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Le Monde.fr | 14.03.2015 à 12h18 • Mis à jour le 14.03.2015 à 13h29 | Par Rémi Barroux
Treize représentants de mouvements d’opposition à des chantiers jugés inutiles, voire nuisibles, sont reçus samedi 14 mars par le sénateur (PS, Val d'Oise) Alain Richard, chargé par la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, d'une mission sur la « démocratisation du dialogue environnemental ». Nommé à la mi-janvier à la tête d'une équipe réunissant une cinquantaine de représentants d'associations (France Nature Environnement, Fondation Nicolas Hulot, Humanité et biodiversité...), d'organisations patronales (Medef, CGPME...), de syndicats, de parlementaires, d'établissements publics comme l'Ademe, d'experts, etc. l’ancien ministre de la défense devrait rendre ses conclusions à la mi-mai.
Ce dossier sensible a été ouvert par François Hollande à l'occasion de la conférence environnementale, le 27 novembre 2014. Un mois après la mort de Rémi Fraisse, jeune militant écologiste tué le 26 octobre par une grenade tirée par un gendarme sur le chantier d'un barrage dans la forêt de Sivens (Tarn), le chef de l'Etat déclarait : « Ce projet de barrage a ses partisans et ses détracteurs. A un moment, il va falloir choisir. Mais pour choisir, nous devons être conscients des limites qui existent aujourd’hui dans le débat démocratique ».
« Nouvelles règles du jeu »
Début janvier, lors d'une réunion du Conseil national de la transition écologique, Mme Royal a annoncé la mise en place de cette commission présidée par M. Richard, attendant de ses travaux « l'émergence de nouvelles règles du jeu permettant au pays de s'engager de façon irréversible dans une nouvelle démocratie environnementale ».
Certes, la plupart des mouvements qui se rendent samedi au ministère de l'écologie, pour y rencontrer Alain Richard, n'ont que peu d'illusions sur cette « démocratisation ». « Sans illusion sur la volonté réelle du gouvernement d'aboutir à des méthodes décisionnelles plus démocratiques parce que certains de nos mouvements ont déjà vécu des parodies de concertation et que notre confiance est à peu près réduite à zéro », préviennent-ils. Ils s’inquiètent aussi des modifications sur les délais d’autorisation et la simplification des procédures prévues dans la loi Macron.
Mais, hostiles à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), au nouveau tunnel ferroviaire pour la ligne Lyon-Turin, au barrage de Sivens, à la Ferme des 1 000 vaches (Somme), au Center Parc de Chambaran à Roybon (Isère), au centre d'enfouissement de déchets nucléaires à Bures (Meuse) ou encore à la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges, ces différents mouvements se sont coordonnés pour proposer des solutions aux nombreux dysfonctionnements qui, selon eux, ont entaché l'émergence de ces projets.
Occupation du terrain
« S'il a fallu s'opposer au démarrage des travaux par une occupation du terrain, c'est bien parce que les procédures du débat public “à la française” ont montré leurs failles », écrivent-ils, revendiquant l'existence des ZAD (« zone à défendre ») sans lesquelles leurs combats n'auraient pas connu un tel écho médiatique. Mais c'est sur le fond du dossier et sur leurs expertises que ces associations veulent être entendues. Après un mois et demi d'échanges de mails et d'avis aussi divers que leurs combats peuvent l'être, ils ont élaboré une vingtaine de propositions « concrètes ».
A l’appui de leurs arguments, les auteurs de cette plateforme citent les exemples de dysfonctionnements observés dans différents cas. Ils veulent d'abord intervenir « en amont », remettant en question la notion d'utilité publique. « Pour beaucoup de projets (…) (ligne grande vitesse, aéroport, parc de loisirs, barrage, voie routière, stockage de déchets, etc.), il est beaucoup plus compliqué d'établir ce qu'est l'intérêt général », contrairement à la construction d'un nouveau collège ou une nouvelle école, avancent-ils. Il faut donc que le premier temps de la concertation porte sur l'expertise « du besoin censé justifier le projet ». Et que soient proposées d'autres solutions crédibles et alternatives.
« Saucissonnage » des procédures
Les opposants contestent le « saucissonnage » des procédures et leur durée dans le temps qui aboutissent à des impasses. Une fois les déclarations d'utilité publique prononcées, ils constatent que « tout retour en arrière devient impossible », même si des études environnementales remettent en cause tel ou tel aspect du dossier. Selon eux, il faudrait alors « reprendre les procédures de concertation en cas de modification substantielle du projet après déclaration d'utilité publique ».
Ces associations estiment que les préfets, représentants de l’Etat, défendent systématiquement les intérêts de ces grands chantiers, en ne respectant pas les recommandations ou les avis de commissions d'enquête, quand ceux-ci sont défavorables au projet. Les auteurs de la plateforme souhaitent que les recours juridiques contre les arrêtés soient suspensifs du démarrage des travaux.
Egalité des financements
S'appuyant sur les exemples de Notre-Dame-des-Landes, du Lyon-Turin, de l'autoroute ferroviaire Dax-frontière espagnole ou encore du chantier de l'A65, l'autoroute de Gascogne entre Langon (Gironde) et Pau (Pyrénées-Atlantiques), ils revendiquent par ailleurs plus de transparence en exigeant « l'accès à tous les documents », une lutte plus efficace contre les conflits d'intérêts et une garantie du caractère contradictoire des expertises et des études, permettant « l'égalité des financements ». Ils veulent aussi interdire l'utilisation de l'argent public « pour des actions de communication institutionnelle qui promeuvent les projets auprès du grand public et s'apparentent le plus souvent à du lobbying ».
Pour tous ces mouvements, en lien direct avec les « zadistes » qui sont, eux, rarement structurés en association et peu enclins à venir discuter avec le gouvernement, il ne faut pas laisser ce débat aux seuls élus et représentants institutionnels. « La représentation par les élus locaux, mandatés pour six ans, si elle est légitime, ne peut prétendre être l'unique forme de démocratie », assure Françoise Verchère, coprésidente du Cedpa, le Collectif d'élus Doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et l'une des rédactrices du texte.
Sceptiques sur les référendums
Reçus par M. Richard dès les débuts des travaux de la commission, les opposants à ces projets d'infrastructure, espèrent peser dans la discussion, même si des points de débat demeurent entre eux. Ainsi, la proposition de référendum local avancée par le chef de l'Etat et reprise récemment par la ministre de l'écologie à propos de Notre-Dame-des-Landes, ne séduit pas tout le monde. « Nous sommes circonspects sur cette proposition car les questions que pose un référendum sont nombreuses : le périmètre, la formulation de la question (...), le temps de l'information de la population, les moyens matériels et financiers donnés aux parties présentes, tout peut être sujet à débat... et à manipulation », concluent les auteurs.
La participation du public « aussi efficace que possible et en amont du projet », ainsi que veut l'instaurer Alain Richard, reste encore à concevoir. Trois séries d'auditions et cinq réunions de la commission sont prévues dans les prochaine semaines pour mener à bien ce grand et utile chantier.
Journaliste au Monde
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