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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 15:17

 

Source : www.mediapart.fr

 

Sarkozy, un homme en bande organisée

|  Par Fabrice Arfi

 

 

 

Jamais sous la Ve République un système présidentiel n'aura été cerné de si près par des juges anticorruption. Conseillers, collaborateurs, ministres, amis, magistrats, grands flics, hommes d’affaires… et désormais avocat. Toute la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy a eu affaire à la justice et à la police ces deux dernières années. Inventaire.

Tout est toujours dans les livres : « Pour la première fois depuis très longtemps dans l’histoire politique française, les affaires sortent (…). Nous sommes en train de purger le système. Il devrait en résulter une plus grande confiance dans nos institutions. Y a-t-il une autre solution ? Non, il n’y en a pas. Il fallait que la démocratie affronte cette réalité. » Ces paroles de fer sont de… Nicolas Sarkozy.

L’extrait, tiré d’un ouvrage oublié, Au bout de la passion, l’équilibre (Albin Michel), date de 1995. À l’époque, Nicolas Sarkozy est ministre du budget et porte-parole du premier ministre Édouard Balladur. Déjà, la chronique française était rythmée par le fracas des affaires qui frappaient de plein fouet aussi bien la droite (Carignon, Noir, Longuet, HLM de Paris…) que la gauche (Urba, Pechiney…). Aucune ne touchait directement Sarkozy.

Près de vingt ans plus tard, les choses ont changé, offrant une nouvelle réalité que la démocratie doit « affronter » : jamais sous la Ve République, ni par l’ampleur et la diversité des faits mis au jour, ni par le nombre des personnes inquiétées, un système présidentiel n'aura été cerné de si près par des juges indépendants. La liste des affaires du sarkozysme s'étalant sur deux décennies (1993-2013) paraît aujourd'hui interminable : Karachi, Bettencourt, Tapie, Takieddine, Kadhafi, affaires des sondages, de la BPCE, espionnage des journalistes…

Ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme, c’est aussi celle d’une petite bande soudée par amitié, intérêts ou idéologie, parfois les trois, autour de lui. La « purge du système » aurait-elle donc commencé ? Car il faut bien prendre la mesure de ce qui se joue. Conseillers, collaborateurs, ministres, amis, magistrats, grands flics, hommes d’affaires… : toute la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy, quand ce n’est pas l’ancien président lui-même – voir par exemple sa mise en examen, suivie d'un non-lieu, dans le dossier Bettencourt –, a eu affaire au cours des deux années écoulées à la police (pour des gardes à vue ou des perquisitions) et à des juges (pour des auditions ou, pire, des mises en examen).

Si ce n’est pas une opération mains propres à la française qui se joue actuellement sans le dire à l’ombre de quelques cabinets d’instruction de juges anticorruption, cela y ressemble drôlement. Et le portrait de groupe que donne aujourd’hui à voir la photographie judiciaire du sarkozysme, au-delà des responsabilités pénales éventuelles des uns et des autres, pourrait tout entier se résumer à la formule de Jean Gabin, soufflée par Audiard, dans Le Président (1961) : « Ce n’est pas un parti, c’est un syndicat d’intérêts. » Revue de détail.  

  • Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République. 
  • Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République. © Reuters
  • CLAUDE GUÉANT
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet au ministère de l'intérieur (2002-2004/2005-2007) et au ministère de l'économie (2004-2005), directeur de la campagne présidentielle de 2007, secrétaire général de la présidence de la République (2007-2011), ministre de l'intérieur (2011-2012)]

Il est celui que la presse surnommait « le Cardinal » ou « le Vice-Président » du temps des splendeurs élyséennes. Son nom traverse aujourd’hui de nombreuses affaires. Dans toutes, il apparaît comme la doublure du président. Claude Guéant a longtemps traîné la réputation du grand commis de l’État, droit et rigoureux. Un peu gris comme la couleur de ses costumes. C’est le portrait d’un homme beaucoup moins convenable que brossent aujourd’hui diverses instructions en cours à Paris.

Dans l’affaire Kadhafi, les soupçons sont lourds. Après plusieurs mois d’enquête préliminaire, le parquet de Paris a décidé d’ouvrir en avril dernier une information judiciaire, confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman, pour « corruption active et passive », « trafic d'influence, faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment, complicité et recel ». Cette longue litanie de délits potentiels vise directement les incestueuses relations franco-libyennes tissées dès 2005 par le ministre de l’intérieur Sarkozy avec le régime Kadhafi, et poursuivies à partir de 2007 par le même devenu président.

Deux hommes, inséparables à cette époque, ont été les artisans actifs de ce rapprochement sur fond de diplomatie parallèle et de contrats lucratifs : le marchand d’armes Ziad Takieddine, vieille connaissance de la Sarkozie, et Claude Guéant. Le même couple improbable sera à l’œuvre en 2008 lors de l’idylle franco-syrienne entre Nicolas Sarkozy et Bachar al-Assad.

Dans le dossier libyen, aucune des initiatives de Takieddine n’a été engagée sans l’aval de Guéant. Aucune des décisions du second n’a été prise sans les conseils du premier. Mais selon plusieurs témoignages et documents aujourd’hui entre les mains des juges, la lune de miel Sarkozy/Kadhafi est allée beaucoup plus loin. La justice enquête ouvertement désormais sur des soupçons de financement par la dictature libyenne au moment de l’élection présidentielle de 2007. Un ancien dignitaire du régime, Mohamed Ismail, chef de cabinet de Saïf al-Islam Kadhafi, a même décrit le circuit de l’argent noir dans un document qui citait Claude Guéant et Ziad Takieddine.

C’est dans le cadre de ce dossier que Guéant a d’ailleurs été perquisitionné, le 26 février, par les policiers de la Division nationale des investigations financières et fiscales (Dniff). Outre des échanges réguliers avec Takieddine au sujet de la Libye, les enquêteurs ont fait ce jour-là d’étonnantes découvertes bancaires : ici, la réception en 2008 de 500 000 euros cash (correspondant à la vente de tableaux, d’après Guéant, mais ils sont introuvables) ; là, un versement inexpliqué de 25 000 euros en provenance de la Jordanie. Sans compter de très nombreuses dépenses en espèces et un train de vie inadapté aux émoluments officiels du personnage.

Rien n’indique que ces éléments aient un lien avec le dossier libyen, mais ils sont venus jeter une lumière crue sur les pratiques personnelles du « Cardinal » quand il était en fonctions.  

Parallèlement, dans l’affaire Tapie, Claude Guéant apparaît de plus en plus au fil des investigations des juges Guillaume Daïeff, Serge Tournaire et Claire Thépaut comme celui qui a piloté depuis le Château le dossier qui a abouti, en juillet 2008, au dédommagement à hauteur de 405 millions d’euros (sur deniers publics) du célèbre homme d’affaires dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Cette décision, qui a été rendue en faveur de Bernard Tapie par un tribunal arbitral (c’est-à-dire privé), est aujourd’hui qualifiée d’« escroquerie en bande organisée » par la justice, tant le jugement semble correspondre davantage à un arrangement inavouable qu’à une décision impartiale.

Et pour l’ami du président, aucune faveur ne semblait pouvoir être refusée. Ainsi que l’a révélé Mediapart, un enregistrement audio, versé au dossier judiciaire, montre que Bernard Tapie négociait à cette époque en direct avec le secrétaire général de l’Élysée des privilèges fiscaux en marge de son affaire. C’est pour toutes ces raisons que Claude Guéant a également été perquisitionné par la police dans le cadre de cette affaire, le 26 février dernier. Soit le même jour que sa perquisition dans le dossier libyen…

  • BORIS BOILLON
    [Lien avec Sarkozy : conseiller diplomatique au cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur en 2006, conseiller technique à la présidence de la République chargé du Proche et Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, entre 2007 et 2009, ambassadeur en Irak (2009-11) et en Tunisie (2011-12)]

Il est 16 h 30, ce 31 juillet 2013. Les douaniers de la gare du Nord contrôlent des passagers prêts à monter dans le train Thalys, direction Bruxelles. Parmi eux, un homme athlétique, vêtu d’un jean et d’un polo. Les agents ne le reconnaissent pas, mais il s’agit de Boris Boillon, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée et ex-ambassadeur de France en Irak et en Tunisie. Ils lui demandent s’il transporte des devises. Boillon nie, mais la fouille est concluante. Dans son sac, les douaniers découvrent des « enveloppes contenant des billets de banque de 500 euros ».

Selon le procès-verbal établi par les douaniers, Boris Boillon transporte ce jour-là 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide. Ces sommes correspondent à 3 190 billets de 100 euros, 32 billets de 500 euros, 100 billets de 50 euros et 50 billets de 200 euros, ainsi qu'à 400 billets de 100 dollars. Il n’a sur lui ni pièce d’identité ni téléphone portable, mais trois cartes bleues à son nom. L'homme jure que l'argent transporté – illégalement – provient de ses activités de conseil avec l'Irak, sans apporter toutefois d'éléments probants.

Dans le premier cercle diplomatique de Nicolas Sarkozy depuis 2006, Boris Boillon a été l'un des principaux protagonistes de la lune de miel entre l'ancien président français et le dictateur Mouammar Kadhafi, qui l'appelait, de son propre aveu, « mon fils ».

  • Brice Hortefeux au Parlement européen. 
  • Brice Hortefeux au Parlement européen. © Reuters
    BRICE HORTEFEUX
    [Lien avec Sarkozy : collaborateur à la mairie de Neuilly (1986-1994), chef de cabinet au ministère du budget (1993-1995), conseiller au ministère de l'intérieur et de l'économie (2002-2005), ministre aux collectivités territoriales (2005-2007), ministre de l'immigration (2007-2009), ministre du travail (2009), ministre de l'intérieur (2009-2011), conseiller politique pour la campagne présidentielle de 2012. Parrain de son fils Jean]

Il est « l’ami de toujours », selon l’expression de Nicolas Sarkozy. Brice Hortefeux n’a rien raté de l’irrésistible ascension – et de la chute – de son mentor, de la mairie de Neuilly à l’Élysée, en passant par tous les ministères (budget, économie, intérieur…).

Dans l’affaire Karachi, la plus ancienne de toutes, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire enquêtent depuis bientôt trois ans sur le financement illicite de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur de 1995 grâce à l’argent détourné des ventes d’armes de son gouvernement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite. Le principal intermédiaire mis en cause, Ziad Takieddine (déjà lui), a reconnu les faits récemment sur procès-verbal, alors que les preuves s’accumulent sur les bureaux des magistrats.

Or, selon le trésorier de la campagne, René Galy-Dejean, une partie des fonds occultes qui ont alimenté les équipes de Balladur provenait de la « cellule meetings ». « C'est M. Hortefeux qui dirigeait la cellule meetings », a soufflé aux juges René Galy-Dejean, le 10 mai 2011, après avoir précisé qu’il avait reçu les fonds en liquide de cette même cellule, fonds qui lui étaient livrés dans de « petits cartons ». À l’époque, Brice Hortefeux occupait également le poste de chef de cabinet du ministre du budget Nicolas Sarkozy, lui-même impliqué à divers titres dans le dossier (voir ici et ).

Comme en témoignent plusieurs photos publiées par Mediapart, Brice Hortefeux a également entretenu à partir du début des années 2000 une relation continue et personnelle avec Ziad Takieddine, tandis que ce dernier devenait incontournable pour le cabinet du ministre Sarkozy. Selon l’ex-femme du marchand d’armes, Nicola Johnson, cette relation n’était pas désintéressée. Le 9 décembre 2011, elle a témoigné devant les juges d’au moins une remise d’espèces en 2005 en faveur de Brice Hortefeux lors d’une visite au domicile de Takieddine, avenue Georges-Mandel, à Paris. Ce que l’intéressé dément.  

 

Brice Hortefeux et Ziad Takieddine, en 2005 
Brice Hortefeux et Ziad Takieddine, en 2005 © dr

De l’affaire Kadhafi, Brice Hortefeux n’est pas non plus absent. Non seulement l’homme a multiplié les contacts discrets entre 2005 et 2007 avec Takieddine, quand celui-ci était chargé de la diplomatie parallèle avec la Libye pour Sarkozy, mais son nom est également apparu dans d’éventuels montages financiers suspects.

D’après une note de la fin 2006 rédigée par un correspondant des services secrets français, Jean-Charles Brisard, proche de la DCRI, les « modalités de financement de la campagne » de Nicolas Sarkozy avaient été « réglées lors de la visite Libye NS + BH » le 6 octobre 2005. « BH », pour Brice Hortefeux. Cette visite officielle avait été activement préparée par Ziad Takieddine, comme en attestent ses notes à Claude Guéant, qui figurent au dossier d’instruction.

Selon cette même note, le financement libyen prévu s’élevait au total à 50 millions d’euros – promesse confirmée par un document officiel de l’ancien régime Kadhafi, qui cite également Brice Hortefeux. Ce dernier, récemment entendu par des juges dans le cadre d'une plainte déposée contre Mediapart pour « faux et usage de faux », a réfuté avoir rencontré des officiels libyens à la date indiquée dans le document libyen en question. Mais il a reconnu avoir participé à une réunion, en décembre 2005, à Tripoli, avec l'ancien chef des services secrets intérieurs libyen, Abdallah Senoussi, en présence de... Ziad Takieddine. Selon lui, il a surtout été question de flux migratoires durant cet échange resté secret jusqu'ici.

Devant les juges, Hortefeux a également juré n'être allé qu'une seule fois en Libye. Seulement voilà : selon Charlie Hebdo, Philippe Vannier, le P-DG d'une société de surveillance électronique, Amesys, qui a vendu du matériel d'espionnage à Kadhafi avec l'aval des autorités françaises en 2006 et 2007, a affirmé devant des policiers, en juillet 2013, avoir organisé « deux fois » la visite à Tripoli « de Guéant, Hortefeux et Sarkozy ».

  • CHRISTIAN FLAESCH
    [Lien avec Sarkozy : a été nommé, le 12 juillet 2007, au début du quinquennat Sarkozy, patron de la police judiciaire parisienne ]

Il fut l'un des "grands flics" de l'ère Sarkozy. Patron opérationnel de la police judiciaire parisienne, l'un des postes plus sensibles au ministère de l'intérieur, Christian Flaesch a été débarqué en décembre 2013. Des écoutes téléphoniques ont montré qu'il avait préparé Brice Hortefeux à une audition à venir par les juges dans l'affaire de la plainte de Sarkozy contre Mediapart.

Le policier indiquait à son ancien ministre de tutelle quel type de questions allaient lui être posées et quels documents il devait apporter pour bien répondre au juge. Le policier demandait aussi à Brice Hortefeux, qui avait été placé sur écoute par les juges de l'affaire du financement libyen, de ne rien dire aux magistrats de ces appels... Il n'en a pas eu besoin.

  • Thierry Gaubert, un intime de Nicolas Sarkozy depuis Neuilly. 
  • Thierry Gaubert, un intime de Nicolas Sarkozy depuis Neuilly. © DR
    THIERRY GAUBERT
    [Lien avec Sarkozy : chargé du journal municipal de Neuilly-sur-Seine lors de l'élection de 1983, secrétaire général de la mairie (1984), responsable de la communication du maire (1983-1993), chef de cabinet adjoint au ministère du budget (1993-1995)]

Avec Hortefeux, il est l’autre pilier de la bande des jeunes années Sarkozy. L’autre dépositaire de ses premiers secrets. Responsable de sa communication à la mairie de Neuilly-sur-Seine, il devient un proche conseiller au ministère du budget entre 1993 et 1995, période durant laquelle Nicolas Sarkozy autorisera, contre l’avis de son administration, le versement anticipé de commissions occultes au réseau de Takieddine dans plusieurs marchés d’armement suspects. L’argent sera retiré immédiatement en espèces par l’intermédiaire à Genève, ville qu’il fréquentait alors avec Thierry Gaubert.

D’après les aveux récents de Ziad Takieddine devant la justice, laquelle détient déjà de nombreuses preuves du système de détournement d’argent sur les ventes d’armes mis en place par les balladuriens, plusieurs valises d’espèces ont été remises à Thierry Gaubert, quand il travaillait sous l’autorité directe de Nicolas Sarkozy, pour le financement de la campagne d’Édouard Balladur. Thierry Gaubert est aujourd’hui mis en examen pour « recel d’abus de biens sociaux » et « blanchiment aggravé » dans ce dossier.

Au fil de leurs investigations, les policiers et les juges ont aussi découvert l’ampleur des avoirs occultes de Thierry Gaubert au travers de sociétés offshore et de comptes bancaires non déclarés – il en détient plusieurs en Suisse. Parmi ses biens cachés figure notamment un petit palais perdu dans la forêt colombienne, que Mediapart avait retrouvé en novembre 2011. Le financement de cette propriété luxueuse, où l’on compte notamment un lac artificiel construit ex nihilo, a été assuré pour partie par Ziad Takieddine.

Sur place, dans le petit village de Nilo, situé à 150 kilomètres de Bogota, Thierry Gaubert menait la vie grand train et a développé, par le truchement de sociétés offshore, une activité pour le moins étrange : l’ouverture de deux bars aux noms fleuris, le Nichon et le Nibar. Des photos obtenues par Mediapart ont par ailleurs montré que le député UMP Olivier Dassault ou le chef d’entreprise Alexandre Juniac, tous deux proches de Sarkozy, s'étaient rendus en Colombie à l’invitation de Gaubert. Tout comme Ziad Takieddine et sa famille…

Alors que Nicolas Sarkozy affirme avoir cessé de fréquenter Thierry Gaubert à la fin des années 1990 à cause de ses premiers démêlés judiciaires dans une affaire immobilière (voir ici), des mails saisis par les policiers montrent qu’il n’en est rien, en réalité. Il est apparu en effet que Nicolas Sarkozy a continué pendant de longues années à gérer depuis le ministère de l’intérieur les affaires de son cabinet d’avocats, via Thierry Gaubert, qu’il continuait de voir. À cette époque, Gaubert occupait le poste de directeur de cabinet du président des Caisses d’épargne, Charles Milhaud.

Le 8 juillet 2011, trois jours après une perquisition chez Gaubert, Hortefeux avait appelé son vieil ami pour s’inquiéter des enquêtes de Mediapart en cours. « Alors je te signale que y a Mediapart qui cherche beaucoup sur Ziad (Takieddine) », lui dit-il dans une conversation enregistrée par la police. « C’est très étonnant ce qu’ils ont comme éléments d’information (…). Je ne sais pas comment ils font les mecs, hein. Je ne sais pas comment ils font », s'étonnera l’ancien ministre de Sarkozy.

Quelques semaines plus tard, juste avant sa mise en examen le 21 septembre 2011, Thierry Gaubert recevra un autre coup de téléphone de Brice Hortefeux pour le prévenir que la justice accumulait, elle aussi, des informations compromettantes à son encontre.

  • Nicolas Bazire, l'autre Nicolas des années Balladur. 
  • Nicolas Bazire, l'autre Nicolas des années Balladur. © Reuters
    NICOLAS BAZIRE
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet du Premier ministre Édouard Balladur quand Sarkozy était ministre du budget (1993-1995), directeur de la campagne présidentielle de 1995 quand Sarkozy en était le porte-parole (1995). Témoin de son mariage en 2008]

En 1994, la journaliste Ghislaine Ottenheimer publiait un livre très informé sur la « machine Balladur ». Il avait pour titre Les Deux Nicolas (Plon). Le premier était Nicolas Sarkozy. Le second, Nicolas Bazire. Directeur de cabinet de l’ancien premier ministre, avant de devenir celui de sa campagne présidentielle, Nicolas Bazire est un intime de Sarkozy. Au point d’avoir été en 2008 son témoin de mariage avec Carla Bruni.

Comme Thierry Gaubert, Nicolas Bazire est mis en examen dans le volet financier de l’affaire Karachi. Poursuivi pour « complicité d’abus de biens sociaux », il lui est reproché d’avoir été en amont, depuis Matignon, l’un des chefs d’orchestre de la mise en place du réseau Takieddine dans les marchés d’armement incriminés et en aval, au QG de campagne, le destinataire final des sommes perçues illégalement.

Les archives officielles de Matignon et de différents ministères ont montré que Nicolas Bazire n’a pas compté ses heures quand il a fallu qu’il s’investisse personnellement dans toutes les décisions politiques, voire financières, liées aux contrats suspects.

Et d’après les récents aveux de Ziad Takieddine, c’est Nicolas Bazire qui lui a présenté en décembre 1993 Thierry Gaubert. Le message était clair : récupérer de l’argent à tout prix pour financer les ambitions présidentielles d’Édouard Balladur. À l’époque, le premier ministre était parti en campagne sans le soutien de son parti, le RPR, tout entier (caisses comprises) dévolu à Jacques Chirac. Mais il avait un atout majeur dans sa manche, la commande publique, et deux soutiens de poids dans son gouvernement, Nicolas Sarkozy, au Budget, et François Léotard, à la Défense. Une bande décidément bien organisée.

  • Eric Woerth, trésorier et ministre de Sarkozy. 
  • Eric Woerth, trésorier et ministre de Sarkozy. © Reuters
    ÉRIC WOERTH
    [Lien avec Sarkozy : trésorier national de l'UMP sous la présidence de Sarkozy (2004), créateur du “Premier Cercle”, trésorier de la campagne présidentielle de 2007, ministre du budget (2007-2010), ministre du travail (2010)]

Pendant longtemps, il n’eut pour toute défense qu’une lapalissade : « Est-ce que j’ai une tête à couvrir la fraude fiscale ? » De toute évidence, les juges de l’affaire Bettencourt, Jean-Michel Gentil, Valérie Noël et Céline Ramonatxo, n’ont pas raisonné ainsi. Ministre phare de Sarkozy (au Budget, puis au Travail) après avoir été le trésorier de sa campagne en 2007, Éric Woerth a été renvoyé, en juillet dernier, devant le tribunal correctionnel pour « trafic d’influence » par les trois juges de Bordeaux. Il est par ailleurs toujours mis en examen dans un autre volet de l’affaire pour recel de « numéraires », soutirés à Liliane Bettencourt au moment de la campagne de 2007.

Le scandale fut à double détente pour Éric Woerth. Il y eut d’abord la révélation par Mediapart, en juin 2010, des enregistrements du majordome des Bettencourt qui mettait au jour l’intenable conflit d’intérêts de l’ancien ministre du budget et trésorier de l’UMP. Voici un homme qui, à main gauche, devait être le garant du respect de la loi fiscale et, à main droite, fit embaucher sa femme par le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, qui s’est avéré être l’organisateur en chef de la fraude fiscale de l’héritière de L’Oréal. Voici le même homme, chargé de faire rentrer le maximum d’argent dans les caisses de son parti, qui fut financé personnellement par l’employeur de sa femme, auquel il a remis la Légion d’honneur début 2008 en tant que ministre du budget.

Il y eut ensuite le témoignage accablant de la comptable des Bettencourt, Claire Thibout, qui a raconté le bal des enveloppes bourrées d’espèces en faveur, entre autres, de Nicolas Sarkozy et d’Éric Woerth. Témoignages, agendas, retraits d’argent liquide en Suisse, journaux intimes : au fil de leur enquête, les juges ont accumulé les indices graves et concordants qui ont justifié la mise en cause judiciaire de l’ancien homme fort du système Sarkozy.

Interrogé en février 2012 sur la mise en examen de son ancien ministre, l’ex-chef de l’État a eu pour seule réponse : « J’ai pas envie de parler de ça. Écoutez, on est en démocratie, et on a bien le droit de ne pas répondre aux questions. Vous avez le droit de les poser, j’ai le droit de ne pas y répondre. »

  • GILBERT AZIBERT
    [Lien avec Sarkozy : secrétaire général du ministère de la justice (2008-2010)]

C'est la dernière révélation en date. Une écoute téléphonique de Nicolas Sarkozy, réclamée par les juges de l'affaire libyenne, laisse entendre selon Le Monde que Gilbert Azibert, haut magistrat de la Cour de cassation, a tuyauté l'ancien chef de l’État et son avocat Thierry Herzog sur la procédure Bettencourt, en échange d'un appui pour une nomination à Monaco. Une enquête pour « trafic d'influence » après la découverte de ces écoutes a été ouverte au pôle financier du tribunal de Paris. L'avocat de Nicolas Sarkozy a été perquisitionné mercredi 5 mars dans ce dossier. 

Étiqueté clairement à droite, Gilbert Azibert a occupé de hautes fonctions sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il a notamment dirigé l’Administration pénitentiaire (de 1996 à 1999), l’École nationale de la magistrature (ENM, de 2002 à 2005), le parquet général de la cour d’appel de Bordeaux (de 2005 à 2008), avant d’être bombardé secrétaire général du ministère de la justice de 2008 à 2010. Homme de réseaux, en lice pour succéder à Jean-Louis Nadal à la tête du parquet général de la Cour de cassation en 2011, il a finalement été supplanté par son grand rival, Jean-Claude Marin.

  • Christine Lagarde, la ministre qui voulait un « guide ». 
  • Christine Lagarde, la ministre qui voulait un « guide ». © Reuters
    CHRISTINE LAGARDE
    [Lien avec Sarkozy : ministre de l'économie et des finances (2007-2011)]

« Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting. Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide. » Ces quelques mots sont de Christine Lagarde, ministre de l’économie, à l’adresse de Nicolas Sarkozy. Cette lettre d’allégeance, dont on ne sait si elle a été envoyée à son destinataire, a été saisie par les juges de l’affaire Tapie. Intéressante pour l’enquête, elle montre l’état de servitude volontaire dans lequel l’ancienne avocate d’affaires semblait s’être mise vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Au point de jouer contre les intérêts de l’État ?

Dans les faits, Christine Lagarde est celle qui a signé la décision d’interrompre le cours de la justice ordinaire pour saisir un tribunal arbitral dans l’affaire Tapie. Seulement voilà, les faits potentiellement délictueux commis lors de son passage à Bercy ne sont pas passibles d’un tribunal classique, mais d’une cour d’exception, la Cour de justice de la République, qui juge les fautes pénales commises par des ministres dans le cadre de leurs fonctions. Et tandis que les mises en examen s’accumulent dans le volet non ministériel du dossier, Christine Lagarde s’en sort bien pour le moment devant la CJR.

Pourtant accusée par l’ancien procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, d’avoir fait constamment « échec à la loi » dans l’affaire Tapie, Christine Lagarde n’a pas été mise en examen par les juges de la CJR. Entendue pendant près de deux jours, après avoir été perquisitionnée, l’actuelle patronne du Fonds monétaire international (FMI) a été placée sous le statut de témoin assisté, un statut intermédiaire entre simple témoin et mis en examen. En droit français, “témoin assisté” signifie qu’il y a à l’encontre de la personne ainsi désignée des indices permettant de considérer qu’elle n’est pas extérieure au délit recherché, mais que ceux-ci ne sont pas suffisamment graves et concordants pour justifier une mise en examen.

En revanche, son ancien directeur de cabinet, Stéphane Richard, un autre proche de Sarkozy qui cultive aussi de solides amitiés au PS (Valls, Moscovici, DSK…), a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Tout comme Bernard Tapie, son avocat Maurice Lantourne, l’arbitre Pierre Estoup ou le haut fonctionnaire Jean-François Rocchi.

Le 23 octobre 2006, alors qu’il lui remettait la Légion d’honneur en tant que ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy a laissé éclater son admiration pour Stéphane Richard lors de son discours public : « Tu t’es fait tout seul et tu as réussi seul contre tous. Un jour, je serai aussi riche que toi. »

  • Philippe Courroye, l'étouffeur de Nanterre. 
  • Philippe Courroye, l'étouffeur de Nanterre. © Reuters
    PHILIPPE COURROYE
    [Lien avec Sarkozy : nommé procureur de Nanterre, le fief de Nicolas Sarkozy, en 2007. A reçu des mains de l'ancien président l'ordre national du Mérite en 2009]

Le 3 avril 1914, le garde des Sceaux d’alors, un certain Aristide Briand, eut ce mot célèbre à la Chambre : « Ah ! La magistrature manque d’indépendance ! Ce procureur sous sa robe rouge et son hermine n’a pas eu la conscience assez haute pour résister ? Mais que se passe-t-il donc dans les ministères ? J’y suis allé, dans les ministères, et dans celui de la justice. La nomination de magistrats, leur avancement, leur carrière, leur vie est toute entre nos mains… » Ce portrait-robot du magistrat soumis existe toujours un siècle plus tard. Sous Sarkozy, un plus que tout autre l’a incarné : le procureur Philippe Courroye. Un pion central de la bande organisée.

Nommé en 2007, contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, à Nanterre, c’est-à-dire dans le fief de la Sarkozie, Philippe Courroye a déployé une énergie considérable entre 2007 et 2012 pour que rien ne sorte de dérangeant contre le chef de l’État. La démonstration la plus caricaturale de cette situation aura été sa gestion de l’affaire Bettencourt à l’été 2010. Faisant mine de mener tambour battant une enquête impartiale, le procureur Courroye a en réalité multiplié les actes d’allégeance judiciaire pour le bon plaisir de l’Élysée. Comme Le Monde le rapportera, il se rendra discrètement au Château à chaque moment clé de son enquête.

Le procureur, honoré de l’ordre national du Mérite par Sarkozy en 2009, n’a pas hésité à intimider les témoins gênants ou à placer sous surveillance téléphonique plusieurs journalistes du Monde un peu trop bien informés du contenu de certains procès-verbaux embarrassants pour le pouvoir.

Philippe Courroye et son adjointe avaient été mis en examen début 2012 par une juge parisienne, Silvia Zimmermann, pour « collecte illicite de données à caractère personnel » et « violation du secret des correspondances ». Mais la cour d’appel de Paris avait annulé ces mises en examen deux mois plus tard pour des raisons de forme, estimant que les deux magistrats ne pouvaient être poursuivis tant que les actes en cause n’avaient pas été définitivement annulés par la justice. Comme un serpent juridique qui se mord la queue.

  • Squarcini, patron de la brigade du chef. 
  • Squarcini, patron de la brigade du chef. © Reuters
    BERNARD SQUARCINI
    [Lien avec Sarkozy : nommé préfet de police de la région PACA (2004), directeur de la DST (2007), directeur de la DCRI (2008-2012)]

La justice était sous contrôle, il fallait que la police le fût aussi. À la tête de la police nationale, Nicolas Sarkozy avait placé un ami d’enfance (Frédéric Péchenard). Les services secrets intérieurs, eux, sont revenus à un policier dévoué, Bernard Squarcini, qui a réussi à faire de la DCRI une redoutable brigade du chef.

Ainsi que plusieurs médias l’ont rapporté, le service a été mobilisé à plusieurs reprises pour placer sous surveillance les journalistes un peu trop remuants, notamment ceux de Mediapart. Dans un livre précis et sourcé paru en 2012, L’Espion du président (Robert Laffont), les journalistes Christophe Labbé et Olivia Recasens (du Point) et Didier Hassoux (du Canard enchaîné) ont publié un témoignage accablant pour celui qui était surnommé « Le Squale ». Il émanait de Joël Bouchité, ancien conseiller sécurité de Sarkozy.

« Squarcini, confiait à nos confrères ce haut fonctionnaire policier reconverti dans la préfectorale, a recréé à son côté une petite cellule presse. Des mecs chargés de se rancarder sur ce qui se passe dans les journaux, les affaires qui vont sortir, la personnalité des journalistes. Pour cela, comme pour d’autres choses, ils usent de moyens parfaitement illégaux. Leur grand truc, c’est de voler des adresses IP, la carte d’identité des ordinateurs. Ils épient les échanges de mails, les consultations de sites. Ils sont alors au parfum de tout. Si nécessaire, ils doublent en faisant des fadettes. » Le témoin affirmait également que le même Squarcini a conservé « des camions d’archives » visant « notamment des personnalités politiques et des journalistes ».

Mis en examen pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite », Bernard Squarcini a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, en juin dernier, par la juge Zimmermann, pour l’espionnage illicite d’un journaliste du Monde.

Le Canard enchaîné, qui avait affirmé en novembre 2011 que le “Squale” pilotait au sein de la DCRI une cellule d'espionnage des journalistes (notamment de Mediapart), avait été poursuivi pour diffamation. Condamné en première instance, l'hebdomadaire a été relaxé, le 20 février 2014, par la cour d'appel de Paris.

  • Patrick Buisson, théoricien et homme d'affaires... 
  • Patrick Buisson, théoricien et homme d'affaires... © Reuters
    PATRICK BUISSON
    [Lien avec Sarkozy : conseiller au ministère de l'intérieur (2005-2007), conseiller sans fonction officielle à l’Élysée (2007-2012), contractuel de la présidence de la République pour la vente de sondages, conseiller politique pour la campagne présidentielle de 2012. Décoré de la Légion d'honneur en 2007 par l'ancien président]

L’extrême-droitisation de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, c’est lui. Ancien directeur de l’hebdomadaire Minute, Patrick Buisson est le fantôme du sarkozysme. Conseiller occulte de Nicolas Sarkozy, il fut également sous sa présidence un homme d’affaires avisé. La justice s’intéresse de très près à ses activités sondagières.

Patron de la société de conseil Publifact, Buisson avait signé en 2007 une juteuse convention avec la présidence de la République sans le moindre appel d’offres. La Cour des comptes s’était étonnée en 2009 de ce contrat passé sans qu'« aucune des possibilités offertes par le code des marchés publics pour respecter les règles de la mise en concurrence (...) n’ait été appliquée ». Les sommes en jeu avaient été jugées « exorbitantes » par la Cour : 1,5 million d’euros !

Le bureau et le domicile parisien de Patrick Buisson ont été perquisitionnés en avril dernier dans le cadre d’une information judiciaire ouverte dans l’affaire des sondages. Le 13 octobre 2009, lors d’une audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Frémont, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, avait admis une « anomalie » dans le contrat accordé à Patrick Buisson. C’est le moins que l’on puisse dire.

Oiseau de malheur pour le sarkozysme, Patrick Buisson est aujourd'hui au banc des pestiférés à l'UMP depuis la diffusion par la presse d'extraits d'enregistrements clandestins qu'il a réalisés, à l’Élysée, sous le règne de Sarkozy.

 

  • François Pérol, le banquier de l'Elysée. 
  • François Pérol, le banquier de l'Elysée. © DR
    FRANÇOIS PÉROL
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet adjoint au ministère de l'économie et des finances (2004-2005), secrétaire général adjoint de la présidence de la République (2007-2009)]

Il est discret, c’est un banquier. Ancien haut fonctionnaire au ministère de l’économie, François Pérol est passé par la banque Rothschild entre 2005 et 2007 avant de rejoindre Nicolas Sarkozy à l’Élysée, au poste de secrétaire adjoint de la présidence de la République, où il était chargé de toutes les grandes questions économiques. Les deux hommes avaient brièvement travaillé ensemble à Bercy quand Sarkozy était ministre des finances.

À l’Élysée, parmi les dossiers que François Pérol a eu à traiter, figurait l’épineuse fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires pour créer un géant bancaire, la BPCE. Quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir : sitôt le rapprochement des deux banques entériné en février 2009, François Pérol est parti en prendre la tête. Un “pantouflage” en bonne et due forme, qui vaut aujourd’hui à ce proche de Sarkozy d’être au cœur d’une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » menée par le juge Roger Le Loire.

L’enquête vise à établir si François Pérol, dont le nom est également cité dans l'affaire Tapie, a contrevenu aux dispositions du code pénal qui interdisent à toute personne ayant disposé de l’autorité publique sur une entreprise privée de passer ensuite à son service. Il a été mis en examen en février dernier.

 

 

Lire aussi

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:50

 

Source : rue89.nouvelobs.com


Explicateur 05/03/2014 à 18h11
Kiev : le nouveau pouvoir « sous influence néonazie » ? C’est n’importe quoi
Pascal Riché | Cofondateur Rue89

 

Oui, la révolution ukrainienne a été soutenue par des partis d’extrême droite, issus ou proches du néonazisme. Mais les accusations de Mélenchon et Poutine sont ineptes. Voici pourquoi.

 


Jean-Luc Mélenchon en meeting à Montpellier, le 19 février 2014 (Xavier Malafosse/SIPA)

 

En considérant que le nouveau pouvoir à Kiev, « putschiste » et « aventurier », est sous l’influence « détestable » de « néonazis », Jean-Luc Mélenchon a choqué.

Mardi matin, sur France Inter, Daniel Cohn-Bendit, vice-président des Verts européens, s’en est pris au leader du Front de Gauche :

« Il est dingue ! J’en ai marre de Jean-Luc Mélenchon ! [...] Et dans la Résistance, en France, il n’y avait pas des gens d’extrême droite ? Il faut arrêter [...]. Oui, il y a une extrême droite fasciste en Ukraine. Ils ont eu 10% aux dernières élections. Mais c’est pas le mouvement !

La Résistance en France, le génie c’est qu’il y avait des communistes et des ultranationalistes qui étaient d’extrême droite, mais contre les Allemands... Les Ukrainiens, ils se sont rassemblés contre les Russes [...]. Maïdan, c’est pas l’extrême droite ! »

Daniel Cohn-Bendit sur France Inter, le 4 mars 2014  (lien)

« Je ne comprends pas que Mélenchon dise de bêtises aussi incroyables »

L’accusation lancée par Mélenchon rejoint la rhétorique de Moscou, qui dénonce sans relâche une « révolution brune » de Kiev. Une façon de discréditer le mouvement de Maïdan, qui serait, dans l’esprit de ceux qui le déconsidèrent, un « coup » des pays de l’Otan pour affaiblir la Russie.

Quelle est la réalité sur laquelle elle s’appuie ?

    1 D’où viennent les accusations visant des complicités « fascistes » ?


 


Oleg Tiagnibok, leader de Svoboda (ВО Свобода/Wikimedia Commons/CC)

 

Le mouvement de la place de Maïdan avait trois porte-parole :

  • le boxeur Vitali Klitschko ;
  • l’ancien ministre des Affaires étrangères Arseni Iatseniouk, devenu Premier ministre ;
  • le leader du parti Svoboda, Oleg Tiagnibok.

Svoboda (qui signifie liberté) est un parti ultranationaliste d’extrême droite. Créé en 1991, il s’appelait jusqu’en 2004 Parti social-national, référence explicite au national-socialisme. Le symbole du parti était une sorte de « Wolfsangel » (qui était utilisé par certaines divisions SS pendant la Seconde Guerre mondiale), mais inversé.

Le Wolfsangel représente un crochet dont on se servait pour chasser le loup. Le Parti social-national d’Ukraine l’a adopté, en lui donnant l’aspect d’un I barrant un N, pour « idée de la nation » (Ідеї Nації).

 


Un brassard place Maïdan (Capture d’écran de la BBC)

 

En 2004, le parti a été rebaptisé pour devenir Svoboda (Liberté). Il a également changé de symbole, pour adopter une main faisant un W, rappel des armoiries de l’Ukraine. Il rejette officiellement le nazisme, mais il continue à afficher des portraits du nationaliste devenu collaborateur Stepan Bandera (il y en avait même sur la place Maïdan). Oleg Tiagnibok a tenu à de nombreuses reprises des propos ouvertement antisémites. Il a ainsi qualifié il y a quelques années le pouvoir en place de « mafia juive-russe ».

Mais selon Alexandra Goujon, spécialiste de l’Ukraine, maître de conférences à l’université de Bourgogne (Dijon), il est clair que Svoboda est devenu au fil des ans « de moins en moins radical », et cherche aujourd’hui à adopter des positions respectables, « même si certains cadres, dans l’ouest du pays, restent très virulents ».

Les quatorze mots de David Lane

D’autres mouvements ultra-nationalistes et antisémites, comme le nouvellement créé Praviy Sektor (Secteur de droite) ou C14 (affilié à Slovoda), ont également été très actifs dans la révolution de Maïdan. Le chiffre de quatorze renvoie aux quatorze mots de David Lane et des tenants du White Power : « Nous devons préserver l’existence de notre peuple et l’avenir des enfants blancs. »

Donc, oui, la révolution de Kiev a été soutenue par des partis d’extrême droite issus ou proches du néonazisme. Mais ils étaient extrêmement minoritaires sur la place de Maïdan et ils ne pèsent pas lourd au sein du nouveau pouvoir.

 2 Pourquoi ces références au nazisme ?

 


Stepan Bandera, héros nationaliste et ancien collabo (Wikimedia Commons)

 

Le nationalisme ukrainien n’a rien à voir avec le nationalisme en France ou dans d’autres pays occidentaux : il s’agit d’un nationalisme de libération, face à la menace bien concrète russe. « L’indépendance que les Ukrainiens cherchent à préserver est très récente », rappelle Alexandra Goujon : une vingtaine d’années.

On ne peut pas comprendre le nationalisme ukrainien et, de la part des plus radicaux, les références au nazisme, sans relire l’histoire de ce pays.

Ce qui n’a pas encore été réglé, constate Alexandra Goujon, c’est la question de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 30, l’Ukraine était sous le joug soviétique et a vécu durement la collectivisation forcée des terres et la terrible famine ( « holodomor ») de 1933, considéré comme un génocide en Ukraine (3 millions de morts). Puis, en septembre 1939, l’Ukraine occidentale (occupée par la Pologne) a été envahie par l’Armée rouge, et a subi une répression terrible. Dans ce contexte, les nazis, flattant le nationalisme ukrainien, ont été accueillis comme des libérateurs. Stepan Bandera s’est associé à eux et ses adeptes ont participé à des massacres de juifs dans le pays.

Bandera fait « héros de l’Ukraine » par Iouchtchenko

L’extrême droite n’est pas la seule à faire du collaborateur Stepan Bandera (qui finit tué en 1959 par un étudiant manipulé par les soviétiques) un héros et martyr.

En 2010, le président Iouchtchenko lui a attribué de façon posthume le titre de « héros de l’Ukraine », ce qui a choqué le Centre Simon-Wiesenthal.

Dans l’esprit d’une partie des Ukrainiens, Stepan Bandera s’était allié aux nazis pour des raisons tactiques, le but étant l’indépendance de l’Ukraine. D’ailleurs, il est entré en conflit contre les Allemands par la suite.

        3 Quelle est l’influence de ces groupes sur le mouvement de Maïdan ?

 

Sur l’immense place de l’Indépendance, Maïdan, les groupes néonazis étaient très minoritaires.

Les journalistes internationaux qui ont suivi ces événements ont tous décrit un mouvement populaire et spontané. Par exemple, Eric Bouvet, photographe, qui a suivi l’insurrection de Kiev pour Paris-Match. Interrogé sur France Culture dimanche, il a catégoriquement récusé l’influence de l’extrême droite sur le mouvement : dans le chaos, les mouvements extrémistes ont surgi, se borne-t-il à constater :

« Les gens qui sont morts devant moi, c’était des gavroches, c’était des gens de 60 ans, des gens de tous les jours. Je suis très énervé contre les gens qui parlent sans savoir. »

Eric Bouvet sur France Culture, le 2 mars 2014

« Un mouvement du peuple »

Les manifestants qui ont renversé le pouvoir de Kiev étaient en quasi totalité des gens ordinaires, démocrates et pro-européens : des étudiants, des professions libérales, des retraités, des enseignants, des mères de famille... Des manifestants pacifiques bien loin des idées nationalistes et antisémites des partis d’extrême droite.

« J’ai même vu Oleg Tiagnibok [le leader de Svoboda, ndlr] se faire siffler, comme d’autres politiciens, sur la place Maïdan », raconte Alexandra Goujon, qui a passé du temps avec les manifestants.

Mais des groupes extrémistes, mus par le rejet des Russes plus que par l’attrait de l’UE, se sont montrés très actifs et organisés, et prompts à se confronter à la police.

Le rempart qui protégeait les occupants de la place

C’est le cas des militants de Praviy Sektor, notamment, reconnaissables à leurs treillis militaires et leurs battes de base ball. Ils ont organisé la défense de la place lorsque la violence policière est devenue extrême. Ils sont devenus le rempart protégeant les occupants de la place, ce qui les a rendus populaires.

 

Voir l'image sur Twitter

Séance d'entraînement organisée par Praviy Sektor (ultra-nationalistes), principal groupe de défense de Maïdan

 

Aujourd’hui, même si aucun d’entre eux ne semble figurer parmi les morts de Maïdan, ils considèrent que la chute du gouvernement est un peu leur victoire. Et Secteur de droite en a tiré une certaine aura : « L’influence de l’extrême droite croît », juge Gabriel Gatehouse, journaliste de la BBC, qui a enquêté sur le sujet.

 

 

L’extrême droite et le mouvement de Maïdan

Reportage de la BBC (en anglais)

Dans le brouillard révolutionnaire, les choses sont toujours plus compliquées qu’on ne le pense. Ainsi le quotidien israélien Haaretz a publié le témoignage d’un ancien soldat de l’armée israélienne, trentenaire, juif orthodoxe, surnommé Delta, qui a pris la direction d’un groupe d’émeutiers baptisé Les Casques bleus de Maïdan. Or, il raconte à Haaretz qu’il prenait ses ordres de... Svoboda :

« Je ne suis pas membre, mais je prends mes ordres de leur équipe. Ils savent que je suis israélien et un ancien de Tsahal. Ils m’appellent “frère”. Ce qu’on dit de Svoboda est exagéré, je peux en témoigner. Je ne les aime pas parce qu’ils sont incohérents, mais pas à cause de la question de l’antisémitisme. »

L’antisémitisme existe en Ukraine, même s’il n’est pas le premier moteur des groupes néonazis ukrainiens. Ce mardi, à New York, le grand rabbin Yaacov Bleich a insisté : en dépit de ce que racontent les médias russes, les incidents antisémites en Ukraine sont « extrêmement peu fréquents ». Selon l’université de Tel-Aviv, la France est le pays qui a connu en 2012 le plus d’incidents antisémites (200), suivie par les Etats-Unis (99), la Grande-Bretagne (84) et le Canada (74).

        4 Quelle place Svoboda a dans le nouveau pouvoir ?

 

Lors des dernières élections, en 2012, Svoboda a capté 10,45% des suffrages (mais 50% dans la ville de Lviv). Il a conquis 38 des 450 sièges du parlement. Dans les sondages, il est aujourd’hui en recul.

 


« Blague » de deux députés de Svoboda, Edouard Leonov et Ruslan Zellik, montrent des chiffres nazis (88 = HH = Heil Hitler et 14 = les 14 mots du suprémaciste blanc David Lane) (Capture d’écran de la BBC)

 

Le nouveau gouvernement, formé après la chute de Viktor Ianoukovitch, compte trois députés élus sur des listes Svoboda :

  • Alexander Sitch, vice-Premier ministre ;
  • Alexander Mirny, ministre de l’Agriculture ;
  • Andriy Mokhnik, ministre de l’Ecologie.

Le ministre de la défense, l’amiral Ihor Tenyukh, qui a dirigé les forces navales ukrainiennes, est aussi issu des rangs de Svoboda. Deux autres cadres d’extrême droite ont hérité de postes sensibles :

  • Dmitri Iarosh, leader de Secteur de droite, a été nommé secrétaire adjoint du Conseil national de sécurité et de défense. Il seconde Andriy Parubiy, député élu sur la liste Patrie de Ioulia Timochenko, mais qui a été le cofondateur du Parti social-national en 1991. Le Conseil national de sécurité et de défense supervise le ministère de la Défense, la police, le renseignement ;
  • Oleh Makhnitski, membre de Svoboda, a été nommé procureur général de l’Ukraine.

Commentaire d’Alexandra Goujon :

« Lors de tout changement de pouvoir, il faut évidemment rester vigilant. Ce qui est sûr, c’est que ceux qui dirigent l’Ukraine aujourd’hui ne sont pas des néonazis : ce sont des hommes et des femmes politiques tournés vers l’Europe et la démocratie. »

Tout cela ne fait pas un gouvernement « sous influence des néonazis », mais il est clair que la présence de ces radicaux au sein du nouveau pouvoir est « détestable ». Et que les Occidentaux doivent tout faire pour favoriser les composantes démocratiques de la coalition en place, et prendre leurs distance avec les autres.

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 


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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:33

 

 

 

Ce qui nous arrive sur la Toile 06/03/2014 à 12h38
Ce qui trahit le pouvoir, ce n’est pas la technologie, ce sont les gens
Xavier de La Porte | France Culture

 


Un homme utilisant un téléphone et un dictaphone, en 1940 (Sickles Peter/SUPERSTOCK/SIPA)

Depuis quelques mois que je tiens chronique ici, je vous ai parlé de machines, d’ordinateurs, de fermes de serveurs, d’amoncellement de données. Je vous ai parlé des robots qui menacent de nous remplacer dans un nombre croissant de nos activités – jusqu’à la conduite des voitures.

Je vous ai parlé des programmes qui collectent des données sur nos comportements en ligne, à la moindre de nos activités sur Intenet. Je vous ai parlé des systèmes de surveillance mis en place par les services de renseignements. De l’affaire Snowden aux Etats-Unis, les presque 150 programmes qui permettent à la NSA de surveiller les communications d’une bonne partie du monde – jusqu’au téléphone portable d’Angela Merkel.

Je vous ai décrit les gigantesques centres de données que les services américains ont dû construire dans le désert de l’Utah pour accueillir les données récoltées, des hangars remplis de serveurs qui tournent sans cesse. Tout ça coûtant des milliards de dollars, mobilisant un nombre considérable de gens, consommant une énergie inimaginable.

Je vous ai parlé des moyens dont disposent les services français pour surveiller les communications : les valises qui captent tous les échanges téléphoniques sur un périmètre de plusieurs dizaines de mètres, les programmes qui permettent d’utiliser Internet pour siphonner un disque dur à distance ou de prendre le contrôle d’un ordinateur ou d’une webcam à distance. Du fait, aussi, qu’il existerait peut-être un Prism à la française.

Je vous ai parlé des dangers que tout cela faisait peser sur notre vie, sur notre vie privée, du fait de notre dépendance croissante aux technologies. Depuis des mois, je vous parle d’algorithmes, de hacking, de manipulations techniques complexes, de câbles, de routeurs… Je vous parle d’un monde qui est de plus en plus un monde de machines, de programmes, de données. Puis vint l’affaire Buisson.

C’est l’histoire d’un type qui surgit

C’est l’histoire d’un type, conseiller d’un Président de la République, qui pendant des mois, enregistre des réunions à l’Elysée, des apartés dans les couloirs, des conversations dans les voitures. Un type qui fait tout ça avec un dictaphone…

Un type qui met un dictaphone dans sa poche et qui, le soir, charge tout ça dans le disque dur de son ordinateur. Et là, dans ce monde de cyber-espionnage, de cyber-contre-espionnage, de systèmes qui fonctionnent à l’échelle du monde, surgit l’être humain.

L’être humain dans toute sa petitesse, dans toute sa folie, dans ses mobiles les plus inextricables (pourra-t-on comprendre un jour pourquoi Patrick Buisson faisait-il cela ? Car c’est fou quand on y réfléchit, si le but était vraiment un verbatim des années Sarkozy comme le disent les amis de Buisson, quelques notes griffonnées chaque soir dans un carnet auraient suffi. Bref). Surgit l’être humain dans toute sa nudité technologique.

Du même coup, cette affaire Buisson nous invite à relire les grandes affaires d’espionnage qui ont marqué ces dernières années. Y aurait-il eu une affaire Snowden sans Snowden ? Sans ce jeune informaticien qui décide d’accumuler pendant des mois les preuves que les Etats-Unis ont mis en place un système de surveillance mondial ? Quelles sont pour ce jeune homme les raisons qui justifient de sacrifier sa vie et ses amours ?

Et le cablegate, ces centaines de milliers de câbles diplomatiques américains que Wikileaks a publiés fin 2010, aurait-on pu les lire sans Bradley Manning, qui croupit aujourd’hui dans une prison américaine ? Sans ce jeune soldat – devenu depuis Chelsea Manning – qui, avec des mobiles complexes et contradictoires, se met à copier sur un disque de Lady Gaga des centaines de milliers de documents classés ?

Les bruits des petites cuillères d’argent

Ce qui trahit le pouvoir, ce n’est pas la technologie, ce n’est jamais la technologie, ce qui trahit le pouvoir ce sont des gens. Et la trahison est d’autant plus grande – et d’autant moins technologique – que celui qui trahit est proche du pouvoir.

Et même, n’est-ce pas quand la proximité est la plus grande – une proximité a-technologique, low-tech – que la trahison est la plus cruelle ? Cruelle dans ce qu’elle dit de ce pouvoir ?

Rappelons-nous les enregistrements du maître d’hôtel de la maison Bettancourt.Car ces magnétophones ou ces dictaphones, glissés sous une table ou dans une poche, ils saisissent peut-être ce que ne saisissent pas des échanges de mail, ou même des échanges téléphoniques, qui sont captés par les systèmes de surveillance algorithmiques.

Ces objets de rien, ils saisissent les bruits de petites cuillères d’argent, ils saisissent le crissement des pas sur les graviers de l’Elysée, ils saisissent la petitesse dans les intonations, la cupidité dans le mouvement des phrases, la bassesse des manœuvres dans les silences, les soupirs ou les pouffements de rire étouffés. Bref, ils font littérature.

 

Publié initialement sur
France Culture lien
                                                                                                                                                                                  Source : rue89.nouvelobs.com

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:14

 

Source : www.mediapart.fr

 

A Saint-Dié, des maisons sans chauffage, «un devoir d’humanité»

|  Par Jade Lindgaard

 

 

À Saint-Dié, dans les Vosges, l’une des villes les plus froides de France, on construit des logements sociaux sans chauffage, ou équipés d’un simple poêle à bois. Objectif : réduire les charges des locataires et redistribuer des revenus grâce aux économies d’énergie.

Il s’appelle Jules-Ferry, mais ce n’est pas un buste de fondateur de l’école gratuite et obligatoire. C’est un double bâtiment tricolore – brique, blanc et gris métallisé. Et surtout, une nouvelle conquête révolutionnaire : un immeuble HLM de sept étages en bois et en paille, garanti 100 % sans facture de chauffage.

 

Façade de l'immeuble Jules-Ferry, à Saint-Dié-des-Vosges, février 2014 (JL). 
Façade de l'immeuble Jules-Ferry, à Saint-Dié-des-Vosges, février 2014 (JL).

Aucun radiateur n’équipe ses 26 logements ouverts sur de grandes baies vitrées exposées plein sud. C’est un bâtiment « passif », c’est-à-dire énergétiquement autogéré. Grâce à son isolation hors norme et son étanchéité à l’air, il protège ses habitants du froid. Ses parois extérieures en fibre végétale permettent à la vapeur d’eau de circuler, et sa ventilation permet de répartir la chaleur intérieure émise par ses habitants (chaleur corporelle, cuisine, appareils électriques). Dans l’une des villes les plus froides de France, à Saint-Dié-des-Vosges, en zone de petite montagne, où l’hiver la température peut tomber à – 15 °C, le bâtiment se chauffe par lui-même.

 

Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien (JL).  
Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien (JL)

Et ça change tout : les ménages en difficulté (logements PLAI) et locataires à revenu modeste (PLUS) qui y vivent ne paient plus de charges de chauffage. Hors aide locative, leur loyer est d’environ 5 euros par mètre carré, soit 400 euros par mois pour ces trois pièces. En comparaison, les factures de chauffage au fioul pour les maisons individuelles mal isolées, si nombreuses dans la région, peuvent atteindre 3 500 ou 4 000 euros par an, selon l’estimation du bailleur.

Les charges restantes du « Jules-Ferry » (eau chaude, électricité, ventilation et entretien) ne devraient plus atteindre que 132 euros par an, soit 11 euros par mois environ. Presque rien. L’eau chaude est pompée par géothermie ; des panneaux solaires apportent des calories supplémentaires. L’eau usée est récupérée pour en réutiliser la puissance calorifère. « Elle est à 96 % gratuite », estime Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien, l’office HLM (privé) qui a fait construit le bâtiment. Pour lui : « Moins les locataires ont de charges, plus ils récupèrent de pouvoir d’achat. Construire des bâtiments non énergivores, c’est un devoir d’humanité. On sait construire des logements sans énergie fossile et sans chauffage électrique : pourquoi ne pas le faire, du moment qu’on reste dans les prix du marché ? »


Deux habitations côte à côte, deux époques, février 2014 (JL). 
Deux habitations côte à côte, deux époques, février 2014 (JL).

Sous l’immeuble, dans la salle des machines, deux ballons suffisent à contenir l’eau chaude de tout l’immeuble. Un ordinateur permet de suivre en direct la température, l’humidité, la puissance de chauffage, la consommation d’eau de chaque logement. Livré en décembre dernier, le bâtiment achève son tout premier hiver, particulièrement clément. Résultat : en janvier, la consommation réelle de chauffe est proche de 0 kWh/m2 dans les appartements. Le budget total du bâtiment avoisine les 5 millions d’euros pour le bailleur. « Ce type de projet est reproductible, ce n’est pas un délire architectural », assure le directeur du Toit Vosgien, à la tête d’un petit parc (3 100 logements en tout, soit 10 % environ des logements sociaux dans les Vosges). La ville est majoritaire à son capital. 

Au 7e étage, une femme vient d’emménager. Elle ouvre volontiers sa porte, fière de ce logement social qui se visite comme on va admirer les prototypes du Salon de l’auto. Deux chambres, une salle de bains, un cellier, un vaste salon, un grand balcon, un long couloir. Tous les cartons n’ont pas été défaits. La vaste fenêtre du salon s’ouvre sur la ligne des Vosges, prises dans le brouillard de cette fin février. Pas de volet, seuls les rideaux sont autorisés, pour laisser le soleil entrer même en l’absence prolongée des habitants. Pas de baignoire, une douche à bouton-poussoir qui lâche un jet d’eau de trente secondes puis s’arrête. Comme dans une piscine municipale. « On a hésité à adopter ce système, pour ne pas trop contraindre les locataires, mais il leur permettra d’économiser en eau », explique le bailleur. Des familles ont refusé ces règles. Notre hôtesse ne semble pas ennuyée. L’ascenseur est régénératif : son énergie de freinage est récupérée pour éclairer les couloirs. Il contribue aux efforts du bâtiment. « Ça ne peut pas marcher sans les locataires, il faut les impliquer, explique Vincent Pierré, du bureau d’études Terranergie, conseil sur le projet. On passe une demi-journée avec eux au moment de la livraison. »

"Ça n’a rien de bobo, écolo, folklo"

 

Vue sur Saint-Dié-des-Vosges, 26 février 2014 (JL). 
Vue sur Saint-Dié-des-Vosges, 26 février 2014 (JL).

L’immeuble du Toit Vosgien bat un record de hauteur pour un bâtiment de paille et de bois – une tour de 15 étages est aujourd’hui à l’étude. Mais il n’est pas le premier bâtiment passif en France. Des HLM « passifs », on en trouve à Béthune (voir ici), près de Reims, en Rhône-Alpes, à Brest, ou en Loire-Atlantique.

Sur les hauteurs de Saint-Dié, le bailleur a développé une autre offre de logement à caractère expérimental : « les toits de la Corvée ». Une vingtaine de pavillons HLM chauffés au bois, qui alimentent aussi l’eau chaude en calories, grâce à un ingénieux système de poêles-bouilleurs. Claire et Nicolas Diss habitent l’une de ces maisons avec leur enfant : « On s’est rendu compte qu’on faisait des économies délirantes, expliquent-ils un soir autour de la table du salon. On paie 80 euros de chauffage par an. Avant, on payait 200 euros par mois en hiver, pour une surface deux fois plus petite, de 50 m2. » Tout autour, la pièce est chaude, bien au-dessus des 19 °C réglementaires. Une bûche brûle dans le poêle installé face au canapé, à côté de la télévision. Loyer de leur maison de 120 m2 : 623 euros par mois tout compris.

Leur voisine, Marie-Hélène Meyer, estime dépenser 200 euros par an en stères de bois, « au grand maximum. Avant je dépensais environ 800 euros par an pour le chauffage dans un F3, tout en béton, au chauffage électrique, où l'on avait toujours froid ». Autour d’elle, les murs de bois sont nus, comme dans un chalet. « Ça m’apaise, ce bois, j’aime bien, je sens que ça respire. Le feu du poêle me détend énormément. J’ai l’impression que je suis en pleine montagne. » Seul inconvénient à ses yeux : une facture d’électricité trop importante, près de 80 euros par mois, qu’elle attribue au système de ventilation.

 

Panneaux solaires thermiques sur le toit du petit bâtiment Jules-Ferry (JL). 
Panneaux solaires thermiques sur le toit du petit bâtiment Jules-Ferry (JL).

Depuis les lois Grenelle, les logements sociaux neufs, comme tous les autres bâtiments, doivent limiter leur consommation d’énergie à environ 50 kWh par mètre carré (conformément à la réglementation thermique 2012). Soit bien au-dessus de ce qu’accomplissent les constructions passives (pas plus de 15 kWh/m2). Le standard Passivhaus, d'origine allemande, est le plus exigeant en performance énergétique. De plus en plus répandu en Europe (notamment en Allemagne, en Autriche, dans les pays scandinaves), il reste très minoritaire en France.

En pleine bataille préparatoire de la loi sur la transition énergétique, les scénarios d’évolution de la demande d’énergie font chez nous l’objet d’âpres disputes : tenants du statu quo nucléaire contre défenseurs de la sobriété énergétique. Le logement et les bureaux en sont l’un des premiers enjeux. Le bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie en France, avec 42,5 % de l’énergie finale totale, et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre. La facture annuelle de chauffage représente 900 € en moyenne par ménage, avec de grandes disparités (de 250 € pour une maison « basse consommation » à plus de 1 800 € pour une maison mal isolée, voir ici). 

Dans ce contexte, l’expérience de Saint-Dié a valeur d’exemple. Si l’on sait techniquement construire des immeubles de HLM qui n’occasionnent plus de dépenses de chauffage pour leurs habitants, pourquoi l’État n’en fait-il pas un objectif prioritaire ? Hissée à ce niveau d’efficacité, l’écoconstruction ne remplit pas que des objectifs environnementaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction d’empreinte carbone. C’est au moins autant une politique de redistribution sociale qui permet d’augmenter les ressources de foyers modestes en réduisant l’enveloppe de leurs factures imposées.

Pour Jean-Marc Gremmelle, du Toit Vosgien : « Ça n’a rien de bobo, écolo, folklo. La construction en bois, c’est du pragmatisme pour trouver une bonne manière de consommer. » Pour Vincent Pierré, expert en maisons passives, « ce n’est pas une lubie du développement durable. C’est une réponse à un problème de physique du bâtiment ». Surtout, il propose de changer radicalement de représentation sur le confort thermique : « Le chauffage n’est qu’une adaptation constante aux erreurs de conception » d’un bâtiment, affirme-t-il, citant l’Autrichien Gunther Lang, grand spécialiste des maisons basse économes en énergie. Autrement dit, un outil correcteur des défauts d’un bâtiment. Un attribut superflu, condamné à disparaître.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 


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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 13:58

 

Source : www.lemonde.fr

 

Des milliers de policiers dans la rue au Portugal

Le Monde.fr avec AFP | 07.03.2014 à 05h26 • Mis à jour le 07.03.2014 à 06h42

 
 

Plus de 15 000 policiers en colère, selon le décompte des organisateurs, ont défilé jeudi 6 mars à Lisbonne contre les coupes dans leurs salaires, avant de manifester devant le Parlement dans un climat tendu, face à leurs collègues en uniforme. Des manifestants sont parvenus à forcer les barrières de sécurité dressées par les forces de l'ordre, occupant brièvement les premières marches d'accès au Parlement.

 

 

 

Selon Rui Costa, porte-parole de la police de Lisbonne, la manifestation s'est soldée par dix blessés parmi les policiers et les manifestants, dont deux ont été hospitalisés, et deux interpellations. Un millier d'agents avaient été déployés pour tenter d'empêcher les débordements qui s'étaient produits lors de la dernière manifestation des policiers en novembre, qui avaient coûté sa place au directeur de la police nationale. Les policiers avaient lancé un ultimatum pour exiger que les protestataires quittent les marches, et les organisateurs avaient lancé un appel au calme.

A l'intérieur du bâtiment, la présidente du Parlement, Assunçao Esteves, a accepté de recevoir une délégation de représentants des forces de l'ordre. Peu avant, les protestataires avaient défilé entre le centre de la capitale et l'Assemblée nationale aux cris de « Gouvernement prends garde, les policiers sont en colère ! ». D'autres ont exprimé leur ras-le-bol sifflets à la bouche ou en entonnant l'hymne national.

 

 « ON M'A DÉJÀ RETIRÉ 200 EUROS DE MON SALAIRE »

 

 

Des affrontements entre agents des forces de l'ordre ont fait dix blessés. Les manifestants protestaient contre les coupes dans leurs salaires.

 

Cette manifestation, convoquée notamment par les syndicats de la police nationale, de la gendarmerie et des gardiens de prison, a été décidée après plusieurs réunions jugées infructueuses avec le ministre de l'intérieur, Miguel Macedo. A l'issue de ces négociations, les agents des forces de l'ordre n'ont obtenu qu'une modeste revalorisation de 25 euros de leur prime mensuelle d'entretien d'uniforme. « C'est une miette, surtout quand on compare aux 150 euros de primes que nous avons perdus », a affirmé José Alho, responsable de l'Aspig, une association représentant les gendarmes.
 

« Depuis janvier, on m'a déjà retiré près de 200 euros de mon salaire. Et je ne compte plus les coupes appliquées depuis trois ans ! » a témoigné Antonio Ferreira, un gendarme venu de Coimbra (centre du pays). « J'ai une femme et trois enfants à nourrir. On a des crédits pour payer la maison et la voiture contractés avant le début de la crise. On ne s'attendait pas à ce changement de situation. C'est difficile de joindre les deux bouts », a raconté un autre policier. « Je suis certain que ceux qui nous gouvernent n'ont pas idée de la réalité des gens, des difficultés du quotidien », a lancé Joao Oliveira, 50 ans, qui a fait le déplacement depuis Aveiro (centre).

Le programme de rigueur budgétaire draconien auquel le Portugal est soumis en échange d'un plan d'aide internationale a suscité la grogne de la population, mais les syndicats avaient peiné à mobiliser ces derniers temps. Pour cette année, le gouvernement a approuvé des coupes sévères dans les salaires des fonctionnaires et les retraites.

 

 

Source : www.lemonde.fr

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 22:51

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Nucléaire

Transport de matières radioactives : « Le salaire de la peur », version SNCF, adapté à la région parisienne

par Florent Lacaille-Albiges 6 mars 2014

 

 

 

RER et trains de banlieue côtoient chaque année une centaine de wagons remplis de combustibles nucléaires. Des convois dangereux qui longent régulièrement des zones peuplées. La sûreté de ces transports serait « satisfaisante » assure l’administration. Pourtant, l’un de ces wagons a déraillé fin décembre, en Seine-Saint-Denis. Ces déraillements pourraient se multiplier à cause du vieillissement des voies. Une zone inconstructible a d’ailleurs été définie sans concertation autour de la gare de triage de Drancy pour « ne pas accroître la population exposée au risque ». Riverains et cheminots y interpellent la SNCF sur les risques d’incendie et l’exposition aux radiations. Reportage.

Samedi 11 janvier, 11h. La place de la mairie du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, se remplit doucement. La forte concentration de toques de trappeurs, couleur canari, surprend les observateurs.
« – Excusez moi, les couvre-chefs en fourrure synthétique colorée, ça veut dire quelque chose ?
– Bien sûr, c’est le signe des militants de la TAC, la traque aux castors.
– Pardon ?
– Les CASTOR, en majuscules, ça veut dire Cask for Storage and Transport of Radioactive Materials, ce sont les wagons de matières radioactives. »

Ces chasseurs de « Castor » – ceux qui font donc frétiller les compteurs Geiger, pas ceux des rivières – sont une petite trentaine répartis sur trois villes le long de la ligne de chemin de fer : Aulnay-sous-Bois, Le Blanc-Mesnil et Drancy. « Nous sommes un collectif de lanceurs d’alertes, explique Jean-Yves Souben, militant antinucléaire et adjoint du maire du Blanc-Mesnil. Chaque traqueur a un petit réseau : de la famille, des amis, des voisins. Quand ils aperçoivent un wagon Castor, reconnaissable à son château blanc monté sur une plateforme verte, ils nous passent un coup de fil et on va vérifier. » Sur ces voies, situées en zone densément peuplée et empruntées chaque jour par les rames bondées du RER B, il passerait, d’après les militants, une centaine de wagons de matières radioactives par an.

Zone inconstructible déjà construite

Pourquoi cette manifestation de chasseurs de wagons Castor ? Tout commence par un avis transmis fin avril 2013 par le préfet de Seine-Saint-Denis aux maires du Blanc-Mesnil, de Drancy et du Bourget. Les trois villes sont voisines de l’une des dernières grandes gares de triage de France, qui voit passer 150 000 wagons par an, dont 15 000 de matières dangereuses. Suite à la réalisation d’une « étude de dangers » par Réseau Ferré de France, le préfet prescrit l’élaboration d’un plan particulier d’intervention autour des voies. Une zone inconstructible de 620 mètres de rayon autour de la gare est tracée [1]. Motif : « Maîtriser l’urbanisation [en vue de] ne pas accroître la population exposée au risque ». Problème : ce périmètre englobe des quartiers entiers de pavillons et d’immeubles.

Pour les habitants, la décision est dure à avaler. Leurs maisons perdent rapidement 30 % de leur valeur. Et tous s’interrogent sur ce qu’il convient de faire quand la sirène retentit sur la gare. En juin 2013, les riverains décident de former une association, le Collectif des riverains de la gare de triage (Corigat). Trois mois plus tard, ils manifestent une première fois, sans obtenir de réponses. Mais ce qui achève de mettre le feu aux poudres, ce sont les deux accidents successifs qui ont lieu en décembre. Surtout le second : le 23 décembre à 16h13, la sirène retentit pour signaler qu’un wagon de matières radioactives a déraillé. Joyeux Noël.

« Un déraillement par semaine sur le triage de Drancy »

Jean-Yves Souben raconte : « À 16h, ma femme et moi avons vu le Castor à droite du pont, et à 16h30 environ, il était de l’autre côté mais sorti des rails ! » Les accidents sur des wagons de matières nucléaires ne sont pas très courants. D’après l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le dernier aurait eu lieu en 1997 dans la gare d’Apach (Moselle) et n’aurait pas occasionné de contamination [2]. Cependant, avec le vieillissement du réseau ferré et l’augmentation du nombre de déraillements, ce genre d’événement risque de devenir de plus en plus courant. « Actuellement, nous en sommes à un déraillement par semaine sur le triage de Drancy, s’inquiète Philippe Guiter, cheminot et représentant de Sud-Rail au Comité national hygiène, sécurité et conditions de travail de la SNCF. Je suis convaincu que le prochain accident nucléaire grave aura lieu sur le transport. »

Dans une plaquette sur le transport de matières radioactives, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) affirme que « la sûreté […] est dans l’ensemble satisfaisante ». Les wagons Castor seraient en mesure de résister à une chute de 9 mètres sur une cible indéformable (typiquement un bloc d’acier) et pourraient supporter une immersion sous 200 mètres d’eau… Areva y met le prix : pour le transport de 6 tonnes de combustibles nucléaires usés, le groupe français utilise des emballages de 120 à 130 tonnes alliant acier forgé et résines spéciales [3].

Risques d’incendie et exposition aux radiations

Mais le syndicaliste cheminot n’est pas pour autant rassuré. « Ce qui m’inquiète particulièrement c’est le risque d’incendie. Les wagons Castor peuvent résister à 800°C pendant une demi-heure, mais les récents accidents sur des trains transportant des matières inflammables, comme à Schellebelle (Belgique), Viareggio (Italie) ou Lac-Mégantic (Québec), montrent qu’il peut y avoir des feux bien plus longs et bien plus chauds. » [4] Pourtant, la réglementation autorise les convois avec des wagons de matières radioactives mêlés à d’autres wagons de matières dangereuses. « La seule interdiction c’est de mélanger les explosifs et les radioactifs, précise Philippe Guiter. Et encore, la Commission européenne voudrait lever cette interdiction ! »

Le plus gros risque pour les cheminots n’est pas la perte de confinement d’un wagon, mais plutôt l’exposition aux radiations. Dans une lettre envoyée au collectif Corigat, l’Autorité de sûreté nucléaire se veut confiante. Elle assure que les radiations ne représentent pas de risque tant qu’on ne reste pas plus de 10 heures à proximité du wagon. Mais Anne-Marie Delmas, membre du Corigat et chasseuse de wagons radioactifs, remarque qu’un certain nombre de cheminots ont travaillé toute la nuit du 23 au 24 décembre à moins de deux mètres du wagon pour le remettre sur les voies. « Le lendemain, le wagon Castor a été poussé au fond de la gare. À partir de là, on l’a perdu de vue car il était caché derrière d’autres wagons. D’après le préfet, il est reparti trois jours plus tard. Pendant ce temps, je suis persuadée que beaucoup de cheminots ont été surexposés », observe-t-elle.

Les radiations enfin mesurées pour les cheminots exposés

Pour Philippe Guiter, la surexposition ne fait aucun doute : « Le 23 décembre, un bogie (support des roues du wagon, ndlr) a été endommagé. La SNCF a exigé d’Areva un remplacement. Areva a donc trouvé une grue pouvant soulever 120 tonnes pour transborder le chargement sur une nouvelle plateforme. C’est la première fois qu’Areva fait ce genre de manœuvre en dehors de ses terminaux. Ça a certainement pris du temps. » Mais comme les cheminots n’ont aucun outil pour mesurer la radioactivité, il est impossible de le prouver. L’absence de dosimètre est reprochée de longue date à la SNCF par les militants antinucléaires et par Sud-Rail (lire notre précédente enquête, Transport de matières radioactives : les cheminots du nucléaire s’inquiètent).

« À une époque, nous avions remarqué que les gendarmes mobiles chargés de surveiller les wagons étaient équipés de dosimètres et étaient relayés toutes les 8 heures, se souvient l’adjoint du maire du Blanc-Mesnil. Avec les militants antinucléaire, nous avions revendiqué que les cheminots soient traités comme les gendarmes. » Depuis quelques mois, Philippe Guiter est heureux d’annoncer une petite avancée : la SNCF a lancé une nouvelle campagne de mesure des rayonnements reçus par les agents.

La sécurité menacée par de sévères baisses de budget

Mais sur la gare de triage de Drancy, ce qui inquiète en priorité, c’est la diminution des budgets du fret alloués à la sécurité (voir notre enquête, Sécurité ferroviaire : ces questions qui dérangent la SNCF). Les cheminots se plaignent de la fermeture des ateliers de maintenance, de l’insalubrité de leurs locaux et de l’état des voies. « Cette année, on a perdu 129 agents sur le triage, lance Fabien Bredoux, secrétaire de la CGT des cheminots de Drancy. Nous ne sommes plus que 350. Les normes de sécurité sont là, mais il manque les moyens et les agents pour les mettre en œuvre. » Cette baisse des budgets concerne aussi la formation des cheminots.

Sur la gare, Fabien Bredoux vérifie les wagons. « En 2004, j’ai fait deux ans de formation, souligne t-il. Maintenant, les collègues arrivent après seulement trois mois. » Un manque de formation qui constitue un danger réel face au risque nucléaire. Dans un récent rapport [5], l’ASN pointe « l’absence de formation pour une partie du personnel susceptible d’intervenir à proximité des wagons contenant des substances radioactives. » Alain Ramos, président du Corigat et élu divers gauche à Blanc-Mesnil, ajoute : « C’est certainement une malchance s’il y a eu deux incidents aussi rapprochés sur la gare, mais en tant qu’ancien syndicaliste, je ne peux que les mettre en relation avec la stratégie de rationalisation des coûts de la SNCF. »

Transport de combustible radioactif : bientôt l’autoroute ?

Le fret est bien mal en point. Nationalement, il ne reste plus que quatre grandes gares de triage : Miramas (Bouches-du-Rhône), Sibelin (Rhône), Woippy (Moselle) et Drancy, alors que la seule région Île-de-France en comptait cinq voici une dizaine d’années. Le nombre de gares de triage a tellement diminué que la ceinture parisienne est devenue un point de passage obligé. « Quand le préfet dit que les wagons dangereux ne passeront plus par Drancy, ça me fait rire. Par où vont ils passer ? », note Philippe Guiter. La solution pour éviter la gare de triage, c’est… de prendre l’autoroute.

Par le biais de sa filiale de transport routier, Geodis, la SNCF concurrence elle-même son service de fret. Aux dépens de ce dernier. Drancy a ainsi vu son nombre de wagons triés chuter de 25 % entre 2012 et 2013. « On a une capacité de triage de 2 500 wagons par jour, mais on n’en réalise que 800, pointe Fabien Bredoux. Alors pas question de perdre les wagons dangereux, sinon la direction ferme le site. » Mais comme le fret reste nettement plus sûr que la route, les wagons dangereux représentent une proportion de plus en plus importante dans la part des wagons triés à Drancy.

Beaucoup de matières radioactives circulent déjà sur les routes. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, 89 % des colis sont transportés par camions [6]. Mais ces colis n’ont pas tous la même taille, ni la même dangerosité. « Le transport sur rail n’est utilisé que pour le combustible usagé et les produits issus du retraitement. Cela représente approximativement un tiers des volumes de matières radioactives et 80 % de l’activité radioactive », détaille Guillaume Blavette, membre de Haute Normandie Nature Environnement. Il existe pourtant une exception parmi les colis dangereux. Tous les lundis, des colis de plutonium partent en camion de La Hague (Manche) vers Marcoule (Drôme). Ils traversent ainsi toute la France par autoroute [7]. Une nouvelle version du film Le Salaire de la peur ? Avec beaucoup plus d’effets très spéciaux pour les populations.

Florent Lacaille-Albigès

Photo : CC Hervé Suaudeau via Wikimedia Common

Notes

[1Ce périmètre correspond à la zone qui serait contaminée par une fuite d’acrylonitrile (cyanure de vinyle), un sous-produit extrêmement toxique et polluant de la pétrochimie. Mais dans ce document, le préfet ne prend pas en compte les dangers d’une fuite de chlore qui toucherait plusieurs kilomètres, et ne chiffre pas non plus les dégâts causés par une fuite d’uranium.

[2On peut notamment trouver une brève description des différents incidents survenus en France lors du transport de matières radioactives dans un livret publié par l’IRSN : à lire ici.

[3Pour plus de détails sur l’aspect technique des emballages, il est possible de se référer aux différents schémas de cette note d’information publiée par EDF : à lire ici.

[4Voire aussi cet accident dans le port de Hambourg, en Allemagne.

[5Voir « Éléments de retour d’expérience dans le transport de substances radioactives en France », chapitre 6.3 sur le transport ferroviaire.

[6Voir le rapport Bilan des événements de transport de matières radioactives survenus en France de 1999 à 2011.

[7Pour plus de détails sur les nombreux transports de matières radioactives pour répondre aux besoin de l’industrie nucléaire, il est possible de consulter les cartes du réseau Sortir du nucléaire

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 22:41

CADTM

 

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Antifascistes europeens reveillez-vous ! La peste brune est de retour...

4 mars par Yorgos Mitralias

 


Cette fois il n’y a pas de doute : Monstrueuse et horrible, la menace fasciste est de retour, sans que notre Europe se scandalise outre mesure. La preuve ? Des nazis purs sangs, qui se revendiquent du IIIème Reich et de ses divisions SS et devant lesquels les brutes de l’Aube Dorée grecque font presque figure d’enfants de chœur, occupent des postes parmi les plus névralgiques (ordre public, défense, justice) dans le gouvernement intérimaire ukrainien ! Et en plus, leur présence dans ce gouvernement ne choque point ni nos médias qui se hâtent de les baptiser… « nationalistes » ni nos chers dirigeants européens de tout poil (sociaux-démocrates inclus) qui s’empressent de les reconnaitre comme partenaires tout a fait fréquentables.

En somme, c’est comme si le procès de Nuremberg n’avait jamais existé ! Mais, ce n’est pas tout. Le pire est que les acolytes de ces revenants d’un monde qu’on croyait –à tort- disparu a jamais, se comptent désormais par milliers, se baladent armés jusqu’aux dents dans les rues de Kiev et de Lviv et surtout, sont en train de gagner la confiance d’un très grand nombre de leurs compatriotes. Car paradoxe ou pas, c’est malheureusement un fait que cette révolte authentiquement populaire qui vient de balayer le régime de Yanoucovitch, comprend parmi ses dirigeants les nostalgiques de la collaboration banderiste de Svoboda et –surtout- les néonazis en plein ascension de Praviy Sektor.

Alors, si ces Svoboda et Praviy Sektor font partie du gouvernement ukrainien sans que nos dirigeants européens et nord-américains – comme d’ailleurs nos grands médias et autres institutions internationales - s’en émeuvent trop, ne soyons pas surpris si tout ce beau monde néolibéral accepte demain sans broncher la présence d’un parti comme l’Aube Dorée dans un futur gouvernement grec. Si Dmytro Yarosh, chef de Praviy Sektor, devient le second de Andriy Parubi (d’ailleurs, lui-même fondateur du parti national-socialiste d’Ukraine) a la tête du Conseil de Sécurité Ukrainien, alors pourquoi pas demain le führer de l’Aube Dorée N. Mihaloliakos a la tête du ministère de la défense ou de l’ordre public grec ? Voila donc une raison de plus qui nous fait considérer ce qui se passe actuellement en Ukraine comme un véritable tournant dans l’histoire européenne d’après guerre, un immense saut qualitatif de la menace néofasciste qui pèse désormais sur nous tous.

Mais, il ne s’agit pas seulement de ça. Indépendamment de la tournure que vont prendre les événements qui voient s’ affronter sur le sol ukrainien non seulement la Russie et l’Ukraine (tout autant réactionnaires et inféodées aux oligarques) mais aussi les grandes puissances impérialistes de notre temps, tout indique que les néonazis ukrainiens, déjà puissants, seront les seuls à profiter des ravages que ne manqueront de provoquer tant les politiques d’austérité du FMI que les vents guerriers et nationalistes qui balaient la région. Les conséquences sont tout à fait prévisibles : Les néonazis ukrainiens en armes seront vraisemblablement en mesure d’étendre leur influence bien plus loin que l’est européen et de gangrener l’ensemble de notre continent ! Comment ? Tout d’abord, en imposant, à l’intérieur du camp de l’extrême droite européenne en pleine ascension, des rapports de force favorables au néonazisme militant. Ensuite, en servant comme modèle à exporter au moins dans les pays avoisinants (Grèce inclue) déjà frappées de plein fouet par les politiques d’austérité et déjà contaminées par les virus racistes, homophobes, antisémites et néofascistes. Et évidemment, sans oublier « l’argument » de taille que constituent les milliers et milliers d’armes -lourdes inclues- en leur possession qui d’ailleurs ne manqueront de se faire exporter. La conclusion crève les yeux : C’est l’ensemble du paysage, des équilibres et des rapports de force politiques en l’Europe qui seront immanquablement transformés, aux dépens de syndicats ouvriers, des organisations de gauche et des mouvements sociaux. En mots simple, il y a déjà de quoi faire des cauchemars…

Alors, que faut-il de plus pour que la gauche européenne sorte de sa torpeur actuelle, sonne l’alarme, se mobilise d’urgence et prenne le plus vite possible la seule initiative capable de contenir le tsunami fasciste et fascistoïde qui s’approche : une initiative qui ne peut que viser la création d’un mouvement antifasciste européen, unitaire, démocratique, radical, de longue durée et de masse, qui combine la lutte contre les politiques néolibérales d’austérité draconienne avec la lutte contre la peste brune partout où elle se manifeste. L’heure n’est plus ni aux tergiversations, ni a l’illusion que tout ça se déroule loin de chez nous, ni a l’alibi du train-train antifasciste qui consiste à lutter dans son quartier ou même dans son pays, en s’en foutant éperdument de ce qui se passe de l’autre cote de la frontière. D’abord, parce que même avant l’alarme néonazi ukrainien, la situation en Europe occidentale était –et reste- plus qu’alarmante justifiant pleinement la mobilisation générale contre la montée impétueuse de l’extrême droite. Et ensuite, parce que si nécessaires qu’elles soient, les luttes et les campagnes antifascistes nationales ou régionales ne suffisent plus, ne sont pas a la hauteur des circonstances actuelles tout a fait exceptionnelles et historiques.

En d’autres mots, antifascistes d’Europe, réveillez-vous car il est déjà minuit moins cinq et l’histoire tend à se répéter aussi tragique que par le passé…

Yorgos Mitralias est membre du comité grec de l’initiative du Manifeste Antifasciste Européen (www.antifascismeuropa-ellada.gr)

 

Source : cadtm.org

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 22:26

CADTM

 

Source : cadtm.org

 

La dette, une arme de destruction massive dirigée contre les peuples

4 mars par Pascal Franchet

 

 


Dans le cadre de la journée de débat et de dialogue organisée par le groupe français d’Antarsya à l’École Nationale Supérieure, rue d’ULM à Paris le 2 mars 2014, sur le thème :
« La gauche face à la crise capitaliste et l’union européenne, l’expérience grecque ».
Ont participé à cette rencontre des militants syndicalistes (CGT, FSU) des associations (Ligue des Droits de l’Homme, MRAP) des militants politiques (Syriza, PCF, PG, Ensemble, NPA). Pascal Franchet,vice-président du CADTM France, est intervenu au cours de l’atelier intitulé :
« l’Union Européenne et la crise capitaliste contemporaine », voici son intervention.

Le CADTM a fait de l’annulation des dettes illégitimes et odieuses l’axe principal de ses activités depuis maintenant plus de 20 ans. L’expérience que nous avons des pays du Sud, de la crise de la dette de 1982 et des plans d’ajustement structurel qui ont suivi, nous a prédisposés à construire des réponses alternatives à la crise de la dette que connaissent à des degrés divers les pays du Nord depuis 2009.

Il y a toutefois une différence déterminante entre la crise de la dette des pays du Sud et celle que nous connaissons aujourd’hui en Europe.

Bien que née aux États-Unis en 2007, la crise frappe plus durement le continent européen que les USA. L’ampleur particulière de la crise en Europe tient en la primauté donnée aux intérêts du capital industriel et financier ainsi qu’à la mise en compétition au sein de l’espace européen d’économies tout à fait inégales.

Cela se traduit par la casse des services publics, la mise en concurrence des salariés et le refus d’harmoniser par le haut les systèmes de protection sociale et le droit du travail. Tout cela répond à un objectif précis : celui de permettre l’accumulation maximum des profits, notamment en mettant à disposition du Capital une main d’œuvre la plus flexible et précaire possible.

Cette crise agit comme un révélateur !

Elle démontre que le projet néolibéral pour l’Europe n’est pas soutenable. Ce dernier était fondé sur le présupposé que les économies européennes étaient plus homogènes que ce n’est le cas en réalité.
Les différences entre pays se sont au contraire accentuées selon leur insertion dans le marché mondial et leur sensibilité au taux de change de l’euro.

Le mark a été volontairement sous-évalué lors de la création de l’euro. Le salariat allemand a connu une des plus fortes baisses mondiales de la part qui leur revenait dans la valeur ajoutée produite par le travail. Les exportations allemandes sont ainsi devenues encore plus compétitives sur le marché européen, creusant les déficits commerciaux des économies importatrices les plus faibles.

Les taux d’inflation ont divergé, et les faibles taux d’intérêt réels ont favorisé les bulles financières et immobilières et ont intensifié les flux de capitaux entre pays.
Toutes ces contradictions, exacerbées par la mise en place de l’union monétaire, existaient avant la crise, mais elles ont explosé avec les attaques spéculatives contre les dettes souveraines des pays les plus exposés.

En gros, l’endettement des pays de la périphérie au sein de l’UE est essentiellement dû au comportement du secteur privé encouragé par les gouvernements depuis les années 1980.

L’Union européenne est le maillon faible du capitalisme mondial et sa nature même est un facteur d’amplification de la crise

Maillon faible au sens où l’Union européenne n’est pas un État fédéral doté d’une économie intégrée avec une fiscalité commune, une monnaie commune, un droit du travail commun, une protection sociale commune.

Elle est une construction d’inégalités et de concurrences, érigées en dogmes rois (traités) et visant à privilégier les entreprises des pays dominants (situées en Allemagne et en France pour les principales) au détriment des économies de pays dominés, principalement situés au Sud de l’Europe et dans l’ex-Europe de l’Est, PECO inclus.

L’UE, un facteur d’amplification de la crise

Sa constitution et son mode de gouvernance, où la démocratie la plus élémentaire est écartée d’emblée, en font un terreau idéal du néolibéralisme.

Loin d’apporter son soutien à un de ses membres en difficulté, l’Union européenne a inscrit dans sa constitution l’interdiction de prêter aux États membres pour financer des politiques publiques et choisit plutôt de venir au secours des responsables de la crise financière, les banques privées.

En réponse à la crise causée par des pratiques spéculatives hasardeuses, ce ne sont ni les entreprises qui ont opté pour la financiarisation de leurs actifs et portent la responsabilité de la crise économique, ni les banques et les spéculateurs, fauteurs de la crise financière, qui ont payé la facture.

Au lieu de cela, la classe dominante a imposé aux populations européennes une politique d’austérité sans précédent, s’en prenant aux droits sociaux, y compris les pensions et la législation du travail, avec une virulence particulière dans 4 pays (la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). Il ne s’agit en aucun cas de réduire la dette publique ou d’apporter des réponses structurelles aux causes de la crise, mais de garantir le paiement des créanciers et de construire un modèle de société dans la droite ligne de la pensée néolibérale.

Le « laboratoire grec » a vocation à être le modèle de ce qui doit s’appliquer dans les autres pays européens, tout comme le Chili de Pinochet fut, il y a un peu plus de 40 ans, le terrain grandeur nature de l’expérimentation des thèses de l’école de Chicago.

Main dans la main avec le FMI, la Commission européenne a contourné l’article 125 du Traité de Lisbonne en octroyant, via le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, des prêts à certains États membres de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal et Chypre) pour garantir le paiement des banques privées des pays les plus forts de l’UE.

Ces 2 structures empruntent sur les marchés financiers. En contrepartie, sont exigés : des privatisations, des baisses des salaires et des retraites, des licenciements dans les services publics, la réduction des dépenses publiques en général, sociales en particulier. La Grèce s’est engagée auprès de ses créanciers (UE, BCE et FMI), à procéder à environ 11 500 licenciements en 2014 dans le secteur public après 3 500 déjà effectués en 2013 pour réduire les dépenses publiques et bénéficier de la poursuite des prêts internationaux. 20 000 fonctionnaires ont été déjà placés au chômage partiel ces dernières années, l’objectif étant 25 000 d’ici fin 2014.

La Troïka porte en fait ce que les sociétés transnationales et les firmes financières veulent voir appliqué en Europe. Au coût avéré du capital, elle oppose un coût supposé du travail.

Un traité constitutionnel élastique (3 exemples) !

1) De par son statut, la BCE ne prête pas aux États, mais elle prête aux banques privées. Elle prête à un taux très bas (0,25 à 0,50 %) aux banques privées bénéficiant d’apports directs ou de garanties des États. Ces dernières prêtent ensuite aux ménages et aux entreprises à 3,4 ou 6 %, faisant ainsi jusqu’à 20 fois la culbute. Idem pour les entreprises transnationales du secteur automobile comme PSA (Peugeot) qui, par l’intermédiaire de sa Banque PSA Finances, bénéficie depuis fin 2013 de garanties de l’État français à hauteur de 6,5 Mds d’€ financés par l’augmentation de la TVA (donc par les ménages). La banque PSA Finances prête ensuite aux particuliers à des taux pouvant atteindre jusqu’à 6 % et investit dans des opérations spéculatives. Dans le même temps, le groupe PSA supprime des milliers d’emplois et ferme des entreprises.

2) Les prétextes constitutionnels sont tout sauf rigides. Refusant, au nom de son statut, de financer les politiques publiques, la BCE n’en a pas moins procédé à un rachat d’obligations grecques, irlandaises, espagnoles, portugaises et italiennes dans le cadre du Programme pour les marchés de titres (PMT).

Au 31/12/2013, elle détenait pour près de 190 Mds d’€ de titres de ces pays. Dans un communiqué en date du 20/02/2014, elle indique avoir perçu 962 millions d’€ d’intérêts (contre 1,108 Md€ en 2012). Dont 437 millions d’euros (contre 555 millions en 2012) ont été générés par les avoirs de la BCE en obligations de l’État grec acquises au titre du PMT.

3) Le fameux dogme du seuil de la dette à 60 % du PIB est bafoué depuis son institution. La crise de la zone euro et les orientations institutionnelles et socio-économiques adoptées, soi-disant pour juguler la spéculation des marchés, ont fait des dettes publiques le vecteur de politiques d’austérité qui doivent se traduire en “règles d’or” dans les constitutions nationales, y compris pour les futurs candidats à l’Union.

Pourtant ces dettes publiques sont, en Europe du Sud-est (et de l’Est, en général), bien inférieures à celles de la “Vieille Europe ». Les dettes publiques demeurent très largement en dessous de la moyenne de l’UE28 (environ 85 % du PIB), tout en dépassant 50 % en Serbie, au Monténégro et en Albanie, contre un niveau d’environ 6 % particulièrement bas au Kosovo.

Quelles réponses ?

Les causes de la dette publique sont pourtant clairement identifiées, il s’agit pour l’essentiel :
des « cadeaux fiscaux » accordés aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises ;
des privilèges fiscaux « illégaux » : évasion fiscale, corruption, paradis fiscaux. Pour ces derniers et à titre indicatif, le montant des avoirs européens détenus en Suisse dépassent en 2013 les 1 000 Mds €. Pour la France, la perte de recettes fiscales annuelles est estimée à 17 Mds € /an en moyenne depuis 25 ans ce qui, cumulé, représente un tiers du stock de la dette de l’État (480 Mds € /1500 au 31/12/2013).
des plans de sauvetage des banques depuis l’éclatement de la crise ;
de la dette créée par la dette elle-même, par l’effet boule de neige créé par la différence entre les taux d’intérêt et les taux de croissance des ressources chargées de la financer (1/4 du stock de la dette de l’État en France).

Les dettes qui découlent des budgets rendus ainsi déficitaires ont pour partie une dimension légale mais n’ont servi en rien l’intérêt général, mais l’intérêt d’une infime partie de la population, ce qui leur confère un statut d’illégitimité permettant leur remise en cause et leur annulation.

Les annulations de dettes publiques ne sont en rien un phénomène extraordinaire ou exorbitant. Elles ont jalonné toute l’histoire depuis plus de 5000 ans, à l’initiative des gouvernements ou des mobilisations populaires (147 totales ou partielles depuis la Libération, des milliers selon le FMI depuis 8 siècles).

L’annulation des dettes des États est aussi inscrite dans le droit international qui affirme la souveraineté nationale face aux traités. C’est le rapport de forces qui détermine l’application du droit. C’est tout l’enjeu posé aujourd’hui.

La primauté doit cette fois être donnée à la satisfaction des besoins fondamentaux définis dans les textes de l’ONU. La dette qui rémunère les nantis ne doit pas être payée tant que les besoins fondamentaux de la population ne sont pas satisfaits.

Un gouvernement de gauche devrait dire :
« Nous ne pouvons pas payer la dette en ponctionnant les salaires et les pensions, et nous refusons de le faire. » Après la mise en place d’un moratoire (on arrête de payer), il devrait organiser un audit citoyen afin d’identifier la dette illégitime à annuler qui correspond en général aux 4 éléments déjà cités.
Les causes de cette dette, à quoi elle a servi et à qui elle a profité et profite encore, doivent être rendues publiques pour que les citoyens décident du sort des dettes illégitimes. Pour notre part, nous prônons leur annulation pure et simple. La question des réparations reste ouverte.

Un tel gouvernement devrait aussi profiter de cet audit citoyen pour dresser un cadastre des détenteurs des titres de la dette, chose totalement interdite aujourd’hui. L’identité des créanciers est tenue secrète de par la loi. Les parlementaires qui votent le budget et les intérêts à servir ignorent à qui ces intérêts sont versés. Ce sont les chambres de compensation (Euroclear, Clearstream) qui distribuent l’argent public.

Enfin, le système financier a fait la preuve de sa nocivité sociale. Il faut exproprier toutes les banques ainsi que les autres organismes financiers, les nationaliser et les placer sous contrôle citoyen. Ce contrôle citoyen (ou socialisation) des institutions financières peut se faire efficacement en lien avec les organisations syndicales des salariés des banques et du ministère des finances.
Ce serait également un moyen supplémentaire pour un gouvernement d’assurer un contrôle sur le crédit et sur les flux financiers.

Cette question du contrôle et de l’audit citoyen est pour nous une question centrale.

Pour répondre à la question « Qui doit à qui et pour financer quoi ? », les salariés et la population doivent se réapproprier les politiques publiques au moyen de la démocratie directe.

Les créanciers de nos dettes nationales sont, eux, unis. Ils sont partie intégrante de cette classe sociale pour qui est faite cette Europe.

Contre cette Europe à 2 vitesses, contre cette Constitution au service exclusif de la classe dominante, nous opposons la nécessaire construction de la solidarité internationale pour refonder dans les luttes sociales une nouvelle Europe, en rupture totale avec celle-ci, démocratique, sociale et écologique, une Europe des peuples.

Il y a urgence à unifier les mobilisations sociales à l’échelle du continent et tout particulièrement celles ayant trait à la remise en cause des dettes illégitimes.
Cette solidarité internationaliste doit s’appliquer tout pareillement en faveur de l’annulation des créances européennes envers les pays du Sud.

Pascal Franchet, CADTM France, le 2 mars 2014

 

 

Source : cadtm.org

 

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 22:09

 

Source : france.attac.org

 

 

Les régions Île-de-France et PACA demandent l’arrêt des négociations du grand marché transatlantique
lundi 3 mars 2014, par Collectif Stop TAFTA

 

Alors que les négociations sur le traité transatlantique arrivent à leur 4e cycle la semaine prochaine à Bruxelles (10-14 mars), les deux plus grandes régions françaises viennent de voter pour l’arrêt de ces négociations. Les organisations membres du collectif « Stop TAFTA » se réjouissent de ces décisions et appellent d’autres régions à se prononcer sur ce projet d’accord.

Deux régions ont désormais voté pour l’arrêt des négociations du grand marché transatlantique : la région Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur. En Île-de-France, par 67 voix pour (les deux groupes FDG de la région et EELV), avec l’abstention du MRC et du Parti socialiste, l’UMP et l’UDI refusant de prendre part au vote, le Conseil régional d’Île-de-France a adopté la proposition du groupe PG-Alternatifs d’une demande claire d’arrêt des négociations. Elle s’est du coup déclarée « hors Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TAFTA) ». En région PACA, la demande introduite par les groupes FdG a été rejoint par les votes d’EELV et par les élu-e-s du Parti socialiste dont le président de région lui-même. Le FN a voté contre.

Il s’agit d’une grande avancée. Le projet de grand marché transatlantique que porte le TAFTA n’est pas qu’un traité de commerce ordinaire : il s’agit d’une attaque massive aux principes démocratiques les plus élémentaires. Non seulement les négociations sont conduites dans le plus grand secret mais encore elles sont porteuses de mécanismes inacceptables. Ce projet de traité vise à démanteler les dernières réglementations protectrices des populations qui existent encore. Le mécanisme de règlement des différends prévu permettrait aux entreprises qui le souhaiteraient d’attaquer des collectivités publiques de tout niveau (Etat, collectivités locales ou autres) devant des arbitres privés internationaux au motif que ces réglementations constitueraient des obstacles considérés comme « non-nécessaires » au commerce. Et, le mécanisme de convergence réglementaire interdirait dans l’avenir toute décision de représentants élus qui ne serait pas exactement conforme au traité.

Les membres du collectif StopTAFTA se réjouissent de la décision des conseils régionaux d’Île-de-France et PACA. Nous travaillons collectivement à ce qu’il y en ait beaucoup d’autres. Nous sommes mobilisés et unis pour que ce projet de traité ne puisse pas voir le jour car nous ne pouvons accepter que la démocratie soit laissée aux mains des entreprises transationales et des marchés financiers.

 

P.-S.

Organisations membres du collectif « Stop TAFTA »

Au niveau national : Accueil paysan, Agir pour l’environnement, Aitec-Ipam, Les Alternatifs, Amis de la confédération paysanne, Amis de la Terre, Attac, CADTM France, Cedetim, CGT, Colibris, Collectif citoyen les engraineurs, Collectif des associations citoyennes, Collectif Roosevelt, Confédération paysanne, Convergence citoyenne pour la transition énergétique, Convergences et alternative, Copernic, Economistes atterrés, Ecologie sans frontières, Ensemble, Europe écologie les verts, Faucheurs volontaires, Fédération Nationale Accueil Paysan, Fédération pour une alternative sociale et écologique, Fondation sciences citoyennes, France Amérique Latine, FSU, GAïA SOS planète en danger, Gauche anticapitaliste, Gauche unitaire, Générations futures, Golias, Idle No More France, Jeunes écologistes, Mouvement de la paix, Mouvement des objecteurs de croissance, MPEP, NPA, la Nouvelle école écologiste, Objectif transition, OGM Dangers, Parti de gauche, Parti pour la décroissance, PCF, Réseau action climat, Réelle démocratie maintenant (Indigné-e-s), Réseau environnement santé, Réseau semences paysannes, collectif Semons la biodiversité, Solidaires national, Solidaires douanes, Syndicat national des arts vivants, UFISC, Utopia

Au niveau local : Collectifs locaux anti-gaz de schiste Orb Taurou, Anduze, Pézenas, Castelneau de Guers, Clapiers, Sète, Bassin de Thau, Vigan, Briard, Florac, Montélimar Drôme Sud, Orb-Jaur, Roynac, Toulon, Béziers, Campagnan, Haut-Bugey, Narbonnais, Corbières, Causse Méjean, Jaujac-Ardèche-Lignon, Pays cigalois, Littoral 34, Ardèche, Ain, Pays de Savoie et de l’Ain, Réseau Rhonalpin, Jura, Isère, Lot-et-Garonne, Rhône, Var, Vaucluse, Houille-ouille-ouille 59/62, Écolectif Dégaze Gignac et Environs 34, Montpellier Littoral contre les gaz, pétrole de schiste ! et Basta Gaz Alès, Garrigue-Vaunage, Collectif de Vigilance Gaz de Gardanne, Touche pas à mon schiste, Non aux forages d’hydrocarbures Haut-Jura, Carmen (Château-Thierry), ARPE (69), collectif anti-OGM.

 

Source : france.attac.org

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 18:20

 

Source : blogs.mediapart.fr/edition/camedia

 

Édition : CAMédia
Soutien au lanceur d'alerte Jamesinparis : ne lâchons rien !

De nombreux lecteurs connaissent déjà James Dunne, et l'affaire qui l'oppose à l'entreprise Qosmos, son ancien employeur, licencié pour « faute lourde » en décembre 2012. James est, au sens propre, un lanceur d'alerte qui fait les frais de sa révélation des pratiques « commerciales » de Qosmos, entreprise impliquée par le passé dans des contrats pour fournir aux dictatures de Kadhafi en Lybie et de Bachar El Assad en Syrie des moyens de répression numérique de leur peuple.

Une enquête préliminaire visant son ancien employeur Qosmos, pour Complicité de crimes contre l’humanité, est en cours depuis juillet 2012.

Pour les nouveaux lecteurs, vous trouverez ici un récit récent que James a fait de ce qu'il vit au quotidien.

http://blogs.mediapart.fr/blog/jamesinparis/020314/la-vie-quotidienne-dun-lanceur-dalerte

Son affaire a fait l'objet de plusieurs articles de presse, dont cette double page du Monde :

http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/28/espionnage-de-masse-des-societes-francaises-au-service-de-dictatures_3504014_3224.html

En 2013, un mouvement de solidarité sur Médiapart a été lancé par CAMédia (Collectif d'Abonnés de Médiapart).. Cette solidarité a permis d'aider James Dunne dans sa défense, en participant au règlement des honoraires de son avocat (dans l'affaire du licenciement). A ce jour, sa situation passe vraiment dans le rouge (voir son dernier billet cité ci-dessus), et tous les risques sont possibles, jusqu'à l'impossibilité d'assumer les frais de base (en particulier le loyer) : non seulement les Impôts ont saisi à la source son indemnité Pôle Emploi, mais une deuxièmes affaire judiciaire exige que James prenne un nouvel avocat spécialisé : l’entreprise Qosmos a en effet porté plainte contre lui pour « diffamation », comme elle l'a fait également contre la FIDH et la LDH pour « dénonciation calomnieuse ».

L'idée de CAMédia est de créer avec d'autres associations (les contacts démarrent) un fonds d'aide aux lanceurs d'alerte : notre idée est de pouvoir à plusieurs : 1) définir précisément le notion de « lanceur d'alerte » ; 2) créer des initiatives de soutien (manifestations, réunions publiques de soutien aux lanceurs d’alerte.) et développer des partenariats ; 3) gérer un compte financier spécialement destiné à cet objectif ; 4) verser les aides adaptées aux personnes et aux causes identifiées.

Mais tout ceci prendra du temps, et l'affaire de James Dunne se caractérise aujourd’hui par son urgence. Aussi nous prenons une décision de circonstance, ceci avec l'accord de James : notre association dispose d'un compte bancaire, et nous avons déjà deux lignes budgétaires - celle de l'association, et celle du Fonds d'abonnement solidaire -

Nous allons créer une troisième ligne « lanceur d'alerte » qui permettra de recevoir les chèques destinés pour l'instant à l'aide de James Dunne.

Lorsque la nouvelle structure sera créée, si des fonds restent sur cette ligne, il sera reversé à la nouvelle association.

Les comptes financiers de CAMédia sont régulièrement contrôlés, et dès la prochaine AG (le 16 mars 2014), ils seront présentés aux adhérents.

Dès réception, et devant l'urgence, CAMédia versera donc à James Dunne les sommes reçues dans le cadre de cet appel pour lui permettre de faire face aux frais que sa situation actuelle génère.


Dispositions pratiques :

  • Si vous voulez participer à la solidarité pour James Dunne, faites un chèque à l'ordre de CAMédia, au dos du quel vous marquerez « soutien lanceur d'alerte »

  • Adressez ce chèque à l'adresse parisienne de CAMédia : CAMédia, 100 rue de Charonne, bâtiment D, 75011 PARIS.

Dans son livre consacré aux Lanceurs d’alerte (Don Quichotte éditions, 2014 - p.31-32), Florence Hartmann explique : « Leur prise de parole (…) heurte l’attitude de préservation de la majorité qui commande de ne pas faire de vagues, de garder le silence, de fermer les yeux, de ne pas entrer en conflit avec plus fort que soi. (…)Ils font donc un choix, un choix réfléchi, volontaire, désintéressé pour l’individu qui agit mais effectué dans l’intérêt public, avec la volonté d’en accepter les conséquences. » En prenant ces risques, ils appellent la société à voler à son propre secours en les rejoignant et les relayant dans leur combat.

CAMédia, comme elle l'a fait par le passé, fera régulièrement le point avec James Dunne, et fera sur notre édition un ou plusieurs comptes rendus de cette aide.

Aider James, c'est participer à un acte solidaire et politique : il n'est pas question de laisser faire la mécanique de broyage ! Qosmos a licencié James, mais chacun de nous fera bloc autour de lui pour lui permettre d'aller jusqu'au bout de ce combat, combat qui nous concerne tous et que nous faisons nôtre, et de gagner !

Si vous le voulez bien, faites circuler l'appel dans vos réseaux.

Merci d'avance de votre mobilisation !

CAMédia.

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/edition/camedia

 

 

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Source : blogs.mediapart.fr/blog/jamesinparis

 

La vie quotidienne d'un lanceur d'alerte

 

 

Il est maintenant 4h50. C'est la première nuit depuis octobre 2013 que je n'arrive pas à dormir, devant la tourbillon de pensées et de phrases qui m'assaille...

Je vais essayer donc de coucher des mots sur "papier électronique", malgré une certaine réticence quant à l'entreprise, dans l'espoir d'arrêter et de fixer ainsi les pensées qui m'agitent.

Le contexte

Comme le savent nombreux abonnés de Mediapart, et les lecteurs de certains journaux en France, j'ai été licencié le 13 décembre 2012 pour "faute lourde", pour avoir fait état sur Mediapart de l'implication de mon ancien employeur, Qosmos, dans des contrats dont le but étaient de fournir au régime libyen du Colonel Kadhafi, et au régime syrien de Bachar El-Assad, les moyens de surveillance et d'interception des communications de leurs peuples respectifs.

J'ai été licencié alors que je me trouvais, depuis le 20 avril 2012, en arrêt maladie pour "dépression réactionelle", ayant appris grace à des fuites dans la presse suite au "printemps arabes", l'implication de mon employeur dans ces contrats tout à fait condamnables.

Suite à une plainte déposée conjointement par la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), en mai 2012, visant mon ancien employeur Qosmos, une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet de Paris en juillet 2012, pour "complicité d’actes de torture". Cette enquête préliminaire est toujours en cours aujourd'hui.

On peut lire sur le site de la FIDH, ici :

A la suite des plaintes déposées par la FIDH et la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), en novembre 2011 et mai 2012, à l’encontre des sociétés Amesys et Qosmos, accusées d’avoir vendu aux régimes libyens et syriens des matériels de surveillance qui auraient permis aux services de renseignement de Mouammar Khadafi et de Bachar El Assad de parfaire les moyens de répression à l’encontre de leurs peuples, la justice française a diligenté des enquêtes.

La FIDH et la LDH considèrent que la fourniture de ce matériel pourrait être qualifiée de complicité d’actes de torture dans la mesure où le système de surveillance aurait permis au régime syrien de parfaire les moyens de sa répression à l’encontre de son peuple et lui donner les moyens de cibler toute voix contestataire, avec pour conséquences possibles des arrestations massives de défenseurs des droits humains et d’opposants, et un recours systématique à la torture.

C'est dans ce contexte particulier, alors que je me trouvais en arrêt maladie pour "dépression réactionnelle", et que j'avais été prononcé définitivement "inapte au poste" (que j'exerçais avec succès depuis 7 ans) par le Médecin du Travail, le 30 novembre 2012, que j'ai été licencié le 13 décembre 2012 pour "faute lourde" : pour "manquement à mon obligation de loyauté" et "manquement à mon obligation de confidentialité" envers mon ancien employeur.

Se défendre

Depuis mai 2012, je me bats donc pour me défendre et pour me reconstruire. Et si j'ai retrouvé pleinement la santé aujourd'hui, après une période de 18 mois de traitement pour "dépression réactionnelle", c'est grâce à ceux qui m'ont aidé à vivre aussi bien que possible cette traversée inhabituelle. En plus du soutien moral des abonnés de Mediapart, soutien devenu même matériel depuis le printemps 2013, deux volets essentiels de ce retour à la vie auraient été l'appui intelligent et précieux d'une psychologue de travail, et la défense de mes droits devant les Prud'hommes, défense menée encore aujourd'hui par mon avocat.

Me trouvant à faire face depuis mai 2012 à des frais de psychologue et d'avocat, frais que je ne saurais assumer en temps normal, et encore moins alors que je me trouve depuis décembre 2012 chercheur d'emploi, les sommes normalement allouées dans mon budget depuis avril 2012 aux paiement des impôts sur le revenu, ont été redirigées, par urgence et par nécessité, à assurer des frais exceptionnels que la défense de mon être et de mes droits ont nécessité.

Devant cette situation très particulière, où je me trouvais à la fois acculé de frais supplémentaires que ma sitution générait, et où je me trouvais licencié sans aucune forme d'indemnité et chercheur d'emploi, l'Inspection des Impôts m'a démontré bienveillance et patience pour l'acquittement des impôts payable en 2012 et 2013. Devant ma bonne foi et la particularité de ma situation, le Trésor Public était prêt à attendre la fin octobre 2013, et l'audience prévue aux Prud'hommes, pour le règlement de l'ensemble des sommes dues en une fois : soit un montant de €10 100,00.

Alors pourquoi suis-je en train d'écrire ces mots au petit matin, au lieu de dormir ?

 

La procédure aux Prud'hommes

Lors de l'audience aux Prud'hommes du 23 octobre 2013, mon dossier a été renvoyé "en départage" devant un magistrat professionnel. On peut en lire les compte rendus ici :

http://www.franceinter.fr/les-indiscrets-salarie-licencie-par-qosmos-les-prud-hommes-ne-tranchent-pas

http://www.franceinfo.fr/justice/materiel-livre-a-la-libye-et-a-la-syrie-qosmos-aux-prudhommes-1187731-2013-10-24

http://www.mediapart.fr/journal/france/241013/surveillance-un-ancien-salarie-de-qosmos-devant-les-prudhommes

 

Dans la foulé de l'audience aux Prud'hommes, un dossier très complet a été publié par le journal le Monde, le 29 octobre 2013 :

 

Dossier du Monde du 29.10.2013 
Dossier du Monde du 29.10.2013 © jamesinparis

Espionnage de masse : des sociétés françaises au service de dictatures

Cependant, plus de quatre mois après l'audience aux Prud'hommes, il ne m'a pas encore été communiqué si ce n'est une nouvelle date d'audience. Programmer un rendez-vous d'audience, même pour une date lointaine plus tard dans l'année, ne semblerait pas être considéré une idée utile, pour qui ne soient pas dans l'urgence. Pour moi, c'est un gouffre dont j'ignore la distance à parcourir.

 

Dessin de Aurel

Dessin de Aurel | Pour "Le Monde"

Le prochain saisie de mes comptes

L'Inspection des Impôts m'a signifié au mois de janvier 2014, donc, qu'elle va procéder à la saisi de mes comptes (avis aux tiers détenteur) afin de récupérer les sommes dues au titre de l'impôt sur mon revenu d'autrefois. Ce qui veut dire le saisi de mon "indemnité retour à l'emploi", (n'ayant aucune économies et ne possédant rien). Même pas un compte en Suisse non-déclaré.

Mon recours par écrit à l'Inspecteur des impôts du Centre des impôts dont je dépends, lui demandant d'attendre l'audience prévue (mais pas encore programmée) aux Prud'hommes vient d'échouer. On m'a informé oralement vendredi matin que la saisie de mes comptes va procéder, comme on ferait pour n'importe quel délinquent qui cherche à s'en extraire de son devoir. 

Alors que jusqu'ici, j'ai réussi à éviter une telle situation, d'ici quelques jours ou semaines, l'équilibre précaire que j'ai réussi à maintenir à tout au long de cette traversée, sera pris dans un spiral de factures impayées, de reclamations, de loyers impayés, et d'amendes. Les Prud'hommes, organisés comme la Justice pour être en surcharge, ne peuvent répondre à cette urgence.

Dans la vie d'un lanceur d'alerte, la longeur et la multiplication des procédures est d'une lourdeur inattendue. Jusqu'au moment où je m'en croyais sorti ou presque, le piège se referme donc de nouveau. Plus de quatre mois après le renvoi de mon dossier Prud'hommal devant un Magistrat professionnel, et presque 15 mois après mon licenciement pour "faute lourde", je n'ai toujours pas de nouvelle date d'audience en vue.


Mon prochain mis en examen

Mais le bonheur ne vient jamais seul. Au mois de janvier 2014, j'ai également été convoqué à la Préfecture de Police, ce ui est un premier pour moi.

Je serai "mis en examen" dans les prochaines semaines dans le cadre de deux plaintes pour diffamation, initiées à mon encontre par mon ancien employeur Qosmos en juillet 2013, suite au Dossier du Parisien, Les dictateurs achetaient français.

 

Les Dictateurs Achetaient Français  
Les Dictateurs Achetaient Français © Le Parisien

La mise en examen est "automatique" dans le cadre d'une plainte pour diffamation, m'a-t-on informé, et ne préjuge en rien l'innocence ou la culpabilité de la personne visée. C'est une dérogation au droit commun.

Je n'ai aucun souci à me faire quant au fond, car je n'ai jamais dit autre chose que la vérité dans l'ensemble de ce dossier, et j'aurai gagne de cause, mais il faut passer une fois de plus par là, préparer ses dossiers, se défendre.

Je considère d'ailleurs ces plaintes comme "un abus du droit et une forme d'intimidation", et je l'ai signalé ainsi à la Préfecture de Police lors de ma convocation pour que ce soit noté dans le dossier. C'est une stratégie de communication aussi pour mon ancien employeur : une manière à peu de frais de se faire une virginité en dénoncant publiquement les autres, et en menaçant de plaintes tous ceux qui ose dire ou relayer la vérité. Mais je suis en bonne compagnie, mon ancien employeur a aussi porté plainte contre la Fédération Internationale des Droits de l'Homme et la Ligue des Droits de l'Homme pour "dénonciation calomnieuse"

 

Propos de l'avocat de Qosmos 
Propos de l'avocat de Qosmos © Le Parisien

Alors que ces plaintes sont diffamatoires à mon encontre, et que les propos de l'avocat de Qosmos, tenus dans le même journal : "Il n'y avait aucun matériel ou logiciel Qosmos en Syrie", sont aujourd'hui pour la Justice française des mensonges avéres (voir capture d'écran), c'est à moi de me défendre. (Le dossier du Monde publié depuis, beaucoup plus complet, n'a suscité quant à lui aucune plainte).

J'ai donc depuis quelques semaines un deuxième avocat, spécialisé en diffamation, qui demande une somme forfaitaire de €4800.00 en tout pour me défendre dans le cadre de ces deux plaintes, (ce qui représente des honoraires très modestes pour ce genre de procédure). J'ai donc écrit €2400.00 en chèques-en-bois la semaine dernière (4 x €600.00) pour m'acquitter de la première moitié de cette somme, sans avoir le moindre idée pourtant où je vais trouver l'argent.

 

Là où j'en suis

Si l'Inspection des impôts s'obstine à récupérer les impôts dues en les ponctionnant directement sur mes indemnités de chômage (j'ai reçu un courrier de Pôle-Emploi cette semaine à cet effet), une situation déjà difficile deviendra tout simplement impossible d'ici quelques jours ou semaines. 

"L'éternité c'est longue, surtout vers la fin", réplique Woody Allen dans l'un de ses films.

Et ainsi va la vie d'un lanceur d'alerte. La "fin" devient plus longue que tout le reste.

Mais je n'ai pas de solution magique, qui me permettrait de faire face autrement et mieux à cette rafale incessante de défis sans fin. Voici pourquoi je n'ai pas dormi cette nuit.

 

Paris s'éveille. Et je rêve d'une vie un tant soit "normale".

 

James Dunne

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/jamesinparis


 

 

 

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  • : Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes
  • : Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
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DEPUIS DEBUT AOÛT 2014

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CELA VA A L'ENCONTRE DE NOTRE ETHIQUE ET DE NOS CHOIX


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          Depuis le 26 Mai 2011,

        Nous nous réunissons

                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



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