Médiapart - 12 juillet 2012 |
Par Jade Lindgaard
Notre-Dame-des-Landes, de notre envoyée spéciale
« A 16h30, une intervention sur un projet d’enfouissement des déchets en Laponie. » S’élevant au-dessus d’un parterre de paille et de barnums multicolores, la voix égrène les ateliers à venir en ce mardi 10 juillet, avant-dernier jour du « forum des grands projets inutiles et imposés ». C’est toute une géographie de chantiers gargantuesques qui défile : un Las Vegas européen en Espagne, une ligne de TGV au Maroc, « OL Land », le projet de nouveau grand stade lyonnais, une méga-gare à Stuttgart, une grosse opération de promotion immobilière à Athènes pour rembourser la dette grecque… Evguénia Tchirikova, figure de la lutte des écologistes russes contre l’autoroute qui doit relier Moscou à Saint-Pétersbourg, et traverser la forêt de Khimki, décrit son combat sous le regard attentif de Dominique Fresneau, opposant à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et de Bertille, occupante d’une butte lyonnaise pour dire non à « OL Land ».
Forum des grands projets inutiles et imposés, à Notre-Dame-des-Landes, 10 juillet 2012 (JL)
Tous partagent un même ennemi : la multinationale Vinci, constructeur commun à ces trois grands chantiers. Car si la géographie des grands travaux est très étendue, leur secteur d’activité industrielle est lui particulièrement concentré. Les oreilles de Xavier Huillard, le PDG de Vinci, ont dû siffler plus d’une fois pendant ces quatre jours. L’Armée des clowns agités du bocage a même brièvement instauré un péage sauvage rebaptisé « pillage Vinci » sur une route de cette périphérie nantaise.
Longtemps réduits à une pure revendication « Nimby » (« not in my backyard », pas dans mon jardin), les mouvements d’opposition aux grands travaux d’infrastructure ne sont pas nouveaux. Dans le public du forum, Eric Pétetin, est là pour en témoigner : dans les années 1990, il fut l’un des principaux perturbateurs du chantier du tunnel du Somport, dans la vallée d’Aspe, au prix de plusieurs mois d’incarcération. « J’avais l’impression d’être un petit résistant : j’habitais dans cette vallée, la route allait passer devant chez moi, c’était la mort pour tout le monde. Mais c’était aussi une mobilisation anticapitaliste, pour que Babylone reste à l’écart de la vallée. » Mais à l’époque, le message politique passe mal, et l’« Indien » apparaît au mieux pour un doux dingue aux yeux d’une grande partie de la gauche.
« Petits projets utiles »
Vingt ans plus tard, la contestation des grandes infrastructures est devenue un motif classique des luttes écologistes. En 2011, c’est la petite ville italienne de Venaus dans le Val de Suse, terre de résistance contre le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, qui accueille le premier forum des grands projets inutiles.
Cette année, c’est le bocage normand de la périphérie nantaise qui a pris le relais, à l’initiative des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. L’ampleur de la crise économique et de l’endettement public leur fournit de nouveaux arguments : les grands projets ne sont plus seulement accusés d’aggraver le bétonnage et la consommation d’espaces. Ils sont désormais vus comme des facteurs aggravants de dette.
Forum des grands projets inutiles et imposés, à Notre-Dame-des-Landes, 10 juillet 2012 (JL)
Un diagnostic que les « ni ici-ni ailleurs », comme ils se baptisaient en 2008 (voir ici), ne sont plus les seuls à partager. Dans son audit de la semaine dernière, la Cour des comptes s’inquiète du coût faramineux des projets d’infrastructure de transport impulsés sous le quinquennat Sarkozy : 260 milliards d’euros, dont un tiers à la charge de l’Etat et 38 % pour les collectivités locales. Trop cher, selon l’institution, qui demande le réexamen de quatorze nouvelles lignes à grande vitesse LGV. Mercredi 11 juillet, le ministre délégué au budget, Jérôme Cahuzac, a annoncé que le gouvernement envisageait d’annuler une dizaine de LGV.
La crise financière aurait-elle des effets vertueux sur l’environnement ? Pas si simple. Natassa Tsironi, du comité de lutte pour l’ancien aéroport d’Elleniko, à Athènes, explique comment l’ancien site de l’aéroport doit être aménagé en un ensemble de bureaux, de logements, mais aussi de marinas… pour contribuer au remboursement de la dette grecque : « Ils disent vouloir créer un “nouveau Monaco” », alors qu’il devait à l’origine être transformé en parc métropolitain. « Depuis le début de la crise, les choses ont empiré », insiste-t-elle.
Pour Aurélie Trouvé, co-présidente d’Attac, « l’austérité sociale est aussi environnementale. En Grèce, on déréglemente aussi l’environnement ». Si bien que pour elle, s’il existe des « petits projets utiles » face aux éléphants blancs, « il faut qu’ils soient un levier pour transformer globalement la société, pas seulement un changement de mode d’alimentation ». Ainsi, toujours selon elle, les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap) doivent porter l’ambition de changer la politique agricole commune.
Forum des grands projets inutiles et imposés, à Notre-Dame-des-Landes, 10 juillet 2012 (JL)
Les débats sont denses, hétéroclites et plurilingues. Mais les chapiteaux qui les abritent ne sont pas remplis, et la mobilisation contre les grands projets « inutiles et imposés » est à la peine. En début de semaine, on compte quelques centaines de personnes sur le site. La grande manifestation du week-end n’a rassemblé qu’environ 3 000 personnes, contre près de 5 000 l’année précédente. « Nous devons créer des événements pour dire que ces grands projets inutiles, ce n’est pas notre choix de société, explique un opposant à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Informer, c’est bien. Mais on a du mal à motiver les populations autour de nous qui s’abreuvent de feuilletons télé plutôt que de s’engager dans ce qui se passe à côté de chez eux. »
Face à ces difficultés, les indignés des grands travaux cherchent de nouvelles formes de mobilisation, plus douces, plus récréatives. Ainsi, le collectif des fils et filles de butte, engagés contre l’OL Land, invite militants et curieux à passer un week-end sur leur petit territoire d’utopie. Quant aux opposants à la ligne de TGV Lyon-Turin, les « No TAV », ils lancent un véritable programme de vacances militantes auprès d’eux, en camping, en gîte, ou « encore mieux », chez les habitants.
« Nous ne sommes ni violents, ni extrémistes », sourit Claudio Giorno, l’un des fondateurs de cette mobilisation déjà vieille de vingt ans. La campagne s’appelle « 15 jours pour respirer ». Loin de la caricature des No TAV en black blocks encagoulés, on croirait presque entendre le slogan d’un syndicat d’initiative.