est la moitié des 333 millions de tonnes de CO2 émises en France en 2012 par la combustion d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), selon l’Agence international de l’énergie (AIE). De son côté, le Citepa, l’organisme officiel qui recense les gaz à effet de serre rejetés chaque année en France, mesure 353 millions de tonnes de CO2 émises au total en 2012.
EDF et Engie émettent autant que la moitié des émissions de toute la France : la comparaison ne serait pas possible en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Ces deux États émettent beaucoup plus de CO2 que la France par habitant, car ils dépendent beaucoup plus du charbon pour produire leur électricité. Avec 75 % de son courant d’origine nucléaire, Paris présente un bilan carbone plus léger que ses voisins européens. Cette bonne performance, qui s’accompagne de multiples problèmes non résolus de l'énergie nucléaire (déchets, risque d’accident, coûts du démantèlement), occulte les impacts de l’activité internationale des deux champions nationaux de l’énergie. Or du point de vue du climat, peu importe où sont émis les gaz à effet de serre.
En France, le charbon ne représente que 4 % de la production d’électricité. EDF y gère encore trois centrales au charbon : deux au Havre, une à Cordemais (Loire-Atlantique). Elles sont en cours de travaux afin d’en réduire les rejets polluants, et pourraient être opérationnelles au moins jusqu’en 2025. Une autre tranche est exploitée par CPCU (filiale d’Engie) à Saint-Ouen, et deux autres par le groupe allemand E.on. Alors que dans l’Hexagone plusieurs unités ont fermé depuis 2010, une nouvelle centrale pourrait être construite en Nouvelle-Calédonie, où les régulations européennes sur la pollution atmosphérique ne s’appliquent pas. Elle devrait alimenter en électricité une usine de nickel.
« La Grande Dame s'est éteinte »
Les énergies renouvelables hors hydraulique ne représente que 4,4 % du parc de production d’Engie, contre 14 % pour le charbon, selon le rapport des Amis de la Terre et d’Oxfam. Le thermique fossile hors gaz (charbon et fioul, tous deux très polluants) représente 9,8 % de la production électrique d’EDF dans le monde. Le charbon seul représente 6 % de l’électricité nette produite par le groupe dans le monde, selon ses chiffres internes. Hors hydroélectricité, les renouvelables ne représentent que 2,1 % (0,1 % en France), selon les Amis de la Terre et Oxfam. Mais 37 % des investissements opérationnels brut de développement vont aux renouvelables (hydro y compris), répond le groupe.
Au niveau européen, EDF est l’un des énergéticiens les moins émetteurs de CO2, du fait de son gigantesque parc nucléaire. Le groupe EDF cherche à se développer à l’international et s’adapte aux systèmes de production d’électricité des pays visés, quel que soit son discours en France sur le climat. Si leur mix est majoritairement basé sur le charbon, il se positionne sur ce créneau, en développant ces dernières années des centrales moins polluantes que les conventionnelles, dites « supercritiques » (dotées d’un rendement de 40 % contre 30 % pour les conventionnelles) ou « ultra-supercritiques » (45 % de rendement).
Mais ce n’est pas le cas de toutes ses installations. Ainsi, l’électricien figure dans la liste des cent centrales les plus polluantes au monde, établie par des chercheurs d’Oxford. Les centrales de West Burton et Cottam, en Grande-Bretagne, figurent parmi les 30 centrales à charbon les plus polluantes d’Europe. Elles représentent à elles seules un quart des émissions d’EDF dans le monde en 2013. Plus d’un quart de la production d’EDF au Royaume-Uni provient du charbon.
Engie est opérateur de centrales à charbon sur presque tous les continents. Au total, elles représentent 81 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent du bilan carbone des Philippines. C’est tristement ironique lorsque l’on se souvient que c’est depuis Manille que François Hollande a lancé son appel pour l’action contre le dérèglement climatique, au côté des actrices Marion Cotillard et Mélanie Laurent. Engie figure aussi dans la liste des centrales à charbon les plus polluantes au monde.
En 2012, les énergies fossiles ont bénéficié de cinq fois plus de subventions que les renouvelables dans le monde, selon l’AIE. Or selon de récentes évaluations scientifiques publiées dans la revue Nature, pour que le monde ait une chance de limiter la hausse des températures du globe à 2°, il faudrait laisser dans le sol 80 % des réserves de charbon, la moitié du gaz et un tiers du pétrole.
En conclusion de leur rapport, les Amis de la terre et Oxfam demandent que les entreprises dont l’État français est actionnaire s’opposent à la construction de toute nouvelle centrale à charbon et se retirent des projets existants d’ici 2020. Ils demandent aussi la publication d’études d’impact indépendantes et l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre de chacun de ses projets, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui.
De son côté, EDF tente de communiquer sur ses centrales charbon françaises en mode positif. Dans le Nord, c’est une « garden party » qui s’annonce pour célébrer la centrale de Bouchain, qui ferme car trop polluante. « Après 45 ans de bons et loyaux services, la Grande Dame s’est éteinte pour laisser place à sa petite sœur qui prendra le relais de la production d’électricité : le Cycle Combiné Gaz », explique EDF, qui insiste sur « ses liens privilégiés avec son territoire et ses riverains », mais sans évoquer le drame sanitaire de la pollution de l’air.
Au Havre, l’électricien invite à une « sortie branchée » : la visite de l’une de ses deux centrales à charbon, « pour comprendre tout se qui se passe "en dessous" des grandes cheminées du site ». Il ne reste qu’à espérer qu’ils parlent aussi de tout ce qui se passe au-dessus des grandes cheminées, en matière de pollution atmosphérique et de dérèglement climatique.
Source : http://www.mediapart.fr
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