Source : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/chez-les-economistes-atterres
Publié le 08/03/2015 à 10h57
Une mécanicienne répare une voiture dans un garage de Saint-Ouen-l’Aumone, le 14 mai 2014 (Fred Dufour/AFP)
L’accès des femmes à l’emploi est un enjeu majeur car il constitue une première condition à leur autonomie financière. En France, comme dans la plupart des États membres de l’Union européenne (UE), le taux d’emploi des femmes a augmenté. Il a fortement progressé depuis les années 60, et se situe aujourd’hui autour de 60% (pour les 15 à 64 ans), à un niveau comparable à la moyenne de l’UE.
Les pays du Nord comme le Danemark affichent des taux nettement plus élevés tandis que dans la plupart des pays du Sud, et notamment en Grèce, ces taux sont inférieurs à la moyenne. Dans les pays de l’Est, où les taux d’emploi des femmes étaient élevés pendant la période socialiste, ils ont, à l’inverse, diminué dans certains cas.
Inégalités persistantes
Mais, malgré la promotion de l’égalité salariale dès 1957 et l’intégration en 1997 d’un objectif d’égalité dans la stratégie européenne pour l’emploi, les inégalités hommes-femmes dans l’emploi persistent.
Il y a d’abord la « ségrégation horizontale » des emplois. Les femmes sont surreprésentées dans certains métiers (secrétaires, infirmières, aides-soignantes, agents d’entretien, etc) et secteurs d’activité (services, secteur public, grande distribution), tandis que d’autres restent l’apanage des hommes (policiers, pompiers, etc. et secteur industriel).
Ensuite, la « ségrégation verticale » : les femmes accèdent difficilement aux plus hautes responsabilités économiques et politiques, comme si elles en étaient empêchées par des obstacles invisibles, que les Anglo-Saxons désignent par le terme « plafond de verre ».
Que les femmes aient un niveau d’éducation aujourd’hui supérieur à celui des hommes n’empêche pas qu’elles soient surreprésentées dans les emplois non qualifiés ! Qu’elles aient des niveaux d’instruction très élevées n’empêche pas non plus qu’elles soient surexposées aux carrières ralenties – le « plancher collant » qui les empêche de gravir les échelons !
La ségrégation sexuée des emplois ne s’est guère atténuée et reste très marquée en France comme dans le reste de l’UE.
Précarité renouvelée
Enfin, les formes de précarité de l’emploi des femmes se sont renouvelées. Si dans de nombreux pays de l’UE l’emploi informel a reculé, le temps partiel, lui, a augmenté, surtout dans les emplois tertiaires où les femmes sont très présentes.
En France, près du tiers des femmes (30%) travaille aujourd’hui à temps partiel contre 7% des hommes, des chiffres très proches de la moyenne de l’UE (respectivement 32% et 9%). Au total, ces inégalités se traduisent par la persistance d’écarts de salaires importants. En France, le salaire horaire des femmes est inférieur de 15% à celui des hommes (16% en moyenne dans l’UE), mais l’écart de salaire mensuel avoisine les 25% en raison de la fréquence du temps partiel.
Et, à poste, secteur et carrière équivalents, il reste une part des différences salariales inexpliquée, elle est estimée à environ 8% en France.
Premières victimes de l’austérité
Les politiques d’égalité qui avaient accompagné la hausse des taux d’emploi sont aujourd’hui à la peine dans l’Union européenne. Du fait des règles budgétaires qu’elle s’est données, l’UE est piégée dans l’austérité.
De plus, les pays de la zone euro, faute de pouvoir dévaluer leur monnaie, optent souvent pour des politiques dites de dévaluation interne, de compression des salaires et de flexibilisation des emplois. Ils s’engagent donc, les uns après les autres, non seulement sur la voie de l’austérité mais aussi sur celle de la dérégulation du marché du travail.
Pour les femmes, c’est la double peine. Sur le front de la protection sociale d’abord, parce que leurs revenus dépendent davantage que ceux des hommes des transferts sociaux. Sur le front de l’emploi ensuite, parce qu’elles sont concentrées dans les secteurs les plus concernés par les mesures d’austérité (gel des salaires ou des recrutements dans le secteur public) et par la dérégulation de l’emploi (par exemple, les mini-jobs en Allemagne) dans les services.
Les politiques d’égalité n’empêchent pas les inégalités
L’austérité et l’égalité entre femmes et hommes ne font pas bon ménage. La France en fournit une bonne illustration. Les politiques d’égalité qui y sont menées depuis les années 80 n’ont pas empêché les inégalités de se perpétuer.
Alors que se construisait ce qu’il est convenu d’appeler un « féminisme d’État » (un ensemble d’institutions publiques chargées de faire progresser les droits des femmes et l’égalité), et que se mettait en place la loi Roudy du 13 juillet 1983 qui a marqué les politiques d’égalité professionnelle, la France prenait le tournant de la rigueur et d’une politique de l’emploi favorisant le temps partiel et la précarisation de l’emploi des femmes.
Les politiques publiques ont d’un côté encouragé – sans grand succès – les entreprises à agir en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de l’autre, porté – avec succès – une répartition inégalitaire des temps de travail.
Autant de femmes au Parlement qu’en Afghanistan
On retrouve depuis l’élection de François Hollande cette même tension entre une politique active de promotion de l’égalité entre femmes et hommes et des politiques d’austérité et de dérégulation du marché du travail aux effets inégalitaires.
D’un côté des progrès ont été accomplis sur l’égalité en politique, comme la parité entre ministres – même si beaucoup reste à faire, en particulier à l’Assemblée nationale où, malgré un record du nombre de femmes élues députées, avec près de 28% la parité est encore loin d’être atteinte, la France se situant au même niveau que l’Afghanistan et la Tunisie, et faisant moins bien que l’Algérie (32%).
Des lois économiques aux effets délétères
De l’autre, des lois porteuses d’effets inégalitaires continuent à être adoptées. Ainsi, si la loi du 14 juin 2013 sur la « sécurité de l’emploi » a défini un minimum de 24 heures hebdomadaires pour le temps partiel (en excluant de nombreux secteurs de l’obligation de s’y conformer), elle a flexibilisé et annualisé le temps partiel, le rendant plus attractif pour les employeurs.
Quant à la loi Macron sur la croissance économique et l’activité, elle prévoit dans le secteur du commerce l’extension du travail le dimanche, en soirée et de nuit, au risque de précariser davantage l’emploi des femmes qui sont majoritaires dans ce secteur.
La politique d’austérité et de réduction des déficits dans laquelle le gouvernement s’est résolument engagé comporte des effets plus délétères encore. Elle a ainsi entériné la poursuite de la réduction des effectifs et des gels de salaires dans la fonction publique où les femmes sont majoritaires : sur les 60 000 créations de postes d’enseignant/es annoncées, très peu ont vu le jour. Quant à la croissance du nombre de places en crèche, elle a été nettement moindre que prévu ; or l’insuffisance de l’offre d’accueil des jeunes enfants est un obstacle à l’emploi des mères.
Une politique d’affichage
Sortir les politiques européennes d’égalité entre femmes et hommes de l’impasse suppose d’en finir avec le pilotage par l’austérité, anti-démocratique et contraire au progrès social. Cela suppose aussi de cesser de faire de l’emploi une variable d’ajustement et de garantir la qualité des emplois (salaires minima, temps de travail).
Sinon, la politique d’égalité professionnelle risque de rester une politique d’affichage, impuissante face à la recomposition des inégalités entre femmes et hommes.
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