| 22.12.11 | 11h32 • Mis à jour le 22.12.11 | 15h46
Le nombre de fichiers, en constante augmentation.Assemblée nationale, Infographie "Le Monde"
Les fichiers de police sont comme les jardins : il faut les entretenir. Voilà tout le défi auquel ont bien du mal à faire face les ministères de l'intérieur et de la justice, à lire le rapport d'information des députés Delphine Batho (PS, Deux-Sèvres) et Jacques-Alain Bénisti (UMP, Val-de-Marne), déposé mercredi 21 décembre. Car le jardin est luxuriant : de 58 fichiers en 2009, on est passé à 80 en 2011, dont 45 % attendent d'être légalisés (ils n'étaient que 27 % dans l'attente en 2009). Et le nombre de personnes fichées ne cesse d'augmenter : le système de traitement des infractions constatées (STIC), grand fichier judiciaire, est passé de 3,96 millions de mis en cause en 2009 à 6,5 millions en 2011, et de 28 millions à 38 millions de victimes. Le fichier des empreintes génétiques (FNAEG), de 800 000 à 1,79 million sur la même période.
ILLÉGALITÉ ET MANQUE D'ENCADREMENT, DE CONTRÔLE, DE MOYENS
Les deux parlementaires sont des récidivistes. En 2009, leur premier texte avait fait date. Ils y critiquaient durement le manque d'encadrement, de contrôle, de moyens, et tout simplement l'illégalité de certaines bases de données. Ils y émettaient également une soixantaine de recommandations. Deux ans plus tard, 60% des mesures proposées n'ont pas été prises en compte. Et pas des moindres. La proposition de loi qui avait suivi le premier rapport sur l'encadrement législatif des fichiers a été enterrée.
Autre point noir majeur, les fichiers d'antécédents judiciaires de la police et de la gendarmerie. "Les recommandations sont, à de rares exceptions près, restées lettre morte", regrettent les auteurs du rapport. Ainsi du STIC : "Le flux entrant est mieux mis à jour, juge la députée des Deux-Sèvres, mais pas l'arriéré". De nombreuses fiches erronées vont ainsi être transférées dans le nouveau fichier commun police-gendarmerie, qui doit être prochainement mis en place.
Surtout, le mode d'apparition des fichiers n'a pas changé. Ils sont d'abord créés, développés, puis le ministère se préoccupe de fournir un cadre réglementaire à ces acronymes exotiques. Gesterex (terrorisme et extrémismes violents), Octopus (taggeurs), Corail (police judiciaire), etc. attendent l'arrêté ou le décret qui les régularisera.
Il existe un bon exemple des péripéties des fichiers judiciaires et de police : le FIJAISV, fichier judiciaire automatisé des auteurs d'agressions sexuelles et violentes, créé en 2004. Après plusieurs affaires de viols commis par des récidivistes en 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait souhaité qu'à l'issue de sa peine, le violeur soit "obligé de pointer dans un commissariat, de signaler un changement de domicile". Tollé des magistrats, réticences des sénateurs. Un fichier est néanmoins créé par la loi Perben 2.
FAILLE JURIDIQUE
Sept ans plus tard, le fichier réunit 54 900 personnes, qui doivent justifier régulièrement de leur adresse, en fonction de la gravité des faits. Et comme souvent avec les fichiers, les critères d'inscription ont été élargis progressivement – dans ce cas, à tous les crimes graves. Il mêle donc aujourd'hui un grand nombre de situations, que les forces de l'ordre ont le plus grand mal à hiérarchiser : elles reçoivent, par mois, 2 500 alertes de non justification de domicile des personnes inscrites au fichier. "Trop nombreuses, [les alertes] motivent insuffisamment les services locaux de police et de gendarmerie qui doivent établir la nouvelle adresse du délinquant", notent les rapporteurs.
Quant aux délinquants les plus dangereux, qui devraient chaque mois se rendre au commissariat, une faille juridique empêche leur contrôle : il faut que le suivi soit expressément mentionné dans le jugement, ce que les magistrats oublient de faire. Aujourd'hui, seuls deux personnes fichées sont concernées… Autre bug : 9 000 personnes échappent au contrôle car il ne leur a jamais été notifié.
Dans plusieurs affaires récentes de viols, l'auteur était ainsi inscrit au FIJAISV, et en défaut de justification de domicile. Le rapport décrit le "découragement des forces de l'ordre" qui se retrouvent mises en cause lorsque ce type d'incidents est révélé au grand public. Et Delphine Batho de conclure : "Plutôt que de créer des nouveaux fichiers, comme la base de données de reconnaissance faciale que certains proposent, il vaudrait mieux travailler à la modernisation des outils existants."
Laurent Borredon