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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 16:33
Mercredi 21 Mars 2012 à 05:00

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis... En savoir plus sur cet auteur

 

Les beaux jours reviennent en Grèce, mais la crise est toujours là. Panagiotis Grigoriou s'est rendu au port du Pirée, à la rencontre des marins en grève. Récit.

 

(Port du Pirée - CHAMUSSY/SIPA)
(Port du Pirée - CHAMUSSY/SIPA)
Ce lundi 19 mars nous avons cru entendre certains oiseaux de mauvais augure, bien au-delà de chez nous d'ailleurs. C'est bien connu, sous la Troïka, l'actualité intérieure de la Baronnie efface le plus souvent, toutes les autres nouvelles, déjà, ne plus avoir à l'œil les affaires du vaste monde, c'est mauvais signe. Car ainsi perdre la dimension continentale, voire planétaire de certains signifiants à travers l'inter-connectivité des événements, cela ne peut que réduire notre sens critique. Ceci, doit faire partie de la programmation de la stratégie du choc, et nous le constatons, depuis des mois en Grèce.

Assommés par une actualité intérieure écrasante, tout le reste s'estompe, et jusqu'à l'effacement final de toute information, au bout d'un certain temps. Ainsi même, et de plus en plus souvent, on entend autour de nous, celles et ceux qui s'y refusent toute connexion désormais à l'actualité, « Basta... nous ne suivons plus les informations, car nous devons ensuite prendre des médicaments pour s'en dormir ou pour tenir, c'est déjà le cas d'ailleurs ». Quant aux nouvelles depuis les autres pays, qui plus est, analysées si possible dans leurs vraies dimensions, il ne faut plus en rêver trop et trop souvent. Pas question.
 
Rien n'est fait pour faciliter en effet la mise en perspective de ce situationnisme sinistre, introduit simultanément dans plusieurs pays et par son jeu d'événements bouleversants à travers les différentes versions de la bancocratie, entre l'Italie et l'Irlande par exemple. Nous apprenons alors peu de choses par les médias habituels, habituellement auxiliaires et non pas analystes, de notre séquentialité.
 
Seulement ce lundi, et une fois n'est plus coutume, nos médias se sont aussi un moment focalisés sur Toulouse : « Avez-vous entendu, en France ça ne va pas mieux, il y a de la tragédie qui fait sa niche partout finalement... », commentait à haute voix, un usager du métro en début d'après-midi, dans une rame circulant entre le Pirée et Athènes.

Jusque là, j'ignorais encore cette toute dernière séquence depuis Toulouse. Puis j'ai appris, elle se recompose de drame en drame alors, cette Europe. Mais il n'y a pas que de la dramaturgie dans l'air, car ces assassinats odieux sont aussi et avant tout, des actes très politiques, puis, la « coïncidence » avec le calendrier électoral en France a été souligné ici par tout le monde.

Le retour du beau temps ne chasse pas la tempête

Mais aussitôt ensuite, nos séquences locales ont repris le dessus, et la pensée universelle alors attendra. Ainsi, lundi matin encore, un homme de 71 ans, armé d'un fusil s'en rendu au centre des impôts d'Agia Paraskevi dans les quartiers plutôt aisés d'Athènes, pour tirer en l'air, avant de prendre en otage le personnel et les contribuables qui s'y trouvaient, alors dans le choc. « Vous ne prendrez pas ma maison » a-t-il crié, selon le reportage. L'homme âgé, prétendait encore dissimuler une grenade dans sa sacoche, mais ce n'était pas vrai, selon les précisions des policiers, aussitôt intervenus.

L'homme a finalement retrouvé un certain calme, avant de se rendre à la police. Donc le drame fut évité, ont ainsi commenté nos journalistes, soulagés. Dans le même ordre du monde irascible, si grand dramaturge en ce moment, des violences sans précédent se sont produites dimanche soir lors d'un match de football encore à Athènes, « cela ne présage rien de bon dans un futur immédiat », fut encore la première analyse des éditorialistes à travers la presse, figurant parfois sur la une des journaux, et en tout cas, devant les présentoirs des kiosques à journaux il y a avait foule.

Et pas vraiment, pour s'informer sur la parodie de l'élection de Venizélos à la tête du PASOK, hier dimanche, d'ailleurs paraît-il, qu'à travers le pays, les préoccupations dominicales se sont penchées plutôt vers le soleil que vers l'hombre. Au PASOK et à travers le « systémisme » journalistique on reproduit en boucle la nouvelle, selon laquelle, « plus de 150 000 militants et sympathisants du PASOK se sont déplacés aux urnes de ces primaires alors cruciales », qui croit encore ?

Car dimanche, la vraie grande foule était ailleurs. Par milliers, des habitants de l'agglomération athénienne, se sont rués vers les espaces verts, les parcs et les plages car il a fait vraiment beau, c'était la première si belle journée, donc printanière, depuis longtemps. « Ouf enfin, il fait beau au moins », c'était le slogan du jour. On aurait presque oublié le Mémorandum ce dimanche, sauf que les discussions du jour, portaient inlassablement, sur le dur quotidien, et sur les dernières trouvailles pour encore économiser trois sous. Puis, sur le chemin du retour, certains s'arrêtèrent de nouveau chez les marchands de bois pour s'approvisionner. Entre temps, à proximité et sur les ports de plaisance de nombreux bateaux sont désormais à vendre sans que personne ne s'y intéresse.
 
Sur les plages, des grecs et des étrangers demeurant ici, avaient déjà emmené leurs glacières, pas question de remplir les tavernes, comme cette famille bulgare, si joyeuse à travers sa vraie pause ensoleillée sans doute par les temps qui courent, un parfum d'été déjà, c'est appréciable. Et de retour, il y avait des embouteillages sur la rocade de la côte sud, cela faisait vraiment si longtemps, une véritable surprise, plutôt agréable, car elle nous a rappelé aux souvenirs de l'avant Mémorandum. Le présent peut-être aussi un mirage du passé, c'est bien connu. Au même moment, et sur la blogosphere grecque on faisait état de la toute dernière incitation qui circule sur internet, notamment à travers facebook, « [visitez la Grèce], la mer n'est pas en crise ».

 

La mer bien sûr que non, les marins par contre... Je me suis rendu sur le port du Pirée ce lundi dans la matinée, pour rencontrer les marins en grève. Entre temps, mais c'était plus tôt dans la matinée, sans doute encore une de ces « coïncidences » de saison, l'acteur et metteur scène du théâtre, Christos Kharbatzis s'est suicidé dans ce même port au volant de sa voiture, une Mercedes noire. Pour couvrir la grève des marins certaines équipes de télévision étaient déjà sur place, donc le suicide a été couvert en quasi direct. Dans le port du Pirée, il y avait décidément des marins en grève et des appareillages définitifs ce lundi ; théâtre du bas monde, tragédies qui s'entremêlent, crise.
 
Pourtant, la grève de nos marins n'a pas été très médiatisée finalement. Certaines télévisions lundi matin en direct, ont évoqué avant tout « les très mauvaises conséquences de cette gréve sur l'économie des îles, par ces grévistes alors inconscients». De toute façon, toutes les grèves et toutes les manifestations en Grèce ont depuis deux ans, « de très mauvaises conséquences sur l'économie, le tourisme et l'ordre public », suivant la version des médias supposés dominants, et sans doute, appartenant aux dominants.
 
J'ai rencontré N., marin syndicaliste et officier, d'abord dans la marine marchande, et ensuite à bord des ferries assurant les liaisons en mer Égée. Déterminé, mais conscient de la grosse mer du moment, il espère pourtant un renversement de la situation, même si dans l'immédiat ceci semble inaccessible.

« Nous perdons notre spécificité, notre tradition, notre histoire, notre identité même de marins. Les caisses des retraites et d'assurance santé de notre branche avaient connu des excédents en capitaux jusque là, et pour cause. Je cotise pratiquement 850 euros par mois, sans compter les cotisations versées par l'armateur. Il y quelques semaines, le capital de la Caisse des Retraites des Marins (NAT) s'élevait encore à 38 millions d'euros, celui de la Caisse d'Allocations Familiales des Marins (ELOEN) à 52 millions. 

Par le Mémorandum II, et le supposé "ré-échelonnement de la dette grecque", l'ELOEN a perdu plus du 62% de son capital, 32 millions d'euros environ. C'est en même temps la fin du cabotage pour ce qui est de la croisière et bientôt pour des lignes intérieures, c'est l'abolition de fait de la convention collective de notre branche, mais en réalité c'est déjà Maastricht qui fut à l'origine de tout cela. Des marins venus d'autres pays travailleront suivant la législation et les salaires de leurs pays, y compris et bientôt chez les officiers.

Selon une règlementation datant d'ailleurs de l'époque des Colonels, un comble, tout officier servant dans la marine assurant les liaisons à l'intérieur de l'espace maritime du pays, doit pratiquer la langue et la culture de notre pays, être en quelque sorte acclimaté dans la maritimité de l'archipel grec, sa géographie et ses usages. Plus désormais, une simple connaissance disons approximative de la langue grecque suffira. 


Ah ces armateurs, non ils ne sont pas perdants, même en ce temps de crise. Le jour où ils seront perdants, ils vont alors vendre leurs bateaux, il n'y a pas photo. Et lorsque les lignes ne sont pas directement subventionnées, alors ils obtiennent au moins le renforcement d'un régime fiscal, très très avantageux. Et je ne vous parlerai pas des autres circonstances « juteuses », comme le fioul détaxé, pour ne pas dire issu d'autres sources... passons. Puis, je dois vous dire pour faire comprendre toute notre situation, que depuis plusieurs années, notre caisse, s'est vue chargée par l'État d'un rôle étrangement social, autrement dit, elle fut obligée à assurer la prévoyance et les retraites des Grecs (ou parfois « Grecs »), issus des Républiques ex-soviétiques de la Mer Noire et du Caucase, installés chez nous depuis les années 1990. En échange, l'État verserait à notre caisse une récompense, sous forme de contribution annexe, et ceci, sur plusieurs années. Il n'a rien versé, jamais. Et pourtant, notre organisme était encore excédentaire avant le Mémorandum II.

Nous arriverons encore une fois à la mise à mort de tout un métier, à la mer comme sur terre et sur terre comme à l'enfer. Puis, ils diront ces journalistes, comme déjà ce matin, que nous tenons en otage les habitants des îles, c'est dans le journal "Ethnos", ce lundi. Ou, sinon c'est la télé et de radio "Skai", (elle appartient comme tout le monde le sait à un armateur), qui nous enverra ses journalistes, accompagnés d'une vingtaine de « voyageurs  indignés ». Lors de notre précédente grève, nous étions là, devant ces passerelles en train de bloquer tout passage, sans bouger.

Alors ils étaient venus et ils ont conduit un enfant emmené par eux à foncer sur nous. Nous n'avions pas touché cet enfant alors, lorsqu'ils se sont mis à crier, "au secours, les grévistes ont molesté notre fils", pour ainsi faire intervenir la police portuaire. Une fois tous au poste, nous avons prouvé par A+B que c'était une affaire montée de toutes pièces. Ces gens, qui prétendaient être des voyageurs en colère, n'avaient même pas leurs billets émis, et en plus, leurs valises étaient vides, ils étaient tout simplement payés pour faire de la figuration et de la provocation. Alors, aucune charge n'a été retenue contre nous, mais la version des faits, alors présentée par leur télévision, était évidement la leur. 


Voilà nos grands armateurs des télés et des navires subventionnés. Oui, ils peuvent à la limite connaître la crise et ainsi s'arranger entre eux pour supprimer la moitié des rotations, vers la Crête par exemple, ainsi les bateaux restants se remplissent davantage, sauf qu'ils ont déjà licencié le tiers de leurs marins. Donc, nous payons la crise, encore une fois. Et lorsqu'ils dépensent une fortune pour réaménager leurs bateaux les plus anciens, ils ont raison : c'est rentable. Tel le European Express sur la ligne de Mytilène et de Chios, un ancien navire de croisière, transformé en ferry, comme il n'avait pas de garage, un pont entier lui a été ôté, ces travaux ont duré plusieurs mois. Dans ces bateaux, comme dans les autres de la marine marchande, nous avons vécu toutes ces années de notre jeunesse, et maintenant on nous met à la porte. Quel avenir alors pour nous ? »
 
Un peu plus loin, un autre marin à la retraite, depuis un moment déjà, faisait état de sa longue route : « J'ai commencé en embarquant sur un Liberty en 1965, puis assez rapidement, nous avons emmené ce vieux navire déjà, sur Syros, au chantier naval. C'était une autre époque, aujourd'hui, toutes les mouettes crient notre douleur ».
 
Et celle du dimanche, au port de plaisance de Faliro se tenant fièrement devant le cuirassé Averof des années 1912-1923, transformé en navire musée, oiseau aussi de mauvais augure ? Pas si sûr, Printemps en vue.
 
Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

Le 11 avril, retrouvez 
Panagiotis Grigoriou pour sa conférence à l'Ecole Normale supérieure de Paris, à l'invitation de RosaRéséda (Montebourg)

 
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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 13:59

 

Le nouvel obs - Créé le 20-03-2012 à 08h43 - Mis à jour à 15h12     

 

 

 
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Il y a le commerçant qui ne vend plus rien, le retraité à la pension rognée, celui qui s'est endetté pour acheter un appartement, celle qui avait emprunté pour couvrir des frais médicaux: enferrés dans le surendettement : des centaines de Grecs appellent à l'aide. (c) Afp

Il y a le commerçant qui ne vend plus rien, le retraité à la pension rognée, celui qui s'est endetté pour acheter un appartement, celle qui avait emprunté pour couvrir des frais médicaux: enferrés dans le surendettement : des centaines de Grecs appellent à l'aide. (c) Afp

Il y a le commerçant qui ne vend plus rien, le retraité à la pension rognée, celui qui s'est endetté pour acheter un appartement, celle qui avait emprunté pour couvrir des frais médicaux: enferrés dans le surendettement, des centaines de Grecs appellent à l'aide.

A Athènes, dans les modestes bureaux du centre de soutien au consommateur Ekpizo, les étagères ploient sous les dossiers. Des juristes bénévoles tentent de trouver des solutions. Dans une salle attenante, une équipe de psychologues essaie d'agir sur le moral des plus désespérés.

"Jusqu'ici, nos permanences juridiques prenaient dix rendez-vous par jour. Depuis le début de l'année, nous sommes passés à vingt. Et vu la détresse des personnes surendettées, nous proposons depuis début février des groupes de soutien psychologique ", explique Lila Linardatou, l'une des employées d'Ekpizo.

L'effacement de plus de 100 milliards de dette publique grecque par les créanciers privés du pays ne résoud pas le problème des emprunts contractés par les ménages et les entreprises.

A la différence du niveau astronomique de la dette publique, l'endettement du secteur privé en Grèce est relativement contenu comparé à d'autres pays européens, comme l'Espagne et le Portugal.

Mais lorsque les revenus chutent - les salaires des fonctionnaires ont été amputés de 25 à 40% ainsi que les pensions de retraite -, lorsque le chômage touche 21% de la population, rembourser des prêts contractés dans l'euphorie des années 2000 peut tourner au cauchemar.

Selon le ministre du Travail, 400.000 salariés du privé sont affectés par des retards de salaire d'un à cinq mois.

La Banque de Grèce a indiqué lundi que le taux des emprunts réglés avec retard s'élevait fin septembre 2011 à 14,7%, contre 10,5% un an plus tôt, "avec une nouvelle hausse attendue à fin décembre 2011".

Plusieurs responsables politiques ont exhorté le gouvernement à agir. Alexis Tsipras, leader du parti de gauche Syriza, a récemment plaidé devant le Parlement pour une "annulation partielle ou totale" des traites des foyers les plus endettés.

Le ministre des Finances d'alors, Evangelos Venizelos, a clairement fait savoir qu'il n'en était pas question, soulignant en revanche que le gouvernement travaillait avec les banques grecques en vue d'"un mécanisme durable de règlement des emprunts parce qu'une banque n'a aucune raison de réclamer de l'argent à quelqu'un qui n'a ni revenu, ni patrimoine".

Des mesures ont déjà été prises, notamment pour rééchelonner les traites des fonctionnaires directement prélevées sur les salaires. En juin 2010, deux ans après le début de l'entrée de la Grèce dans une récession interminable, le pays a adopté sa première loi visant à protéger les surendettés.

Selon le ministère des Finances, 750.000 emprunts, dont 400.000 prêts à la consommation, ont ainsi pu être rééchelonnés.

Un chiffre qui laisse froide la grande femme brune, sourire timide qui sort de la consultation psychologique d'Ekpizo: 48 ans, un prêt contracté pour l'achat d'un appartement en 2005 "quand tout allait bien". Puis un divorce, la faillite de son commerce, le chômage qui dure.

"J'ai 550 euros à rembourser par mois et je ne peux pas. J'ai acheté mon appartement 130.000 euros, il en vaut 50.000. La banque a refusé mon dossier de rééchelonnement il y a quelques mois".

"Les négociations avec les banques sont très difficiles et les refus sont nombreux, assure Mme Linardatou. Après, il faut aller en justice et les délais pour passer en audience sont d'un an à un an et demi".

De longs mois d'angoisse que les psychologues et travailleurs sociaux d'Ekpizo tentent d'apaiser. Despina Milona et Angeliki Tsikli prennent en charge tous les quinze jours un groupe d'une dizaine de personnes, "des chômeurs, des retraités, un commerçant et un salarié du privé".

"Ils ont emprunté pour acheter une maison, aider leurs enfants, payer des frais médicaux", dans un pays où se soigner coûte très cher, expliquent les jeunes femmes.

A l'angoisse du lendemain, s'ajoute un "fort sentiment de culpabilité": "beaucoup se disent que c'est de leur faute, qu'ils auraient dû faire d'autres choix ou voter différemment".

 

 

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 18:18

 

Marianne - Rédigé par Gérard Filoche le Samedi 17 Mars 2012 à 17:18



Manifestation contre la Troïka au Portugal en janvier dernier NUNES PEDRO/SIPA
Manifestation contre la Troïka au Portugal en janvier dernier NUNES PEDRO/SIPA
Le plan de sauvetage des banques privées
 
La réalité est très loin des images d’Epinal qui nous présentent le « plan de sauvetage de la Grèce » comme un exercice d’équilibre entre les sacrifices « consentis » par le peuple grec et les « sacrifices » des banques. Les sacrifices ne sont nullement « consentis » par le peuple grec qui multiplie grèves et manifestations. Les « sacrifices » des banques ne sont en rien des sacrifices. La Grèce est loin d’être sortie d’affaire, au contraire. Quant à la crise de la dette publique européenne elle resurgit maintenant sous d’autres formes, tout aussi dangereuses.
 
Le « sacrifice » des banques 
 
Les créanciers privés et les banques qui sont les principales créancières privées de la Grèce se sont-ils « sacrifiés », comme le proclament à grands renforts de violons plaintifs la quasi-totalité des médias, en « effaçant » 53,5 % de leurs créances, c’est-à-dire 107 milliards d’euros ?
 
Il suffit pour répondre à cette question d’imaginer ce qui serait advenu en cas d’impossibilité pour la Grèce de rembourser ses créanciers. La Grèce n’aurait pas obtenu les 130 milliards d’euros versés par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le FMI. Elle n’aurait donc pas pu faire face au remboursement de ses obligations arrivées à échéance (14,5 milliards d’euros à la fin du mois de mars). La panique aurait gagné les marchés financiers et se serait immédiatement étendue aux titres des dettes publiques italiennes et espagnoles qui représentent un total de près de 3 000 milliarsd d'euros en grande partie détenus par les banques et les assurances de l’Union européenne.
 
C’est donc pour sauver leurs créances de près de 3 000 milliards d’euros et leur propre peau (une crise bancaire aurait immédiatement suivi ce défaut grec), que les banques et les assurances européennes ont accepté de « perdre » 106 milliards d’euros.
 
Ensuite, sur les 130 milliards soi-disant versés par le FESF et le FMI pour « aider la Grèce », 25 milliards d’euros seront aussitôt utilisés à recapitaliser les banques grecques et retourneront donc aux banques.
 
Ensuite, la valeur des obligations grecques n’avaient plus rien à voir avec leur valeur d’émission. Une obligation de 100 euros lors de son émission (sa valeur faciale) ne valait plus sur le marché secondaire (la bourse) que 10 euros dans le meilleur des cas. Les nouvelles obligations reçues par les banques et les assurances en contrepartie de leurs anciennes obligations auront une valeur de 46,5 % de la valeur faciale des anciennes obligations. Soit une valeur de 46,5 euros pour une obligation de 100 euros qui ne valait plus que 10 euros sur le marché boursier. Un cadeau, donc, de 36,5 euros par obligation de 100 euros pour les banques !
 
Ensuite, les banques pourront faire jouer les assurances, les fameux CDS (Credit Default Swap) qu’elles avaient prises sur la dette publique grecque. Certes, d’autres banques devront cracher au bassinet les 3,2 milliards d’euros concernés mais se sont essentiellement des banques anglo-saxonnes, Morgan Stanley notamment.
 
Les banques et les assurances européennes s’étaient de toute façon déjà défaussées d’une bonne partie des titres de la dette publique grecque qu’elles avaient acquises aux dépens de la Banque centrale européenne (BCE) et du FESF. Un nouveau transfert, d’une rare discrétion, des dettes privées vers les dettes publiques, après celui de 2008-2009.
 
Les banques européennes avaient investi en titre de la dette publique grecque une partie des centaines de milliards d’euros que la Réserve fédérale américaine et la BCE leur avait fourni à taux zéro lors de la crise bancaire de 2008. Grâce à ce plan de sauvetage, elles auront sauvé l’essentiel de leurs fonds malgré l’échec de leur spéculation. Ce sera aux peuples européens de payer la facture puisque les dettes de la BCE et du FESF sont garanties par les Etats de l’Union européenne.
 
Les Grecs ne bénéficieront pas de l’ « aide » de l’UE et du FMI 
 
L’argent sera versé sur un compte bloqué comme l’avait exigé Merkozy. Les sommes ne seront débloquées que pour recapitaliser les banques ou payer les créanciers de la dette grecque au fur et à mesure de leur arrivée à échéance.
 
Les Grecs ne verront donc pas la couleur d’un seul euro des 130 milliards d’euros de l’UE et du FMI, comme cela avait déjà été le cas pour le précédent prêt de 110 milliards. Ce plan de sauvetage n’est pas un plan de sauvetage de la Grèce, bien au contraire puisqu’il l’enfonce encore plus dans la récession et la misère sociale. C’est uniquement un plan de sauvetage des banques.
 
 

 

La dette publique grecque ne diminuera pas 
 
La dette grecque s’élève à 365 milliards d’euro, c’est-à-dire à 160 % d’un PIB de 328 milliards d’euros fin 2011.
 
Merkozy et la finance annoncent qu’avec les « sacrifices » des banques et le prêt de 130 milliard d’euros, la dette grecque ne devrait plus s’élever qu’à 120 % du PIB de la Grèce en 2020. Pourquoi en 2020 ? Tout simplement parce que le prêt de 130 milliards du FESF et du FMI viendra s’ajouter à la dette publique actuelle de la Grèce : 106 milliards en moins et 130 milliards en plus, cela signifie à court terme une dette accrue de 24 milliards d’euros !
 
La Troïka (BCE, UE, FMI) prévoit pour arriver à une dette grecque de 120 % du PIB en 2020 une croissance de 1,1 % en 2012 et de 4 % par an ensuite. Ce scénario illustre parfaitement l’incroyable aveuglement de la Troïka. En 2011, le PIB de la Grèce a diminué de 6 %. Cela devrait être encore pire en 2012 et on ne voit pas comment la situation pourrait s’améliorer entre 2013 et 2020. Ce que la Troïka est incapable de comprendre c’est que les plans de destruction sociale imposée à la Grèce ont massacré sa consommation intérieure et que la généralisation de l’ « austérité » à l’ensemble de l’Europe détruisent ses débouchés extérieurs.
 
Il faudra bien, tôt ou tard, se rendre à l’évidence, la Grèce est insolvable, elle ne pourra jamais rembourser sa dette. La seule solution pour elle est d’annuler sa dette publique et d’éjecter de son sol les hommes en noir de la Troïka avec leurs plans de destruction sociale.
 
 

 

Petros Giannakouris/AP/SIPA
Petros Giannakouris/AP/SIPA
La démocratie grecque pulvérisée 
 
La formule employée par le ministre de l’économie grec, Evángelos Venizélos, illustre parfaitement ce qu’il en est, aujourd’hui, de la démocratie grecque. Ce triste personnage s’est félicité d’une participation « massive » des créanciers grecs qui constitue « un vote de confiance » de ces créanciers. Voilà le seul « vote » qui compte pour le gouvernement grec actuel. Il faut dire que Venizélos, venu dans les bagages de Papademos doit son poste actuel de ministre aux marchés financiers qui avaient imposé ce nouveau gouvernement dit d’ « union nationale » après que Papandréou ait osé (pas longtemps, hélas) s’opposer à Merkozy en annonçant un référendum.
 
Les sommes versées par le FESF et le FMI le seront sur un compte bloqué, contrôlé par la Troïka. Les nouvelles obligations émises par la Grèce seront soumises au droit anglais pour rendre plus difficile une restructuration ou une annulation de la dette grecque.
 
La Troïka siège en permanence à Athènes et se substitue de plus en plus au gouvernement et à l’Etat grec. Cela ne suffit pas à Merkel qui veut, de nouveau, imposer à la Grèce la présence d’un commissaire européen chargé d’administrer la Grèce.
 
La Troïka a exigé, avant les élections législatives, que les dirigeants des « partis de gouvernement » signe un document les obligeant à ne rien changer aux engagements pris par le gouvernement de Papadémos. Une façon évidente d’annoncer que ses élections ne serviront à rien, que le suffrage universel n’a plus aucune valeur.
 
Les élections législatives sont sans cesse repoussées. Elles devaient avoir lieu en février, le gouvernement parle maintenant de mai ou de juin. Il faut dire que les sondages donnent 40 % des suffrages aux partis de gauche qui refusent les plans de destruction sociale. Le PASOK, déjà affaibli par le refus courageux de 22 de ses députés de voter la dernier plan de destruction sociale, n’obtiendrait plus que 10 % des voix alors qu’il avait recueilli 44 % des suffrages en 2009.
 
La politique des oligarques européens est une quadruple catastrophe 
 
Une catastrophe démocratique comme nous  venons de le voir. Une catastrophe sociale avec les plans de destruction sociale à répétition imposés au peuple grec. Une catastrophe économique puisque ces plans plongent la Grèce dans une récession de plus en plus profonde.
 
Une catastrophe financière, enfin, puisque le déficit public de la Grèce s’accroît chaque année de 6 ou 7 %, contrairement aux objectifs des oligarques européens. Selon le dernier rapport de la Troïka, la Grèce pourrait revenir sur les marchés financiers en 2015. C’est complètement farfelu. Il faudrait pour cela que les marchés financiers exigent de la Grèce des taux de l’ordre de 5 % pour acquérir les obligations qu’elle émettrait afin de rembourser les titres de sa dette publique arrivés à échéance. Cela n’a aucun rapport avec la réalité : le taux de rendement des obligations grecques exigé par la finance est aujourd’hui supérieur à  34 % sur le marché secondaire (la bourse). L’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » du 4 mars affirmait que la Troïka, dans une première version de son rapport, avait écrit que ce retour de la Grèce sur les marchés financiers était loin d’être évident et que les besoins en financement de ce pays pourraient alors atteindre 50 milliards d’euros entre 2013 et 2020. Ce passage, selon « Der Spiegel », avait été retiré à la demande du gouvernement allemand.
 
La crise de la dette publique européenne est, hélas, loin d’être terminée 
 
Sarkozy, à l’issue du sommet européen de Bruxelles, le vendredi 2 mars proclamait : « nous ne sommes pas sortis de la crise économique mais nous sommes en train de tourner la page de la crise financière ». Il n’avait toujours pas compris qu’il y avait un rapport étroit entre crise financière et crise économique. Sous prétexte de répondre à la crise financière en réduisant les déficits à marche forcée, les « plans de rigueur » imposés aux pays européens plongent leurs économies dans la récession. La récession, à son tour, empêche toute réduction des déficits publics et accroît la crise financière.
 
Pour sortir de ce cercle vicieux, les oligarques européens veulent imposer des « réformes de structure ». Ainsi, en Espagne, au nom de la lutte contre le chômage, le chef du gouvernement, Mariano Rajoy entend-il imposer une réforme du marché du travail qui passe par une suppression de toute entrave aux licenciements, une durée de stage avant titularisation passant de six mois à un an. La meilleure recette pour encore augmenter le chômage et accentuer la récession de l’avis des syndicats espagnols (UGT et CCOO) qui appellent à une nouvelle grève générale le 29 mars prochain. En attendant, la Commission européenne « attend des explication » et envoie ses « inspecteurs » à Madrid.
 
Sarkozy veut nous faire croire que le répit relatif que connaissent aujourd’hui les taux d’intérêts de l’Espagne et de l’Italie (5 à 6 % au lieu de 6 à 7 %) serait dû au pacte Merkozy. C’est entièrement faux, ce pacte aboutit exactement à l’effet inverse en enfonçant encore plus l’Europe dans la récession.
 
Le répit donné à ces deux pays a une seule origine, les 1 018 milliards d’euros prêtés aux banques européennes par la BCE au taux de 1 % : 489 milliards en décembre 2011et 539 milliards en mars 2012. Les banques (en particulier italiennes et espagnoles) utilisent les fonds qu’elles ont obtenus aux guichets de la BCE pour acheter des titres des dettes publiques espagnoles et grecques et faire baisser leurs taux de rendement. Mais la BCE aura du mal à renouveler ce type de crédit car les marchés financiers commencent (à juste titre) à s’inquiéter de l’addiction des banques à ce type de crédit. Et peut-être aussi les peuples espagnols et italiens commenceront-ils à se poser la question de savoir pourquoi les banques prêtent à l’Espagne et à l’Italie à des taux supérieurs à 5 % alors qu’elles obtiennent cet argent au taux de 1 % auprès de la BCE ?
 
 

 

A peine signé, le traité Merkozy ne peut déjà plus s’appliquer 
 
A peine le pacte budgétaire était-il signé (et non ratifié), le 2 mars, par 25 pays européens,  que les Pays-Bas et l’Espagne annonçaient qu’ils ne pourraient pas l’appliquer.
 
Le pays le plus acharné à imposer la « règle d’or » du pacte budgétaire de Merkozy, les Pays-Bas, annonçait que son déficit public atteindrait 4,5 % du PIB en 2012 et 4,1 % en 2013. Très loin des 3 % auxquels le gouvernement des Pays-Bas s’était engagé.
 
Le chef du gouvernement conservateur de l’Espagne annonçait, lui aussi, qu’il ne pourrait tenir les objectifs fixés par le traité Merkozy. Le  déficit public s’élevait à 8,51 % du PIB espagnol en 2001 et Mariano Rajoy ne voyait pas comment il pourrait atteindre les objectifs de 4,4 % en 2012 et de 3 % en 2013.
 
Les malheurs des oligarques européens ne s’arrêtent pas là. Les marchés financiers semblent maintenant comprendre (à la différence de Sarkozy) que, sans croissance économique, la détention des titres de la dette publique portugaise sera de plus en plus risquée. Et comme les prévisions de croissance négative au Portugal dépassent les 5 % en 2012, le taux de rendement des obligations portugaises à 10 ans atteignent maintenant 12,45 %. Ce qui rend illusoire la possibilité d’un retour du Portugal sur les marchés financiers en 2014. Il ne restera plus alors au Portugal que deux solutions : faire défaut de sa dette ou demander un nouveau prêt à la Troïka. Le Portugal apparaît donc maintenant comme le nouveau maillon faible de l’Union européenne.
 
Pire que tout, pour les oligarques européens, la démocratie qu’ils veulent à tout prix mettre au pas leur fait obstacle dans trois pays européens.
 
L’Irlande où l’annonce d’un référendum sur le traité Merkzoy leur à fait l’effet d’une douche glacée.
 
La France où l’élection présidentielle pose un gros problème à Merkozy dans la mesure où l’élection de François Hollande signifierait la disparition de la moitié de ce duo de droite et la volonté du nouveau gouvernement français de renégocier le traité.
 
L’Allemagne elle-même, enfin, puisque sa constitution exige une majorité des 2/3 pour ratifier le traité européen alors qu’une partie de la coalition de droite refuse le traité (pour ne pas « aider » ces horribles Grecs) et que le SPD et les Verts posent leurs conditions à ce vote : l’adjonction d’un volet destiné à assurer la croissance économique.
 
Gérard Filoche
Jean-Jacques Chavigné 
 
 

Le plan de Merkozy et de la finance

 
 
Ce plan comprend trois volets :
 
Premier volet : un prêt de 130 milliards d’euros à la Grèce financé par le FESF (112 milliards d’euros) et le FMI (18 milliards d’euros). L’octroi de ce prêt est conditionné à la réalisation des deux autres volets.
 
Deuxième volet : un abandon de créances de 107 milliards d’euros par les créanciers privés de la Grèce (banques, assurances, fonds spéculatifs…)
 
Les créanciers privés de la dette publique grecque détiennent des titres de cette dette pour un montant de 206 milliards.
 
Les créanciers privés qui détiennent 83, 5 % du montant total de ces titres (172 milliards d’euros) ont « volontairement » accepté de diminuer leurs créances de 53,5 %. Un titre qui valait 100 euros lors de son émission (sa valeur faciale) ne vaudra plus que 46,5 euros.
 
Le parlement grec a ensuite décidé d’actionner la « clause d’action collective » et tous les créanciers privés des obligations grecques régies par le droit grec verront la valeur faciale des obligations de l’Etat grec qu’ils détiennent diminuée de 53,5 %. Cela concerne au total 95,7 % des 206 milliards d’euros, soit 107 milliards d’euros.
 
En contrepartie de leurs anciennes obligations, les créanciers privés recevront des obligations émises par le FESF pour 15 % de la valeur initiale de leurs obligations et de nouvelles obligations grecques pour 31,5 %. Les 53,5 % restant seront « perdus ».
 
Troisième volet : un nouveau plan de destruction sociale infligé au peuple Grec. Ce plan (voir D&S de janvier 2012), la pire agression qu’un peuple européen ait eu à subir en temps de paix depuis des siècles, a été voté, en février 2012, par un Parlement grec assiégé par le peuple grec.
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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 18:10
*Note perso : ceux qui ont assisté à la conférence du phylosophe grec Yannis Youlountas  qui avait lieu aujourd'hui à 15 h à l'auditorium de pablo Néruda retrouveront certainement la parfaite illustration d'une partie de son discours dans cet article... A lire donc !

 


M le magazine du Monde | 16.03.2012 à 12h43 • Mis à jour le 17.03.2012 à 12h57

Par Par Alain Salles / Photos Eirinis Vourloumis

 

Ils sont rentrés au moment où beaucoup d'autres veulent prendre le chemin de l'exil. Electre, Kyriaki, Vassilis ou Elena étaient partis, heureux comme Ulysse, pour de longs voyages, de longues études. Ils ont commencé à travailler dans un autre pays, sont restés trois, douze, vingt ans... Puis ont décidé de revenir à Ithaque, alors que le pays s'enfonçait dans la crise. Combien sont-ils comme eux ? Impossible, pour le moment, de quantifier ceux qui partent ; encore moins ceux - moins nombreux - qui reviennent. Et si la Grèce a toujours été une terre d'émigration, les étudiants partant pour revenir "plein d'usage et raison" comme disait Du Bellay, cette fois, le retour a une autre teinte.
L'une est députée, l'autre chômeuse. Celui-ci combat le capitalisme, celle-là est contente de retrouver l'esprit de liberté des Grecs... Pour ceux qui ont pris le chemin du retour, l'atterrissage n'est pas toujours facile. Comment renoue-t-on avec son pays des années après ? Passée la joie de retrouver le soleil et la mer, l'adaptation est parfois cruelle. L'une se fait klaxonner parce qu'elle s'arrête aux feux orange, l'autre ne supporte pas la pesanteur "tragique" de l'administration. Et puis il y a cette crise, difficile à vivre à distance, mais tellement dure à subir sur place.
Ces nouveaux (re)venus évoquent le "nuage pesant" qui plane sur le pays, la montée du chômage et l'augmentation de la pauvreté. Ils sont si habitués en France ou aux Etats-Unis à voir de nombreux SDF, qu'il leur a fallu un moment avant de se rendre compte que ces SDF n'existaient pas en Grèce avant la crise. Depuis avril 2010, les plans d'austérité se succèdent, plongeant le pays dans la récession. Et même si depuis une dizaine de jours, le spectre d'une faillite désordonnée est désormais écarté, certains ont peur d'être obligés de repartir et le vivent mal. Mais ils veulent s'accrocher et cherchent des signes positifs dans la noirceur de la crise, voyant de nouvelles solidarités, de nouveaux modes de consommation se mettre en place. Electre Petropoulou en est sûre, comme elle, d'autres Grecs reviendront, "pour apporter quelque chose à la Grèce".

ELECTRE PETROPOULOU, 49 ANS, TRADUCTRICE

ELECTRE PETROPOULOU, 49 ANS, TRADUCTRICE
"On est en train de retrouver la fonction de l'agora antique"

En 2010, Electre Petropoulou ne pouvait plus supporter de vivre la crise grecque à distance. Elle jugeait les informations caricaturales et les coups de téléphone à Athènes ne lui suffisaient plus. "Je ne voulais pas devenir une immigrée de luxe à Paris, pendant que mon pays souffrait." Elle vivait depuis près de vingt ans en France et pensait, depuis quelque temps, à rentrer, pour transmettre à sa fille "une partie de son identité grecque". C'est pourtant bien la crise qui fut l'élément déclencheur.
Elle revient à Athènes durant l'été 2010. Son idée : créer une maison d'édition avec des amis. Si elle n'a pas renoncé à son projet, les temps sont difficiles et en attendant, elle vit de ses traductions. "J'étais très contente d'être revenue, de retrouver le soleil et la lumière, qui sont indispensables à la vie d'un Grec. Et je le suis toujours. C'est vrai que la vie est devenue très dure. Les gens sont sombres, ils sont pris dans leurs problèmes. Mais il y a un esprit de liberté très fort en Grèce. C'est d'ailleurs un prénom (Eleutheria au féminin ou Eleutherios au masculin). Et une façon d'être." En juin 2011, Electre a participé aux réunions des "indignés". Elle ne va pas à toutes les manifestations, mais aux plus symboliques, lors des votes importants au Parlement sur les mesures de rigueur. "Il y a des gens très différents, des familles, pas seulement des personnes politisées. J'étais contente de retrouver mes compatriotes dans les manifestations", explique-t-elle en riant, se souvenant de sa jeunesse militante.
"Tout le monde parle de la crise et exprime ses idées. On retrouve la fonction de l'agora antique. Après toutes les attaques sur les Grecs paresseux et tricheurs qu'il y a eues dans plusieurs pays européens, les Grecs veulent reconquérir leur honneur. Et ils cherchent des -solutions. On voit apparaître des petits mouvements qui ne font pas de bruit mais créent de -nouvelles solidarités."Elle a peur que la Grèce serve de "laboratoire" pour une Europe de moins en moins sociale. "Je me suis sentie européenne. J'ai cru à cette Europe sans frontières, où les gens pouvaient circuler librement. Mais je crois que c'était un rêve, une illusion. Et on a finalement une Europe des marchés." Repartir ? Electre entend bien rester à Athènes : "Nous vivons une crise européenne. Et je préfère vivre cette crise en Grèce où la société est plus humaine."

ELENA PANARITIS, 42 ANS, DÉPUTÉE

ELENA PANARITIS, 42 ANS, DÉPUTÉE
"C'est maintenant que mon pays a besoin de moi"

?Elena Panaritis est une Grecque internationale et polyglotte. Elle a quitté Athènes en 1989 pour accumuler les diplômes, aux Etats-Unis, en France ou en Italie. Parle anglais, espagnol, français, italien et grec. Et a fait l'essentiel de sa carrière à la Banque mondiale où elle partait en mission pour "restructurer" les pays, du Pérou à la Thaïlande. Elena est revenue quand l'ancien premier ministre socialiste Georges Papandréou lui a proposé de participer aux élections législatives d'octobre 2009.
"Quand je suis arrivée à Athènes, j'ai eu l'impression d'assister à un film que j'avais déjà vu plusieurs fois dans d'autres langues, d'autres pays, en Amérique latine, en Afrique ou en Asie. Et là, c'était mon pays. Un petit pays qui vivait dans sa gangue. Mais toute l'Europe vit dans une bulle." Avec un salaire de députée de 8 000 euros, Elena ne souffre pas vraiment de la crise, mais l'acclimatation à la vie politique grecque est difficile. "Je me sentais seule. Dès octobre 2009, j'ai com-mencé- à alerter le premier ministre et les parlementaires sur la gravité de la crise. On me traitait de Cassandre. En Grèce, on pense toujours qu'il est possible de trouver une solution 100 % politique."Elena a défendu et voté les réformes, pour moderniser le pays, même si elle considère que le mémorandum n'était pas vraiment adapté à la situation grecque : "Cela demande du temps de réorienter le développement d'un pays. Mais ni le FMI, ni la Banque centrale européenne, ni la Commission européenne n'ont une logique de développement. Nous sommes un pays avec une civilisation de 3 000 ans, mais avec une organisation moderne de 30 ans. Il faut nous laisser du temps."Les ultimatums condescendants des dirigeants de l'UE l'irritent : "J'en ai marre des Européens de Bruxelles ! Quand un petit pays qui représente 2,7 % du PIB européen est en position de menacer l'ensemble du système, ce n'est pas ce petit pays qui est le principal problème mais bien le système qui ne fonctionne pas." Elena est une self-made-woman ambitieuse qui jongle avec ses téléphones portables et sait gérer son agenda médiatique. Les prochaines élections législatives, prévues fin avril, devraient être une bérézina pour le Pasok. Elle était fidèle à Papandréou mais n'a guère apprécié son utilisation politicienne du référendum, qui lui a été fatal, en novembre 2011. "Si je quitte la vie politique grecque, je peux retourner aux Etats-Unis et reprendre mon travail sur l'économie internationale. Mais je me dis que c'est maintenant que mon pays a besoin de moi."

VASSILIS REVALAS, 29 ANS, INFORMATICIEN

VASSILIS REVALAS, 29 ANS, INFORMATICIEN
"Depuis que je suis rentré, je lis Le Capital"

Quand il est parti à San Francisco en 2008, ses amis d'Athènes lui conseillaient de rester. "C'est la crise, là-bas, n'y va pas !" Quand il a décidé de revenir trois ans plus tard, ses amis de San Francisco lui ont tenu les mêmes propos, alors que la Grèce s'enfonçait dans la crise économique.
Après avoir vécu une partie de son enfance en Afrique du Sud, puis fait des études d'ingénieur en Angleterre, Vassilis avait commencé à travailler dans une société d'informatique à Athènes. Il y appréciait peu les rapports de force. Tombé amoureux de San Francisco, le jeune homme a franchi le pas de l'expatriation... mais s'est rendu compte que la Grèce lui manquait.
"Quand je suis rentré, en avril 2011, j'ai été frappé par ce sentiment de pesanteur dans l'atmosphère, comme si tout le monde vivait avec un gros nuage noir au-dessus de la tête." Vassilis s'inquiète de voir progresser le nationalisme, l'extrême droite et la pauvreté. Cheveux longs, queue-de-cheval et barbe, il a le look de nombreux jeunes manifestants. Vassilis a l'esprit politique. "Depuis que je suis rentré, je lis Le Capital de Marx, alors qu'auparavant je lisais plutôt le dalaï-lama." Avec des amis il suit sur Internet les cours du théoricien marxiste David Harvey à New York sur Le Capital et ils en débattent.
Il réfute l'idée de "crise grecque". "C'est une crise du système financier mondial. Nous entrons dans l'hiver du capitalisme qui va durer longtemps. Se focaliser sur la situation de la Grèce, c'est se concentrer sur une petite partie du problème. On se sert de la crise pour faire passer des réformes néolibérales, comme cela s'est produit en Amérique latine."A San Francisco, Vassilis travaillait dans une coopérative d'informaticiens. Il voudrait reproduire ce système à Athènes, mais "il n'y a pas vraiment de cadre légal pour les coopératives en Grèce". Il est en train de finir un programme pour sa société aux Etats-Unis. Après, il avisera, mais sait qu'il ne veut pas "travailler pour un patron". Il a participé à la création d'une banque du temps, avec plusieurs personnes rencontrées sur la place Syntagma. C'est un échange de services : deux heures de cours contre deux heures de réparation d'un ordinateur, sans circulation d'argent. "C'est important de créer des structures et des expériences qui sont utiles d'un point de vue pratique, et qui montrent aussi une autre façon de faire les choses. Sans chercher de profit."

KYRIAKI M, 32 ANS, AU CHÔMAGE KYRIAKI M, 32 ANS, AU CHÔMAGE

"En Suisse, les gens ont tout et pourtant ils ne sont pas heureux"

Après avoir vécu douze ans à l'étranger, Kyriaki M. s'est rendu compte que le pays où elle voulait vivre, c'était la Grèce, là où elle a passé son enfance et son adolescence. Partie étudier en France - elle est franco-grecque et ne veut pas dévoiler son nom de famille -, elle s'est ensuite installée en Suisse. La jeune femme travaillait dans une entreprise spécialisée dans la finance, mais ne supportait plus la pression. Et le soleil et la mer lui manquaient. Elle démissionne et décide de réaliser son rêve : "Depuis que j'ai quitté le lycée, j'ai un plan. Je voulais partir à l'étranger pour étudier et travailler. Puis revenir avec cette expérience, pour développer un projet dans le tourisme, qui est la seule industrie qui marche."

 Kyriaki prend sa décision fin 2009, avant de s'installer à Athènes, en avril 2010. Elle part tout l'été pour travailler - au noir - dans un grand hôtel. Puis revient dans la capitale pour être embauchée au service marketing d'un groupe touristique qui travaille avec des tour-opérateurs. Son salaire est versé avec retard. Et il n'est pas gras. En six mois, elle subit deux baisses de salaire, peu importantes, mais qui font passer ses revenus sous la barre symbolique des 1 000 euros. Un matin d'octobre 2011, elle est convoquée par son patron, qui lui annonce sans préavis son licenciement.
Kyriaki travaillait depuis moins d'une année et n'a droit à aucune indemnité de chômage. "Récemment mon ami a rencontré un de ses anciens camarades. La première question posée, c'était : "Comment ça va ?" Et la deuxième : "Tu as encore un travail ?""
Elle imaginait un retour moins brutal. "Je revenais régulièrement, mais j'ai raté douze ans de mon pays. Il est totalement différent de celui que j'ai connu dans les années 1980. Il est dirigé par une bande d'incompétents. La bureaucratie est tragique. Les relations au travail sont très dures." Mais cette jeune femme blonde ne veut pas revenir en arrière et renoncer à son rêve.
"En Suisse, les gens ont tout - sauf le soleil et la mer -, et pourtant ils ne sont pas heureux. Quand tu luttes contre quelque chose, tu apprécies ce que tu as. Mais si mon compagnon perd son travail ou si le pays quitte l'euro, on sera obligé de partir. Et je me sentirais comme une réfugiée. Il y a douze ans, je suis partie de mon plein gré. Si cela m'arrivait demain, je vivrais ça comme une expulsion de mon propre pays."

Par Alain Salles / Photos Eirinis Vourloumis

 

 

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 15:43
Médiapart - Mardi 13 Mars 2012 à 05:00
Yianis Makridakis - Tribune

 

Yianis Makridakis est écrivain. Ayant un sentiment de profonde gratitude et de respect envers les citoyens français, il a voulu leurs adresser cette lettre, à travers Marianne2, pour les informer de ce que la Grèce vit réellement aujourd'hui. Son but, « éviter l'assaut des régimes totalitaires des marchés en Europe afin de pouvoir enfin créer une Union Européenne des citoyens et des personnes ».

 

(Paris : manifestation de soutien pour les grecs - SEVGI/SIPA)
(Paris : manifestation de soutien pour les grecs - SEVGI/SIPA)
Chers Français et concitoyens Européens,

Je m'adresse à vous, pas seulement grâce à votre tradition démocratique et à vos combats pour les droits de l'homme, mais aussi parce que votre pays, et certains Français illuminés du passé, comme Octave Merlier en 1945, ainsi que beaucoup d'autres personnalités à la fois célèbres et anonymes se sont précipités pour soutenir et aider les citoyens grecs et les combattants de la résistance dans les moments historiques de la guerre civile (1946-1949) et de la dictature militaire en Grèce (1967-1973).

Je vous adresse un cri d'angoisse et d'indignation à cause de ce qui se passe dans mon pays ces deux dernières années sous le prétexte d’une politique économique qui vise à échapper à la crise de la dette.

Je m'adresse à vous en tant que dernier espoir en attendant d'activer vos sentiments démocratiques et humanitaires et de mobiliser votre réaction à travers des textes et des mouvements, afin de changer le parcours de l'Europe, qui, en commençant par la Grèce, se déplace tête baissée vers une gouvernance par des régimes totalitaires.

En Grèce, chers Français et concitoyens européens, on estime que nous sommes déjà depuis longtemps sous un régime dictatorial.

Les partis politiques et leurs représentants au Parlement, ont été élus en 2009, lorsque la situation politique en Grèce était complètement différente et rien ne préconisait ce que nous vivons aujourd'hui. Les partis politiques, les partis au pouvoir n'ont pas dit un mot aux citoyens sur la crise économique et la dette dans leurs programmes électoraux. En revanche, ils sont montés au gouvernement sous le slogan « De l’argent, il y en a ».

Et après quelques mois, sans avoir eu l'approbation des citoyens grecs, les partis au pouvoir ont amené notre pays au Fonds Monétaire International (FMI) et sous la tutelle de la Troïka en signant le premier Mémorandum (protocole du plan d’austérité).

Je ne vais pas vous ennuyer en vous présentant des circonstances, que vous connaissez déjà à travers les nombreuses références et reportages des médias. Je dirai seulement que l'échec du premier protocole d’austérité (Mémorandum 1) a conduit le pays dans une récession économique majeure et la société dans la pauvreté et la décadence.

Suite à cette première déviation politique, puisque le protocole a été signé sans que le citoyen grec ait donné son accord, une deuxième, plus provocante,  a suivi. Le Premier Ministre grec George A. Papandreou, élu en 2009, a démissionné et Lucas Papademos, ancien banquier et membre de la Banque centrale européenne, a été nommé Premier Ministre à sa place.

Un gouvernement non élu, sous la direction du Premier Ministre Lucas Papademos, a continué de poser des dilemmes de chantage aux citoyens grecs dans le but de signer un nouveau Mémorandum, qui rassure à jamais tous les prêteurs du pays, prévoit de céder une partie de la souveraineté nationale de la Grèce, appauvrit davantage les citoyens grecs, impose de vendre jusqu'à concurrence leurs ressources nationales en jetant le pays dans une récession encore plus profonde, avec toutes les conséquences que cela puisse apporter à la société désorganisée.

En parallèle, ce gouvernement non élu a adopté une violence inouïe et illégitime contre des citoyens grecs, qui, parfois à travers des rassemblements, ont tenté de protester.

En ayant tout signé à l'insu des citoyens grecs dans le Mémorandum 2, ce gouvernement non élu a accepté la condition de rassurer d’une manière constitutionnelle le remboursement de la dette. C'est-à-dire que ce gouvernement non élu a effectué le changement de la Constitution Grecque en faveur des prêteurs.

Les élections en Grèce, si elles ont lieu un jour, n’auront plus de sens, puisque le gouvernement nommé actuel a signé des accords engageant les futurs gouvernements. Ils ont donc engagé les citoyens grecs et la société grecque pendant au moins huit ans, jusqu'en 2020, année où, selon le scénario le plus optimiste, la dette grecque sera à 120% du Produit Intérieur Brut (PIB), telle qu'elle était en 2009, lors des dernières élections.


Chers Français et concitoyens Européens.

Nous les Grecs, nous vivons sous le régime dictatorial des marchés, nous souffrons et le pire de tout ce que nous éprouvons n’est ni la pauvreté ni la misère, mais le désespoir car nous ne pouvons pas nous exprimer en tant qu'individus et en tant que citoyens. Nous sommes captifs de ceux qui ont régné pendant trente ans dans notre pays, qui ces deux dernières années, ont changé de masque, feignent d’être innocents, les réformateurs, signent tout contrat et mémorandum qui ne sert que les intérêts des prêteurs et battent impitoyablement chaque manifestant pacifique qui se sent étouffé par l'injustice accumulée, en employant la répression policière et ses armes chimiques.

Chers Français et concitoyens Européens, je vous demande de pressentir notre avenir commun et celui de l'Europe. La Grèce n'est pas la victime. Elle est la première victime. C'est un cobaye. Si les objectifs sont atteints, ce qui n'est pas loin de la réalisation, la formule sera appliquée à d'autres pays, ayant comme conséquence la transformation de l’Europe des citoyens à l'Europe des gens économiquement et politiquement misérables.

De la Grèce, berceau de la démocratie, de Chios, l'île où j’habite, qui se trouve à la frontière de l'Union européenne, en face de la côte Turque, j’émets un cri avec toute la force qui me reste et je demande votre aide parce que notre présent ici est privé de droit d'expression politique et notre avenir n'existe pas.

Je vous remercie et je compte sur votre aide pour faire entendre notre voix et ensemble nous pouvons enfin nous battre pour une Europe à visage humain.


Traduction du Grec: Lazaros MAVROMATIDIS

 

Retrouvez Yianis Makridakis sur son blog.
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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 15:36
Marianne - Mardi 13 Mars 2012 à 12:00 | Lu 944 fois I 2 commentaire(s)

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis...

 

 

Suite des carnets hellénistes de Panagiotis Grigoriou, qui décrit la relative accalmie en Grèce depuis Rhodes. La saison touristique va bientôt ouvrir, tout doit être fait pour accueillir les visiteurs à bras ouverts, en laissant de côté les problèmes du pays. Mais est-ce parce qu'on n'en parle plus qu'ils vont disparaître pour autant ?

 

(Tourisme à Athènes - SAEZ PASCAL/SIPA)
(Tourisme à Athènes - SAEZ PASCAL/SIPA)
Le métronome de la crise n'indique pas le même tempo partout. Dans les îles grecques, et bien au-delà, son signal, pourtant toujours audible, s'atténue quelquefois par l'écho de la mer. À Rhodes, ce signal, trahit pourtant une certaine agitation. C'est la saison du grand rafistolage en direct. Peinture, menuiserie et surtout, l'appréhension du futur. Les hôtels et les autres infrastructures touristiques, sont en ce moment en réfection, car le moment du premier vol charter ne tardera pas. Examiné sous ce prisme, le quasi-imprévisible qui a créé l'événement du 7 mars, comme dirait peut-être Georges Braque en pareilles circonstances, a été largement commenté sous la polémique, à travers les terrasses du vieux port, et dans les cafés, décorés des images du passé.
 
Un vieil homme a même levé sa canne de marche, la tenant fièrement par son pommeau en signe d'indignation... contre les indignés et les politiciens, sans distinction : « Voyez-vous, ces images de Rhodes feront le tour du monde par votre Internet et par les télés, les touristes auront alors peur, c'est du blasphème (sic) à l'encontre de notre tourisme, les indignés ne travaillent-ils pas dans cette branche ? Puis, ces politiciens – escrocs, pourquoi sont-ils venus se montrer ainsi —, c'était bien prévisible, honte, honte à tous, nous creusons notre propre tombe alors tout seuls ».

La réponse fut immédiate : « Monsieur, vous vous trompez, Rhodes et la Grèce c'est le soleil plus désormais les manifestations, les touristes viendront évidement, car ils savent qu'ils ne craignent rien, certains étaient déjà sur la place de la Mairie hier, et ils prenaient bien des photos, vous ne les aviez pas remarqués, ils étaient même plutôt souriants ».
 
Par contre, chez les politiciens, les événements de Rhodes « constituent un mauvais signal, car en dépit de ces actes, il s'agit de protéger et de préserver le fonctionnement de notre régime démocratique », a déclaré devant le conseil des ministres, Lucas Papadémos, le premier, Premier ministre de notre pays à être si... démocratiquement élu, plébiscité même, par tous les automates banquiers, plantés sur notre territoire, d'où sans doute, le dernier sobriquet qu'on lui a collé, « l'automate ».

La spirale de la dette

Alors les automates, Papadémos et les siens ces derniers jours, se déclarent plus que satisfaits, se félicitant entre eux, et si possible devant les caméras, de l'achèvement « réussi » du PSI, autrement-dit, « de la plus grande restructuration de dette de l'histoire d'un pays » selon le journal Le Monde de ce samedi 10 mars.

Car ainsi, la Grèce « évite la sortie de route incontrôlée mais doit néanmoins finir d'organiser sa propre faillite. Certes, 83,5 % des créanciers privés de la Grèce ont accepté d'abandonner 53,5 % de leurs titres, a indiqué Athènes, vendredi 9 mars au matin. Mais le gouvernement grec a décidé d'utiliser la force — et de contraindre les prêteurs récalcitrants à prendre leurs pertes. L'opération doit permettre d'effacer la moitié des 206 milliards d'euros d'emprunts du pays souscrits par les banques, assureurs et autres fonds. Et contribuer à ramener à 120,5 % du produit intérieur brut la dette hellène en 2020, contre 160 % aujourd'hui. Un niveau très élevé, qui ne met pas le pays à l'abri ».
 
Sauf que le PIB grec, devrait passer de –7,5 % à +2 %, en quelques mois, donc la nouvelle dette ne sera pas viable de toute façon... les citoyens non plus. C'est sans doute ce dernier paramètre « gênant », qu'un retraité a voulu aussitôt rappeler à la suffisance du ministre de l'Economie Venizélos, en lançant sur lui un yaourt, en pleine réunion nationale du PASOK ce samedi, aux quartiers sud d'Athènes. « Un homme âgé, alors dérangé et problématique, qui malheureusement a réussi à pénétrer dans les locaux », ont indiqué les proches du ministre. Venizélos, selon la presse, a alors tout simplement changé de veste gardant tout son sang froid, minimisant ainsi l'incident.

Espoir et tourisme

Mais à Rhodes, on sait faire aussi dans la diachronie à travers l’identité égéenne et méditerranéenne, par ses métamorphoses culturelles depuis les temps anciens, alors toujours visibles. Puis, comme pour Elytis, le poète, la mer Égée renvoie à l’éternité, une « mer perpétuelle », et on peut comme lui, penser au « soleil et [aux] années, qui viendront sans nous, porter déjà le deuil et chanter celles, qui déjà sont passées, si cela est réel ».
Pourtant, et avant toute éternité, comme il faut bien lutter pour la vie... sous « l'éternité » de la dette souveraine, on peut aussi juger finalement opportun, que de préparer ses bagages pour l'Australie, et pour les années qui viendront encore heureusement avec nous, et... avec tous les automates de la terre réunis, qui nous sont alors tombés sur la tête.
 
Comme ces deux amis entre eux, en train de pêcher, rencontrés sur la plage au nord de la ville, à l'heure du passage du ferry en provenance du Pirée : « Nous nous mordons la queue sur le tourisme je crois. Nous nous gargarisons le vinaigre de la globalisation à travers la gorge. Les touristes viendront et paieront encore moins cher, quelques dizaines d'euros au mieux, pour une pension complète dans les hôtels étoilés donnant sur la baie. Ces mêmes hôtels qui nous réclament à nous, les autochtones, 80 euros par nuit et sans pension. Donc, pour faire venir nos amis d'Athènes désirant séjourner à l'hôtel, c'était l'été dernier, nous avions réservé et réglé nos factures par Internet, via les tour opérateurs de Londres. Mon épouse est au chômage, elle sera peut-être embauchée dans un hôtel, et encore, il faut activer notre réseau, nous ne sommes plus très jeunes voyez-vous, puis, elle travaillera pour combien, 500 euros pas mois, 12h par jour ?

Moi même, je suis employé dans l'administration locale, mon salaire est ramené à 900 euros, nous avons deux enfants... Ma sœur vit en Australie, nous pensons éventuellement partir mais si possible, après l'été. Nous hésitons encore, car nous étions heureux chez nous, c'est notre île, nous l'aimons, puis, paraît-il que Rhodes c'était de la Grèce riche qu'en pensez-vous ? Nous avons vu à la télé qu'à Salonique des gens ont faim, Papadémos et les autres, nous ne voulons plus les voir, notre pays est si doux et eux, ils sont tellement durs, au diable tous 
».
 
D'autres par contre, ne partagent pas cet avis. Des universitaires par exemple, fréquentant les cafés branchés de Rhodes, lecteurs parfois assidus de la presse gouvernementale, se plaignant ainsi de la baisse de leurs salaires, ceci-dit, ils espèrent encore, «préparer la retraite pour bientôt, si possible bonne, c'est à dire, mille deux cent euros, plus un complément ». Ni lutte, ni indignation, chez certains d'entre eux en tout cas, autrement-dit, le sort de la Grèce raconté comme une mauvaise météo, puis, retour aux petites affaires de la faculté, la résistance finalement en option, facultative.

 

En revanche, Petros et sa fiancée Fani, elle, employée auprès d'une agence maritime, lui travaillant dans le tourisme, se disent prêts pour un autre avenir, désormais obligatoire selon eux :
« Nous y resterons et nous nous battrons jusqu'au bout. Par le travail et dans la lutte. Les salopards partiront d'ici un jour, pas nous, il est hors de question, mais sur Rhodes, les mentalités sont un peu lentes, disons ».
 
Le jeune homme de 21 ans, déféré devant la justice sur l'île des Chevaliers, à la suite des événements du 7 mars, a été condamné vendredi à quinze mois de prison avec un sursis de trois ans. « Ces accusations sont fausses, j'ai été poussé par la foule, je me suis retrouvé sur le policier et c'est ainsi qu'il a été blessé, c'était involontaire », a-t-il precisé, dans sa déposition au tribunal. Son avocat, Stelios Alexandris a déclaré aussitôt aux journalistes de la presse locale, que « le vrai perdant est notre démocratie ainsi blessée ». 
 
J'ai recueilli la version de trois militants de la gauche locale, SYRIZA et KKE (P.C.) sur le 7 mars. « Certains des nôtres étaient présents sur la place, mais nous avons officiellement appelé à ne pas participer aux... assauts, non pas par quelconque connivence avec les politiciens des grands partis du mémorandum, mais parce que nous sommes en train de subir une attaque sans précédent, de dénigrement des nos actions politiques. Cette propagande, cette pratique anti-gauche alors très sombre, renvoie aux habitudes des années 1950-1960.

Les indignés, disons de la première ligne, étaient alors des sympathisants d'autres mouvements, l'extrême droite ne devait pas être trop loin non plus, bien que très peu nombreuse sur Rhodes, puis, il y avait les jeunes du mouvement anarchiste, bien de chez nous. Nous avons même contribué à faire libérer le jeune garçon anarchiste, arrêté par la police. Il l'ont "simplement pris", car il était déjà repéré lors d'une action précédente de son mouvement, seulement, nous ne pouvons pas accepter une telle intimidation de la part des autorités.

Ainsi finalement, le juge pour mineurs n'a retenu aucune charge contre lui. Nous pensons que des approbations publiques sur les places initiales, nous devons arriver à un autre stade plus constructif, déjà, nous attendons les élections sous les intimidations des adversaires politiques. Le système mise gros depuis le Mémorandum II, des journalistes nous ont dit qu'à Athènes déjà, beaucoup d'argent a circulé en février pour acheter ou "corriger" des médias. Des journalistes de la presse écrite ou de la radio supposés anti-mémorandum, qui désormais "admettent l'inéluctable" ; nous pensons par exemple que le revirement survenu à la Radio-9, appartient à ce contexte. Il ne faut plus se voiler la face, la gauche a perdu toutes ses batailles depuis deux ans, désormais, il ne faut plus perdre, car bientôt, elle peut ne plus exister, elle sera éventuellement mise hors la loi, et il y a à craindre que les sociétés occidentales de 2012 ne soient pas prêtes pour mener la lutte clandestine, comme en 1940
».

Un pays ingouvernable ?

Chez les bancocrates aussi on réfléchit. Le gouvernement de l'automate, d'ailleurs remanié depuis quelques jours suivant le stratagème désuet de la poudre aux yeux, prend acte du châtiment de Rhodes et se prépare pour la fête nationale du 25 mars. Nous commémorons la Révolution du 1821 et la liberté retrouvée, après une longue domination Ottomane. Ainsi, et de son côté, l'hebdomadaire de l'extrême droite « La Cible », paru jeudi, présente sur sa Une, la photographie retouchée du bâtiment de l'Assemblée Nationale, peint... en treillis, sous le titre : « La seule solution face à une Europe qui vacille et à un régime en décomposition, c'est l'État National. En Grèce, hier, comme aujourd'hui, c'est le Peuple qui fait la Résistance et l'Armée qui fait la Révolution ! - Les parachutistes réservistes de nouveau en tête, ils seront là où il faut, ce 25 mars».

Et dans les pages intérieures, on peut lire l'appel de cette Union des Réservistes des Forces... effectivement très Spéciales : « Nous appelons à manifester Place de la Constitution, devant le monument du soldat inconnu pour enfin montrer au gouvernement d'occupation et à ses déchets hellénophones qui nous gouvernent, qu'il ne pourront plus briser la réaction du peuple grec (...) ».
 
Je ne suis pas un adepte du conspirationnisme à toutes les sauces rallongées, seulement, je trouve d'une assez curieuse coïncidence, que les déclarations récentes de Michel Rocard, certes formulées différemment, expriment au fond la même idée, sur cette « seule solution, car ce pays devient ingouvernable », (voir le billet précédent).
 
Au même moment sur Internet, un texte se réclamant du mouvement des Indignés, appelle à occuper les rues et les places ce 25 mars et d'y rester. Donc effervescence. Au P.C. grec, on se dit inquiet des agissements des parachutistes réservistes, car « un coup provocateur serait en préparation ». Ceci-dit, on se demande parfois, et pas très ouvertement, chez certains camarades à gauche, « pourquoi un État national serait-il obligatoirement issu d'une idée accaparée et orientée par l'extrême droite, et ainsi remorquée dans ses eaux territoriales, alors troubles... La gauche désunie finira par... perdre ses eaux et comme la politique s'apparente parfois à la mer, elle traversera les portillons étanches comme dans les entrailles du Titanic. » (paroles entendues à Athènes, en janvier 2012).
 
Pas loin de la ruelle Pier (et non pas Pierre !) et Marie Curie à Rhodes, des chats se nourrissent dans les poubelles alors remplies, en attendant les vacanciers, tout comme la presse locale, qui multiplie les reportages, sur les grands voyagistes britanniques, allemands, français ou russes. « La saison sera inaugurée comme toujours, après le 25 mars », peut-on aussi entendre ici ou là, dans les ruelles de la vieille ville. Et à Athènes alors ?
 
 
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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 19:17
Vendredi 9 Mars 2012 à 18:00

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis...

 

L'histoire a changé. Même si la ville de Rhodes se bat toujours contre le colosse, ce n'est plus de la mythologie mais le combat d'un peuple contre le dictat des banques et de l'Union européenne... Choses vues par Panagiotis Grigoriou dans cette Grèce des îles touchée par la crise et en insurrection lantente contre son gouvernement.

 

(Rhodes, Ile de Dodecanese - FRILET/SIPA)
(Rhodes, Ile de Dodecanese - FRILET/SIPA)
Lorsque l'ancien et le nouveau se mélangent violemment, mordant ainsi à plein croc dans la nuque de la théâtralité humaine, eh bien, c'est évident, les temps changent, même ici, à l'autre bout de la mer Égée, sous le signe du printemps.
 
Je me trouve sur l'île de Rhodes, bénéficiant de l'hospitalité offerte par le Centre International des Écrivains et des Traducteurs qui dépend de la ville de Rhodes. J'avais terminé ici deux livres, d'abord une monographie historique comme on dit encore parfois, un livre-enquête sur les pratiques culturelles des soldats et officiers de l'armée grecque entre 1916 et 1923, puis, la dernière fois, durant mai 2011, j'achevais un roman de fiction politique (en grec), ce dernier n'ayant pas trouvé d'éditeur (pour le moment en tout cas).
 
Quant au livre historique, il résultait d'une recherche financée par le CNRS grec. Ce contrat annuel arrivant à son terme en décembre 2010, il n'a pas été renouvelé pour cause de Mémorandum. Je me souviens d'avoir présenté l'avancement de mon enquête aux locaux du Centre de Recherche en juillet 2010, par une chaleur si accablante.

Le CNRS en difficulté

Le directeur a alors branché un ventilateur en apportant une grande carafe d'eau et des gobelets : « Excusez-nous, c'est la première fois que nous nous trouvons dans une telle situation, l'usage de la climatisation nous est désormais interdit, le financement ne suit plus depuis le Mémorandum ».

Fin 2010, l'organisme a tout de même pu honorer notre contrat, sauf sur un point : « Vous venez de rendre votre livre-enquête à temps, j'ai aussitôt signé l'ordre de paiement, n'hésitez pas, téléphonez à partir de la semaine prochaine au service comptable et tous les jours même, jusqu'à l'édition de votre chèque. Ensuite, venez le récupérer rapidement et encaissez-le tout de suite. Par contre, je dois vous annoncer avec regret que votre texte, tout comme les autres textes issus des enquêtes de cette année, ne sera pas publié par nos éditions... nous n'éditerons plus me semble-t-il, durant un long moment, les temps sont durs ».

Ainsi, « mes » fantassins disparus à jamais, doivent sans doute patienter encore un moment, avant de ressurgir j'espère un jour, des tranchées de l'oubli. Moi ou d'autres confrères, nous finirons par les aider à enjamber le parapet de l'histoire plus tard. Mais pour l'instant, c'est dans l'urgence que nous devons tout mettre en œuvre pour enjamber, celui colossal paraît-il des banksters... espérons au moins ne pas inaugurer une nouvelle guerre de Cent Ans !
 
Travaillant en ce moment sur un nouveau projet éditorial, je constate alors avec plaisir, que ce Centre International des Écrivains et des Traducteurs demeure encore... vivant. Les écrivains, les traducteurs et les artistes qui produisent ici ne rangent pas forcement parmi les plus connus. Ils ne disposent d'aucune résidence sur les îles de chez nous ou d'ailleurs, pour ainsi s'isoler et écrire dans ce cadre si apaisant.

Je pense finalement que la seule grande aventure commune, ou sinon parallèle, et en tout cas initiale chez nos peuples et nations de la vieille Europe, est bien celle-ci. La CCE (Communauté Culturelle Européenne), potentiellement institutionnalisée pourquoi pas d'emblée, et durant cinquante ans, sans rapport aucun avec les rouages économiques des pays restés alors souverains et autonomes, finançant finalement de leur propre budget, cette République des lettres. Eh bien, au bout d'un demi siècle de navigation difficile à travers notre archipel paneuropéen de la pensée et de l'inventivité, un projet politique européen serait alors envisageable, en excluant le secteur banquier et la finance, de toute implication, et ceci dès le Traité initial.

Des coutumes aux manifestations

Oui, sur Rhodes on peut éventuellement encore rêver je crois, ce qui à Athènes n'est déjà plus possible car le syllogisme collectif est trop amputé par la souffrance, et dans sa clarté. Pour l'instant, en tout cas. Mais à Rhodes, à part le rêve, il y a également de la colère du peuple. J'ai voulu être là ce 7 mars, car on commémore à Rhodes et dans toutes les îles du Dodécannèse, le rattachement à la Grèce, à la suite de l'occupation italienne de 1912 à 1945, de surcroît essentiellement fasciste par la séquentialité de l'histoire italienne. Occupation ensuite allemande vers la fin de la guerre, et après 1945, un bref épisode de gestion britannique a précédé la nouvelle ère du 7 mars 1948.
 
Cette commémoration s'organise suivant les symboles les plus stéréotypés des fêtes nationales grecques, ce qui ne veut pas dire que ce processus soit dépourvu de sens. Il y a d'abord un défilé de la jeunesse des écoles, puis un défilé militaire, devant la tribune des officiels, politiques, militaires et de l'Église, le peuple se trouvant en face et tout autour. Voilà pour le cadre.
Les historiens ont déjà remarqué que les défilés de ce type, pour ainsi dire « globaux », relèvent d'une pratique introduite par la dictature du général Ioannis Metaxas (1936-1941), induisant une certaine militarisation de la société. Ce qui n'est pas au goût de tout le monde, et c'est vrai, une partie de la gauche grecque et bien évidemment le mouvement anarchiste du pays, ont souvent réclamé leur suppression.
 
Seulement, depuis la bancocratie nationale et supranationale, voilà que ces commémorations ont pris un caractère d'indignation et de jacquerie populaire, spontanément au départ, puis suivant une séquentialité plus organisée par la suite, surtout après les évènements de la fête nationale du 28 octobre dernier. Dans la majorité de nos villes aujourd'hui, les parades et autres festivités nationales se sont donc transformées en violentes manifestations populaires.

Dans de nombreux cas, les tribunes officielles ont pris l'allure de sièges éjectables, surtout pour les députes PS et les ministres qui pensaient encore poser dans le cadre nationale. Du jamais vu depuis l'occupation (de 1940), Karolos Papoulias, notre Président de la « République » fut conspué par la foule des indignés à Salonique, il a été évacué d'urgence et le défilé militaire fut annulé (voir sur ce blog, le billet du 29 octobre 2011).

Rhodes dans les rues

Donc, j'ai voulu mesurer à une échelle locale, si lointaine géographiquement de la place de la Constitution à Athènes, combien et comment, l'ancien et le nouveau se mélangent alors violemment ou encore harmonieusement, mordant justement à plein croc dans la nuque de la théâtralité humaine, en l'occurrence celle de la commémoration. Puis soulignons que Rhodes fait partie de la Grèce généralement plus aisée que la moyenne nationale.
 
En mai 2011 j'avais assisté déjà à une première manifestation du mouvement des indignés comme on disait alors, la plus grande manifestation de protestation politique sur l'île depuis bien de décennies selon les habitants. Les gens étaient très en colère, et ils ont manifesté à travers la ville, puis tout le monde s'était rendu devant le bâtiment de la mairie avant la dispersion, sans incidents. Beaucoup de détermination dans la joie pourtant et l'espoir, certes vagues. Ensuite, les amis de Rhodes ont refait le monde et resserré les coudes de la « révolution »... aux bistrots près de la mer. Pourquoi pas ?
 
Ce 7 mars, j'ai vu autre chose. D'abord sur l'arrêt du bus desservant la ligne entre l'aéroport et la ville de Rhodes, une affichette dans une pochette, indique qu'ici aussi, on se chauffe au bois, surtout cet hiver assez rude. « Nous n'avions pas connu un tel froid depuis les années 70 ici », a alors expliqué un retraité. Puis, certains magasins et boutiques ont fait faillite, y compris au centre ville, car comme me disait un habitant : « La crise chez nous a été ressentie après l'été, pas avant. Elle n'a rien à voir avec le tourisme qui a été bon en 2011, mais ses ressources, enrichissent désormais une partie seulement de la population, de plus en plus restreinte, et tout le reste, devient alors comme ailleurs en Grèce, mais en moins dramatique pour l'instant. Je sais qu'à Salonique, les gens ont déjà faim ».
 
Une autre affichette collée un peu partout en ville cette fois-ci, résumait ainsi l'appel du jour : « Appel patriotique du 7 mars sur la place de la Mairie. Grecs du Dodécannèse, le 7 mars 2012 nous comptons déjà 65 ans depuis notre libération. Aujourd'hui notre nation est l'esclave des banquiers et des politiciens traîtres et corrompus. Nos droits inscrits dans la Constitution sont violemment bafoués, ainsi le peuple se voit dépossédé de ses libertés liées au travail, à la santé et à la prévoyance. Notre peuple si fier est humilié par une poignée de traîtres et par le chantage. Peuple du Dodécannèse, rendez-vous le 7 mars sur la place de la Mairie. Révoltez-vous, le peuple grec ne baissera pas la tête devant aucun occupant !!! À bas les banquiers !! Les Allemands dehors de notre pays !!! »

Arrestations et espoir

J'ai remarqué que cet appel n'était pas signé, intéressant! Une dernière affichette, posée à l'intérieur d'une voiture et montrant une photo de la chambre des députés, exprimait ceci : « Vous avez volé mon argent, le sourire de mes enfants, le rêve et l'espoir de mes petits enfants ». Et le défilé a démarré avec les écoliers. Devant la mairie, une grande banderole reprend le texte de la dernière affichette en y ajoutant : « Vous avez volé à nous Grecs, notre patrie », ainsi qu'une signalétique bien connue de l'UE. fut accompagnée du texte suivant : « Union Européenne Allemande ». Cette banderole fut par contre signée par « l'Union des Associations Culturelles de Rhodes ».
 
Sur fond d'architecture datant de l'ère mussolinienne, une banderole bien remarquée par tous explicite le lien à travers l'imaginaire populaire entre la commémoration, et le présent : « À l'époque c'était le fascisme des Italiens, maintenant c'est le fascisme des banques », cette banderole a été plébiscitée par des applaudissements fréquents.
 
Devant l'estrade des officiels les manifestants se mêlent aux spectateurs. Ils crient leur indignation, le personnel politique, députés et élus régionaux sont insultés durant un long moment. Soudainement, les barrières tombent et la foule se lance contre les officiels, interrompant ainsi le défilé. La police intervient mais d'abord sans violence vis à vis des manifestants, juste pour laisser le temps aux hommes politiques. Évidemment, ces derniers vont rapidement se diriger vers le bâtiment situé derrière, montant les escaliers sous les insultes et les bouteilles d'eaux lancées par certains manifestants. Un grand et bref moment expiatoire, pratiquement préparé car prévisible, presque un rituel.

Un élu a fait le bras d'honneur à l'encontre de la foule, renforçant les traits de notre dramaturgie du jour. Peu de gens ont exprimé du mécontentement, tel un homme âgé : « Moi je suis là pour voir défiler mes petits enfants, vous m'emmerdez espèce de communistes », mais aussitôt plusieurs personnes l'on fait taire : « Quels communistes ? Tu ne vas pas bien, ils veulent nous diviser, ici nous sommes tous unis contre les voleurs » et l'homme n'a pas insisté. Mais si effectivement cela relève désormais du rituel expiatoire, il faut alors inventer autre chose, car ce n'est pas vraiment par le rituel qu'on arrive d'habitude à la praxis politiquement efficace, au-delà de toute signification symboliquement certes forte et tout à fait réelle.
 
En tout cas, seuls les militaires, les élus locaux et les dignitaires de l'Église sont restés à leur place, car les manifestants n'ont pas montré d'autre hostilité. Ces derniers, ont même reculé pour permettre à la fanfare militaire de prendre place. Ensuite, le défilé s'est poursuivi avec les militaires, très applaudis par tout le monde il faut dire. Deux ou trois personnes ont alors crié : « Nous voulons l'armée maintenant » mais le gros des manifestants n'a pas repris le slogan. Vers la fin, un manifestant a ainsi commenté : « C'est un peu du cinéma tout cela, c'est dans les urnes qu'il faut se montrer efficace votant à gauche » mais personne n'a prêté attention, peut-être, parce qu'au même moment devant le bâtiment de mairie des jeunes se faisaient interpeller par les policiers, et toute la foule a couru derrière. 

« Ils n'ont rien dit d'insultant, rien fait non plus — a crié une jeune femme — j'étais à proximité, j'ai tout vu, les flics, les ont arrêtés au faciès, ces jeunes ont la coiffe des Iroquois, le pouvoir montre ses dents, salopards... la maman d'un de ces garçons a exigé des flics qu'on laisse son fils, puis quelqu'un, un policier en civil peut-être, lui a répondu — Madame nous ouvrirons les îles pour les déportés politiques comme jadis et nous vous réserverons une bonne place — n'importe quoi... » !

Une partie de la foule s'est dirigée vers le poste de la police pour ainsi faire libérer les manifestants interpellés. Ils ont été relâchés sauf deux, ils seront déférés devant le parquet demain jeudi car selon le communiqué de la police « ils ont violemment poussé les barrières, un agent a été blessé, ils ont troublé l'ordre public et en plus, un couteau a été trouvé sur une personne interpellée ».

La journée fut ainsi belle et ensoleillée, les terrasses des cafés se sont vite remplies après le défilé, les chats de Rhodes, tous originaires de Chypre sont sortis aussi prendre le soleil, et les cargos au large, imperturbables, poursuivaient leur route.
 
« À l'année prochaine mais libres », a souhaité un homme, à sa compagne, quittant la place de la mairie. L'année prochaine, elle est loin...
 

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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 15:59
| Par Martine Orange

Le soulagement est à la hauteur des craintes passées : 85,5 % des créanciers privés ont accepté jeudi soir de participer à la restructuration de la dette grecque. Dès vendredi matin, le ministre des finances, François Baroin, s’est félicité de ce « grand succès pour la Grèce, pour l’Europe ».

Les dirigeants européens, qui vivaient depuis des mois dans la hantise de cette opération, respirent. Le défaut de la Grèce, qu’ils ont tenté de repousser jusqu’à l’extrême limite, n’a pas précipité la zone euro dans la tourmente, comme ils le redoutaient. Les sombres prédictions du lobby bancaire annonçant une catastrophe de 1 000 milliards d’euros pour la zone euro, et l’effondrement à venir du Portugal et de l’Irlande si la Grèce ne parvenait pas à restructurer sa dette de façon ordonnée, ont été évitées. L’incendie a été circonscrit à Athènes, pensent-ils.

Car c’est bien cette préoccupation majeure qui a dominé les débats européens autour de la Grèce depuis des mois. Il fallait à tout prix donner les gages voulus au monde financier pour ne pas décrédibiliser la zone euro, éviter l’implosion. Pour preuve de leur bonne volonté, les dirigeants européens ont confié la conduite de l’opération à l’Institut de la finance internationale, le lobby de la puissance bancaire.

Au terme de palabres techniques interminables, celui-ci a fixé les modalités de ce qui est présenté comme son sacrifice. Les créanciers privés, détenteurs de 206 milliards d’euros d’obligations grecques, acceptent d’effacer une centaine de milliards de dettes. Ils recevront en échange de leurs anciens titres de nouvelles obligations d’une valeur faciale de 53,5 % inférieure à l’ancienne.

L’effort semble conséquent mais il n’est qu’apparent. Car les créanciers troquent des titres qui n’avaient plus aucune valeur pour des titres plus sûrs. Dès l’échange, ils recevront une somme d’argent frais, correspondant à 15 % de leurs avoirs. Par la suite, les nouveaux titres qu’ils recevront, d’une valeur équivalente à 31,5 % des anciens, seront entourés de multiples sécurités. Ils seront émis sous la loi britannique, afin d’éviter à quelque gouvernement grec futur la tentation de vouloir toucher cette dette. Et ils bénéficieront de la garantie du Fonds européen de stabilité financière et des États européens.

Un dédommagement supplémentaire pourrait arriver dans les prochains jours. Le gouvernement grec a annoncé en effet qu’au vu des résultats obtenus jeudi, il allait mettre en œuvre une procédure imposant un échange forcé à l’ensemble des créanciers privés, même les plus récalcitrants. Ce mécanisme ne pourrait alors qu’être interprété comme une restructuration forcée et non plus volontaire.

Dès lors, les fameux CDS (Credit Default Swaps), les assurances crédit censées couvrir les risques de faillite, devraient entrer en jeu. Les banques émettrices de ces titres seraient obligées alors de rembourser les risques qu’elles ont accepté de couvrir. L’association internationale  des swaps et dérivés, le comité secret financier qui a la haute main sur ce dossier (lire « Ceci n’est pas un défaut »), doit se réunir dès vendredi après-midi pour étudier ce dossier qui met en transe la communauté financière.

Un plan de sauvetage pour le secteur financier

Les prochains jours risquent donc d’être encore dominés par des palabres techniques, des considérations financières de tout ordre, chacun se relayant pour prendre le pouls de ce monde financier, qui vient « d’encaisser un mauvais  coup ». L’économiste américain Nouriel Roubini  ne s’est pas privé de dire ce qu’il pensait de cette mise en scène, dans une tribune du Financial Times datée de mercredi :

« Un mythe est en train de se développer, selon lequel les créanciers privés accepteraient des pertes significatives dans le cadre de la restructuration de la dette de la Grèce, tandis que les créanciers officiels ( BCE, FMI… ) seraient dédouanés de tout effort. (…) La réalité est que les créanciers privés ont obtenu un accord très avantageux, tandis que l’essentiel des pertes actuelles et futures a été transféré vers les créanciers officiels. »

C’est bien de cela dont il s’agit : la restructuration de la dette grecque n’aboutit pas à une mise à contribution du secteur privé, qui serait prié ainsi de prendre sa part du risque, mais à un nouveau transfert du privé vers le public, comme depuis le début de la crise financière.

Mais cet effort demandé aux États, à la Banque centrale européenne, et, pour finir, à l’ensemble des Européens, va-t-il au moins profiter à la Grèce ? Après l’effacement partiel de la dette grecque, les États européens se sont engagés à apporter 130 milliards d’euros à Athènes, dans le cadre d’un second plan de sauvetage. Mais ils ont déjà donné la destination de cet argent. Sur les 130 milliards, 30 milliards doivent être immédiatement reversés aux créanciers qui ont accepté l’échange volontaire de leurs titres. Ce sont les 15 % que les créanciers doivent percevoir sous forme d’argent frais.

Le gouvernement grec doit utiliser environ 35 autres milliards d’euros pour racheter une autre partie de sa dette, avant de l’annuler. Enfin 25 milliards d’euros environ seront consacrés à la recapitalisation du secteur bancaire grec, mis à mal par la restructuration de la dette, et auquel on veut éviter l’opprobre d’une nationalisation.

Ainsi, sur les 130 milliards d'euros du plan de sauvetage, 94 milliards sont affectés à l’usage exclusif du monde financier. Autant dire qu’il reste peu pour soutenir une reprise de l’économie grecque, en pleine dépression. Il faudra de plus qu'Athènes voie effectivement la couleur de cet argent, puisque les Européens ont prévu de verser l’aide sur un compte bloqué et de ne la libérer qu’au vu des résultats du programme d’austérité imposé à la Grèce.

La partie de bonneteau ne s’arrête pas là. Par une communication habile, les financiers et l’Europe ont présenté la restructuration de la dette grecque comme un allégement substantiel. Cent milliards d’euros de dettes effacés sur un total de 300 milliards, cela représente normalement une diminution d’un tiers de l’endettement public. Le service de la dette, premier poste dans le déficit public grec, doit donc diminuer notablement, d’autant que les taux d’intérêts ont été abaissés et certaines charges d’intérêt reportées jusqu’en 2014.

Mais c’est oublier les 130 milliards d’euros du second plan de sauvetage, versés par l’Europe et le FMI. Et ceux-ci n’ont pas du tout l’intention d’en faire don. Les prêts vont venir s’inscrire à leur tour sur le grand livre de la dette publique grecque. Selon les calculs d’analystes bancaires, au terme de cette vaste opération de réaménagement financier, l’endettement public grec qui est de 161 % du PIB, tomberait à 159 %. Tout ce remue-ménage financier pour alléger dans l'immédiat de seulement 2 % la dette grecque ! Les  prévisions du FMI tablent au mieux sur un retour à un endettement de 120 % du PIB à l’horizon 2020. Comme le dit le ministre allemand  des finances, Wolfgang Schäuble, ce vendredi matin, « un grand pas en avant sur la voie de la stabilisation et de la consolidation d'une dette gérable, qui donne à la Grèce une chance historique ».

Et la Grèce dans tout cela ? L’Europe lui a imposé ses conditions : réformes et austérité. En moins de quinze jours, le parlement grec a adopté une kyrielle de textes, souvent sans débat et sans vote, portant sur la réforme du salaire minimum, des retraites, de la santé,  du marché du travail, de la fonction publique, des professions réglementées, les privatisations, la levée de nouveaux impôts destinés à réaliser dès cette année plus de 3 milliards d'euros d'économies supplémentaires . 

L’Europe a déjà prévenu que quel que soit le résultat des élections législatives d'avril, le programme imposé ne pourrait pas être remis en cause. Des membres de la Troïka (Union européenne, FMI, BCE) se sont installés à demeure à Athènes pour superviser son exécution. Le ministre allemand de l'économie, Philipp Rösler, est allé encore plus loin vendredi. Il voudrait voir l'un des 27 commissaires européens se charger spécialement de la remise sur pied de l'économie grecque et la diriger. Il déclare « ne pas comprendre que la Grèce s'oppose à cette proposition ».

Après cinq années de récession, l’économie grecque continue de sombrer. La production industrielle a chuté de plus de 7 % en décembre, le chômage atteint les 20 %  et il dépasse la barre des 50 % chez les jeunes. Déjà, le FMI a laissé entendre qu’un troisième plan de sauvetage serait sans doute nécessaire dès 2015.

Les marchés financiers, qui devraient être rassurés par ce grand Meccano financier fait à leur intention, spéculent déjà sur la suite. Sur le marché gris, (non officiel), les nouvelles obligations grecques à 30 ans, non encore émises, cotaient entre 15 et 17 centimes d’euro pour une valeur faciale d’un euro, et entre 20 et 22 centimes les titres à onze ans. Autant dire que les financiers ne croient déjà plus au sauvetage de la Grèce. Les dirigeants européens se congratulent, persuadés qu’entre leur dernier plan grec, leur règle d’or et les distributions massives de liquidité de la BCE, ils en ont fini avec la crise de la dette dans la zone euro. Les financiers, eux, sont à nouveau sur le pied de guerre, ne se demandant pas si mais quand la crise de l’euro va repartir.

 

 

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 23:06

 

C'est l'hiver 03/03/2012 à 10h30
Zineb Dryef | Journaliste Rue89
Avec la hausse du prix du fuel, les Grecs coupent le chauffage central et rallument leur cheminée. Le bois devient une denrée précieuse, et des entreprises en profitent.

(D'Athènes) Lorsque l'on arrive dans ce quartier de la banlieue nord d'Athènes, un quartier plutôt bourgeois, de grandes maisons individuelles et d'appartements confortables, la jeune femme qui nous a alerté sort en trombe de chez elle.

Elle déborde de colère, écourte les salutations, traverse la rue, poursuit ses explications rageuses, s'arrête enfin.

Nous sommes à une vingtaine de mètres de chez elle, sur une sorte de terrain vague autrefois destiné à être transformé en parc de jeux. Mais voilà, la crise est passée par là, les herbes folles vont paisiblement pouvoir poursuivre leur pousse, et les enfants patienteront.

La jeune femme blonde s'arrête. Elle désigne deux troncs coupés, là voyez-vous même, sur cette ligne régulière sur laquelle se dressent de rares et minces arbres.

Les Athéniens rallument les cheminées


Un arbre coupé dans un champ près d'Athènes (Zineb Dryef/Rue89)

Je suis un peu embêtée, là où mon interlocutrice voit un crime je constate un « menu larcin » – seule cette expression un peu passée me vient à l'esprit.

Je ne dis rien, je prends quelques photos pour ne pas la vexer. Elle est profondément indignée par cet acte : des hommes sont venus couper du bois en bas de chez elle !

Son voisin ne s'est pas démonté, il a relevé la plaque minéralogique des voleurs et les a dénoncé à la police . Laquelle a ricané : « Vous voudriez qu'on s'occupe de types qui coupent du bois alors que la criminalité galope ? »

On reste quelques minutes de plus à la quête de quelque autre tronc qui aurait échappé à notre vigilance ; on en repère plusieurs. La jeune femme explique que ce qui ressemble à de l'incivilité révèle une catastrophe : certains Athéniens se chauffent au bois parce qu'ils ne peuvent plus payer leurs factures de fuel.

Ses voisins ont rallumé les cheminées et éteint les chauffage centraux. Parce qu'elle vient d'avoir un bébé, elle a fait le choix de continuer à payer, même si 400 euros mensuels pour chauffer sa maison de 120 mètres carrés, c'est quand même beaucoup d'argent.

Dans ce quartier, construit ces dernières décennies, il était du dernier chic d'avoir une cheminée dans son salon. Désormais, elle est vitale. « Le soir, ça ressemble à un village. Toutes les cheminées fument, l'odeur du bois n'est pas désagréable mais enfin, ça rappelle que les temps sont durs », intervient Vassilis, l'interprète avec qui je parcours Athènes.

Les prix du fuel ayant explosé, l'hiver étant anormalement froid - ou du moins est-il vécu ainsi cette année – ce sont les entreprises de vente directe de bois qui se multiplient. Allez voir quelques rues plus loin, conseille la mère de famille, elles poussent comme des champignons.

La Grèce doit importer du bois

Quelques rues plus loin, je rencontre Kostas Sallis. Il consent à nous parler de son métier :

« J'espère quand même que ce n'est pas une nouvelle astuce du fisc pour nous faire avouer notre chiffre d'affaire. »


Du bois de chauffage rangé dans une grange (Zineb Dryef/Rue89)

La succursale qu'il dirige n'est installée dans le quartier que depuis quatre mois – des panneaux viennent rappeler qu'il succède à une entreprise de BTP – mais dans son bureau en préfabriqué, il évoque le métier en briscard du bois – voilà sept ans qu'il en est, rien à voir avec toutes ces petites entreprises qui naissent ces derniers mois et meurent tout aussi rapidement. Il ne craint pas leur concurrence :

« La demande est énorme, il y en aura pour tout le monde. Mais le problème pour ces petites entreprises, c'est que les fournisseurs sont déjà en rupture de stocks. On importe du bois désormais, et les taxes sont énormes.

Il ne faut pas oublier que l'économie du bois est fondée sur celle du pétrole. On en a besoin pour le transport. Or, les taxes sont là aussi de plus en plus élevées. Les commandes augmentent mais les taxes aussi... Seuls les grands vont survivre. »

Il ne s'étend pas sur ses propres difficultés, laissant entendre qu'il est du côté des « grands », de ceux qui peuvent « réserver le stock existant en payant en avance ». Il est fier de son bois, du bois grec (du chêne et de l'olivier) pas celui que font venir certains de Bulgarie et qui est inapproprié pour une combustion de cheminée. Au-dessus de son bureau, une affiche indique ses prix :

« Un kilo : 20 centimes
Un sac : 10 euros
Un sac de charbon : 10 euros »

C'est évidemment meilleur marché que le fuel, dont le prix a été multiplié par deux cette année, et dans un rayon de 10 kilomètres, le fameux quartier des cheminées, ils n'arrêtent pas de livrer. Son entreprise connaît une augmentation de 60% de la demande par rapport à la même période l'année précédente.

Le chauffage collectif est désormais éteint

Et ceux qui n'ont pas de cheminée ? Ils s'achètent un poêle à bois ou arrêtent de se chauffer. Au centre d'Athènes, il n'y a pas d'estimation, mais nombreux sont les immeubles qui ont fait le choix de couper le chauffage collectif. Trop de charges pour les habitants. A chacun de se trouver sa solution : sortir le soir, s'habiller chaudement pour dormir, investir dans un poêle à bois... Vassilis blague :

« Avant, on disait “viens ma belle dans ma Porsche Cayenne”, c'était les années fric. Maintenant, c'est “viens chez moi, j'ai allumé le chauffage”. »

Kostas, pour que l'on prenne conscience de la paupérisation de la population, assure que de plus en plus souvent, les quantités commandées sont ridicules ; parfois « 4 ou 6 euros ». Il n'a pas le cœur à refuser.

Quand je l'interroge sur les arbres coupés dans le quartier, il confirme que le phénomène existe, mais que l'abattage sauvage est surtout le fait d'entreprises :

« Les fournisseurs coupent plus d'arbres qu'ils n'ont droit de le faire. C'est d'autant plus courant que les services forestiers ont été démantelés. »

Une dépêche de l'AFP nous apprend qu'« après constatation d'abattages illégaux, les services forestiers ont émis 1 500 plaintes en 2011, soit deux fois plus que l'année précédente, dans un pays où 70% des forêts sont publiques ».

« La cheminée, c'est du chauffage psychologique »

Le plus triste, laisse tomber Kostas, c'est qu'on se chauffe mal au bois.

« La cheminée, c'est du chauffage psychologique. Ça ne chauffe qu'une pièce, pas une maison ni même un appartement ! »

ll regrette une période lointaine. C'était avant 2010 :

« Le véritable usage de la cheminée, c'est celui d'antan. On avait le chauffage central et on allumait la cheminée pour le plaisir de boire un whisky devant. »

Les yeux rivés sur sa télé, il commente maintenant les cours de la Bourse :

« J'ai acheté des actions autrefois. Je voulais doubler mon patrimoine, alors j'ai acheté dans le BTP. »

Il rit d'avoir eu si peu de flair :

« J'aurais dû le dépenser cet argent. En profiter. »

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 15:38

 

Rue89 - Point Godwin 02/03/2012 à 11h07
« Salauds d'Allemands » : les Grecs tiennent les coupables de leurs maux
Zineb Dryef | Journaliste 

 

 


Des manifestants grecs déguisés en Angela Merkel et Adolf Hitler devant l'ambassade allemande à Athènes, le 6 octobre 2011 (Yiorgos Karahalis/Reuters)

 

(D'Athènes) Le pays étant exsangue, il était naturel que la population désigne un bouc émissaire. Parce qu'ils n'ont jamais tout à fait fini d'être nazis, expliquent les Grecs, les méchants, les affameurs, les salauds, ce sont encore eux, les Allemands.

Tout le monde, de l'extrême gauche à l'extrême droite, participe – ces derniers présentent quelque originalité, germanophobes mais néonazis, ils ont décidé que les autres étrangers avaient eux aussi leur part de responsabilité et lancent en conséquence de grandes expéditions punitives (tout de même un mort et des blessés).

Alors que le gouvernement, occupé à supprimer encore et encore des lignes budgétaires pour satisfaire les exigences européennes, s'abstient de fustiger l'Allemagne, le président grec, Karolos Papoulias, ancien résistant, a accusé fin février le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, d'avoir insulté son pays. Celui-ci avait laissé entendre que la Grèce était un puits sans fond qui refusait d'être aidé. Au cours d'un discours – ceux du Président sont rares –, il a laissé exploser sa colère :

« Je ne peux pas accepter que M. Schäuble insulte mon pays. [...] Qui est M. Schäuble pour insulter la Grèce ? Qui sont les Néerlandais ? Qui sont les Finlandais ? »

Une germanophobie « en sommeil »

En manif, il n'est pas rare, même tout à fait banal, de brûler des drapeaux allemands et de se grimer en Führer.

Jusqu'alors, les Grecs ne haïssaient pas tant l'Allemagne. Leur germanophobie était enfouie, « en sommeil » me dit Vassilis qui traduit patiemment pour moi les paroles de ses compatriotes, un sentiment que la crise a réveillé et exacerbé ces deux dernières années.

Et si la situation n'est pas comparable – les Athéniens n'en sont pas encore à souffrir de famine – cet hiver, glacial, et la ville rendue triste par la pluie et la neige font se souvenir qu'il y a soixante-dix ans, les forces de l'Axe envahissaient le pays. L'analogie se fait irrésistible et les banderoles dénonçant une nouvelle occupation et une dictature (économique cette fois-ci) se multiplient.

Glezos, du drapeau nazi aux « Indignés »

Même l'icône des manifestants renforce ce sentiment d'une histoire qui se répète, mettant les mêmes acteurs face à face. Cette figure emblématique de la luttre contre les diktats de la troïka et de l'Allemagne s'appelle Manolis Glezos. Son histoire, connue de tous les Grecs, débute un soir de mai 1941, lorsqu'avec un compagnon, il s'aventure sur l'Acropole pour décrocher le drapeau nazi flottant triomphalement.

A 90 ans, cette sorte de Stéphane Hessel grec est encore de toutes les manifs. A la tête d'un mouvement fondé avec le compositeur Mikis Théodorakis, 87 ans, Résistance des peuples démocratiques unis (Elada), il réclame de l'Allemagne le remboursement du prêt obligatoire au régime nazi.

« Nazis, nous ? Si ça vous fait plaisir... »

Comment les Allemands vivent-ils ce regain de haine à leur égard (les Italiens et les Portugais ont la même dent contre le pays le plus « puissant » d'Europe) ? Evidemment mal. Mais cet article de Die Zeit, titré « Nazis, nous ? Si ça vous fait plaisir... » appelle à la détente :

 

« Le nouveau rôle de l'Allemagne promet une recrudescence des parallèles avec le régime nazi, et cela devrait durer un bon bout de temps. Il faut encaisser, bon gré mal gré, et attendre que cela passe. »

Dans un portrait que lui a consacré l'AFP, il relève que c'est « la seule fois ou la Grèce a prêté au lieu d'emprunter » et qu'il y a donc lieu de revendiquer ces quelques « 162 milliards d'euros, sans les intérêts ».

Ce combat symbolique est devenu extrêmement populaire ; les Grecs réclament leur dû.

Mais quand ce qui s'apparente à un folklore IIIe Reich n'est pas convoqué, Angela Merkel et son gouvernement n'en trinquent pas moins.

Le carnaval de Patras (à 200 kilomètres d'Athènes) a ainsi vu défiler un char rempli de « Pigs » (Portugal, Irlande, Grèce, « Spain » pour Espagne) clochardisés (« on voulait montrer la paupérisation du Sud de l'Europe ») poursuivis par des bouchers allemands, égorgeurs de cochons.

Merkel, « dirty Berlin slut »


Angela Merkel représentée en nazie à Athènes, le 28 octobre 2011 (Yannis Behrakis/Reuters)

 

En Grèce, la chancelière allemande connaît la même popularité que Margaret Thatcher en son temps :

  • traitée de « dirty Berlin slut » par un animateur radio – son antenne a été condamnée à 25 000 euros d'amende ;
  • parfois représentée en nazie ;
  • caricaturée en voleuse de monuments...

Seul Horst Reichenbach, à la tête de la task force de l'Union européenne chargée de surveiller la Grèce, est aussi détesté qu'Angela Merkel. Lui aussi est allemand.

Jason, animateur d'une radio tendance gauche radicale, confirme que la germanophobie dépasse largement le clivage droite-gauche mais assure que ses auditeurs « en veulent non au peuple, mais aux gouvernants et aux puissants ».

« Vendez vos îles »

Car la défiance vis-à-vis de l'Allemagne n'est pas seulement née de la conviction confuse qu'on « fait payer au peuple grec la faillite du système », tel que l'exprime une jeune fille, mais aussi de l'exaspération provoquée par les commentaires qui, en Allemagne, ont accompagné les différents plans de rigueur imposés aux Grecs.

La jeune femme rappelle l'arrogance de cette suggestion faite par des députés allemands : en substance, « vendez vos monuments et vos îles ». « La caricature du Grec qui ne travaille pas, ça ne passe pas. On travaille dur », conteste-t-elle.

En mai 2005, la chancelière allemande avait choqué le pays en laissant sous-entendre que la Grèce abritait un peuple de paresseux :

« On ne peut pas avoir une union monétaire avec d'un côté, ceux qui ont beaucoup de vacances et de l'autre, ceux qui en ont peu. A la longue, ça ne va pas ensemble. »

 

 

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