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La courbe réalisée par Eric Chaisson montrant l’énergie dissipée par unité de masse en fonction de l’âge d’apparition (François Roddier, « Thermodynamique de l’évolution », Parole Editions, 2012, p. 50)
L’homme est tout en haut, puisqu’on est les seuls à avoir une industrie, à construire des automobiles, ça dissipe beaucoup plus d’énergie. Savez-vous combien ça coûte de monter une voiture en haut de la Tour Eiffel, soit une tonne élevée de 300 mètres ? Ça coûte 30 centimes d’euros, c’est le prix du kilowattheure aujourd’hui [chaque Français consomme en moyenne 7 292 kilowattheure par an, ndlr]. Ça montre bien combien on consomme et donc combien on dissipe une énergie considérable. La dissipation à grande échelle avec des machines, ça a commencé au Moyen-Age, avec les moulins à eau, ça n’a fait que s’accélérer depuis.
On en arrive au troisième principe de thermodynamique, qui est encore en débat et qu’on appelle le principe de production maximale d’entropie. Le premier à avoir essayé de le démontrer, c’est un Ecossais, physicien, spécialiste des arbres, il s’appelle Roderick Dewar. Il a publié une première démonstration qui n’est pas encore totalement satisfaisante.
Même si elle n’est pas totalement démontrée, cette loi est conforme à l’expérience. Elle avance que les systèmes dissipatifs maximisent le taux de production d’entropie, c’est-à-dire qu’ils maximisent la vitesse à laquelle ils dissipent l’énergie.
Tout organisme vivant cherche à dissiper le plus d’énergie possible. On peut lire ainsi la compétition darwinienne des espèces. Celui qui l’emporte c’est celui qui dissipe le plus d’énergie. Parmi les animaux, ce sont les plus gros prédateurs qui dissipent le plus d’énergie. Pour les sociétés humaines, le pays qui domine l’économie est aussi celui qui dissipe le plus d’énergie, les États-Unis.
Dans la nature, on voit aussi beaucoup de formes de coopération. Cela veut dire qu’il y a des contextes où cette troisième loi ne s’applique pas ?
Il y a des cycles, des oscillations autour d’un point critique, où l’on passe de la coopération à la compétition. Tout ça, c’est visible sur une courbe, avec deux phases et entre les deux, il y a un point critique. Quand il n’y a pas assez d’énergie, la seule solution est de coopérer, tout seul on n’y arrive pas. Au-delà d’un certain seuil, l’énergie est suffisante pour tous, la compétition prend le dessus.
Comment mesure-t-on la quantité d’énergie qui est dissipée par une société humaine ?
Le PIB est une très bonne mesure de la dissipation de l’énergie. Les courbes qui montrent les liens historiques entre la croissance de consommation de pétrole et la croissance du PIB sont très parlantes. Là-dessus je ne suis pas d’accord avec les écologistes qui renient complètement le PIB, c’est un très bon indicateur de la dissipation de l’énergie.
Vous évoquez le pétrole, vos raisonnement s’appliquent aussi bien à une civilisation qui s’appuie sur une énergie non fossile ?
Ce qui est sûr, c’est que l’énergie solaire a un potentiel énorme. Le problème c’est qu’elle est très diffuse. L’énergie solaire vient à nous petit à petit, c’est pour ça que la vie a eu le temps de se développer, si elle était tombée d’un seul coup ça aura été l’incendie, il n’y aurait probablement pas eu de vie.
Le gros problème du pétrole c’est que c’est trop facile, le jour où l’humanité a découvert le pétrole, elle a changé de dimension, elle s’est mise à dissiper de l’énergie de plus en plus vite juste en forant des trous. On n’aura pas le temps de remplacer le pétrole par l’énergie solaire avant la fin du pétrole.
Vous parlez souvent de l’information. Pour vous c’est une forme de grandeur physique au même titre que celles que vous venez de citer ?
Dans les bouquins de thermodynamique, on trouve souvent un petit dessin qui montre une locomotive qui avance avec de l’information. La vie c’est une machine qui avance avec l’information.
Les animaux doivent chercher de la nourriture. Ils ont besoin pour ça d’information, qui est dans leur cerveau. Dans mon livre, je cite une bactérie, qui se dirige toujours vers sa nourriture. Aux yeux d’un biologiste, c’est un début d’intelligence, basée sur de l’information. Pour un physicien, c’est la loi de Le Châtelier, qui dit que les réactions se font toujours de manière à diminuer les gradients. Là, le gradient c’est le tas de nourriture.
La bactérie est un système dissipatif qui obéit aux lois de la thermodynamique en allant réduire le gradient de nourriture, et elle le fait grâce à l’information. De même, nous vivons dans une mer d’énergie, l’énergie est partout, le tout pour l’homme c’est de réussir à l’utiliser. Pour ça il faut de l’information.
Les civilisations s’effondrent et se reconstruisent grâce à l’information. Après la chute de l’empire Romain, la civilisation s’est reconstruite grâce aux informations détenues dans les couvents et par les moines copistes. Tout ce que les Grecs et les savants de l’époque, Archimède, Euclide, Platon et Aristote, ont trouvé nous est resté comme ça.
Jamais l’humanité n’a consommé autant d’énergie ni produit autant d’information qu’aujourd’hui. La production d’information et la consommation d’énergie sont-elles proportionnelles ?
La quantité d’énergie dissipée est proportionnelle à la quantité d’information produite, oui.
Le numérique a permis une production d’information impressionnante avec une consommation d’énergie relativement faible, est-ce un motif d’espoir pour vous ?
Heureusement qu’il y a ça. C’est peut-être ce qui nous fera sortir du choc de la fin du pétrole. Sans cette masse d’informations, on aurait du mal à s’en remettre. Je vous ai dit qu’à la fin de l’empire romain, l’information était dans les couvents, aujourd’hui elle est sur Internet. Il y aura beaucoup de pertes, tout comme la bibliothèque d’Alexandrie a été brûlée, mais c’est grâce à cette information que l’humanité pourra repartir.
Peut-on mesurer et anticiper le moment où une société humaine traverse un point critique ?
Quand on manque d’énergie et que toutes les entreprises font faillite, on peut dire qu’on atteint un point critique. C’est pour ça que je fais l’effort de vulgariser ces notions, c’est pour alerter sur le fait qu’on va traverser le point critique, c’est-à-dire l’effondrement de notre civilisation actuelle.
Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?
Plus rien ne marche, l’économie s’est arrêtée.
Elle stagne mais elle n’est pas complètement arrêtée !
On essaye de la maintenir en activité, oui. On est dans une sorte d’état de surfusion, comme ce qu’il peut se passer lors du passage de l’état liquide à l’état solide. Vous mettez une bouteille au congélateur pendant 2h30, vous la sortez, elle a l’air encore liquide alors qu’elle est déjà en dessous de zéro degré. Il suffit alors d’un tout petit choc pour qu’elle se transforme en glace. Il y a des vidéos sur YouTube là-dessus. Le passage entre les deux est une transition abrupte, c’est ce qu’il risque de nous arriver.