Source : http://lexpansion.lexpress.fr
Thomas Schnee, Berlin, publié le 17/03/2015 à 17:02, mis à jour à 18:58
En pleine crise financière, la Grèce ose exiger que l'Allemagne lui rembourse un emprunt "contracté" par les nazis et lui verse des réparations de guerre supplémentaires. Après la surprise, ces revendications "outrecuidantes" ne semblent plus infondées outre-Rhin. Angela Merkel et Alexandre Tsipras évoqueront la question lors d'une prochaine rencontre.
Le ministre des finances grec Yanis Varoufakis (à droite) and son homologue allemand Wolfgang Schauble lors d'une conférence à Berlin le 5 février 2015.
REUTERS/Fabrizio Bensch
L'Allemagne doit-elle vraiment des milliards d'euros de réparations à la Grèce? Et a-t-elle été après la guerre un mauvais payeur, autrement dit, ce que Berlin reproche à Athènes aujourd'hui? Fin janvier, le nouveau gouvernement d'Alexis Tsipras a brusqué Berlin en ressortant des revendications historiques, précisément au moment où son pays croule sous les dettes. Quelques heures après sa nomination, il s'est rendu sur la tombe de résistants fusillés par la Wehrmacht et a déclaré que les Allemands n'avaient pas fini de verser des réparations de guerre à la Grèce. Il a aussi évoqué le non-remboursement d'un prêt forcé de 476 millions de reichsmarks accordé à partir de 1942 par Athènes à Berlin. En valeur actuelle, le montant de ce prêt oscille aujourd'hui entre 5 et 11 milliards d'euros selon le périmètre de calcul.
Ces revendications intervenant en plein milieu d'un poker pour la renégociation de la dette de la Grèce, les premières réactions allemandes ont été froidement catégoriques. "L'Allemagne assume sa responsabilité historique et morale. Mais nous maintenons notre avis que toutes les questions concernant les réparations, emprunts forcés inclus, sont juridiquement closes", a sèchement commenté le ministre social-démocrate des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier en marge d'une visite à Washington. Pendant ce temps, les éditorialistes du quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, s'étonnaient de ce que les Grecs "s'occupent plus du remboursement des dettes d'hier que de celles d'aujourd'hui". Pourtant, au fil des jours, cette belle assurance a fondu et les historiens allemands sont largement divisés sur les questions soulevées par M. Tsipras.
Lors de la Conférence de Londres sur les dettes allemandes (1953), les deux pays se sont engagés sur un montant de réparations de 115 millions de deutschemarks. Ce qui au regard des nombreuses destructions matérielles et d'un bilan de près de 250 000 morts grecs et 50 000 déportés juifs, n'est rien. Les estimations actuelles, réalistes ou extravagantes, vont de 50 milliards à 332 milliards d'euros. A l'époque, les quatre puissances occupantes font en tout cas pression sur leurs alliés pour ne pas laisser l'Allemagne exsangue, comme ce fut le cas après 14-18.
En retour, les Grecs bénéficient de 700 millions de dollars au titre du Plan Marshall. Par ailleurs, en ce qui concernent l'emprunt nazi, les Allemands argumentent que cette question concernent les deux Allemagnes. Les Grecs acceptent alors de négocier le remboursement de l'emprunt le jour où la RDA et la RFA signeront un traité de paix. Or, en 1989, le processus de réunification allemande débouche sur le Traité 4+2 entre les deux Allemagnes et les quatre Alliés. Puis sur le Traité de réunification. Mais en aucun cas sur un traité de paix. A l'époque, comme plusieurs historiens allemands en témoignent, le gouvernement Kohl a soigneusement pris soin que le terme "traité de paix" n'apparaisse nulle part. Le tout avec l'aval des Américains, des Français, des Britanniques et des Russes.
En Allemagne, les avis commencent à évoluer. De plus en plus de personnalités politiques appartenant à l'opposition mais aussi à la majorité gouvernementale estiment que l'Allemagne ne peut se permettre d'ignorer les demandes grecques : "Nous devons séparer la problématique des réparations de guerre, de celle des débats actuels sur la crise de la Grèce et de l'Euro. Hormis cela, je suis d'avis que nous devons absolument mener une discussion sur des réparations. Cela fait partie de notre histoire. Et je suis contre tirer un trait définitif sur notre passé. Même après des décennies ", estime ainsi le vice-président du SPD Ralf Stegner, qui s'aligne ainsi sur la position des présidents des partis écologiste et de la gauche radicale (Die Linke), MM. Anton Hofreiter et Bernd Rixienger. Comme dans le cas de la restitution de l'or nazi en Suisse (1997), du dédommagement des travailleurs forcés en Allemagne (2000) ou encore de la restitution des oeuvres d'arts volées aux juifs (1998), l'Allemagne est bien sur le point de rouvrir un chapitre honteux de son histoire afin de régler les dettes toujours en suspens. La question des réparations sera évoquée lors de la rencontre Merkel- Tsipras de lundi prochain.
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