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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 17:47

 

Source : www.reporterre.net

 

 

EDITO - Enquête sur la terreur capitaliste

Hervé Kempf (Reporterre)

samedi 6 décembre 2014

 

 

 

 

Les forces de l’argent et du productivisme adoptent la stratégie de la tension : détourner la colère populaire vers ceux qui refusent la destruction du monde.


Jeudi 4 décembre, le quotidien L’Opinion a barré sa Une d’un grand titre "Enquête sur la terreur écologiste". Le lecteur était censé y apprendre, au long de deux pages perlées de fautes d’orthographe et de grammaire, que des écologistes - "quelques centaines" - faisaient régner... la terreur chez les patrons d’entreprises autour des sites du Testet, de Notre Dame des Landes et de Roybon. On apprenait de M. Eric Denecé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, qu’à Sivens et à Notre Dame des Landes, on avait "affaire à des activistes obtus, méchants et dangereux". D’où lui venait cette connaissance si intime et pleine de nuances des habitants des zones à défendre ? De l’opération du Saint Esprit, puisque ni lui ni les journalistes de L’Opinion n’ont été sur les Zad et que le site de ce brillant expert ne livre aucun document sérieux sur la "menace écologiste".

Mais, au fond, peu importe. Le pesant travail de L’Opinion ne vise pas à informer, mais à créer un climat de violence. Et il n’a de sens que si l’on sait que cette feuille, dirigée par Nicolas Beytout, a reçu, comme l’a montré Mediapart plus de dix-sept millions d’euros des milliardaires Arnault, Bettencourt et autres oligarques. Comme si Les Echos, Le Monde, Le Figaro, Le Point, L’Express, Valeurs actuelles ne suffisaient pas aux capitalistes français pour imprimer leur pensée dans l’opinion publique...

Il faut cependant, avant d’expliquer de quelle stratégie relève ce pamphlet, rappeler quelques évidences. S’il est exact que quelques entreprises participant à la destruction de l’environnement sur des projets dont elles connaissent parfaitement les tenants et les aboutissants en sont empêchées par des citoyens/activistes/militants, il n’y a là rien que de compréhensible : au regard de la gravité de la crise écologique, de plus en plus nombreux sont les gens qui n’acceptent plus que l’on agisse de manière irresponsable. A ces dirigeants d’entreprise de faire leur choix. Mais parler de "terreur", alors qu’aucun cas de violence physique n’est attesté à l’encontre de travailleurs ou de patrons, est un mensonge grossier.

Ces actes de désobéissance civile, au demeurant, découlent du sentiment d’impuissance qui finit par saisir les citoyens : que faire quand, après avoir respecté les règles, suivi les procédures, répondu aux enquêtes publiques, ils constatent, comme à Roybon, comme à Sivens, comme à Notre Dame des Landes, que, malgré des avis défavorables des enquêteurs, des Commisions officielles de protection de la nature, des avertissements de la Commission européenne, le gouvernement, les barons locaux et quelques entreprises continuent à détruire forêts, zones humides, campagnes ?

La colère vient aussi quand la justice applique si obstinément la règle du "deux poids deux mesures", quand le porte-parole d’un syndicat paysan important est menotté, placé en garde à vue, puis convoqué de manière répétée par la gendarmerie, quand les actes bien plus graves et destructeurs du syndicat dominant, la FNSEA, restent impunis. Quand un jeune homme, Enguerrand Delanous, coupable d’avoir lancé un fumigène - qui n’a blessé personne - est maintenu en prison pour un an malgré un avis de libération anticipée par le juge d’application des peines - alors qu’aucune sanction d’aucune sorte ne touche les responsables policiers qui ont tué Rémi Fraisse ou blessé des dizaines de personnes par flash-balls ?

Employer le mot de "terreur" à l’encontre des écologistes quand on se tait obstinément sur les violences et les crimes de la police est simplement, Monsieur Nicolas Beytout, une saleté.

La stratégie de la tension

Mais le vilain travail de M. Beytout, de ses employés et de ce type de presse financée par l’oligarchie s’inscrit dans une stratégie délibérée, s’inscrivant dans la dérive autoritaire de l’oligarchie que j’ai décrit par ailleurs. A un moment où le capitalisme n’a plus de perspective d’avenir, sinon de transformer toujours davantage les biens communs de l’environnement - l’air, la terre, l’eau - en marchandises, et où les tensions sociales et écologiques deviennent de plus en plus fortes, il évolue vers un régime autoritaire.

Et comme l’exercice brutal du pouvoir de l’Etat, de plus en plus illégitime, et l’accentuation de la répression policière ne suffisent pas à imposer le silence aux protestations populaires, on tente d’allumer des contre-feux au sein de la population. Il s’agit de détourner la colère des couches paupérisées ou affaiblies par le capitalisme lui-même - les agriculteurs ruinés par la course au productivisme, les petits patrons acculés par le système financier - vers les écologistes. Ceux-ci, en contestant la "croissance" et les "projets de développement", empêcheraient la prospérité de revenir.

Ainsi Xavier Beulin, président de Sofiprotéol et de la FNSEA, n’hésite pas à parler de "djihadistes verts" tandis que Nicolas Beytout titre sur la "terreur verte". Imaginons de Mme Duflot ou M. Bové emploie un tel niveau de langage à l’égard des destructeurs de l’environnement : quel hourvari entendrait-on ! Mais M. Beulin, M. Beytout, peuvent inciter les agriculteurs et les patrons à la guerre civile, cela ne déclenche nulle surprise dans les médias dont je dirai en forme de litote que, s’ils ne sont pas aux ordres, ils manquent singulièrement de sens critique.

Ainsi voit-on des milices surgir, blesser le porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la Zone humide du Testet, M. Lefetey (lire ici),...

... ou mener des manifestations où l’on appelle ouvertement "à la mort des écolos"...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 


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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 17:23

 

Source : www.marianne.net

 

 

Sciences sous influence... d'intérêts privés
Samedi 6 Décembre 2014 à 17:00 |

 

Marion Rousset

 

La toxicité de certains produits est avérée ? Mais comment font les industriels pour les imposer malgré tout sur le marché ? Dans "la Science asservie", la sociologue Annie Thébaud-Mony met au jour leur stratégie qui consiste notamment à se payer les services de chercheurs renommés...

 

FAYOLLE/SIPA
FAYOLLE/SIPA

 

Sciences sous influence... d'intérêts privés
>>> Article paru dans Marianne daté du 28 novembre

L'histoire se répète. Hier, le plomb dans l'essence. Aujourd'hui, les pesticides. Demain, les nanotechnologies. Comment font donc les industriels pour imposer sur le marché des produits dont la toxicité est pourtant avérée ? Des médecins, des scientifiques et des militants ont tiré la sonnette d'alarme. Ils ont souligné le risque accru chez les personnes exposées de développer un cancer, une maladie neurodégénérative, des troubles de la fertilité, un diabète... Rien n'y a fait.


A tel point que manger, boire ou même respirer sans ingérer en même temps des molécules chimiques nocives pour la santé est devenu mission impossible. Et pour cause. Dans la Science asservie, un ouvrage à charge très convaincant, la sociologue Annie Thébaud-Mony met au jour la stratégie développée par les firmes avec efficacité depuis les années 20.

« Les scientifiques, dans leur majorité, ont été amenés à s'inscrire dans un processus de confiscation et de corruption de la science au service des intérêts privés de grands groupes industriels et de leurs actionnaires, avec la complicité active de l'Etat », affirme l'auteur. Le principe est simple : se payer les services de chercheurs renommés - des épidémiologistes en particulier - chargés d'instiller le doute. Quand la preuve de la dangerosité d'une substance est apportée, ces « experts » allument des contre-feux. Outre les menaces de procès, la riposte consiste à disqualifier leurs adversaires, réfuter leurs arguments, insister sur d'autres explications, notamment comportementales et génétiques. Et, en dernier recours, les industriels n'hésitent pas à jouer la carte de la « DJA », ou dose journalière admissible.

A propos du nucléaire, « l'acharnement des plus hauts responsables à faire disparaître au fur et à mesure de leur survenue les accidents et maladies radio-induits a permis l'installation d'hypothèses fausses, telles que celle de la "dose tolérable" », rappelle ainsi Annie Thébaud-Mony. Qu'importe que des rongeurs exposés à des doses infinitésimales de bisphénol A, longtemps présent dans les biberons, présentent des anomalies chromosomiques, le discours reste le même : en deçà d'un certain seuil d'exposition, pas d'inquiétude. Ou comment faire croire à l'innocuité d'un produit alors même que des études sérieuses ont démontré le contraire. Redoutable.

La Science asservie, d'Annie Thébaud-Mony, La Découverte, 224 p., 21 €.

Source : www.marianne.net

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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 17:10

 

Source : www.mediapart.fr

 

Violences antisémites : ce que disent les chiffres

|  Par Louise Fessard et Michel de Pracontal

 

 

 

L'agression contre un jeune couple juif à Créteil exprime les tensions d'une France de plus en plus intolérante. Mais au-delà de l'actualité immédiate, notre pays est-il touché par une vague d'antisémitisme ? Si les statistiques montrent une fréquence accrue des faits à caractère antisémite, l'opinion publique dans son ensemble ne manifeste pas un tel mouvement, bien que le rejet de l'autre, en général, s'exprime de plus en plus fortement.

L’agression contre un jeune couple juif, lundi 1er décembre à Créteil, dont « le caractère antisémite semble avéré » selon le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, survient dans un contexte chargé : au cours des six premiers mois de 2014, le nombre d’incidents antisémites recensés en France par le ministère de l’intérieur s’est élevé à 327, alors qu’on en avait compté 423 pour toute l’année 2013. Un pic a été observé en janvier, après l’interdiction des spectacles de Dieudonné et la manifestation Jour de colère, avec 85 actions et menaces à caractère antisémite, plus que pour l’année 1999 tout entière. Depuis le début des années 2000, le nombre d’incidents antisémites enregistrés chaque année est 6 à 10 fois supérieur à ce qu’il était pendant la décennie 1990.

 

Heurts à Sarcelles le 20 juillet 2014, au cours desquels une synagogue et une épicerie casher ont été attaquées 
Heurts à Sarcelles le 20 juillet 2014, au cours desquels une synagogue et une épicerie casher ont été attaquées © Reuters/Benoît Tessier

Ces statistiques mettent-elles en évidence une vague d’antisémitisme à l’échelle du pays ? Ou montrent-elles une dérive limitée, si préoccupante soit-elle ? Que représentent-elles exactement ? Comment sont-elles établies ? Au-delà des perceptions subjectives, qui varient selon les sensibilités, peut-on mesurer objectivement le phénomène antisémite ?

Deux outils principaux permettent d’effectuer cette mesure : le premier est le comptage des faits qui peuvent être qualifiés d’antisémites, à partir des plaintes et mains courantes enregistrées par les services de police et de gendarmerie ; le second outil consiste à effectuer des enquêtes d’opinion sur des échantillons représentatifs de la population, afin d’estimer le degré d’adhésion aux stéréotypes antijuifs. En France, les deux outils sont utilisés régulièrement depuis deux décennies. Aux termes d’une loi de juillet 1990, la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’homme) publie chaque année un rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, qui s’appuie sur les statistiques établies par le ministère de l’intérieur. Ce rapport annuel contient aussi une analyse, réactualisée à chaque édition, de l’opinion française à l’égard des préjugés racistes, antisémites ou xénophobes (lire ici le dernier rapport de la CNCDH).

Les deux outils ont leurs avantages et leurs limites. S’ils sont complémentaires, ils ne montrent pas la même chose. « Il y a une disjonction entre les actes et les opinions, dit Nonna Mayer, du Centre d’études européennes de Sciences-Po, qui contribue de longue date aux enquêtes d’opinion de la CNCDH. Les propos que l’on tient face à un enquêteur n’obéissent pas à la même logique que le passage à l’acte. »

D’où ce paradoxe : alors que les statistiques des incidents antisémites ont augmenté depuis le début des années 2000, l’opinion publique française dans son ensemble ne manifeste aucun regain d’antisémitisme. Au contraire : « Les préjugés contre les juifs ont constamment reculé dans notre pays depuis 1945, dit Nonna Mayer. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un tiers des sondés seulement estimaient que les juifs étaient des Français comme les autres. Aujourd’hui, la proportion est de 85 à 90 % selon les sondages. » Elle observe cependant que deux stéréotypes anciens restent tenaces, « l’idée que les juifs ont du pouvoir et qu’ils ont un rapport particulier à l’argent ».

Les enquêtes de Nonna Mayer et de ses collègues de Sciences-Po (Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale) montrent aussi que, globalement, les juifs sont la minorité la moins stigmatisée. Le sentiment d’intolérance s’exprime plus à l’encontre des milieux maghrébins et arabo-musulmans, et encore davantage à l’égard des Roms. En contraste avec la position exprimée par le président du CRIF, qui a évoqué la Nuit de cristal et les pogroms à propos d’attaques contre des synagogues. Si choquants soient-ils, ces actes ne reflètent pas l’état de l’opinion. Mais que sait-on exactement des actes antisémites ?

• INCIDENTS ANTISÉMITES : DES STATISTIQUES EN HAUSSE DEPUIS 2000

Les rapports annuels de la CNCDH reprennent les statistiques du ministère de l’intérieur pour les faits antisémites, racistes et xénophobes, et depuis 2010 antimusulmans. Les faits sont répartis en « actions » (ou actes), qui sont des atteintes physiques aux personnes ou aux lieux – attentats, homicides, violences, incendies ou actes de vandalisme –  et « menaces », autrement dit les agressions plus symboliques telles que les injures, gestes, courriers, inscription, tags.

De 1996 à 2003, le détail des faits est lacunaire, car il n'a pas été actualisé. Il est donc légèrement en-dessous du total indiqué page suivante. 

Les statistiques montrent que le nombre de faits à caractère antisémite a augmenté : depuis le début des années 2000, il est 6 à 10 fois supérieur à ce qu’il était pendant la décennie 1990. Cette dernière a vu, à l’inverse, les chiffres des actes et menaces à caractère antisémite diminuer, atteignant un niveau minimum d’environ 80 en 1998 et 1999. Mais en 2000, les chiffres ont presque décuplé, passant à 743 faits, dont 119 actes et 624 menaces antisémites.

Après 2000, les statistiques ne sont jamais revenues au niveau des années 1990, et l’on a enregistré des valeurs records en 2002 (936 faits), 2004 (974) et 2009 (832). L’année 2014 semble marquée par une nouvelle hausse des violences antijuives avec, comme on l’a vu, un pic en janvier, et un deuxième en juillet, lié aux manifestations pour Gaza à la suite de l’opération « Bordure protectrice » lancée par l’armée israélienne.

La hausse spectaculaire de 2000 est liée aux répercussions des événements du Proche-Orient, avec l’intensification du conflit israélo-palestinien et la deuxième intifada. Les années suivantes seront marquées par le retentissement des attentats du 11 septembre 2001 puis de la guerre en Irak en 2003. Dans la même période, l’outil de mesure a été modifié, ce qui a aussi un impact sur les chiffres. Il faut donc examiner l’ensemble du processus de construction des statistiques.  

La CNCDH distingue trois catégories de faits : racisme et xénophobie, antisémitisme, et racisme antimusulman. Si les statistiques font apparaître une augmentation du nombre de faits antisémites, les deux autres catégories sont aussi en hausse (voir les courbes page suivante). Toute comparaison est cependant hasardeuse, notamment parce que les trois catégories ne sont pas homogènes. Jusqu’à 2010, tous les faits dirigés contre une minorité autre que les juifs étaient classés « racistes et xénophobes ».

Statistiques très fragmentaires

Dans le système actuel, les actes visant les populations d’origine maghrébine peuvent être qualifiés d’antimusulmans lorsqu’ils ont une connotation religieuse, par exemple placer une tête de cochon à l’entrée d’une mosquée, ou de racistes s’ils ne sont pas liés à la religion. Mais que faire d’une inscription « Mort aux Arabes » apposée sur une mosquée ? L’antisémitisme, lui, forme une catégorie unique, où l’on ne distingue pas entre religion et ethnie.

• LES LIMITES DE L'INSTRUMENT DE MESURE

Comment sont obtenus les chiffres ? La CNCDH ne fait que reprendre les statistiques fournies par le ministère de l’intérieur, avec tous les défauts inhérents à ces dernières qui visent moins à donner une image réelle de la délinquance qu’à mesurer l’activité des services. De plus, la manière de construire les chiffres a changé au cours du temps. Si bien que ces chiffres reflètent à la fois l’évolution du phénomène réel et celle de l’instrument de mesure.

« L’outil s’est progressivement affiné, résume Patrick Hefner, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariat de la DGPN (direction générale de la police nationale, ministère de l’intérieur). On ne peut pas faire de comparaison rigoureuse sur quinze ans, ni même sur la dernière décennie. Les statistiques, telles que nous les produisons aujourd’hui, n’existent que depuis 2008. Avant, elles n’étaient pas obtenues avec la même méthodologie. »

Une rupture s’est produite avec la création par la loi du 3 février 2003 d’une circonstance aggravante pour les violences à caractère raciste, xénophobe ou antisémite. L’année suivante, cette circonstance aggravante a été élargie aux menaces, vols et extorsions. Les violences inférieures à 8 jours d’ITT (incapacité totale de travail), qui étaient jusqu’alors punies de simples contraventions et n’étaient pas comptabilisées, sont désormais enregistrées comme des délits dès lors que le motif raciste ou antisémite peut être retenu. Ce qui augmente mécaniquement le nombre d’actes racistes ou antisémites relevés par les forces de l’ordre.

De plus, les chiffres annuels du ministère mêlent sans aucun distinguo les dépôts de plainte, les faits constatés à l’occasion d’interventions de police, et ceux extraits des mains courantes des commissariats et gendarmeries. Ces derniers ne sont relevés que depuis la création en 2008 de la sous-direction de l’information générale (SDIG depuis devenue renseignement territorial), souligne la CNCDH qui s’interroge dans son dernier rapport, paru le 1er avril 2014, sur l’exhaustivité de ce suivi statistique vu « la complexité de la tâche ». Les agents doivent éplucher une à une ces mains courantes pour en extraire les mentions relatives à la délinquance à caractère antisémite.

Ce n’est pas tout. Pour les faits antisémites, le ministère travaille en partenariat avec le SPCJ (service de protection de la communauté juive). Les chiffres sont établis après un dialogue trois à quatre fois par an entre le SPCJ et les services concernés du ministère de l’intérieur. Des partenariats similaires existent avec la Licra pour le racisme et avec le Conseil français du culte musulman pour les actes anti-musulmans.

« Chaque mois, nous faisons remonter des services départementaux du renseignement territorial des données qui viennent à la fois de la police et de la gendarmerie, explique Patrick Hefner. Le SPCJ nous transmet, de son côté, les informations qui lui sont parvenues s’appuyant sur des faits qualifiés par une plainte. Nous confrontons ces données avec celles issues des services départementaux et nous vérifions que les plaintes recensées par le SPCJ sont bien prises en compte. In fine, pour parfaire les états statistiques, il est procédé à un ajout des infractions qui n’ont pas nécessairement fait l’objet d’une plainte. L’exemple type est une dégradation de cimetière : le conservateur du cimetière s’en aperçoit, les services municipaux réparent, mais il n’y a pas nécessairement de plainte. On a ainsi une vision plus complète du panorama. »

• UN ÉCART MAJEUR ENTRE LES STATISTIQUES ET LA RÉALITÉ

Malgré ces apports, la mesure des actes racistes ou antisémites reste très imparfaite. D’abord parce que la nomenclature utilisée par les policiers, "l’état 4001" qui remonte à 1972, est lacunaire et ne comporte pas d’index spécifique à ces faits. « Ce n’est pas spécifique aux actes antisémites, explique Cyril Rizk, statisticien à l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale). Les outils sont construits sur une nomenclature très agrégée qui ne permet pas d’avoir de statistiques dès lors qu’on s’intéresse à quelque chose de non prévu lors de la conception. Par exemple, nous n’avons pas de statistiques sur les violences intrafamiliales, sur les braquages de tabac ou sur les vols de portables. »

Jusqu’en 2013, il fallait extraire les chiffres des faits antisémites à partir des informations contenues dans le fichier Stic (système de traitement des infractions constatées) et son équivalent gendarmesque le Judex (système judiciaire de documentation et d’exploitation). À condition qu’au moment de la plainte, le policier ou le gendarme ait correctement qualifié les faits, puis qu’ils aient été saisis sans erreur dans l’un des deux fichiers. En 2008, la Cnil avait constaté que 83 % des fiches du Stic contrôlées à la demande de citoyens comportaient des erreurs ou des informations illégales. « La qualité de cette collecte dépend de la sensibilité des agents à ce type d’infractions et des directives données par la hiérarchie, met en garde Cyril Rizk. Il faut prendre ces chiffres avec prudence car s’il y a eu des instructions hiérarchiques récentes, plus de faits vont remonter. La sensibilité des agents de terrain varie aussi selon l’actualité. » 

En 2014, deux circulaires ont mis l’accent sur les actes racistes ou antisémites. Le 30 juillet 2014, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a écrit aux préfets pour leur rappeler le « contexte actuel de tensions internationales notamment au Proche-Orient » qui « se traduit par une recrudescence d’actes et de propos à caractère raciste ou antisémite ». Dans cette circulaire, il demande aux représentants de l’État de signaler ces faits « systématiquement au parquet compétent aux fins de poursuite ». Le 4 août, la garde des Sceaux a fait de même auprès des procureurs priés d’être particulièrement attentifs à ces actes, leur joignant en copie la circulaire de la place Beauvau. 

Selon le ministère de l’intérieur, le nouveau logiciel de rédaction des procédures (LRPPN), en cours de généralisation dans les commissariats, devrait résoudre une partie de ces problèmes. Mais il n’éliminera pas l’un des principaux facteurs qui limitent la portée des statistiques : elles recensent, pour l’essentiel, des faits qui ont fait l’objet d’une plainte. Or, selon la CNCDH, « en matière de délinquance à caractère raciste, le nombre de dépôts de plainte est largement en deçà du nombre de faits effectivement commis ». Globalement, on estime que seulement 16 % des victimes se résolvent à porter plainte. Patrick Hefner reconnaît qu’« il y a, bien sûr, un chiffre noir de la délinquance, qui résulte des faits non portés à notre connaissance, comme pour toute infraction ».

Les Britanniques comptabilisent 30 fois plus d'incidents racistes que les Français

Comment évaluer le degré de sous-estimation des statistiques officielles ? À titre indicatif, la CNCDH cite nos voisins d’outre-Manche : « Le Royaume-Uni, par exemple, après avoir constaté, à la suite d’études sur la délinquance réelle, les défaillances de son système statistique, a tenté d’améliorer le recensement des infractions racistes. Le nombre d’actes commis à raison de l’appartenance prétendue à une "race" est passé de 6 500 en 1990 à 14 400 en 1997-1998 ; puis il a quadruplé jusqu’à 53 000 en 2000-2001. Pour l’année 2011-2012, 47 678 incidents racistes ont été signalés aux services de police concernant l’Angleterre et le pays de Galles. La comparaison avec les 1 539 actes et menaces à caractère raciste, antisémite et xénophobe enregistrés en France en 2012 fait craindre que la plupart des infractions de ce type ne se trouvent pas recensées. »


Cimetière juif de Cronenbourg près de Strasbourg, le 27 janvier 2010 
Cimetière juif de Cronenbourg près de Strasbourg, le 27 janvier 2010 © Reuters/Vicent Kessler

Pour des populations du même ordre de grandeur, les Britanniques comptabilisent au moins 30 fois plus d’incidents racistes que les Français. Bien sûr, les situations ne sont pas superposables. Mais les Britanniques ont pris le problème très au sérieux, à la suite d’une vague d’agressions et de meurtres racistes dans les années 1990. Ils ont mis l’accent sur la formation des policiers, ce qui a conduit les victimes à porter plainte plus facilement (lire ici un rapport de la Equality and Human Rights Commission sur le sujet). Il est frappant d’observer que le nombre d’incidents recensés en Grande-Bretagne a été multiplié par 8 en une décennie, alors même que les autorités pensent que le nombre réel a diminué, du fait de la politique antiraciste. Autant dire qu’une grande incertitude pèse sur la signification réelle des statistiques françaises.

La CNCDH regrette qu’il n’existe pas d’outils de mesure alternatifs à ceux du ministère de l’intérieur. La connaissance du phénomène raciste et antisémite peut être améliorée en s’appuyant sur les enquêtes de victimation publiées chaque année par l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). Ces enquêtes reposent sur l’interrogation des personnes qui ont subi des agressions. Elles indiquent qu’en 2012, environ 1,5 % des personnes de 14 ans et plus ont été victimes d’injures à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, un taux stable depuis 2009. Sachant que plus des trois quarts de la population est âgée de plus de 14 ans, cela représente des centaines de milliers de personnes injuriées chaque année pour leur prétendue appartenance raciale. Beaucoup plus que le millier de menaces recensées par le ministère. Cela illustre l’écart qui peut exister entre les statistiques policières et la réalité.

• QUI SONT LES AUTEURS DE VIOLENCES ANTISÉMITES ?

Dans son rapport de 2007, la CNCDH estime que plus de 80 % des faits racistes ou antisémites étaient imputables à l’extrême droite dans les années 1990, et que cette proportion n’est plus que d’environ un quart au milieu des années 2000. Pour l’année 2006, elle attribue 28 % des violences antisémites aux milieux arabo-musulmans et 10 % à ceux d’extrême droite. Mais pour cette même année, la grande majorité des auteurs d’actions violentes antisémites (62 %) sont non identifiés. L’idée qu’à l’antisémitisme « traditionnel » lié à l’extrême droite s’est ajoutée une composante nouvelle, provenant en grande partie de populations issues de l’immigration, a été régulièrement avancée depuis une quinzaine d’années. Mais il s’agit plus d’une opinion que d’un fait démontré : les données de terrain ne livrent que des informations très fragmentaires, et ne permettent pas de dégager de tendances claires.

Au demeurant, le ministère de l’intérieur ne fournit plus, comme il le faisait il y a quelques années, d’éléments chiffrés sur les origines de ceux qui commettent des actes racistes ou antisémites. « Nos statistiques ne peuvent faire apparaître un profil des auteurs, ou leur appartenance ethnique, dit Patrick Hefner. Tout ce qu’on peut divulguer, c’est si l’auteur est un homme ou une femme, majeur ou mineur, français ou étranger. L’affirmation selon laquelle les auteurs d’actes antisémites viendraient majoritairement de milieux arabo-musulmans n’est pas fondée sur des éléments objectifs issus de nos statistiques, puisqu’il nous est interdit d’établir des statistiques à caractère ethnique. »

Les données publiées auparavant étaient de toute façon trop incomplètes pour être éclairantes : que conclure lorsque les deux tiers des auteurs sont inconnus ? Peut-on obtenir plus d’information à travers l’action de la justice ? Bien sûr, dans le cas de faits divers criminels très graves, comme l’assassinat d’Ilan Halimi (en janvier 2006) ou la fusillade perpétrée par Mohammed Merah sur une école juive de Toulouse (en mars 2012), les auteurs sont identifiés et l’on peut dans une certaine mesure connaître leurs motivations. Mais ces faits gravissimes sont aussi exceptionnels, et n’indiquent pas de tendance générale.

Lorsqu’il s’agit de violences quotidiennes, le plus souvent, on a déjà du mal à établir les infractions, qu’il s’agisse d’actes antisémites, antimusulmans ou racistes. Cette difficulté est confirmée par les responsables des pôles anti-discrimination, mis en place depuis 2007 dans chaque cour d’appel.

« Peu de victimes déposent plainte, affirme Anne Lezer, procureure adjointe du tribunal de Marseille, responsable depuis cinq ans du pôle discrimination sur le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Même quand il y a une victime, il n’est pas évident de prouver la circonstance aggravante, que la personne a été agressée en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion. Donc il y a un chiffre noir. » 

Tout comme le parquet de Lyon et de Toulouse également interrogés, elle souligne que les agressions physiques sont rares – seulement deux comparutions immédiates à Marseille en 2013 par exemple. La majorité des actes antisémites signalés sont des dégradations, comme des tags sur des synagogues, des écoles juives ou des commerces. Les parquets évoquent également les délits de presse, comme l’« incitation à la haine et à la violence, en raison d'une origine d'une appartenance ethnique ou religieuse ».

Plus de 40 % des faits à caractère antisémite sont recensés en Île-de-France, et deux autres régions, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, concentrent chacune 10 % des faits. À Lyon comme à Marseille, aucun chiffre n’est disponible mais les parquets ne notent pas de recrudescence de violence antisémite ces dernières années. Plutôt des flambées liées à l’actualité. « C’est toujours conjoncturel, estime Anne Lezer. Dès qu’il y a un redémarrage du conflit israélo-palestinien, on a une flambée de tags à caractère antisémite puis ça redescend. En juillet, j’étais de permanence, nous en avons eu un très grand nombre. »

Le parquet de Lyon confirme : « Il suffit d’une activité internationale comme cet été avec le conflit à Gaza pour avoir des comportements aberrants, des gens qui crient “sales juifs” en passant devant une synagogue. »

On retrouve rarement les auteurs de violences

Patrice Michel, procureur adjoint de Toulouse et responsable du pôle discrimination depuis quatre ans, estime que les actes antisémites ont connu une accélération depuis les tueries de Mohammed Merah. « C’est patent, dit-il. Il s’agit d’actes de toute nature : injures sur Internet, tags et agressions comme des jets de projectiles contre des bâtiments juifs ou à l’encontre de personnes qui ont des habits traditionnels. Mais les agressions physiques restent rares. » En juillet 2013, un Toulousain de 22 ans a été condamné à un an de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir fait l'apologie sur Facebook des crimes de Mohammed Merah.

 

Devant le Musée juif de Bruxelles, au lendemain de la fusillade du 25 mai 2014 
Devant le Musée juif de Bruxelles, au lendemain de la fusillade du 25 mai 2014 © Reuters/Eric Vidal

Selon Patrice Michel, les auteurs « sont souvent des gens d’origine maghrébine » et pour certains « se revendiquent de Merah ». Mais encore plus souvent, on ne réussit pas à remonter aux auteurs, qui restent inconnus. « Quelles sont les motivations intellectuelles ? Y a-t-il réellement une conceptualisation ? s’interroge Anne Lezer. Comme on retrouve rarement les auteurs, beaucoup d'affaires sont classées sans suite et nous ne savons pas. » En 2012, moins du tiers des 2 647 affaires racistes et antisémites dont les parquets ont été saisis ont ainsi fait l’objet d’une réponse pénale.

Les actions pour lesquelles on peut attribuer aux auteurs une motivation idéologique précise sont minoritaires. Une grande partie des actes racistes et antisémites entrent dans une zone grise, comme l’explique Nonna Mayer : « En dehors des affaires graves, il y a un “antisémitisme de contact” dans les quartiers où les communautés se croisent. Les agressions dans la vie quotidienne se produisent à 40 % en Île-de-France. Ce n’est pas nouveau. À Belleville, la communauté juive et les Arabes se tapaient dessus au lendemain de la guerre des Six Jours. Mais ce type d’effet est accentué par la globalisation, les réseaux sociaux. Il y a des agressions qui se rapprochent de la petite délinquance, habillée de la “défense des Palestiniens”. Plus les juifs sont pratiquants et portent des signes extérieurs, plus ils sont inquiets. Mais le problème est le même du côté musulman, avec les agressions de femmes voilées, les arrachages de foulard, les têtes de cochon devant les mosquées»

• VIEIL ANTISÉMITISME OU NOUVELLE JUDÉOPHOBIE ?

Si l’on connaît insuffisamment le profil des auteurs d’actes antisémites, peut-on malgré tout identifier des tendances qui éclaireraient les événements récents ? 

Dans un livre paru en 2002, le philosophe et historien Pierre-André Taguieff a développé la thèse de La Nouvelle Judéophobie qui, à la différence du vieil antisémitisme, ne se fonde pas sur une vision raciale. Schématiquement, cette nouvelle forme d’antisémitisme s’appuie sur la défense de la cause palestinienne et l’antisionisme, compris comme un rejet de l’État d’Israël et de sa politique (voir ici une interview récente de Taguieff sur ce sujet dans le JDD). Autrement dit, l’antisionisme serait devenu le masque de l’antisémitisme.

Taguieff met en évidence cette nouvelle judéophobie dans de nombreux textes d’intellectuels musulmans radicaux, de leaders ou de chefs religieux islamistes, mais aussi de certains courants de l’extrême gauche française et de personnalités comme Roger Garaudy et Serge Thion passé du soutien des khmers rouges au négationnisme. Mais s’agit-il d’une forte tendance de l’opinion française ? Et cette idéologie peut-elle expliquer la fréquence des incidents antisémites enregistrés depuis 2000 ?

Une étude toute récente du think tank libéral Fondapol, largement reprise par les médias, aurait d’après ses promoteurs mis en évidence l’émergence d’un nouvel antisémitisme parmi les musulmans vivant en France (lire sur le site du Monde une tribune de Nonna Mayer sur cette étude). Selon cette étude, les préjugés antisémites seraient deux à trois fois plus fréquents parmi les musulmans que dans l’ensemble de la population. Il faut cependant souligner que cette étude ne respecte pas les précautions habituellement adoptées pour ce type d’enquête (bien qu’elle ait été réalisée par l’Ifop). Elle s’appuie sur un échantillon de la population musulmane formées de 575 personnes interrogées dans la rue. L’effectif est réduit, le mode de sélection peu clair, la représentativité sujette à caution, et les questions sont posées en mode binaire (d’accord/pas d’accord), plutôt que selon l’habituelle gradation (d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, pas d’accord du tout).

Ces réserves étant faites, l’étude conclut que près de la moitié des interrogés ne savent pas ce qu’est le sionisme, ce qui ne plaide pas en faveur d’une adhésion à l’antisionisme censé être le moteur de la nouvelle judéophobie. Avec une méthodologie beaucoup plus rigoureuse, Nonna Mayer et ses collègues observent qu’il n’y a pas de relation systématique entre antisionisme et antisémitisme : critiquer Israël n’implique pas que l’on partage des préjugés antijuifs. « L’enquête montre que le “vieil” antisémitisme a de beaux restes, écrivent les chercheurs dans le rapport de la CNCDH. Le rejet des juifs est plus structuré par les stéréotypes classiques du pouvoir, de l’argent, l’accusation de communautarisme que par les perceptions d’Israël. »

Il est symptomatique qu’un Alain Soral, dont l’obsession antisémite est flagrante, joue systématiquement sur les vieux clichés antijuifs, se référant à La France juive de Drumont – et cultive tout autant le registre anti-Israël. Au moins dans le système Soral-Dieudonné, le vieil antisémitisme et la nouvelle judéophobie n’ont rien d’incompatible.

Quant à l’émergence d’un nouveau courant antisémite parmi les milieux arabo-musulmans, les résultats de l’étude de Fondapol ne sont pas non plus confirmés par les chercheurs de Sciences-Po. En 2005, Vincent Tiberj et son collègue Sylvain Brouard ont mené une enquête approfondie qui montrait que « l’antisémitismedes quartiers” représentait environ 10 % de la population que l’on pouvait qualifier d’antisémite, les 90 % restants relevant de l’antisémitisme “classique” ». On ne pouvait donc pas dire, au moins en 2005, que la nouvelle judéophobie avait remplacé le vieil antisémitisme. La situation a-t-elle changé ? Vincent Tiberj mène une nouvelle analyse sur le sujet, qui sera publiée dans le prochain rapport de la CNCDH, en 2015. Quel que soit le résultat, il est certain qu’une meilleure connaissance des phénomènes antisémites est nécessaire, dans le contexte actuel où les chercheurs constatent un recul de la tolérance et « une hausse globale du “rejet” de l’autre » dans la société française.

 

Lire aussi

 

Source : www.mediapart.fr


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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 16:52

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/gerardfiloche

 

 

Analyse détaillée de l'ordonnance Macron (suite): 107 articles libéraux, pas sociaux

Un projet qui porte sur le droit du travail, fait par un ministre de l’économie. C’est un retour au milieu du XIXe siècle, avant qu’on invente un ministère du travail. Un projet dont le titre III, étonnamment intitulé « TRAVAILLER » donne toute la mesure. On ne fera pas l’injure de penser qu’une loi dite  « Pour la croissance et l’activité »  montre du doigt les fainéants de chômeurs ou l’indolence des travailleurs dans un pays où leur productivité est une des plus fortes du monde, mais on peut sans doute y voir le vivre pour travailler opposé au travailler pour vivre.

————-

TITRE III  Chapitre 1

Travail dominical et en soirée

 

Art.75 : AUTORISATION du PREFET pour « préjudice au public» ou au «  fonctionnement normal de l’établissement »

L’ancien article L.3132-21 (« Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 ne peuvent être accordées que pour une durée limitée. »), abrogé par la loi n°2009-974 du 10 août 2009, devient : « Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans »

Art. 76 : DECISION DES MINISTRES

L’article L. 3132-24 (« Les recours présentés contre les décisions prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-23 ont un effet suspensif. »), abrogé par décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2014, est réécrit avec une tout autre signification : ouverture le dimanche dans les « zones touristiques internationales » qui seront décidées par « les ministres du travail, du tourisme et du commerce »

Art.77 : Par la suppression des deux premiers alinéas de l’article L.3132-25 et son remplacement, on obtient :

Suppression de la procédure de détermination des « communes d’intérêt touristique » et des zones « touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » par le Préfet, « après proposition de l’autorité administrative (maire ou préfet de Paris), après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des métropoles et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent »

Alignement sur les zones « internationales » des conditions de l’autorisation de travailler le dimanche dans des zones désormais simplement nommées « touristiques ».

Ce qui, en clair, permet d’avoir le travail du dimanche à tous les coups : soit par un « accord collectif ou territorial », soit par « décision unilatérale de l’employeur », certes prise après référendum, mais on sait d’expérience quelle sera la marge de résistance possible des salariés dans un référendum organisé par l’employeur.

A noter la nouvelle notion d’ « accord territorial » qui est sans doute la plus défavorable pour les organisations syndicales du point de vue du rapport de forces (il s’agit des organisations syndicales « les plus représentatives dans la région concernée », comment seront-elles décidées ?)

Art. 78 : par la modification de l’article L.3132-25-1,

Les dérogations accordées par le Préfet dans les « unités urbaines de plus de 1 000 000 habitants » pour les « établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l’importance de la clientèle concernée et l’éloignement de celle-ci de ce périmètre » deviennent :

dérogations pour « les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services situés dans des zones commerciales, caractérisées par un potentiel commercial » et cette dérogation se fera par « accord collectif ou territorial » ou « décision unilatérale de l’employeur »

Art. 79 : Modification de l’article L.3132-25-2.

La création (délimitation, modification) des zones « touristiques » (L.3132-25) et des zones « commerciales » (L.3132-25-1) est faite sur demande du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale et elle est décidée par le Préfet après plusieurs avis.

Art. 80 : Les contreparties pour les salariés fixées par l’actuel article L.3132-25-3 (repos compensateur, salaire doublé) sont modifiées.

Pour les autorisations d’ouverture le dimanche pour « préjudice au public» ou au «  fonctionnement normal de l’établissement », pour les « zones internationales », les « zones touristiques » et les « zones commerciales »,

il faudra soit un « accord collectif ou territorial », soit une « décision unilatérale de l’employeur » qui fixent les contreparties.

Contrairement aux dispositions de l’actuel article L.3132-25-3, en cas de décision unilatérale de l’employeur le salaire ne sera pas doublé automatiquement pour les entreprises de moins de 20 salariés dans les « zones touristiques » (« Dans les établissements de moins de vingt salariés situés dans les zones définies à l’article L. 3132-25, la décision unilatérale de l’employeur peut fixer des contreparties différentes de celles mentionnées au III.). Et même si elles franchissent le seuil des 20 salariés (tiens, là ils veulent bien des seuils…), elles auront droit au minimum à trois ans de délai… (application « à compter de la troisième année consécutive au cours de laquelle l’effectif de l’entreprise employé dans la zone atteint ce seuil »).

Art. 81 et 82 : pas de changement

Art. 83 : Modification de l’article L.3132-25-6

Le nouvel article ajoute encore une catégorie d’établissements qui pourront ouvrir le dimanche avec accord collectif ou décision unilatérale de l’employeur : les « établissements situés dans les emprises des gares ». »

Soit parce qu’ils sont dans une zone touristique internationale ou une zone touristique à potentiel soit une zone commerciale. Soit par « arrêté conjoint des ministres chargés des transports, du travail et du commerce »

Art. 84 : Modification de l’article L.3132-26

Le nombre de dimanches pouvant être supprimés par le maire passe de 5 à 12 !

Un ajout peu clair : « Cette suppression, est de droit pour cinq de ces dimanches. ». Cela veut-il dire que pour 5 dimanches, les établissements n’auront pas à demander la suppression ? Sans doute si on se réfère aux dispositions transitoires pour 2015 (Art. 86), où il est prévu que sur les 8 dimanches pouvant être supprimés par le maire, 3 devront être fixés par arrêté du maire « dans un délai maximum de deux mois après la promulgation » de la loi. Il est sans doute utile de rappeler que pour ces dimanches, le volontariat des salariés n’est pas de droit.

Art. 86 : Rien ne se perd.

Les anciennes zones créées par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 ne sont pas oubliées : Les « communes d’intérêt touristique ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » deviennent « de plein droit » des « zones touristiques à potentiel » ; les « périmètres d’usage de consommation exceptionnelle » deviennent « de plein droit » des « zones commerciales ».

Art. 85 : Le travail de nuit devient « travail de soirée ». Plus belle la vie.

Ajout d’un article L.3122-29-1 qui permet aux établissements de vente au détail dans les « zones touristiques internationales » de faire travailler de nuit (de 21h à 24h) des salariés « volontaires » dès que l’employeur a obtenu un « accord collectif ».

 

——–

TITRE III Chapitre II

Droit du travail

 

Conseil de prud’hommes

L’étude d’impact de la loi MACRON, document de travail daté du 13 novembre  à 22h30 (pour signifier l’urgence ?) fait 273 pages. Sur ces 273 pages, pas une ne concerne le conseil de prud’hommes alors que le projet de loi les dynamite.

De façon inattendue car on pensait avoir tout vu ou presque dans la volonté patronale d’étouffer la juridiction prud’homale, on a dans le projet MACRON un nouvel arsenal pour casser plus encore ce qui reste souvent le seul recours pour les salariés.

Les conseillers prud’homaux se voient soumis à un contrôle plus fort, une vraie tutelle ; leurs conditions de travail ainsi que le rapport de force pour les conseillers salariés sont dégradés ; se met en place une justice expéditive et forfaitaire répondant ainsi aux demandes constantes du MEDEF déjà avancées dans l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi qui les ont consacrés :

1/ extension du pouvoir des juges départiteurs : « A sa demande, le juge départiteur assiste au moins une fois par an à l’assemblée générale du conseil de prud’hommes.

Par ailleurs, il peut réunir le président et le vice-président du conseil de prud’hommes ainsi que, le cas échéant, les présidents et vice-présidents de section. » (nouvel article L.1423-3)

Au point que la mise en extinction des prud’hommes est désormais prévu par le code du travail : « En cas d’interruption durable de son fonctionnement ou de difficultés graves rendant ce fonctionnement impossible dans des conditions normales et lorsqu’il n’a pas été fait application de l’article L. 1423-11, le premier président de la cour d’appel désigne le juge départiteur pour connaître des affaires inscrites au rôle du conseil de prud’hommes » (nouvel article L.1423-11-1)

2/ extension de la formation restreinte (2 conseillers au lieu de 4), sur demande du bureau de conciliation (rebaptisé pour ce faire « bureau de conciliation et d’orientation » par les nouveaux articles L.1235-1, L.1454-2, L.1454-4). Cette formation restreinte sur demande du bureau de conciliation et d’orientation (nouvel article L.1454-1-2) nécessite certes « l’accord des deux parties » mais sachant que cette éventualité est réservée aux cas où « le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire », soit 92% des cas de saisie des prud’hommes et que le projet a prévu comme carotte l’espoir (illusoire) de réduction des délais (« Le bureau de jugement statue dans un délai de trois mois. »), il est vraisemblable que cette nouvelle procédure sera largement utilisée. Avec comme conséquence inéluctable un engorgement supplémentaire et des jugements expéditifs encore plus défavorables aux salariés (outre que le temps d’examen joue en faveur des salariés, il n’est pas rare qu’un des conseillers salariés parvienne à convaincre l’autre de ne pas se rallier aux deux conseillers patronaux qui eux sont très rarement en désaccord).

3/ suppression possible de la case « bureau de jugement » au complet

a)    si le bureau de jugement estime que la formation restreinte ne s’imposait pas, le salarié n’aura pas droit à un bureau de jugement au complet ! L’affaire sera renvoyée directement en formation de départage. (« En cas de partage ou lorsque le bureau de jugement estime que le dossier ne relève pas de la formation restreinte, l’affaire est renvoyée devant la formation de départage » nouvel article L.1454-1-2)

b)    si le bureau de conciliation et d’orientation le décide, le renvoi directement en formation de départage est de droit si « toutes les parties le demandent » ou bien en cas de partage du bureau de conciliation ! (« En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation peut, même d’office, en raison de la nature du litige, renvoyer l’affaire devant la formation de jugement présidée par le juge désigné en application de l’article L. 1454-2. Ce renvoi est de droit si toutes les parties le demandent

Lorsque la demande de renvoi formée en application de l’alinéa précédent n’émane pas de toutes les parties, l’affaire est de plein droit renvoyée devant la formation de jugement visée à l’alinéa précédent en cas de partage du bureau de conciliation et d’orientation sur cette demande » nouvel article L.1454-1-3)

 

Et, dans tous les cas, cette décision du bureau de conciliation et d’orientation se fera « par simple mesure d’administration judiciaire » en clair par oral, sans motivation obligatoire, sans jugement et sans recours possible ! (« Dans tous les cas, le bureau de conciliation et d’orientation se prononce par simple mesure d’administration judiciaire » nouvel article L.1454-1-3)

On peut aussi se demander quelle sera la composition de la formation de départage en cas d’absence d’un conseiller prud’homal car les dispositions actuellement prévues par décret sont supprimées par le nouvel article L.1454-1-3  (« L’article L. 1454-4 n’est pas applicable lorsque l’affaire est renvoyée devant la formation composée comme il est indiqué au premier alinéa »)

4/ Contrôle et organisation de la « démission » des conseillers prud’homaux

Par la modification de l’article L.1442-1, la loi MACRON organise un nouveau contrôle des conseillers prud’homaux : désormais, à l’agrément déjà prévu des organismes de formation des organisations syndicales (article R.1442-2) s’ajoute un contrôle des conseillers prud’homaux eux-mêmes sur leur formation initiale et même continue (« Les conseillers prud’hommes sont soumis à une obligation de formation initiale et continue. »).

La sanction est même prévue. Pas n’importe laquelle, en violation des principes fondamentaux du droit du travail, le conseiller prud’homal dont il sera estimé qu’il n’a pas rempli ses nouvelles obligations de formation sera considéré comme « démissionnaire» ! (« Tout conseiller prud’homme qui n’a pas satisfait à l’obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire »)

Il peut ici être utile de se souvenir que l’ANI du 11 janvier 2013 avait déjà inauguré cette innovation juridique (pour la mobilité externe) qui décrète une démission en dehors de la volonté du salarié et sans passer par la case justice pour l’appréciation de cette « démission ». Chaque recul porte en germe le suivant.

5/ Une suspicion et un contrôle institutionnalisés(nouvel article L.1442-11)

Aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises pour tout juge, la loi MACRON ajoute, pour les conseillers prud’homaux la « dignité » ( ?), la « probité » ( ?) et l’obligation de soumettre leur « comportement » à des exigences dont on appréciera la saveur : les conseillers prud’homaux devront agir de sorte qu’on (qui on ?) ne puisse nourrir le moindre doute « légitime » (c’est quoi le légitime ici ?) (« Les conseillers prud’hommes exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité, et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. ») et de sorte qu’aucun « acte ou comportement à caractère public » ne vienne mettre à mal un devoir de « réserve » qui, jusqu’ici, n’était prévu par aucun texte. (« Ils s’abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. »)

Pour le cas où les conseillers prud’hommes voudraient exprimer leur mécontentement de voir la justice prud’homale faire l’objet de tant d’entraves à son bon fonctionnement, la loi MACRON prévoit d’appliquer l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui limite le droit de grève des juges professionnels (hormis les juges administratifs) d’une formule qui permet de sanctionner toute action : « Leur est interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions. »

Et pour corseter le tout, la loi MACRON prévoit tout simplement l’écriture, encadrée par un décret, d’un « recueil des obligations déontologiques des conseillers prud’hommes ».

6/ Des sanctions renforcées(nouveaux articles L.1442-13-1, L.1442-13-2, L.1442-13-3, L.1442-14, L.1442-16, L.1442-16-1, L.1442-16-2)

Les conseillers prud’hommes sont considérés par la loi MACRON comme des salariés soumis au pouvoir disciplinaire d’un employeur :

Le terme de « faute disciplinaire » est employé pour qualifier tout manquement grave ; une sanction nouvelle est créée, l’ « avertissement », censée ne pas être une sanction et étant donnée sans recours possible par le premier président de la cour d’appel (nouvel article L.1442-13-1) ; une procédure disciplinaire pour les actuelles « peines » (censure, suspension, déchéance), transformées en « sanctions disciplinaires », est organisée avec la création d’une « commission nationale de discipline » qui pourra y ajouter une nouvelle sanction, le « blâme ». La « déchéance » est également durcie puisqu’un conseiller prud’homme peut actuellement demander à en être relevé au bout de 5 ans (actuel article .L1442-18) alors que les nouvelles dispositions prévoient à la fois une déchéance définitive et une déchéance provisoire pouvant aller jusqu’à 10 ans.

Cela ne suffisait pas, le projet de loi MACRON introduit l’équivalent de la mise à pied à titre conservatoire pour les conseillers prud’hommes : le président de la commission nationale de discipline peut suspendre un conseiller pendant 6 mois s’il est soupçonné d’être passible de sanctions disciplinaires (dont une suspension de 6 mois…)

7/ La représentation deviendrait obligatoire en appel ! (nouvel article L.1461-1) et les défenseurs syndicaux, déjà très peu nombreux, pourraient avec un nouveau statut être introuvables aussi bien aux prud’hommes qu’en appel (nouveaux articles L.1453-4 à L.1453-4-5)

Un des prétextes pour cette nième attaque contre la juridiction prud’homale est qu’il y aurait trop d’appel des procédures engagées. Avec la représentation désormais obligatoire, on peut penser que le but recherché sera atteint : désormais les salariés devront soit prendre un avocat, soit trouver un défenseur syndical correspondant à la nouvelle mouture prévu par la loi MACRON.

Dans des conditions que fixerait un décret, les défenseurs syndicaux devraient désormais être présentés sur un liste par les organisations syndicales, ils devraient ensuite être acceptés par « l’autorité administrative » (on peut parier qu’il s’agira du fameux D.I.R.E.C.C.T.E). Et, pour les défenseurs syndicaux qui sont salariés dans une entreprise, alors même qu’ils n’ont pas de protection à ce titre contre leur licenciement, la loi MACRON prévoit qu’ils sont tenus au « secret professionnel pour toutes les questions relatives au procédé de fabrication » et tenus à une « obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par l’employeur. ». De ces obligations floues et dont on cerne mal le rapport avec les fonctions de défenseur syndical, la loi MACRON donne à l’employeur qui les juge méconnues la possibilité de faire radier, par l’autorité administrative, le défenseur syndical de la liste.

8/ Moins de juges pour juger et des juges « mieux » choisis(nouveaux articles L.1458-1 –étonnant car l’article L.1458 n’existe pas- et L.1454-2)

Outre les formations restreintes, la loi MACRON (sériel killer ?) innove en créant la notion de « litiges sériels ».

A discrétion du premier président de la cour d’appel ou du président de la chambre sociale de la cour de cassation (« simple mesure d’administration judiciaire »), sans possibilité de recours, il pourra ainsi être décidé de faire juger plusieurs affaires par un seul conseil de prud’hommes. Pour ce faire, il suffira d’invoquer « l’intérêt d’une bonne justice ».

A discrétion des mêmes, la désignation de ce superconseil de prud’hommes.

Et, pour faire bonne justice sans doute, ce superconseil pourra de lui-même renvoyer devant la formation de départage, renvoi qui sera « de droit si toutes les parties le demandent. »

Dans ce départage, les juges départiteurs qui relèveraient du T.G.I et non plus du tribunal d’instance seraient choisis sur critères par le président du tribunal de grande instance, critères dont on appréciera le souci incontestable d’une « bonne justice » : « prioritairement en fonction de leurs aptitudes et connaissances particulières ».

Le MEDEF peut être satisfait.

 

Inspection du travail

L’inspection du travail a déjà vu son indépendance foulée au pied par le décret SAPIN de mars 2014.

Le projet d’ordonnance MACRON en est la suite que SAPIN n’avait pas eu le temps de terminer. Aussi est-il facile de voir ce que cache les intentions affichées par l’ordonnance à venir (« 1° Renforcer le rôle de surveillance du système d’inspection du travail et réviser les modes de sanction en matière de droit du travail ; 2° Réviser la nature et le montant des peines applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel de façon à créer un nouveau régime de sanctions dont l’application sera plus effective ; 3° Abroger les dispositions devenues sans objet et assurer la cohérence rédactionnelle des renvois au sein des codes. »).

Le changement pour les sanctions consiste, sous prétexte d’une meilleure efficacité, à passer des amendes pénales aux amendes administratives. Et le pouvoir de sanction passerait des mains de l’inspecteur du travail dans ceux du D.I.R.E.C.C.T.E dont il est nécessaire de cerner nomination, fonctions, et profil qui en découle pour voir le sourire du MEDEF derrière cette prétendue avancée. Le D.I.R.E.C.C.T.E, créé en 2009 est le Directeur Régional des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, un titre qui résume la place que l’inspection du travail occupe désormais (les agents de contrôle ne représentent qu’un quart des effectifs) et sa subordination aux intérêts des employeurs. Les Directeurs régionaux de ce regroupement interministériel sont choisis pour leur aptitude à servir les entreprises et à accompagner leurs objectifs : sur les 22, 9 ne viennent pas de la filière Travail-Emploi, et les 13 de cette filière, quand ils ne sont pas issus de l’ENA ou n’ont pas été manager chez Arcelor-Mittal, ont depuis longtemps quitté la section d’inspection pour les soutiens divers aux entreprises. Et la recodification scélérate du Code du travail en 2008, soigneusement rédigée pendant deux ans par les petites mains du Medef, leur a transféré des pouvoirs autrefois attribués aux Directeurs Départementaux et même aux Inspecteurs du travail.

 

Pour les peines applicables pour entrave aux fonctions des délégués du personnel, des membres du comité d’entreprise, du C.H.S.C.T et des délégués syndicaux, changer la « nature » des peines fait craindre le pire quand on le rapproche de « l’application sera plus effective ». Plaider coupable, amende administrative ?  dans les deux cas, le patronat échappe au procès-pénal et accède à tous les arrangements possibles entre amis.

 

Enfin, l’expérience de la recodification en 2008 permet de prévoir que l’abrogation des dispositions « devenues sans objet » vaut qu’on y regarde de plus près, ainsi que les « renvois au sein des codes », la recodification de 2008 ayant éclaté le code du travail en de multiples codes, permettant ainsi de ne plus assurer le même droit pour tous les salariés.

 

La loi MACRON n’oublie pas de supprimer d’ores et déjà quelques attributions des inspecteurs du travail. Ce qu’elle ne donne pas encore, aux D.I.R.E.C.C.T.E, elle l’octroie aux juges qui vont remplacer « l’autorité administrative » (nouveaux articles L.2312-5, L.2314-11, L.2314-31, L.2322-5, L.2324-13, L.2327-7) ou même directement « l’inspecteur du travail » (nouveaux articles L.2314-20 et L.2324-18)

 

Ces transferts de décision ne sont pas anodines :

 

L’actuel article L.2312-5 permet à « l’autorité administrative » de décider de la mise en place de délégués du personnel dans les établissements de moins de 11 salariés, mais sur un site où sont employés plus de 50 salariés (centres commerciaux par exemple). Jusqu’à la recodification de 2008, l’autorité était le directeur départemental du travail, depuis ce pouvoir a été transféré à l’indispensable D.I.R.E.C.C.T.E.  A défaut d’accord électoral avec les organisations syndicales, le D.I.R.E.C.C.T.E décide du nombre et de la composition de collèges électoraux ainsi que du nombre de sièges et de leur répartition entre les collèges. Des questions souvent très importantes qui font souvent la différence entre avoir un délégué qui soit vraiment un délégué du personnel ou bien un délégué du patron.

Transférer ces décisions relatives aux élections à un juge n’est sans doute pas de bon augure : outre l’asphyxie judiciaire, les décisions de la hiérarchie de l’inspection du travail étaient au moins préparées par les agents de contrôle compétents.

 

Le même transfert (nouveaux articles L.2314-11, L.2324-13) est prévu pour toutes les élections de délégués du personnel dans les établissements de plus de 11 salariés et pour les élections au comité d’entreprise dans les entreprises de plus de 50 salariés

 

Passerait également à l’autorité judiciaire (nouveaux articles L.2314-31, L.2322-5, L.2327-7) la reconnaissance d’un « établissement distinct » qui permet d’organiser dans une entreprise autant d’élections de délégués du personnel ou de membres de comité d’établissement qu’il y a d’établissements considérés comme distincts du point de vue de la gestion du personnel. Un enjeu parfois important dans de grandes ou moyennes entreprises, pouvant permettre à l’employeur de peser sur le choix des délégués.

 

Enfin, l’inspecteur du travail perd au profit du « juge judiciaire » (une formule nouvelle introduite dans la recodification de 2008 qui, déjà, prévoyait derrière ce terme générique la disparition à terme des juges prud’homaux, car dans la plupart des articles du code, juge judiciaire voulait évidemment dire juge des tribunaux d’instance ou de grande instance) les décisions de dérogation aux conditions d’ancienneté pour les électeurs et les éligibles aux élections de délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise. Au passage, le juge ne sera apparemment plus obligé pour cette décision de consulter les organisations syndicales pour les élections de délégués du personnel et seulement pour les éligibles pour les élections aux comités d’entreprise.

 

 

« Dialogue social »

 

Derrière cet euphémisme qui cache depuis des lustres le monologue patronal ou le duo qu’il forme avec le gouvernement, le projet de loi MACRON a inscrit : les dispositions précédentes de dessaisissement de l’inspection du travail, qui n’a aucun rapport ; un gadget (la transmission rapide des PV des élections professionnelles aux organisations syndicales), destiné sans doute à nourrir les divisions et distractions qui sont l’effet des nouvelles règles de représentativité ; et enfin l’ajout de la possibilité pour les entreprises, conséquences de l’ANI du 11 janvier 2013, de réduire désormais le « dialogue social », par exemple pour les licenciements pour motif économique à la fourniture au comité d’entreprise de la « base de données unique » dont le contenu limitatif est fixé par décret. Il eut été plus logique de verser ce prétendu progrès dans la rubrique intitulée par le projet MACRON « Simplifications pour les entreprises »

 

« Simplifications pour les entreprises »

 

Pour pouvoir se soustraire à l’obligation d’embaucher des travailleurs handicapés, les employeurs pouvaient déjà passer des contrats à des « entreprises adaptées », des « centres de distribution de travail à domicile », des « établissements ou services d’aide par le travail.

Le projet de loi MACRON voit plus loin (articles L.5212-6 et L.5212-7-1) : désormais, il suffirait de faire appel :

-       à des personnes que l’employeur ne paierait pas et qu’il n’aurait pas l’obligation d’embaucher (« personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu professionnel dans les conditions fixées par les articles L. 5135-1 et suivants » – la mise en situation en milieu professionnel est issue d’une loi scélérate du 5 mars 2014 qui permet de fournir de la main d’œuvre gratuite sous couvert de « découvrir un métier »,  de « confirmer un projet professionnel » ou d’ « initier une démarche de recrutement »)

-       ou à des non salariés (« travailleurs indépendants handicapés »), ce qui constituera sans nul doute une occasion supplémentaire de travail non déclaré.

 

 

Lutte contre la prestation de service internationale illégale

Le projet de loi MACRON a eu raison de ne pas inscrire cette question dans la rubrique « Simplification ». Il s’agit ici (nouveaux articlesL. 1263-3 et L. 1263-4) de l’organisation du laisser-faire pour les infractions au détachement illégal de salariés.

 

Si un agent de contrôle constate des infractions au salaire minimum, à la durée du travail ou « des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine », il doit…donner un « délai » (qui sera fixé par décret…) à l’employeur pour se mettre en règle !

Si rien n’est fait au terme du délai, l’agent de contrôle doit…faire un « rapport administratif » à l’ « autorité administrative » (non désignée par le projet de loi, mais ce sera le D.I.R.E.C.C.T.E).

Celui-ci, au vu de ce rapport et « eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés » pourra, par « décision motivée » suspendre la prestation en question pour « une durée ne pouvant excéder un mois » ; il met bien sûr fin à la mesure si l’employeur justifie de la cessation de ses manquements ; et si l’employeur refuse de suspendre son activité, il peut fixer une amende administrative mais avec circonspection : il doit en effet tenir compte, non seulement les « circonstances et la gravité du manquement » mais aussi le « comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ». Les employeurs ne sont décidemment pas des citoyens comme les autres.

 

Médecine du travail

Des considérations générales du projet de loi (« mesures relevant du domaine de la loi relatives à la constatation de l’inaptitude médicale et à ses conséquences au regard du salarié et de l’employeur, ainsi qu’au regard de l’organisation des services de santé au travail et des missions des personnels concourant à ces services, notamment celles des médecins du travail en vue de déterminer des priorités d’intervention au bénéfice d’une application plus effective du droit du travail dans les entreprises. ») ainsi que de l’ « étude d’impact » de la loi MACRON, on peut déduire le sort réservé à la médecine du travail.

L’étude d’impact a l’avantage de donner à voir les soubassements des changements législatifs :

-       il est expliqué clairement que l’obligation légale de la visite d’embauche ne peut être effectuée car il manque de médecins du travail et que « les employeurs sont donc dans une situation d’insécurité juridique » car la Cour de cassation sanctionnerait « lourdement » le non respect de l’obligation de sécurité.

-       La larme vient également aux paupières quand il est expliqué que les médecins du travail rédigent beaucoup trop d’avis d’aptitude comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements de poste (plus d’un million par an), pas toujours clairement (« difficultés d’interprétation ») et surtout empêcheraient par ce biais tout licenciement ! (« Tant que l’avis mentionne l’« aptitude », aucun licenciement ne peut être envisagé même si l’employeur est dans l’incapacité de suivre les recommandations et propositions du médecin du travail.”).

 

Dès lors, les « enjeux » selon l’étude d’impact, sur ces deux points : « Sécuriser les employeurs » et les solutions qui sont envisagées : moins de visites, moins de visites faites par les médecins (on ferait appel à « d’autres professionnels ») ; des avis d’aptitude faits par des « collaborateurs médecins » et un encadrement voire une suppression des « réserves ».

Au total, licencier plus et plus vite pour inaptitude, tel est la sécurisation recherchée par le projet de loi.

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/gerardfiloche

 


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5 décembre 2014 5 05 /12 /décembre /2014 18:47

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

 

« Cher M., chère Mme » 05/12/2014 à 17h26
Ça va devenir trop facile de repérer les amendements dictés par les lobbies
Rémi Noyon | Journaliste Rue89

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Parfois, les députés sont pris d’un coup de flemme. Ils ne réécrivent même pas les suggestions de lobbyistes, ce qui nous permet, ensuite, de les griller. Exemple avec le tabac.


Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, le 5 novembre 2014 (PATRICK KOVARIK/AFP)

C’est la marque des lobbies : un phrasé inspiré que l’on retrouve saupoudré à l’identique dans les débats de l’Assemblée.

Le Journal du dimanche souligne avec amusement que « pas moins de vingt amendements identiques ont été déposés en commission des Finances de l’Assemblée nationale » dans le cadre du projet de loi de finances rectificatif (PLFR). Déposées par des parlementaires de droite comme de gauche (sauf les écolos), ces dispositions ont pour objectif de limiter la fiscalité sur le tabac.

Refusés en commission, ils pourraient théoriquement être réintroduits dans le texte, lors du débat dans l’hémicycle ce vendredi.

Aux Finances, ça n’arrête pas

Les collaborateurs des députés reçoivent régulièrement des propositions d’amendements ou de questions écrites rédigées par des lobbyistes (ou « représentants d’intérêts » dans le chaste vocabulaire de l’Assemblée nationale). L’assistant d’une députée socialiste dit ainsi recevoir une « dizaine d’ e-mails chaque jour ».

Bien sûr, la fréquence de ces e-mails dépend des commissions. C’est là que se trouve le centre de gravité du travail législatif depuis la réforme constitutionnelle de 2008. C’est donc là que se concentre le feu des cabinets, des entreprises, des fédérations, des ONG, des syndicats, etc., lorsqu’ils n’ont pas obtenu satisfaction auprès des ministères.

Certaines commissions sont plus rock ’n’ roll que d’autres. Aux Finances, vous recevrez plus d’e-mails ou de courriers personnalisés (en plus des invitations à déjeuner). Car l’examen des textes budgétaires est une période d’intense activité dans les cabinets de relations publiques. Les enjeux y sont très importants.

« J’attire votre attention »

Par exemple, lors des discussions, à la fin 2013, sur le projet de loi sur la consommation, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) a envoyé un joli e-mail farci de propositions d’amendements [document] :

Voir le document

(Fichier PDF)

« Monsieur le député,

Dans la perspective de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la consommation, subsistent de nombreuses problématiques touchant les TPE-PME.

C’est pourquoi, je me permets d’attirer votre attention sur les propositions d’amendements de la CGPME. »

Les amendements déjà rédigés figurent sur un document Word en pièce-jointe. Il n’y a plus qu’à remplacer « Présenté par M. Député/Députée » par le nom du parlementaire.

En effectuant quelques recherches dans la liste des amendements déposés à l’époque, on retrouve facilement les copiés-collés. Prenons pour exemple l’amendement qui vise à « supprimer l’action de groupe » (class action). L’exposé des motifs suggéré par la CGPME se retrouve quasi mot pour mot dans deux amendements :

  • CE79 : Damien Abad et de Catherine Vautrin (UMP)
  • CE191 : Thierry Benoit, Franck Reynier, François Sauvadet et Jean-Paul Tuaiva (UDI).

Le courriel envoyé par la CGPME

Cette recherche est encore un peu artisanale, mais l’association Regards citoyens travaille à un outil qui permet de comparer les documents de lobbyistes aux amendements déposés. Au Parlement européen, une initiative similaire – LobbyPlag – avait permis d’illustrer l’influence des lobbies sur les décisions publiques. Mais, il s’agissait d’un coup « ponctuel », non reproductible.

Grâce à sa base, Regards citoyens peut aussi identifier les amendements identiques déposés par plusieurs groupes. Ainsi, sur le projet de loi sur l’agriculture, on s’aperçoit qu’un amendement visant à établir une « compensation agricole » a été déposé, quasi à l’identique, par des députés PS, PC, UMP et FN. On peut facilement imaginer qu’il a été soufflé par un même acteur.

« En pièce-jointe, les conséquences de... »

Pour ce qui est des amendements sur le tabac évoqués par Le JDD, il semble bien que la Confédération des buralistes se soit adjoint les services du cabinet Rivington. Ce dernier organise « des conférences parlementaires sur les thèmes qui font l’actualité ». Mais, contrairement à d’autres cabinets, il ne s’est pas inscrit au registre des représentants d’intérêt de l’Assemblée.

Jeudi, le lobbyiste de Rivington a envoyé l’e-mail ci-dessous, en prévision du débat en séance publique, pour soutenir les amendements pro-tabac, déposés par les 40 élus repérés par Le JDD. Joint par Rue89, il refuse poliment de répondre à nos questions et de confirmer qu’il travaille pour les buralistes (ou pour un cigarettier). Il faut dire que les mecs sont de vrais pros, comme le souligne un collaborateur de député : le message est à la fois personnalisé et précédé d’un coup de fil.

Voir le document

(Fichier PDF)

« D​ans l’optique de l’examen du PLFR demain, vous trouverez en pièce-jointe trois notes relatives aux amendements concernant le tabac.

Une note et une FAQ concernant des amendements soutenus par 40 députés, qui visent à protéger les buralistes des accroissements mécaniques des écarts de prix avec les pays frontaliers (notamment les amendements SRC 322 et 323 ainsi que 151 et 152).

Par une évolution technique qui harmonisera notre fiscalité avec 26 des 28 autres Etats-membres, nos 26 000 buralistes seront protégés des augmentations automatiques de la fiscalité du tabac.

Cette réforme, qui ne modifie en aucun cas le niveau de fiscalité actuel, est fortement soutenue par la Confédération des buralistes. »


Capture d’écran de l’e-mail envoyé par Rivington

Les notes qui accompagnent cet e-mail [exemple en PDF] dégomment aussi certains amendements qui « visent à augmenter de façon considérable la fiscalité » sur le tabac. Dans la ligne de mire, l’amendement 419 de Michèle Delaunay [PDF], qui visait à réduire la consommation. Rappelons que l’ancienne ministre est médecin de profession.

Pour convaincre les députés de la nécessité d’enterrer cette proposition, Rivington évoque sur un ton apocalyptique « l’explosion du marché parallèle, la mise en péril du réseau des buralistes et la baisse des recettes de l’Etat ».

Il ne reste plus qu’à guetter ces éléments de langage dans les discussions budgétaires de l’après-midi. Dans la bouche, par exemple, du député socialiste Razzy Hammadi, qui a répondu aux critiques dans la soirée en assumant ses « contacts avec les buralistes » au même titre qu’avec des « associations de consommateurs » :

« Quand, à l’extérieur de cet hémicycle, sont évoqués des parlementaires sous influence parce qu’ils ont défendu leurs convictions, je trouve cela inacceptable. »

 

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com



 

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5 décembre 2014 5 05 /12 /décembre /2014 17:04

 

Source : www.mediapart.fr

 

Scandale Uramin : omerta chez Areva

|  Par martine orange

 

 

 

Alors que les enquêtes judiciaires avancent sur le scandale Uramin, les témoignages de salariés sont accablants. Ministère des finances, CEA, DCRI, Quai d’Orsay... ont été avertis par des cadres désespérés de ne pouvoir faire passer leur message dans le groupe : les mines rachetées étaient inexploitables. Les responsables de l’acquisition ont préféré ignorer les études.

Uramin. Le seul nom est explosif, radioactif. Il a à peine été prononcé qu’un silence pesant s’installe dans la conversation, que les téléphones brusquement raccrochent. Les plus aguerris tentent de donner le change quelques minutes, en demandant comment leur nom est apparu, comment il a été possible de retrouver leurs traces. Mais la discussion ne va jamais très loin : ils ne sont au courant de rien, ne se souviennent de rien. À les entendre, ces salariés d’Areva n’ont jamais été impliqués ni de près ni de loin dans le scandale de ce groupe minier, racheté 2,5 milliards de dollars en 2007. Ou s’ils l’ont été, c’est par hasard, par raccroc.

Ils sont nombreux, ces cadres d’Areva à vouloir enterrer le dossier Uramin au fond de leur mémoire, à chercher à se faire oublier. Mais il y a aussi les autres, qui aimeraient comprendre après coup ce qui a pu se passer dans leur groupe, qui racontent tout ce qu’ils ont pu voir ou savoir, parce que, comme dit l’un d’entre eux, « la lumière doit être faite sur ce dossier ». Sept ans après, le mystère, pour eux, reste entier. Comment Areva a-t-il pu perdre 3 milliards d’euros dans le rachat d’une société minière aux actifs inexploitables et dans des études complémentaires pour tenter de justifier cette acquisition calamiteuse ? 

En 2013, la Cour des comptes a commencé à examiner – bien tardivement – les comptes du groupe public. Un pré-rapport a déjà été rédigé dont Mediapart a donné de larges extraits (lire ici), en attendant le rapport définitif toujours pas publié. Au vu de ses premières découvertes, la Cour des comptes a fait un signalement auprès du procureur national financier sur le dossier Uramin. Depuis avril, une enquête préliminaire a été ouverte auprès de la brigade financière. Le dossier intéresse aussi le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, certains éléments et certaines personnes pouvant être liées au dossier qu'il instruit sur des versements reçus par M. Balkany. Des salariés, des témoins qui jusque-là n’avaient jamais été entendus, ont été auditionnés.

Les premiers constats qui ressortent de ces auditions sont détonants, selon nos informations : tous ceux qui avaient un intérêt de près ou de loin à suivre la gestion d’Areva savaient depuis très longtemps qu’Uramin était une société minière inexploitable. Avant même le rachat mais surtout après, des salariés du groupe ont d’abord sonné l’alerte en interne auprès des responsables du groupe. Ne constatant aucune réaction, ils sont allés plus loin, ont tiré toutes les sonnettes qu’ils pouvaient pour avertir du danger couru par Areva. Le ministère des finances, le CEA (premier actionnaire d’Areva), la DRCI, le Quai d’Orsay, ont été avertis, par des moyens plus ou moins directs, de l’inexistence de réserves minières exploitables dans les gisements rachetés. Des notes blanches ont été adressées à des responsables représentants de l’État afin de les informer de la réalité de la situation, dans l’espoir que l’information remonte jusqu’au sommet. Aucune de leurs interventions n’a eu de suite. Tous ont feint de ne pas savoir, se sont tus ou ont préféré ne pas savoir. Une omerta s’est installée sur le groupe et n’a toujours pas été levée.

Les premiers à avoir sonné l’alarme au sein du groupe ont été les géologues. Ils connaissent les gisements d’uranium du monde entier. Très vite, ils s’inquiètent quand ils entendent parler d’un éventuel rachat d’Uramin. « Le monde de l’uranium est tout petit. C’était une junior minière que nous connaissions bien. Nous sortions de l’échec du rachat d’Olympic Dam (une société minière australienne de cuivre et d’uranium rachetée par le géant BHP Billiton en 2005 – ndlr). Nous regardions alors toutes les sociétés minières susceptibles d’être rachetées », raconte Anatole, un des géologues du groupe. (Le prénom a été anonymisé. Voir Boîte noire.)


La production d'Uramin en 2011 et 2012 provient des usines pilotes de Trekkopje abandonnées depuis 
La production d'Uramin en 2011 et 2012 provient des usines pilotes de Trekkopje abandonnées depuis © dr

À l’époque, Areva a décidé de pousser les feux sur son activité minière, la plus rentable du groupe. Un plan dit Turbo a été élaboré en 2005 dans ce cadre. Son but : repérer toutes les sociétés minières qu’Areva pourrait racheter afin d’élargir son portefeuille de production et de diminuer la dépendance du groupe par rapport au Niger. Dans la liste des cibles potentielles, figurent notamment trois noms : Uranium One, Paladin et Uramin. Les deux premières sociétés ont déjà commencé à exploiter des mines d’uranium. Uramin, elle, qui s’est constituée en 2005, n’a que des droits miniers et aucune exploitation. Mais c’est elle qu’Areva privilégiera.

Si les géologues d’Areva s’alarment de la possibilité du rachat de la junior canadienne, c’est qu’ils connaissent sur le bout des doigts les gisements que celle-ci a en portefeuille. Ceux-ci ont été répertoriés et analysés par le CEA et Minatom, une ancienne filiale de Total, dans les années 1960. Tous leurs travaux et leurs archives ont été transférés par la suite à la Cogema puis chez Areva. « La Cogema avait travaillé notamment sur le site de Bakouma en Centrafrique », se rappelle Aurélien, un ancien salarié de BU (pour Business Unit) Mines.

 

 
© DR

Une importante somme – La Mine et les mineurs de l’uranium français, dont le dernier tome a été préfacé par Anne Lauvergeon –, réalisée par un ancien géologue du groupe, Antoine Paucard, raconte cette recherche éperdue du minerai radioactif depuis 1946. Dans le tome 3, publié en 1996, il reprend l’histoire du gisement de Bakouma, commencée en 1958. Le chapitre s’intitule « Aventure et échec à Bakouma » ! Il raconte l’enthousiasme du début, lors de la découverte du gisement, puis les déconvenues multiples par la suite. Le CEA, PUK (Pechiney Ugine Kuhlmann) puis le groupe Alusuisse – associés aux recherches car l’exploitation de la mine aurait dégagé du fluor et du chlore en sous-produits de l’uranium – s’y sont tous cassé les dents.

Car la mine n’est pas seulement difficile à exploiter en raison des difficultés du terrain (une large partie du gisement est sous l’eau, dans des marais), de son éloignement géographique (à plus de 800 kilomètres du premier port), de l’absence d’infrastructures, elle l'est aussi pour des raisons géologiques jusqu’à présent insurmontables. Le minerai d’uranium est en effet entouré d’un réseau cristallin, l’apatite. « Les techniques minières que nous avons à disposition ne permettent pas d’extraire le minerai à un coût acceptable. Ni le broyage ni les méthodes chimiques de dissolution ne parviennent à venir à bout de cette roche dure », explique Anatole.

Des archives si parlantes

Leurs connaissances sont toutes aussi assurées sur le site namibien de Trekkopje, présenté par Areva, au moment du rachat d’Uramin, comme le gisement le plus prometteur. Le site avait été exploré dans les années 1960 par Minatom. Là encore, les géologues avaient conclu qu’il était inexploitable. Les couches étaient très disparates et très minces. Surtout, la teneur en minerai était des plus faibles : de l’ordre de 120 ppm (parties par million) d’uranium. « Par comparaison, les minerais que nous classons stériles dans le Limousin sont des trésors. Ils ont des teneurs supérieures à 200 ppm d’uranium », poursuit Anatole. 

La faible teneur des gisements de Trekkopje, de toute façon, n’est un secret pour personne dans le monde minier à l’époque du rachat d’Uramin. La société minière, qui exploite un gisement voisin un peu plus riche, connaît alors de graves difficultés et sera presque acculée à la faillite avant de recentrer son exploitation sur la partie où le minerai est le plus concentré, mais sans grand espoir de rentabiliser la totalité de ses investissements. Même Uramin ne cache pas les difficultés d’exploitation de ce gisement, compte tenu de sa faible teneur en minerai. Dans un document de présentation daté du 26 février 2007, la société minière publie une coupe géologique de Trekkopje. Sur un gisement de 14 kilomètres, seule une petite partie, entourée en pointillés rouges sur la photo, est considérée comme exploitable.

 

 
© Uramin

Quant au dernier site, Ryst Kuil en Afrique du Sud, présent dans le portefeuille d’Uramin, il n’est pas connu des géologues de la maison. Ce qui constitue déjà un indice : les grands gisements d’uranium dans le monde sont pratiquement tous répertoriés et connus des géologues du monde entier.

La société canadienne avait d’autres droits, sur le site de Saraya au Sénégal, qui n’ont jamais été mentionnés. Ce gisement est également bien connu du CEA et des géologues d’Areva. Il a lui aussi été prospecté par la Cogema dans les années 1970. Les campagnes de prospection avaient toutes abouti aux mêmes conclusions : gisement inexploitable compte tenu de la faible teneur en minerai et des discontinuités géologiques.

Par la suite, la direction d’Areva a invoqué les détails contraints et les obligations de secret liés à l’opération boursière pour justifier les déboires d’Uramin. Le groupe n’aurait pas pu avoir les informations nécessaires à temps. Dans les faits, l’inintérêt de ces mines est parfaitement connu et documenté chez Areva au moment du rachat d’Uramin. Il suffisait de vouloir chercher pour trouver. Mais les responsables de ce rachat voulaient-ils vraiment savoir ?

Lors des discussions de rachat, aucun des responsables n’a éprouvé le besoin de consulter les archives du groupe, selon nos informations. Aucun ne poussera la porte des géologues de la maison pour leur demander leur avis. Une équipe interne a bien été constituée pour faire des « due diligence » sur les gisements d’Uramin entre mars et mai 2007, juste avant le rachat. Quelques géologues faisant partie de cette équipe avaient émis certaines réserves. Mais celles-ci n’ont, semble-t-il, jamais été communiquées aux actionnaires ni aux membres du conseil de surveillance. Areva avait, à cette époque, préféré s’en remettre aux expertises minières, très optimistes, réalisées par le vendeur.

De nombreux observateurs se sont interrogés sur le fait qu’Areva, pourtant référence mondiale en matière d’uranium, n’ait mené aucun travail interne et se soit appuyé sans retenue sur les documents fournis par le cabinet SRK, payé par les vendeurs. Interrogés dans le cadre de la commission d’information parlementaire menée en 2012, les responsables d’Areva invoqueront le manque de temps lié à l’OPA pour mener une contre-expertise indépendante. Bruno Bezard, directeur de l’Agence des participations de l’État (APE) à l’époque du rachat d’Uramin et membre du conseil de surveillance d’Areva, avait aussi volé à leur secours. « L’ancien directeur général de l’APE observe qu’un tel lien ne pose pas de problème a priori : il est en effet d’usage que l’entreprise vendeuse supporte elle-même les coûts d’expertise. Il observe en outre que la société SRK effectue des travaux dont la valeur est reconnue par les marchés financiers, et semble continuer à être une référence en la matière. Enfin, UraMin étant une société cotée, les informations contenues dans le rapport devaient se conformer à la norme comptable IFRS 6 ainsi qu’aux fortes exigences du code de la Bourse de Toronto », note le rapport de la commission parlementaire.

Les « grandes références de SRK » et les « fortes exigences du code de la Bourse de Toronto » ont été de parfaites protections, comme on le constate aujourd’hui : tout était faux, archi-faux à la fois dans les teneurs, les qualités, les conditions d’exploitation établies par le cabinet d’expertise. « C’est normal, c’est un cabinet anglo-saxon. Il écrit ce que lui demande le client et se fait payer pour cela », explique Arthur, autre salarié d’Areva. Curieusement, alors que les erreurs de SRK sont désormais constatées, aucune plainte n’a été déposée contre ce cabinet pour informations trompeuses par la direction d’Areva, ou par son conseil de surveillance ou ses principaux actionnaires, le CEA et l’État.

 

Anne Lauvergeon 
Anne Lauvergeon © Reuters

Les réserves émises par l’équipe chargée de faire les premières expertises au moment de la négociation n’ayant pas été entendues, d’autres salariés sont montés au créneau. Selon nos informations, pas moins de six personnes ont averti soit leurs responsables hiérarchiques, soit la direction, soit les personnes susceptibles d’avoir l’oreille de la présidente. Les messages ont-ils été transmis à Anne Lauvergeon ? Mystère. Mais au moins trois personnes proches d’elle ont été alertées, selon  nos informations : Sébastien de Montessus, directeur de la branche minière (BU Mines), Gérard Arbola, très discret membre du directoire, et l’amiral Thierry d’Arbonneau, responsable de la sécurité du groupe.

«On a acheté du vent»

Fâché avec Anne Lauvergeon depuis 2010 – celle-ci l’accuse de l’avoir fait espionner – après avoir été très proche de l’ancienne présidente d’Areva – ce qui lui a permis d’avoir une carrière éclair dans le groupe –, Sébastien de Montessus explique aujourd’hui qu’il n’a pas été associé au rachat d’Uramin, qu’il a seulement géré l’intégration de la société par la suite. De fait, Sébastien de Montessus n'a pris ses fonctions de directeur de la branche minière qu’à partir du 1er juillet 2007, date à laquelle l’OPA boursière avait été lancée. Cette version des faits, cependant, ne convainc pas des salariés du groupe nucléaire. « Comment peut-il dire qu’il ne connaissait pas le dossier Uramin ? À l’époque des faits, il était sous-directeur de la direction de la stratégie. À ce titre, il était au courant de toutes les acquisitions projetées par le groupe. C’était même sa fonction. De plus, il est arrivé à la BU Mines bien avant de prendre officiellement ses fonctions, afin de se familiariser avec ses nouvelles fonctions », se rappelle Aurélien, qui travaillait à l’époque dans cette branche.

 

Sébastien de Montessus 
Sébastien de Montessus © Reuters

Même s’il n’a pas été associé au rachat de la société minière canadienne, il a reçu des alertes par la suite. « Tout de suite après l’achat d’Uramin, j’ai averti Sébastien de Montessus. Je lui ai remis une note pour lui dire que les gisements achetés étaient inexploitables. Je lui ai dit que nous avions acheté du vent. Il n’a rien dit. Il n’a rien fait. Ou plutôt si, j’ai été mis au placard », raconte Anatole. Contacté à plusieurs reprises pour avoir sa version des faits, son avocat, Me Patrick Maisonneuve, n’a pas retourné nos appels.

D’autres alertes suivront de plus en plus pressantes, d’abord à l’intérieur du groupe, puis à l’extérieur. Selon nos informations, des salariés ont multiplié les mises en garde auprès de tous ceux qui pouvaient avoir une influence ou faire passer des messages auprès des responsables de l’État. La DCRI a été informée par plusieurs interlocuteurs de la mauvaise affaire du rachat d’Uramin. La direction des affaires stratégiques a été mise en garde quant au caractère explosif de cette opération et en a informé l’APE. Le Quai d’Orsay,  par l’intermédiaire de plusieurs ambassadeurs, a été informé de l’inexistence des gisements miniers rachetés par Areva. Pour finir, des responsables du CEA, principal actionnaire du groupe nucléaire, ont été destinataires de notes précises sur Uramin. Les messages ont-ils été transmis ? En tout cas, rien n’a bougé.

La direction d’Areva, elle, continue pendant ce temps d’envoyer des messages euphoriques. Dans une présentation faite aux responsables de la branche minière, Sébastien de Montessus vante le formidable succès de l’OPA sur Uramin. « Des actifs majeurs », « une production de plus de 7 000 tonnes d’uranium par an attendue à partir de ces gisements à partir de 2012 », explique la présentation. 

 

 

Les premiers travaux de prospection sont lancés. Sans attendre, des équipements miniers sont achetés à grands frais pour le site de Trekkopje. Une usine de dessalement d’un coût de 250 millions de dollars y est lancée. Un pilote pour exploiter le minerai est construit. Mais les résultats sont décevants. Comme ils sont décevants en Centrafrique, au Sénégal, en Afrique du Sud. Sur ces gisements aussi, des campagnes de prospection sont menées, des équipements achetés, alors que les résultats sont prévisibles. Au total, près d’un milliard d’euros supplémentaires a été dépensé en pure perte dans les années suivantes, dans l’espoir de prouver que les 2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) dépensés lors de l’acquisition d’Uramin étaient justifiés.

Dès la fin 2009, le groupe abandonne les gisements du Sénégal et d’Afrique du Sud, les jugeant inexploitables. Pourtant, il n’en souffle mot. Rien n’apparaît dans les comptes. Mais cela n’a pas posé, semble-t-il, le moindre problème aux commissaires aux comptes, dont la mission, pourtant, est de s’assurer des comptes véridiques et sincères.

Ce n’est qu’en février 2011 que le groupe commence à reconnaître du bout des lèvres qu’Uramin ne tient peut-être pas toutes ses promesses. Dans les comptes de 2010, apparaît une provision de 426 millions de dollars sur les actifs d’Uramin. Elle aurait été imposée par René Ricol, nommé par Nicolas Sarkozy au conseil de surveillance pour faire la clarté sur les comptes. Il démissionnera de son poste en avril 2011. « Il estime sa mission terminée. Si cette mission était la clarification des comptes du groupe, cette affirmation paraît hasardeuse : le provisionnement massif d’Uramin va être décidé huit mois plus tard », a insisté le pré-rapport de la Cour des comptes. Et encore, les seuls actifs liés à Uramin ont été dépréciés. Le groupe a passé sous silence les dépenses d’exploration et les achats qui ont été réalisés par la suite.

La catastrophe d’Uramin devenant chaque jour plus manifeste, les rumeurs sur le scandale toujours plus fortes, le directoire et le conseil de surveillance ont commencé à se diviser, se disputer. Chacun a tenté de se protéger. Des enquêtes internes ont commencé à être réalisées sur les uns et les autres. Des audits ont été commandés pour faire la lumière sur cette opération. En même temps que la mission Ricol, le conseil de surveillance, alors présidé par Jean-Cyril Spinetta, a demandé une mission d’expertise d’interne – le rapport Boissard, dont nous avons publié de larges extraits ici – pour faire l’examen de ce qui s’était passé. Le scandale menaçant de devenir public, un rapport parlementaire d’information a aussi été rédigé début 2012, sous la haute surveillance de Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Aucune de ces missions n’a vraiment trouvé grand-chose à redire à l’époque, si ce n’est une concentration excessive des pouvoirs aux mains d’Anne Lauvergeon, et des défauts de gouvernance.

Aujourd’hui, ces rapports, ces missions révèlent leur véritable objet : des tentatives des responsables pour se dédouaner et éviter toute responsabilité ; des écrans de fumée pour tenter de masquer le plus longtemps possible le scandale Uramin, pour essayer de le gérer dans le temps. 

À l’intérieur du groupe, certains qui avaient émis des réserves ou des critiques sur ce rachat ont été placardisés. Beaucoup sont partis. Par la suite, alors que le scandale devenait plus évident, de nombreuses personnes qui ont eu à traiter de près ou de loin le dossier ont été éloignées du siège. Certains se sont vu offrir des préretraites ou des départs négociés avec un solide chèque et une clause très stricte de confidentialité à la clé. D’autres ont été envoyés à l’étranger, au Kazakhstan notamment. 

Après sa démission du directoire en mars 2012, Sébastien de Montessus a pris la direction de La Mancha, une filiale d’Areva spécialisée dans les mines d’or. Il y a accueilli quelques anciens cadres d’Areva. Alors que la brigade financière s’apprêtait à mener des perquisitions au siège de cette filiale en juin, un d'entre eux a été précipitamment exfiltré hors de France, vers la Chine. Très loin des éventuelles curiosités de la justice.

 Deuxième volet de la série : cache-cache avec Bercy

 

Boîte noire :

Des salariés et d'anciens salariés d'Areva ont accepté de témoigner sur la période du rachat d'Uramin et la suite, qui les a profondément marqués. Pour d'évidentes raisons de sécurité – le dossier fait peur à de nombreuses personnes – tous leurs témoignages ont été anonymisés. Je les remercie ici du courage dont ils font preuve et pour le temps qu'ils ont bien voulu m'accorder

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 


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5 décembre 2014 5 05 /12 /décembre /2014 16:28

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

Multinationales contre Etats: le mécanisme passé au crible

|  Par Ludovic Lamant

 

 

 

Une étude réalisée par les Amis de la Terre-Europe dresse pour la première fois le bilan d'un mécanisme, intégré à des centaines d'accords commerciaux, qui autorise des entreprises à attaquer en justice des États. Cette clause explosive qui figure au menu de l'accord de libre-échange avec les États-Unis... Décryptage.

De notre envoyé spécial à Bruxelles. Y sera, y sera pas ? Et sous quelles formes ? Le mécanisme d'arbitrage qui autorise des multinationales à attaquer des États en justice (connu sous le nom de code ISDS) cristallise depuis des mois les inquiétudes autour des projets d'accord de libre-échange que Bruxelles espère finaliser, dans les mois à venir, d'abord avec le Canada (CETA) et ensuite, et surtout, avec les États-Unis (TTIP).

Les opposants à l'ISDS mettent en garde contre ce qu'ils considèrent être une grave remise en cause de la capacité des États à réguler. À l'inverse, les avocats de ce mécanisme peu connu du grand public plaident pour renforcer la sécurité juridique des entreprises étrangères, afin de les inciter à davantage investir en Europe. A fortiori dans un contexte de déprime économique sur le continent.

Le bras de fer sur l'ISDS est devenu le symbole de la bataille pour ou contre l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Selon ce mécanisme, une entreprise étrangère peut poursuivre en justice un État, devant un tribunal ad hoc, si cet État a adopté une régulation qui, pour le dire vite, menace sa rentabilité. À condition que l'État dont est originaire l'entreprise, et celui qui a modifié ses lois, aient conclu un accord ISDS de protection des investissements étrangers.

 

© Les chefs des négociations: Daniel Mullaney pour les E-U, et Ignacio Garcia Bercero (à droite) pour l'UE. ©Reuters

Jean-Claude Juncker temporise depuis son arrivée à la tête de la commission, soufflant le chaud et le froid sur ce dossier très cher à son prédécesseur, José Manuel Barroso. Au parlement européen, une majorité d'élus, en cette fin 2014, semble favorable au retrait de l'ISDS des deux textes. Mais certains sont aussi convaincus qu'une telle décision braquerait les Américains, qui font de l'ISDS un sujet de premier plan pour les intérêts de leurs entreprises. Privé de ce « règlement des différends entre investisseurs et État », c'est l'avenir du TTIP tout entier qui serait menacé…

La commission avait lancé une consultation publique à l'été. Les quelque 150 000 réponses, émanant d'ONG, d'entreprises, ou de simples citoyens, ont été dépouillées. A priori, une nette majorité des participants a exprimé son opposition au mécanisme. Mais l'analyse politique ne sera finalement communiquée qu'au printemps 2015.

En attendant, l'ONG Les Amis de la Terre - Europe a eu la bonne idée de plancher sur les mécanismes « ISDS » déjà en vigueur dans d'autres accords commerciaux. Car ce type d'instruments, s'il n'a pour l'instant jamais été intégré à un traité négocié par l'UE, existe depuis longtemps. En tout, plus de 3 000 accords commerciaux incluent ce type de clauses.

À elle seule, la France a déjà signé 107 accords bilatéraux qui contiennent l'ISDS (dont 95 sont aujourd'hui en vigueur). Partout dans le monde, des procédures sont en cours, devant des tribunaux ad hoc. Ici un groupe énergétique suédois, qui exige des compensations à Berlin après la décision de l'Allemagne de fermer ses centrales nucléaires. Là, un assureur néerlandais qui s'estime lésé dans le processus de privatisation d'un ancien groupe financier public en Pologne… À chaque fois, les compensations réclamées se chiffrent en millions d'euros. 

D'où l'intérêt de cette étude – à charge – qui, pour la première fois, tente un inventaire, et cherche à savoir, selon l'expression de l'ONG, « combien a coûté ce mécanisme aux contribuables ». Ce rapport que Mediapart s'est procuré en exclusivité (à lire ci-dessous) se limite aux actions en justice menées par des groupes privés à l'encontre des 28 États européens, depuis 1994. En tout, 127 procédures – terminées ou toujours en cours – ont été identifiées, qui concernent 20 États membres, dont la France. La tendance est en progression : le nombre de procédures enclenchées, quasiment négligeable dans les années 1990, grimpe à partir de 2011, avec un pic à 25 en 2013.

À la lecture de ce travail de fourmi, réalisé à partir de bases de données fragiles (voir la liste des sources dans la "boîte noire" de l'article), c'est un pan entier d'une justice privée totalement inconnue du grand public, qui se trouve ici dévoilé. Les généralisations sont difficiles, en particulier parce que les montants des compensations, ou des accords à l'amiable, sont la plupart du temps secrets. Mais les quelques chiffres rendus publics sont impressionnants.

 

 

Vivendi, EDF ou Servier ont déjà utilisé cette clause

Dans les 14 cas où le résultat de la procédure est public (sur 127 procédures), les investisseurs privés à l'origine des plaintes ont obtenu un total de 3,5 milliards d'euros. Dans une seule affaire, qui remonte à 1997, la Slovaquie a dû faire un chèque de 553 millions d'euros, un record européen en la matière. Et dans 44 % des cas classés où le verdict est connu (28 sur 63), les investisseurs ont obtenu gain de cause sur tout ou partie de leurs réclamations.

« À cause du manque de transparence autour de ce mécanisme, les chiffres de notre étude ne correspondent peut-être qu'à la partie émergée de l'iceberg. Il est actuellement impossible de savoir exactement combien de cas ont été initiés », prévient Natacha Cingotti, chargée de campagne sur l'accord UE-États-Unis au sein des Amis de la Terre-Europe. « Et même lorsque l'on identifie un cas précis, les termes exacts de la résolution sont très difficiles à obtenir. Cette situation est particulièrement inacceptable, alors que les gouvernements se trouvent obligés de payer les compensations avec l'argent des contribuables. »

Sans surprise, une majorité des procédures (60 %) porte sur des secteurs très sensibles – environnement et énergie. Autre enseignement : les États d'Europe « occidentale » passent entre les gouttes, quand les nouveaux entrants, d'Europe centrale et orientale, font l'objet du gros (76 %) des procédures. « Des pays comme la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie, sont les États les plus souvent visés, en Europe. C'est logique : ce sont aussi ceux qui ont dû adapter le plus leur législation, et récupérer l'acquis communautaire », commente Natacha Cingotti.

Et la France ? Il n'existe, dans l'enquête, qu'un seul cas recensé à l'encontre de Paris. Il a été initié par une entreprise turque en 2013, dans le secteur naval, sur la base de l'accord bilatéral France-Turquie conclu en 2006. La procédure est en cours. Mais une petite dizaine d'entreprises hexagonales, dont des mastodontes comme EDF et Vivendi, sont, elles, passées à l'offensive (respectivement contre la Roumanie et la Pologne), et espèrent sans doute tirer de généreuses compensations du mécanisme.

Les laboratoires Servier ont ainsi réussi à décrocher en 2010 plusieurs millions d'euros, versés par la Pologne. Ils ont fait valoir un vieil accord de protection des investissements entre la Pologne et la France. À l'origine de l'affaire, Varsovie avait refusé des autorisations de mise sur le marché concernant deux médicaments commercialisés par Servier. Dans la foulée, le pays avait donné le feu vert à la vente de leurs équivalents en génériques.

S'estimant lésés, les laboratoires Servier ont exigé 300 millions d'euros de compensations. Ils se sont fait entendre sur l'un des médicaments, pas sur l'autre. « Cette opération est soumise aux règles de confidentialité, donc nous ne pouvons vous communiquer aucun chiffre. Mais je peux vous dire que nous avons obtenu nettement moins que ce que nous avions demandé », précise un porte-parole joint par Mediapart.

 

Les pays d'Europe de l'Est sont les plus touchés par le mécanisme. Source: Friends of the Earth/2014. 
Les pays d'Europe de l'Est sont les plus touchés par le mécanisme. Source: Friends of the Earth/2014.

Dans un entretien à Mediapart en octobre, Matthias Fekl, le secrétaire français au commerce extérieur, avait expliqué qu'à ses yeux, le projet d'accord finalisé avec le Canada était « plutôt un bon accord », mais que « la question de l'ISDS est clairement sur la table ». Les Français n'ont jamais pris position haut et fort, pour exclure le mécanisme des négociations, même s'ils ont déjà exprimé des réserves sur certains points de cette clause.

De l'autre côté du Rhin, les sociaux-démocrates (minoritaires dans la coalition dirigée par Angela Merkel) se sont montrés plus directs, affirmant pendant des mois qu'ils bloqueraient l'accord avec le Canada tant que le mécanisme d'arbitrage y serait inclus. Mais Sigmar Gabriel, le ministre de l'économie allemand (SPD), semble être revenu sur ses propos fin novembre, assurant cette fois qu'il n'était pas question que Berlin bloque, seul, l'accord avec Ottawa, si les 27 autres sont d'accord. Le bras de fer sur l'ISDS est encore loin d'être remporté, d'un côté comme de l'autre.

 

Boîte noire :

L'ONG Les Amis de la Terre-Europe a travaillé sur les bases de données (parcellaires) mises à disposition sur les sites de certaines institutions, tribunaux du commerce et autres cabinets spécialisés dans ce genre de procédures (UNCTAD, ICSID, ITA, etc.). Jointe à plusieurs reprises depuis le début de semaine, la commission européenne n'avait toujours pas répondu à nos questions, mercredi dans la soirée.

L'étude est aussi à lire sur le site de Friends of the Earth Europe. On peut également consulter l'intégralité de leur base de données (sur les 127 cas cités dans l'article) à télécharger ici.

 

 

Lire aussi

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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3 décembre 2014 3 03 /12 /décembre /2014 16:01

 

 

Source : www.marianne.net

 

 

Parlementaires en "délicatesse avec le fisc" : mais combien sont-ils ?
Mercredi 3 Décembre 2014 à 05:00

 

Loïc Le Clerc

 

Depuis quelques semaines, les parlementaires dits "en délicatesse avec le fisc" squattent les médias. D'abord "plusieurs dizaines" selon "Atlantico", ils passeront rapidement à 60, puis à 2, puis à nouveau à 10, puis seraient 120 "dont une vingtaine de cas lourds" selon "L'Express". Et finalement ? Retour à "plusieurs dizaines" d'après "Le Canard" décidément peu sûr de lui ! Mais au moins la boucle est bouclée... Problème : que retient-on de tout ça ? Que nos 925 parlementaires sont tous pourris ? Bravo !

 

Evolution du nombre estimé de parlementaires "en délicatesse avec le fisc"...

 

*Suite de l'article sur marianne

 

 

Source : www.marianne.net

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3 décembre 2014 3 03 /12 /décembre /2014 15:53

 

Source : www.bastamag.net

 

 

 

Bien commun

Les services publics sont-ils en train de gagner la bataille de l’eau face au secteur privé ?

par Olivier Petitjean 2 décembre 2014

 

 

 

 

 

Plus de 180 villes dans le monde ont choisi de tourner la page de la privatisation de l’eau. Des métropoles comme Paris, Berlin, Buenos Airs, La Paz, Johannesburg, Atlanta, Kuala Lumpur ou Jakarta ont renoué avec une gestion publique, et souvent plus démocratique, de l’eau. C’est le principal enseignement d’un rapport que notre Observatoire des multinationales publie conjointement avec des partenaires internationaux. Un constate riche de leçons à l’heure où les néolibéraux ne cessent de dénigrer le rôle des services publics et de vanter les vertus du profit et de l’intérêt privé. L’eau, pionnière dans la bataille pour les biens communs ?

Au cours des 15 dernières années, au moins 180 villes et collectivités du monde ont décidé de mettre fin à la gestion privée de leur service de l’eau. C’est le principal enseignement d’un rapport que nous publions cette semaine, dans le cadre de notre Observatoire des multinationales, conjointement avec le Transnational Institute, basé à Amsterdam, et PSIRU, un centre de recherches internationale sur les services publics basé à Londres [1].

Plusieurs grandes villes françaises ont mis fin, ces dernières années, aux contrats qui les liaient à Suez, Veolia ou d’autres entreprises privées, pour faire revenir leur service d’eau et d’assainissement sous giron public : entre autres Grenoble, Paris, Rennes, Nice, Montpellier, et toutes celles qui suivront dans les années à venir [2]. Ce phénomène de « remunicipalisation » touche en fait tous les pays du monde, y compris des mégapoles comme Buenos Aires, Berlin, Accra, Johannesburg, Atlanta, Kuala Lumpur, Maputo ou La Paz. Et bientôt Jakarta.

L’idéologie néolibérale de la privatisation en échec

180 remunicipalisations, pourquoi ce nombre est-il significatif ? C’est que depuis trente ans, les multinationales de l’eau, emmenées par nos « champions nationaux » Suez et Veolia, les institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international, et autres) et certains gouvernements, dont celui de la France, n’ont pas ménagé leurs efforts pour promouvoir la privatisation de l’eau. Au niveau mondial, les services de l’eau restent majoritairement sous contrôle public, et, malgré ce que promettent depuis des années les « experts », la tendance ne s’inverse pas sur le terrain. Les privatisations phares des années 1990 dans les grandes villes du Sud (Buenos Aires, Jakarta, Johannesburg) se sont soldées par des échecs retentissants. Les nouveaux cas de privatisation de l’eau dans des grandes villes mondiales sont extrêmement rares depuis dix ans [3].

 

 

Aujourd’hui, pourtant, en Europe, à la faveur des politiques d’austérité, les institutions communautaires et certains gouvernements font pression pour obtenir la cession au secteur privé des services publics de l’eau en Grèce, au Portugal, en Italie ou en Espagne (voir l’enquête de l’Observatoire des multinationales sur l’exemple grec) [4]. Pourtant, près de deux millions d’Européens ont déjà exprimé leur opposition à la privatisation de l’eau en s’associant à la première « Initiative citoyenne européenne ». Partout où elle a été soumise au suffrage populaire, en Italie et à Berlin en 2011, à Madrid en 2012 et à Thessalonique cette année, la perspective d’une gestion privée de l’eau a été massivement rejetée par les citoyens.

Austérité et TTIP, deux nouvelles menaces

La privatisation de l’eau ne pourrait-elle donc progresser que par des voies antidémocratiques ? Cela a toujours été plus ou moins le cas dans les pays dits en développement, où la gestion privée a souvent été imposée comme condition de l’« aide » apportée par les gouvernements du Nord ou le Fonds monétaire international. C’est désormais le cas aussi dans les pays dits industrialisés, comme cela se vérifie dans l’Europe du Sud soumise à l’austérité et demain peut-être à Detroit, au États-Unis, dans le cadre du plan de « redressement financier » de la ville. L’assèchement délibéré des finances publiques peut favoriser de nouvelles formes de privatisation, dans la mesure où il contraint les collectivités locales à recourir aux capitaux privés lorsqu’elles ont besoin d’investir dans de nouveaux équipements. La démission des pouvoirs publics face aux lobbies économiques (agricoles, industriels ou autres) en matière de gestion et de protection des ressources en eau constitue également une menace sur le long terme.

La privatisation de l’eau est aussi un enjeu sous-jacent des négociations en vue d’un traité de commerce et d’investissement entre Europe et États-Unis (connu sous l’acronyme TTIP), lequel pourrait donner aux « investisseurs » – c’est-à-dire aux multinationales – la capacité de poursuivre les gouvernements qui adopteraient des politiques dommageables pour leur niveau de profit. Si les citoyens européens s’inquiètent des conséquences de ce traité pour leurs standards sociaux et environnementaux, leurs homologues de l’autre côté de l’Atlantique craignent que leurs services urbains ne passent sous le contrôle d’entreprises européennes comme Veolia ou Suez, sans possibilité de les réguler ni de les chasser. Aujourd’hui déjà, comme le montre notre rapport, les mécanismes de protection des investisseurs constituent le principal obstacle qui se dresse sur le chemin de la remunicipalisation.

Socialisme municipal contre logique néolibérale

Nos gouvernants nous soumettent aujourd’hui à la promotion agressive d’un modèle néolibéral basé sur la privatisation, le règne de la logique de profit et une conception particulièrement réductrice de « l’entreprise ». C’est ce contexte qui donne toute son importance au mouvement actuel, global et local à la fois, de remunicipalisation de l’eau. À l’évidence, tout n’est pas rose, et certaines des remunicipalisations listées dans le rapport ne sont qu’à demi-sincères, ou le résultat de multiples compromis. Ce mouvement démontre tout de même que citoyens, élus locaux et employés des services publics savent joindre leur force pour faire prévaloir les valeurs démocratiques, les droits fondamentaux et la simple réalité du terrain contre la pression privatrisatrice venue d’en haut.

La France occupe une place particulière dans le secteur global de l’eau. Aujourd’hui pionnière de la remunicipalisation, elle a longtemps été le seul pays au monde où dominait la gestion privée de l’eau. C’est ce qui explique que les principales multinationales de l’eau soient françaises : elles ont « affiné » leur modèle en France, amassant au passage de vastes réserves financières qui leur ont ensuite permis de tenter d’exporter le même modèle ailleurs. Veolia et Suez (à l’époque la Générale des eaux et la Lyonnaise des eaux), ont été créées sous le Second Empire, époque de libéralisme triomphant, avec le soutien de l’État napoléonien. Le mouvement actuel de remunicipalisation, quant à lui, pourrait d’une certaine manière rappeler la période du « socialisme municipal » – ou comment, à partir de la fin du XIXe siècle, certains élus locaux ont commencé à poser les bases des services publics d’aujourd’hui, dans le but de défendre concrètement les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux.

Car la remunicipalisation n’est pas seulement une démarche négative, un simple refus du secteur privé et un retour au statu quo antérieur. Elle est – souvent – une réinvention. Depuis Grenoble jusqu’à Athènes et Thessalonique, le refus de la privatisation est aussi et surtout une opportunité de reconstruire un service de l’eau plus transparent, plus démocratique, et plus soutenable écologiquement. Et, comme le montre l’exemple de l’Allemagne et d’autres pays, il n’y a aucune raison de s’arrêter au seul secteur de l’eau. Énergie, déchets, transports, restauration collective… Élus et citoyens ont le pouvoir et la possibilité de se réapproprier tous ces services publics essentiels, ces « biens communs », plutôt que de se soumettre passivement au culte de « l’entreprise » et à ses fausses promesses. Il y a de bonnes raisons de croire que les citoyens et la planète s’en porteront mieux.

À lire : Là pour durer : la remunicipalisation de l’eau, un phénomène global en plein essor (PDF).

Olivier Petitjean

Photo : CC Petras Gagilas

 

Notes

[1Le Transnational Institute est un think tank progressiste international basé à Amsterdam. PSIRU – Unité de recherches internationale sur les services publics – est un département de l’Université de Greenwich, Londres, dédié à l’étude et à la défense des services publics, travaillant étroitement avec les ONG et le monde syndical.

[2Le rapport ne liste que 49 cas de remunicipalisations en France, mais ce chiffrage est très provisoire : en réalité, il y en a plutôt déjà quelques centaines. Au cours des semaines et mois qui viennent, l’Observatoire des multinationales tâchera de dresser un état des lieux plus complet de la remunicipalisation de l’eau en France, avec ses réussites et ses difficultés. Ce sera l’occasion de compléter cette liste ; en attendant, vous pouvez contacter l’Observatoire pour signaler un nouveau cas ou une erreur.

[3Le seul exemple est celui de la ville de Nagpur en Inde, où la privatisation de l’eau semble se diriger vers le même échec ; voir à ce sujet l’enquête de l’Observatoire des multinationales.

[4En Irlande, la « troïka » a obtenu la transformation du service de l’eau en une entreprise de droit privé (pour l’instant à capitaux publics), Ainsi que l’introduction de factures d’eau individualisées, alors que le service était auparavant financé par l’impôt. Cette réforme a provoqué une vaste révolte populaire.


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Source : www.bastamag.net

 

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2 décembre 2014 2 02 /12 /décembre /2014 18:01

 

Source : www.reporterre.net

 

 

Pêche en eau profonde : le documentaire qui montre comment les lobbies ont gagné

Christine Laurent (Reporterre)

mardi 2 décembre 2014

 

 

 

En 2013, une grande campagne de sensibilsation avait montré les effets dévastateurs de la pêche en eau profonde. Malgré l’aberration écologique et économique de ce type de pêche, le Parlement européen a refusé son interdiction. Un documentaire dévoile les dessous de ce vote scandaleux.


L’association Bloom qui s’est fait connaître du grand public par une importante campagne pour l’arrêt de la pêche en eaux profondes en 2013 et dont les effets dévastateurs ont été largement médiatisés, sort cette semaine un film analysant l’échec de l’interdiction de cette pêche, suite au vote favorable du parlement européen le 10 décembre 2013 : « Intox : Enquête sur les lobbies de la pêche industrielle » (visible en ligne).

En effet comment expliquer ce vote alors que la majorité des scientifiques, la mobilisation citoyenne et politique allaient dans le sens de l’arrêt de cette pêche dont les chaluts raclent littéralement le fond de la mer, détruisant des milieux dont la biologie est si lente qu’on ne peut imaginer leur reconstitution, pour un bénéfice négatif et un nombre d’emplois médiocres ?

Pour le comprendre, la réalisatrice nous entraîne dans les coulisses des instances de la communauté européenne, suivant les principaux acteurs à l’oeuvre parmi lesquels le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins, des élus locaux de tout bord politique, le ministère de l’Ecologie et l’Ifremer, habilement conseillé par le cabinet GPLUS. Edifiant !

Intox : Enquête sur les lobbies de la pêche industrielle,

Documentaire de 49 minutes : à voir ici

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 

 

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