Le rapport annuel de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur « l'état de la sûreté et de la radioprotection en France » est, traditionnellement, l'occasion de décerner bons et mauvais points aux exploitants. Le bilan de l'exercice 2014, présenté mercredi 15 avril devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), s'en est démarqué, rattrapé par l'actualité. A commencer par les « anomalies de fabrication » de la cuve de l'EPR de Flamanville (Manche).
« Il faudra qu'on ait une conviction forte, une quasi certitude, une conviction absolue » sur la fiabilité de ce « composant crucial » avant de donner le feu vert à sa mise en service, a martelé le président de l'ASN, Pierre-Franck Chevet. Ajoutant : « Je ne présage en aucune manière de la décision qui sera prise, compte tenu de l'importance de l'anomalie, que je qualifie de sérieuse, voire très sérieuse. »
Début avril, le gendarme du nucléaire a fait état de défauts sur cette pièce fabriquée par Creusot Forge, filiale d'Areva, dans son usine de Chalon/Saint-Marcel (Saône-et-Loire). Ces défauts, qui touchent à la fois le couvercle et le fond de la cuve du réacteur, conduisent à « des valeurs de résilience [capacité d'un matériau à résister à la propagation de fissures] plus faibles qu'attendu ». Un diagnostic particulièrement alarmant pour un équipement qui constitue de cœur de la chaudière nucléaire et qui doit pouvoir supporter de violents chocs thermiques sans faillir.
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Nouvelle campagne d'essais
Areva et EDF ont annoncé une nouvelle campagne d'essais de qualification, dont les résultats, attendus à l'automne, seront expertisés par l'ASN et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). M. Chevet a indiqué qu'il n'excluait pas de faire appel à des experts étrangers pour les assister.
Que se passera-t-il si les nouveaux tests ne lèvent pas les doutes sur la résistance de la cuve de l'EPR, dont la durée de vie prévue est de 60 à 100 ans ? Dans ce cas, « je ne vois pas d'autre solution que la changer », répond le patron de l'autorité de contrôle. Cela, quels qu'en soient le coût et les conséquences sur le chantier.
Risques de nouveaux retards et surcoûts
La cuve du réacteur de Flamanville, qui mesure 13 mètres de hauteur avec son couvercle pour un peu plus de 5 mètres de diamètre, a été posée en janvier 2014. Elle a été positionnée dans le « puits de cuve » situé au centre du bâtiment réacteur, et elle est déjà raccordée et soudée aux tuyauteries du circuit primaire de refroidissement. Son éventuel remplacement entraînerait donc de nouveaux retards et surcoûts, alors que le calendrier a déjà dérivé de plus de cinq ans – la mise en service, initialement prévue en 2012, a été repoussée à 2017 –, tandis que la facture grimpait de 3,3 à 8,5 milliards d'euros.
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« Hormis les questions économiques, il serait possible pour EDF de changer la cuve et d'en refaire une car le réacteur est encore en construction », a déclaré il y a quelques jours à l'AFP Thierry Charles, directeur général adjoint de l'IRSN. Pour Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaires à Greenpeace France, une cuve est au contraire « a priori irremplaçable » une fois posée.
Parc électronucléaire vieillissant
Les nouveaux déboires de l'EPR s'inscrivent dans un contexte marqué par la « nécessaire mise à niveau » de la sûreté des installations nucléaires françaises, souligne M. Chevet. « On arrive à la fin d'un cycle industriel », explique-t-il. Les 58 réacteurs du parc électronucléaire hexagonal sont vieillissants et, entre 2019 et 2025, près de la moitié d'entre eux auront atteint une durée de vie de quarante ans, celle pour laquelle ils ont été conçus.
« Une éventuelle prolongation n'est nullement acquise », rappelle le président de l'ASN. Il voit dans le réexamen de sûreté approfondi qui sera mené lors de la visite décennale des quarante ans « un enjeu comparable à celui qu'a représenté la construction des réacteurs » dans les années 1970 et 1980.
Les travaux préalables à une prolongation, ainsi que les mesures de renforcement imposées à la suite de la catastrophe de Fukushima, le 11 mars 2011 au Japon, constituent « des chantiers extrêmement lourds et complexes », insiste l'ASN. Ils exigent que les réacteurs « se rapprochent des meilleurs standards de sûreté ». Ceux qui étaient jusqu'ici attribués à l'EPR... avant qu'on y découvre une cuve à l'acier déficient.