Source : http://www.mediapart.fr
24 mars 2015 | Par Lucie Delaporte
L'association Sherpa a déposé plainte ce mardi contre le groupe français de BTP Vinci qu'il accuse de pratiquer du travail forcé sur les chantiers du Mondial de foot au Qatar.
L’association Sherpa a déposé plainte ce mardi au tribunal de Nanterre contre le groupe de BTP français Vinci qu’il accuse d’avoir recours au travail forcé sur les chantiers du Mondial 2022. « Selon l’association, Vinci, via sa filiale qatarie QDVC, emploie directement et par le biais de nombreux sous-traitants de droit qatari des milliers de travailleurs sur place », or assure Sherpa, « les enquêtes menées sur place concluent à l’utilisation par ces entreprises de menaces diverses pour contraindre une population vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement indignes et à une rémunération dérisoire ».
Le Parisien qui révèle l’affaire a mis en ligne le témoignage vidéo d’un ouvrier qui travaille sur le chantier de Lusail city, une ville qui accueillera des matchs de la Coupe du monde de foot en 2022. Il y affirme s’être fait confisquer son passeport par son employeur, à savoir QDVC, une filiale à 51 % de Qatari Diar et à 49 % de Vinci Construction.
L’entreprise a répliqué dans un communiqué que tous les « collaborateurs » de la filiale qatari avaient un « libre accès » à leur passeport et que « les temps de travail et de repos sont strictement respectés ».
Sherpa a parallèlement lancé une pétition pour demander à la garde des Sceaux d’ordonner au plus vite l’ouverture d’une enquête sur les pratiques de Vinci au Qatar.
Une plainte a été déposée hier par l'ONG Sherpa contre la filiale du groupe français travaillant dans l'émirat sur divers chantiers du Mondial 2022.
Une accusation lourde et rare. Contre les pratiques d'une entreprise à part. Dans un pays unique en son genre. L'association de défense des victimes de crimes économiques, Sherpa, accuse le géant du BTP français Vinci de pratiquer une forme « d'esclavage moderne » au détriment des ouvriers travaillant sur les gigantesques chantiers qu'il pilote au Qatar.
Stades, transports publics, hôtels... Ces derniers mois, les médias britanniques avaient déjà révélé les conditions de travail déplorables sur les chantiers liés à la Coupe du monde de football 2022. Mais, pour la première fois, un champion français, coté au CAC 40, est mis en cause.
Un dossier sensible
Dans une plainte très documentée (plusieurs dizaines de pages) qui a été transmise hier au parquet de Nanterre (Vinci a son siège social dans les Hauts-de-Seine), l'association Sherpa dénonce des faits de « travail forcé » et de « réduction en servitude ». Des termes graves, réfutés par Vinci qu'on n'avait pas entendu depuis l'affaire Total en Birmanie il y a plus de dix ans. Le procureur de Nanterre décidera d'ouvrir une enquête ou de classer sans suite la plainte contre Vinci Construction grands projets et plusieurs de ses dirigeants. Un dossier sensible sachant que le Qatar est un partenaire économique privilégié de la France. Notre journal s'est rendu au Moyen-Orient pour constater quelles sont les conditions de vie et de travail des ouvriers (majoritairement indiens, népalais, pakistanais) sur les chantiers et dans les camps de travailleurs de Doha, la capitale du Qatar. Sur place, les standards sociaux sont visiblement très éloignés des pratiques occidentales.
VIDEO. Mondial au Qatar : Sherpa porte plainte contre Vinci pour travail forcé
« Nous faisons des efforts permanents pour améliorer le sort des travailleurs migrants », précise-t-on à l'ambassade du Qatar en France, qui évoque « 90 textes » mis en place ces derniers mois pour réformer leurs conditions de vie et de travail telles que le règlement des salaires par virement bancaire ou le remplacement programmé de la très décriée « Kafala » par un contrat de travail. Le représentant de l'Emirat, qui chiffre à plus d'un million et demi le nombre de résidents étrangers dans son pays (soit plus de 80 % des habitants) met aussi en avant une « responsabilité partagée » avec les pays qui « envoient des travailleurs » au Qatar (Népal, etc.) en leur « promettant l'eldorado ».
B.C. et M.P.
Du côté de l'Emirat, on répond ne pas avoir attendu Sherpa pour se saisir du dossier des travailleurs migrants. « Le ministère du Travail qatarien emploie plus de 200 inspecteurs. Leur nombre sera porté à 300 dans un futur proche », assure-t-on à l'ambassade du Qatar à Paris, insistant sur la révision prochaine du nœud du problème : la « kafala ». Ce système obligatoire de « parrainage » de tout étranger par un Qatarien maintient le travailleur immigré dans une relation de dépendance. Les étrangers doivent ainsi obtenir le consentement de leur patron s'ils souhaitent changer d'emploi. Et c'est bien une application très stricte, voire abusive, de ce système qui est reproché par Sherpa à QDVC, la filiale qatarienne de Vinci Construction grands projets. Au fond, l'ONG ne demande aux dirigeants de Vinci que d'appliquer l'engagement n° 1 de leur charte d'éthique : « Agir en employeur responsable ».
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