Source : http://www.marianne.net/corinne-lepage-prix-peages-n-est-normal-legal-100231450.html
Vendredi 20 Février 2015 à 5:00
Propos recueillis par
Bruno Rieth
Corinne Lepage, ancienne députée européenne et présidente du Rassemblement citoyen - Cap21, vient de lancer une initiative pour obliger les sociétés d'autoroutes à rembourser à certains de leurs usagers 20% du prix de leurs tickets. Une première qui remet sur la table le scandale des concessions d'autoroutes.
Photos : FRANCK LODI/SIPA et ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA
Marianne : Pourquoi avoir décidé de vous lancer à l’assaut des tarifs appliqués par les sociétés d’autoroutes ?
Corinne Lepage : C’est la conjonction de deux réflexions. D’abord, j’en avais ras-le-bol de cette situation qui dure depuis des années sur les concessions d’autoroutes. Je me suis dis qu’il fallait taper du poing sur la table parce que visiblement le gouvernement essaye de faire quelque chose mais que le poids économique et politique des lobbies des autoroutes est manifestement considérable. Ensuite, il y a la démarche politique. J'ai une démarche très « société civile » avec le Rassemblement citoyen, ce qui veut dire : donner les moyens à la société civile d’agir*. C’est le meilleur contre-pied que l’on peut opposer aux tentations politiciennes. Lorsque l’on donne aux gens les moyens d’agir, ils agissent et à ce moment-là, ils reprennent confiance dans la possibilité de faire. Il y a une dizaine de mois, des jeunes gens sont venus me voir pour me parler de leur projet de lancer un site internet, Actioncivile.com. Je me suis alors dit que c’était une plateforme idéale pour lancer ce genre de mouvement.
Sur quoi vous basez-vous pour dire que les prix des péages sont trop chers ?
Nous avons ciblé les vieilles autoroutes, c’est-à-dire celles dont la Cour des comptes dit, depuis 2003, que leurs coûts de construction sont amortis depuis longtemps. Nous nous basons sur les différents rapports des sages de la rue de Cambron qui ont, à plusieurs reprises, expliqué que les tarifs appliqués sur ces autoroutes étaient trop élevés. Sauf qu’il n’y a jamais eu de remises en question. Pour se justifier, les autoroutes expliquent qu’elles utilisent l'argent des vieilles autoroutes pour les nouvelles. Sauf que le prix des péages n’est ni normal ni légal. La loi du 18 avril 1955 qui a été reprise dans le code la voirie routière dit que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit » et par exception de ce principe, des péages peuvent être perçus pour recouvrir quatre catégories de dépenses : le remboursement des dépenses de construction, l’exploitation de l’autoroute, son entretien ou extension et la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le concessionnaire. Donc pour la partie construction, une fois que l’investissement est amorti, il n’y a plus lieu de réclamer à l’usager la part de la construction. C’est la raison pour laquelle nous avons ciblé, pour poser le problème, les plus vieilles autoroutes : la A1, A6, A7, A9 et l’A13, toutes construites sous Charles de Gaulle, en disant que 20 % de ce que réclame les sociétés d’autoroutes au nom des investissements de construction sont indus. En faisant cette demande, nous sommes très en dessous de ce que nous pourrions exiger puisque lorsque vous lisez le dernier rapport de la Cour des comptes et celui de l'Autorité de la concurrence de 2014, ils vous expliquent, pour chaque catégorie que je viens d’énumérer, en quoi l’usager aujourd’hui paye beaucoup trop.
Comment allez-vous opérer ?
Concrètement, sur le site d’Actioncivile.com, les usagers doivent s’inscrire et remplir un formulaire pour demander le remboursement de 20% de leurs trajets sur les cinq dernières années, justificatifs à l’appui. C’est une première phase de médiation avec les différentes sociétés concessionnaires d’autoroutes. Si elles ne veulent pas bouger, rembourser ou baisser les prix des péages, les usagers bénéficieront d’une procédure devant le tribunal d’instance pour réclamer les sommes correspondantes.
Plutôt qu’une action collective, pourquoi ne pas avoir choisi d’attaquer ces sociétés par une action de groupe ?
"On ne peut pas admettre que des rapports dénoncent cette situation illégale et qu’il ne se passe rien"Parce que les actions de groupe issues de la loi Hamon ne peuvent être lancées que par des associations reconnues d’utilité publique. Ensuite, je voulais aussi impliquer les citoyens. C’est très important. Je n’ai pas voulu court-circuiter les associations de consommateurs mais comme elles ne semblaient pas vouloir bouger, j’ai pris l’initiative. Je veux faire la démonstration que lorsque la société civile décide de se mettre en marche, elle peut faire bouger les lignes. La preuve que ça marche, la possibilité de déposer des demandes a été ouverte vendredi et nous sommes déjà à plus de 35 000 demandes. C’est considérable… On ne peut pas continuer à admettre que la Cour des comptes rende des rapports en dénonçant cette situation illégale, intolérable et injuste et qu’il ne se passe rien.
Vous parlez d’un juste prix. Justement, pouvez-vous nous dire quel est ce juste prix ?
Non, puisque les tarifs sont calculés d’une manière tellement opaque que je mets au défi quiconque d’y arriver. Même la Cour des comptes dit qu’elle n’y comprend rien…
Plutôt que de s’attaquer au prix, ne faudrait-il pas plutôt dénoncer directement les contrats de concession ?
C’est évidemment une question que je me suis posée. Je m'étais d’ailleurs clairement exprimée à l’époque contre la privatisation. Mais derrière ça, il y avait une question de procédure. Pour attaquer directement les concessions, il faut le faire devant le juge administratif et c’est une procédure beaucoup plus lourde. Ensuite, il faut bien commencer par quelque chose. Pour moi, cette initiative est un levier pour mettre le sujet sur la table et quand je vois les réactions des sociétés d’autoroutes, je vois bien qu’elles sont très gênées aux entournures. Comment ne le seraient-elles pas ? Nous sommes tous leurs clients quelque part. Je pense qu’à terme, si nous arrivons à poser la question du prix qui n’a jamais été posé sous cette forme-là, c’est-à-dire en les poussant à clarifier ce qui est de l’ordre de l’amortissement de la construction dans le prix du trajet, à partir de là, nous allons tirer un fil. L'association UFC-Que choisir, par exemple, si elle le souhaite, pourrait attaquer le contrat…
On vous a souvent reproché un mélange des genres entre les combats de la femme politique qui viennent nourrir les affaires de l’avocate que vous êtes. Dans cette affaire, avez-vous des intérêts autres que politique ?
J’ai dit très clairement que je ne faisais pas ça en ma qualité d’avocate. J’ai simplement mis ma compétence juridique au service de cette action pour monter le dossier et ça s’arrête là. L’avocate n’existe pas dans cette affaire. Si je les défendais et que j’avais un intérêt financier, la question se poserait bien entendu. Mais ce n’est pas le cas du tout. Ma démarche est purement politique. L’équipe d’Actioncivile.com touche une commission si elle gagne et rien si elle perd. Moi je suis bénévole, je ne touche pas un rond. Les choses sont totalement transparentes. D’autant que je signale que je n’ai plus aucun mandat, je suis revenu totalement à la société civile. Je ne tire aucun revenu financier ni professionnel dans cette histoire. Ce sont les avocats d’Actioncivile qui vont s’en occuper.
* Corinne Lepage vient de publier Les mains propres, plaidoyer pour la société civile au pouvoir, Autrement, 184 p.,12 €
Source : http://www.marianne.net/corinne-lepage-prix-peages-n-est-normal-legal-100231450.html