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21 mars 2015 6 21 /03 /mars /2015 22:36

 

Source : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs

 

Emprunts toxiques : les départements pris au piège de taux d'intérêt démesurés

Le Monde.fr | 21.03.2015 à 12h12 | Par Mathilde Damgé

 

 

Alors que les élections départementales mettent en lumière des situations budgétaires problématiques, les « emprunts toxiques » s'invitent dans la campagne. Exemples dans le Rhône, l'Ain et la Seine-Saint-Denis.

L'histoire de ces produits financiers et des affres dans lesquelles ils ont plongé près de 1 500 collectivités publiques – communes, départements, hôpitaux – commence dans les années 1990. Avec la décentralisation, les collectivités voient leurs attributions augmenter et s'endettent en recourant à des produits à la mode sur les marchés financiers, des produits dits « structurés ».

 

Lire : Tout comprendre des emprunts toxiques en dix questions

 

Ces produits financiers étaient très attractifs parce qu'ils proposaient dans un premier temps des taux d'intérêt bien plus intéressants que le marché, mais ils comportaient une deuxième phase qui se déclenchait au bout de quelques années et comprenait une part de risque importante, liée à l'évolution d'indices, de monnaies...

Un risque qui s'est matérialisé avec la crise financière de 2008 : les taux explosent et les collectivités se retrouvent au bord du gouffre. Un paradoxe cruel : alors qu'aujourd'hui les taux d'emprunt sont au plus bas (le taux directeur de la Banque centrale européenne est descendu près de zéro), certaines collectivités doivent faire face à des taux d'intérêts qui atteignent jusqu'à 56 % (dans le cas du syndicat des ordures de la ville de Saint-Germain-en-Laye, le Sidru).

Le musée des Confluences à Lyon

L'exemple du Rhône

Dans le Rhône, les taux d'intérêts à régler par le conseil général ont grimpé jusqu'à plus de 27 % sur un premier prêt, près de 20 % pour un deuxième et 9 % avec le troisième. Les trois emprunts, qui ont financé en partie le musée des Confluences, à Lyon, ont été contractés auprès de la SFIL, la structure qui a remplacé Dexia après que celle-ci eut fait faillite, et indexés sur l'évolution de l'euro par rapport au franc suisse, qui s'est envolé dans les derniers mois.

Deux autres emprunts, avec Dexia cette fois, et indexés sur l'évolution du dollar par rapport au yen, ont été soldés en 2013 avec des pénalités totales de 36 millions d'euros. Au total, il resterait 135 millions d'euros d'emprunts toxiques, si l'on se fie au budget primitif 2015 du département – transférés en partie à la métropole de Lyon depuis sa création, le 1er janvier.

Une situation moins dramatique qu'en 2009, quand la ville avait huit emprunts structurés pour un total de 460 millions d'euros de crédits. Mais qui reste une question centrale dans l'élection à venir, l'UMP Christophe Guilloteau, qui n'a jamais participé à l'exécutif départemental, ne manquant pas de pointer la responsabilité de son adversaire centriste Daniel Pomeret.

Le département est en contentieux avec la banque sur les trois prêts encore en cours. Cette dernière demande 380 milllions d'euros pour annuler les emprunts ; le tribunal de Nanterre tranchera le 26 mars.

Indemnités délirantes

380 millions d'euros d'indemnités pour annuler 135 millions d'emprunt... La situation, aussi ubuesque qu'elle apparaisse, n'est pas isolée : dans l'Ain, c'est le Crédit agricole qui est à l'origine d'un des prêts les plus risqués. Un emprunt sur 20 ans, une durée qui dépasse largement celle du mandat. La banque mutualiste demande 34 millions d'euros d'indemnités pour rembourser par anticipation le capital restant dû, qui est lui de 14 millions.

Les taux continuant de s'envoler (près de 30 %), le département de l'Ain a décidé de suspendre unilatéralement une partie de ses remboursements sur ce prêt et a porté l'affaire en justice. Il est aussi en contentieux avec la SFIL concernant un autre prêt de 16 millions d'euros. A fin 2014, il reste au total 133 millions d'euros d'emprunts toxiques dans les comptes de l'Ain, soit 41 % de la dette.

Les collectivités les plus touchées sont souvent tentées de passer par les tribunaux qui, pour l'instant, leur donnent plutôt raison. Les instances chargées de la surveillance des comptes publics sont en revanche moins claires dans leurs décisions : ainsi, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a intimé au département de l'Ain de rembourser sa dette au Crédit agricole, jugeant qu'il s'était enferré dans son erreur, alors qu'elle avait pris une décision contraire dans le cas de la commune de Sassenage, située dans la même région.

Lire aussi : Collectivités locales : alerte aux déficits

Pas de garde-fou

Plus grave, certaines de ces chambres régionales n'ont pas du tout vu venir le problème. Département emblématique de la lutte contre les emprunts toxiques, la Seine-Saint-Denis incarne ainsi les limites de la puissance publique en termes de supervision : si les élus ont été bernés, les autorités de surveillance auraient dû tirer la sonnette d'alarme.

Or, il n'y a pas eu de garde-fou efficace puisque dans un premier temps, la chambre régionale des comptes passe complètement à côté des emprunts toxiques souscrits par les équipes financières du conseil général. Dans un rapport de 2006, elle note que « le département a bénéficié de la baisse significative des frais financiers résultant de la baisse des taux d'intérêt ».

Du côté du citoyen, qui peut demander des comptes à ses élus, il est certes possible de consulter le budget primitif et le compte administratif, comme pour les communes, mais il faut encore savoir lire ces tableaux et y débusquer les emprunts toxiques.

 

La puissance publique juge et partie

Le cas du « 93 » est aussi révélateur des contradictions de la puissance publique, laquelle se retrouve juge et partie depuis qu'elle a sauvé Dexia. En somme, l'Etat, actionnaire de la SFIL, décidera comment indemniser les victimes de cette dernière.

« J'avais découvert, lorsque je fus élu à la présidence du conseil général de Seine-Saint-Denis en 2008, que 97 % de la dette du département contractée par mes prédécesseurs était constituée d'emprunts toxiques », explique Claude Bartolone sur son blog.

Le second département le plus endetté de France (1,13 milliard d'euros) est l'un des seuls à publier, comme le demande la puissance publique, un état détaillé de sa dette : cette dernière montre que le département a encore une exposition au risque bien supérieure à la moyenne nationale. Mais la Seine-Saint-Denis a réussi à assècher considérablement son volume d'emprunts toxiques : il n'en resterait plus qu'environ 150 millions d'euros.

Or depuis qu'il a été nommé à la présidence de l'Assemblée nationale, le socialiste Claude Bartolone a singulièrement changé d'attitude à l'égard des victimes des emprunts toxiques – au rang desquelles il rangeait son département.

« La loi du 29 juillet 2014 sur les emprunts structurés est une victoire de la présente majorité contre la finance folle. Elle est une victoire contre les menaces qui inquiétaient les collectivités locales victimes des spéculateurs financiers, en créant un fonds ad hoc destiné à les apaiser », explique-t-il encore. Cette loi entérine la validation rétroactive de ces emprunts à risque et préserve les intérêts de l'Etat.

Elle avait d'ailleurs scandalisé ses camarades d'Acteurs publics contre les emprunts toxiques (Apcet), l'association qu'il a créée pour venir en aide aux collectivités victimes de ces produits financiers. Apcet avait jugé cette loi « désastreuse pour les finances locales [...] au moment même où plusieurs décisions de justice donnaient raison aux collectivités, en ramenant le taux d'intérêt de leurs prêts [...] au taux d'intérêt légal proche de 0 % ».

Concernant le fonds lui-même, en dépit de son doublement fin février, il est loin de faire l'unanimité. Les modalités d'accession restent problématiques : la collectivité doit en effet renoncer à tout recours aux tribunaux sans savoir combien le fonds de soutien pourra lui verser.

Surtout, ajoute David Barthès, attaché du groupe majoritaire au conseil général de l'Ain et responsable de la communication d'Apcet, « le montant consacré par le fonds, 3 milliards d'euros sur 15 ans, est dérisoire par rapport aux sommes en jeu : les responsables publics les chiffrent entre 13 et 18 milliards d'euros pour l'ensemble des collectivité territoriales ». L'ardoise des emprunts toxiques est donc encore loin d'être effacée.

60

départements apparaissent touchés par les emprunts toxiques au 31 décembre 2009, si l'on se fie au fichier que s'était procuré Le Monde il y a cinq ans. Et deux collectivités ultramarines : Nouvelles-Calédonie et Polynésie française.

Le combat de l'Etat et des collectivités en 5 dates

  • 8 février 2013 : le tribunal de grande instance de Nanterre donne raison au département de la Seine-Saint-Denis, qui attaque Dexia Crédit local – la banque franco-belge auprès de laquelle elle a souscrit des emprunts toxiques – au motif que le contrat de prêt a été conclu sur la base de documents ne mentionnant pas le taux effectif global (TEG).
  • 25 septembre 2013 : le projet de loi de finances intègre un dispositif destiné à « apporter une solution pérenne et globale au problème des emprunts structurés les plus risqués » ; un dispositif qui protège les établissements de crédit contre des recours éventuels en justice.
  • 29 décembre 2013 : le Conseil constitutionnel censure ce dispositif car la validation, telle qu'elle est formulée, recouvre « un champ d'application extrêmement large », ce dont se félicitent les collectivités qui critiquaient une « amnistie bancaire ».
  • 17 juillet 2014 : le Parlement adopte un nouveau projet de loi de protection des intérêts de l'Etat, validant la légitimité de ces emprunts.
  • 24 juillet 2014 : le Conseil constitutionnel, saisi par le groupe UMP de l'Assemblée nationale, valide la loi, qui est promulguée le 29 juillet.
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