Occupy Wall street-OWS- résiste à l’hiver new-yorkais. Toujours vivace, le mouvement entrera pourtant bientôt dans la postérité. Le Museum of the City of New York confirme en effet qu’une exposition consacrée aux indignés d’OWS est en préparation. A la fin du mois, New-Yorkais et touristes pourront ainsi découvrir la collection du musée dans les allées du South Street Seaport Museum. Le Museum of the City of New York n’est pas le seul à posséder une documentation du jeune mouvement. Nombre d’institutions culturelles et historiques travaillent à conserver la mémoire d’OWS. Le Smithsonian’s Natural Museum of American History, la bibliothèque Tamiment de New York University (NYU), et la Société historique de New York, entre autres, ont entrepris d’archiver le matériel produit par le mouvement, et ce dès les premiers jours de la contestation.
Pas toujours d’accord
Pancartes, flyers, journaux, badges et autres stickers remplissent déjà les étagères des archives de ces établissements. Mais les documents les plus importants ne s’y trouvent pas. Ces précieux artefacts sont aux mains des indignés, lesquels n’entendent ni se faire confisquer leur matériel ni le vendre au plus offrant. En réalisant que leurs slogans et leurs journaux intéressaient les musées au plus haut point, les protestataires se sont en effet organisés. Jeremy Bold, 27 ans, un des meneurs du mouvement, s’est rapidement impliqué dans ce travail de conservation, qu’il a rebaptisé « les Anarchives » d’Occupy Wall Street: « Nous nous sommes demandés, et Jeremy Bold admet que la question continue de faire débat : comment constituer ces archives en s’appuyant sur les principes d’égalité et de répartition du pouvoir qui sont les nôtres, mais aussi en tenant compte de l’inefficacité et des incertitudes inhérentes à un mouvement comme OWS ?». De son coté, le professeur Howard Besser, directeur du Moving Image Archiving and Preservation program (MIAP) à NYU, souligne l’importance et l’urgence de cette conservation. « Les artefacts les plus importants disparaissent vite », tout en précisant que « les professionnels de l’archivage des mouvements sociaux savent qu’il faut collecter ce matériel presque tous les jours. Nous sommes nombreux à regretter que ce travail n’ait pas été fait en mai 1968 ! Evidemment, étant donné la jeunesse du mouvement, il est encore impossible de hiérarchiser l’importance de ces objets. Mais si nous attendons, il n’y aura plus rien à récolter ».
Les Anarchivistes
Au sein d’Occupy Wall Street, plusieurs groupes d’apprentis archivistes se sont constitués. Quelques indignés se sont portés volontaires pour prendre en charge la récupération et de la conservation du matériel physique (pancartes, pamphlets, badges, etc). Parallèlement, une sympathisante a entrepris de préserver la mémoire du mouvement en recueillant des témoignages audio. Enfin, restait l’archivage de l’immatériel : mouvement 2.0, Occupy Wall Street s’est construit et a grandi sur internet. Il existe aujourd’hui des milliers de vidéos en ligne, des centaines de milliers de tweets, de mails et de pages consacrés à cette contestation populaire. Autant de documents qui font partie intégrante de l’Histoire de cette révolte des temps modernes. Conserver cette mémoire représente un travail titanesque. A leur initiative, quelques étudiants du MIAP se sont organisés pour archiver l’immatériel. Mais malgré leur bonne volonté, il leur est impossible d’être exhaustif. Leur professeur Howard Besser admet que la méthode comporte des faiblesses: « constituer des archives est un travail pénible. Pour qu’elles puissent être correctement préservées, il faut beaucoup d’efforts. Plus d’efforts que ne peuvent fournir une douzaine de personnes. Il faudrait probablement un établissement spécialisé dans la sauvegarde de la culture ».
Les professionnels, qui critiquent durement le manque de savoir-faire des apprentis archivistes en matière de sauvegarde du matériel, ne disent pas autre chose. Les méthodes des « anarchivistes » sont jugées inappropriées : à titre d’exemple, les pancartes et banderoles sont conservés dans des locaux inadaptés, exposés à la moisissure.
Archives et indépendance d’OWS ?
Or, l’enjeu autour de ce matériel n’est rien de moins que la conservation puis le récit du mouvement. « Sans l’aide de documents originaux, l’Histoire ne serait qu’un tissu de fables », confirme Jean Ashton, directrice de la bibliothèque de la société historique de New York. Certains archivistes d’Occupy Wall Street reconnaissent d’ailleurs se trouver face à un dilemme. Tout autant que ces professionnels, ils souhaitent préserver la mémoire de leur mouvement. Mais, plus encore, ils craignent de devoir renoncer à leur indépendance. Perdre le contrôle du processus d’archivage reviendrait selon eux à perdre le contrôle de leur Histoire. L’archivage n’est jamais un processus neutre, les indignés l’ont bien compris, eux qui redoutent une politisation de leurs archives.
Jean Ashton entend ces arguments : « Nous comprenons très bien qu’un mouvement de protestation comme Occupy Wall Street n’a pas envie que ses documents soient conservés dans des musées ou des institutions fréquentés voire subventionnés par les personnes contre lesquelles ils protestent (les « 1% » diraient les indignés, ndlr). Mais ce mouvement est public. Ce que nous, Société historique, préservons, c’est l’Histoire de ce mouvement tel qu’il apparaît publiquement. Nous ne souhaitons en aucune façon contrôler ce matériel, et donner notre point de vue (…). Notre mission est de préserver ce qui peut l’être pour le rendre disponible à tous, notamment aux chercheurs et aux historiens ».
Débat sur le devenir des” Anarchives”
Quelques indignés du groupe Archives admettent toutefois vouloir déléguer l’archivage à des professionnels – des discussions sont engagées avec les responsables de la bibliothèque Tamiment de New York University. Mais pour qu’un accord soit trouvé, ils sont tenus d’obtenir le feu vert de l’Assemblée Générale d’Occupy Wall Street. Or, l’AG s’est déjà montrée réticente à cette idée ; une majorité d’indignés refuse de professionnaliser la gestion des archives. Mi-novembre, ils ont ainsi refusé d’allouer 4 000 dollars au groupe de travail constitué autour des archives, une somme destinée à la location d’un local plus adapté à la conservation du matériel.
Pendant que le débat se poursuit, les artefacts continuent d’être récoltés, et les équipes d’archivages de s’organiser comme elles le peuvent. Beaucoup d’objets n’ont pas encore été catalogués, et les historiens craignent qu’il devienne difficile avec le temps d’établir leur provenance, la date à laquelle ils ont été ramassés, ou le nom de leurs créateurs.
Pendant ce temps là, à Zuccotti Park, les indignés d’Occupy Wall Street font de la résistance. Ce n’est plus la foule des grands jours, mais ils sont encore quelques dizaines à tenir leur Assemblée Générale quasi quotidiennement, malgré le froid glacial, tous bien déterminés à faire vivre leur mouvement. Et malgré les critiques, Occupy Wall Street reste aujourd’hui encore propriétaire de son histoire qui sera sans doute racontée pour encore longtemps dans les musées de New York
Par Charlotte Alix