Le dispositif de surveillance installé dans les détecteurs de fumée (Cerise Simet/Rue89)
Pour en avoir le cœur net, nous reproduisons l’opération avec les détecteurs de fumée installés à la rédaction et chez trois de nos journalistes. Malgré les lois en vigueur sur la protection des sources, les mêmes composants y ont bien été implantés.
Les fabricants, muets comme des carpes
Aucun fabricant de détecteurs de fumée n’a accepté de répondre à nos questions. Certains se retranchent derrière une simple formule : « Nous ne communiquons pas à ce sujet. » D’autres, plus agressifs, refusent de s’exprimer sur « des allégations mensongères » ou balaient « les élucubrations d’un pseudo-hacker qui se croit malin ».
Mais nos appels répétés ont visiblement semé la panique au sein de ces entreprises. Un ancien salarié, qui a eu vent de nos sollicitations infructueuses, se manifeste quelques jours plus tard. Cet informaticien de 38 ans a été licencié mi-mars, après onze ans d’une carrière sans accroc chez le numéro deux français des détecteurs de fumée.
Très nerveux, l’homme enchaîne cigarette sur cigarette et affirme craindre pour sa vie. « Vous ne comprenez pas à qui vous avez affaire », répète-t-il.
Mi-janvier 2015, cet administrateur système surprend les dirigeants et les représentants juridiques de son entreprise à l’issue d’une réunion à huis clos. Entre deux portes, ces derniers évoquent rapidement les attentats de la semaine précédente, et un mystérieux projet, intitulé « opération Smog », avant de se séparer.
Alerté, le technicien décide de jeter un œil aux documents internes de sa boîte. Et tombe sur d’étranges échanges de mails entre les plus hauts responsables de la compagnie. L’un écrit ainsi :
« Ils veulent détecter les actes terroristes le + tôt possible [sic] ! Ils parlent d’installer une espèce de boîte noire qui détectera ce qu’ils appellent des “signaux faibles”. J’ai pas bien compris mais en gros, nos détecteurs sont pour eux les relais parfaits. »
L’informaticien fouine trop. Trahi par l’historique de ses faits et gestes sur le réseau de l’entreprise, il se retrouve progressivement mis à l’écart : ses accès à l’intranet sont limités puis révoqués. Déchargé de tout travail effectif, il s’est senti « placardisé » jusqu’à son licenciement pour insuffisance professionnelle. Aujourd’hui au chômage, ce lanceur d’alerte garde une certaine amertume contre sa hiérarchie :
« Des requins prêts à tout pour que l’opération Smog reste confidentielle. »
Une liste de 37 mots
Opération Smog. C’est ainsi qu’a été baptisée cette manœuvre digne d’un roman d’espionnage. A la demande des principaux services de renseignement français – DGSI, DGSE, DPSD, DRM, DNRED, Tracfin –, chaque fabricant devait paramétrer les détecteurs pour les rendre capables de capter le bruit ambiant.
L’enregistrement et la transmission des conversations aux services concernés, par le biais des box wifi installées chez les particuliers, ne se déclenchent que si certains mots sont prononcés.
Grâce à l’administrateur système cité plus haut, Rue89 s’est procuré cette liste de 37 mots et expressions (voir le document).
Si certains paraissent légitimes à des fins de renseignement, de contre-espionnage et de lutte contre la criminalité organisée, d’autres posent davantage question.
- « djihad » ;
- « maquereau » ;
- « sans-dents » ;
- « cocaïne » ;
- « Illuminati » ;
- « DCRI » ;
- « Merci pour ce moment » ;
- « 2017 » ;
- « Corse » ;
- « Gayet » ;
- « main qui tremble » ;
- « Sommes-nous en dictature ? » ;
- « Tor » ;
- « Coulibaly » ;
- « Delphine Batho » ;
- « Bygmalion » ;
- « Allah Akbar » ;
- « centrale nucléaire » ;
- « drone » ;
- « ambassade des Etats-Unis » ;
- « ambassade du Pérou » ;
- « tchétchène » ;
- « meurtre » ;
- « Sarkozy » ;
- « assassiné » ;
- « gros poisson » ;
- « complot » ;
- « Je vais récupérer le colis » ;
- « partir en Syrie » ;
- « World Trade Center » ;
- « Kalachnikov » ;
- « Ben Laden » ;
- « drogues » ;
- « ETA » ;
- « Paris-Istanbul pas cher » ;
- « Fabrice Arfi » ;
- « parapluie bulgare ».
A la lecture de cette liste, on peut supposer qu’elle n’est que parcellaire : pourquoi « Coulibaly » mais pas « Kouachi » ? Pourquoi « Gayet » mais pas « Trierweiler » ? Pourquoi « DCRI » mais pas « DGSI » ? Incompréhensible.
Violation de la vie privée à grande échelle
Ces informations font vivement réagir Adrienne Charmet, de La Quadrature du Net :
« Si les faits sont avérés, on peut estimer qu’un palier a été franchi. Nous nous inquiétions, à juste titre, de la loi sur le renseignement, mais cette affaire-là est complètement inattendue. Il s’agirait de pratiques illégales, barbouzardes, qu’aucun gouvernement démocratique ne peut cautionner. »
D’autres comprennent au contraire les motivations de l’opération Smog, comme le sénateur de la Vienne Jean-Pierre Raffarin (UMP), président de la délégation parlementaire au renseignement :
« La vie, ce n’est pas Disneyland. Ce n’est pas blanc ou noir. En l’occurrence, nous sommes dans une zone grise, sur une ligne de crête entre la sécurité de nos concitoyens et la nécessaire protection des libertés individuelles.
Sur ce sujet, le gouvernement a décidé d’avancer sans consulter l’opposition. Je le regrette. Mais je suis aussi conscient de la lourde responsabilité qui pèse sur les hommes et les femmes qui s’occupent de notre sécurité au quotidien.
La délégation parlementaire au renseignement a été informée en temps voulu. Il ne nous est pas apparu que la vie privée des Françaises et des Français était menacée par ce projet.
J’ai toute confiance dans le professionnalisme de nos services, qui savent faire la différence entre certains mots prononcés, relevant de la simple provocation, et d’autres prononcés avec une intention équivoque. Vous comprendrez que je n’en dise pas plus sur le sujet. »
« Je ne fais que mon travail »
Les services de renseignement sauront-ils vraiment faire la différence ? Pas sûr. Un témoignage met déjà en lumière les premiers ratés du système.
Un poissonnier de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et lecteur assidu de Rue89, Michel D., a appelé la rédaction la semaine dernière. Il affirme avoir passé de longues heures en garde à vue, dans les locaux de la DGSI à Levallois-Perret, le 18 mars.
Selon lui, les enquêteurs lui posaient exclusivement des questions sur un mot qu’il aurait prononcé chez lui, à plusieurs reprises : « maquereau ». Sans explications, il dit avoir été relâché sans poursuites le lendemain.
La DGSI n’a pas donné suite à nos appels. Michel D., lui, reste secoué par la mésaventure :
« Je ne comprends pas. Je ne fais que mon travail, je n’ai rien à me reprocher. »
Il envisage désormais de se débarrasser de son détecteur de fumée.
POISSON D'AVRIL !
Source : http://rue89.nouvelobs.com
POISSON D'AVRIL !
Lu et relayé le 31 mars au soir,.. Vigilance, quand tu nous lâches !
Vous y avez cru...moi aussi pour être honnête. Ca ne paraitrait même plus étonnant..
Cette fois ce n'était qu'un poisson d'avril, espérons que cela ne leur donne pas l'idée de la mettre à excécution...
Source : http://rue89.nouvelobs.com
Making of 01/04/2015 à 14h46
Les détecteurs de fumée espions, notre poisson d’avril 2015
« Les Dents de la mer », de Steven Spielberg, 1975
Pas la peine de désosser vos détecteurs de fumée, aucun micro n’est caché à l’intérieur (enfin, on l’espère !). L’article que vous avez lu ce mercredi matin n’était que le fruit de nos imaginations. Tout était faux.
Nous sommes bien le 1er avril et comme les années précédentes, la rédaction se creuse la cervelle pour vous piéger (un peu) et vous faire rire (beaucoup). Souvenez-vous :
- en 2008, on inventait une commission chargée de sauver le point-virgule à l’Elysée ;
- en 2009, l’équipe de Rue89, aidée par des hackers, retrouvait le tome 4 de « Millénium » ;
- en 2010, un logiciel, le B-6, prenait toutes les décisions à la place de Nicolas Sarkozy ;
- en 2011, l’enregistrement de la chanson de Carla Bruni « N’y retourne pas » était mis en ligne par Rue89 ;
- en 2012, nous avions retrouvé la victime du fameux « Casse-toi pov’ con ».
- en 2013, Rue89 publiait la chronique de « 50 Shades of Grey » écrite par Valérie Trierweiler et censurée par Paris-Match ;
- en 2014, Jean-François Copé arrêtait les concerts de piano, pour paraître plus viril après le succès de La Manif pour tous.
-
Merci à nos complices
Le lanceur d’alerte, ancien salarié d’un fabricant de détecteurs de fumée, et la victime du dispositif sont des personnages fictifs.
En revanche, nous avons bien contacté Jean-Pierre Raffarin, qui a accepté de se prêter au jeu. Merci à lui pour sa complicité, et à Adrienne Charmet, de La Quadrature du Net, qui était aussi dans la confidence.
« Tom-le-hacker » est en réalité un membre de l’équipe de Rue89, bon comédien qui porte à merveille la cagoule. Merci d’avoir démonté un détecteur de fumée devant notre caméra.
Certains d’entre vous y ont cru, ou ont douté. Depuis ce mercredi matin, nous avons reçu trois appels téléphoniques au standard de la rédaction pour savoir s’il s’agissait d’un poisson d’avril, et plusieurs mails. L’un d’entre eux estime que cet article engage la « responsabilité morale » de Rue89 si « certaines personnes peu avisées » jetaient leur détecteur de fumée et « mourraient ensuite dans un départ d’incendie ».
Quelques indices auraient pu vous mettre la puce à l’oreille :
- la journaliste qui a signé l’enquête, Cerise Simet, ne fait son apparition sur Rue89 qu’une fois par an : le 1er avril ;
- dans l’intertitre, les fabricants sont « muets comme des carpes » ;
- le « lanceur d’alerte » se méfie des « requins » ;
- la liste de mots-clés comprend les expressions « gros poisson » et « maquereau » ;
- le dernier témoin interrogé exerce la belle profession de poissonnier.
Les poissons auxquels vous avez échappé
Cette année encore, vous avez échappé à tout un banc de poissons d’avril. Pendant sa réunion secrète avec ses consultants piscicoles, Zineb D. et Pascal R., la rédaction a sérieusement envisagé la piste des « drones survolant Paris qui étaient en fait envoyés par l’industrie du porno » (chipé par L’Obs), d’autres préférant éclaircir le mystérieux phénomène par « un jeu de piste entre patrons du CAC 40 ».
Les idées ont fusé, entre l’invention d’un « médicament qui permette de changer d’orientation sexuelle pendant une journée », « une grève de Daech pour l’augmentation des salaires » ou encore l’idée récurrente de faire « un truc avec BHL ». Un jour peut-être.
Cette année, le traditionnel poisson d’avril de Rue89 est pris dans une actualité particulière. Ce mercredi, la commission des lois de l’Assemblée nationale examine (pour de vrai) un projet de loi sur le renseignement.
Si les détecteurs de fumée espions relèvent du fantasme, les « boîtes noires » destinées à la surveillance des communications, elles, sont bien réelles. Et inquiétantes.
Espérons que notre petite plaisanterie attirera l’attention sur ce texte, qui pour l’instant ne vous enflamme pas.
Source : http://rue89.nouvelobs.com