Rio de Janeiro, de notre envoyé spécial
Le Sommet des peuples et de la société civile a ouvert ses stands et amorcé ses réunions dès ce vendredi 15 juin. La conférence Rio+20 des ministres et des chefs d’Etat attendra, elle, le 20 juin pour se terminer au bout de trois jours, sauf si les dernières négociations qui commencent lundi se révèlent par trop difficiles.
Ces rencontres officieuses et officielles sont curieusement présentées par les associations et les Nations unies sous l’appellation Rio+20, en référence à celle qui s'est tenue dans cette ville en 1992. Comme si la Conférence mondiale de Johannesburg de 2002, au cours de laquelle Jacques Chirac s’illustra avec sa célèbre phrase « La maison brûle et nous regardons ailleurs », n’avait jamais existé. Comme s’il fallait aussi oublier que tout a commencé en 1972 à Stockholm, avec la première Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement.
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Comme lors des réunions mondiales précédentes consacrées à l’état environnemental de la planète, les discours et les propositions faites à Rio+20 vont illustrer les fossés de plus en plus profonds qui se creusent entre les aspirations de la société civile, les revendications des Peuples Premiers, les égoïsmes des Etats et les convoitises des grandes entreprises rêvant de « marchandiser » la nature et les ressources naturelles.
S'il existe une différence essentielle entre la conférence de Stockholm-1972 et celle de Rio de Janeiro-2012, elle réside d’abord dans la nature des rapports entre les participants officiels et la société civile. En 1972, la distance pour aller du centre de conférence des chefs d’Etat aux forums et rencontres des associations n’était que de quelques centaines de mètres, à parcourir à pied. Nulle mesure policière ou sécuritaire ne séparait les uns des autres.
En 2012, il faut près d’une heure d’autobus pour aller de l’une à l’autre, puis montrer patte blanche et accréditations longuement vérifiées. L'évolution en dit long sur l’altération de la qualité des échanges entre les politiques et ceux qui contestent leurs inactions.
A Stockholm, il y a quarante ans, les uns pouvaient aller s’exprimer chez les autres, et réciproquement. Un ministre, voire un chef d’Etat ou de gouvernement, n’hésitait pas à venir affronter les contestataires et discuter pied à pied avec eux. Ce qui, par exemple, donna un splendide dialogue entre Indira Gandhi, première ministre de l’Inde, et une salle parfois houleuse de militants.
Au-delà des décisions prises ou repoussées à plus tard, Stockholm fut donc une fête de la parole, un véritable festival de révélations et d’échanges sur l’état du monde, les pollutions, les destructions, la démographie, les famines, l’agriculture, la baisse déjà constatée de la biodiversité, le mauvais état des mers, la régression de la forêt amazonienne, le sous-développement ou le (mauvais) sort trop souvent réservé aux Peuples Premiers.
Toutes les questions qui motivent aujourd’hui la mouvance environnementaliste, y compris celle du réchauffement climatique, étaient déjà posées. Et tous les jours, un quotidien associatif (il y en eut d’autres) financé par les Suédois sans aucune contrepartie ni censure, et sous-titré « L’environnement c’est de la politique », rendait compte des affrontements idéologiques au sein de la société civile et entre les officiels. L’écologie politique restait balbutiante en France, ce qui peut expliquer que les associations françaises aient été si peu représentées dans une conférence largement dominée par les Anglo-Saxons et, aspect plus surprenant, par des militants et des délégations de ce que l’on appelait encore le tiers-monde.
Le 14 juin 1972, à l’issue d’une conférence qui ne dura pas trois jours comme en 2012 mais une dizaine, un cortège bariolé de milliers de jeunes a parcouru la ville. Sans escorte policière, même lorsque les premiers rangs, plutôt dénudés, parvinrent au pied des marches de la conférence officielle...
Ils apportaient une résolution demandant « un moratoire arrêtant pendant dix ans le meurtre de tout être humain » et souhaitant que les responsables politiques « reconnaissent que l’Homo sapiens est une espèce en danger et proclament dans l’allégresse un moratoire de dix ans à la chasse, au massacre et à l’empoisonnement de l’environnement des êtres humains ». Ils furent accueillis, sans présence policière, par le « patron » de la conférence, le Canadien Maurice Strong, qui se dit entièrement d’accord avec le contenu de la résolution.
Il faut évidemment faire la part de la récupération dans cette étonnante rencontre mais, quelles qu’aient été les arrière-pensées des uns et des autres, la scène illustrait parfaitement l’atmosphère d’une conférence qui vit les militants et la jeunesse faire pression sur les gouvernements et être, sinon écoutés, au moins entendus.
Pour le reste, malgré l’opposition, soulignée par les leaders du tiers-monde, entre les pays développés inquiets des destructions et pollutions et les pays du Sud en besoin de développement contre la misère, la Conférence adopta des mesures ou des résolutions qui seraient encore aujourd’hui considérées comme novatrices ou révolutionnaires. Qu’il s’agisse des ressources naturelles, des rejets toxiques, de la préservation de la flore et de la faune sauvage, de la pollution des mers, de la surpêche, des catastrophes naturelles, de la stabilité des prix agricoles et des matières premières, de l’action des organismes internationaux, de l’indemnisation des victimes de pollution ou de la fin de l’impérialisme des nantis.
Tous ces points étaient précisés et développés dans une déclaration en 25 articles dont la négociation dura plusieurs jours et plusieurs nuits. Car, an contraire de ce qui se passe désormais, elle n’avait pas été rédigée à l’avance par des technocrates internationaux. La déclaration aboutit à la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) qui reste hélas valable. Un organisme dont Maurice Strong devint le directeur et qui me déclara notamment au cours de l’été 1974 au Kenya où s’installait le PNUE :
« Le premier objectif est d’amener les pays à parler de ce problème qui gêne tout le monde. Il était important de regarder les situations en face, de rappeler qu’il était un peu trop facile – ce que font les grandes puissances dans ce domaine comme dans d’autres – de ne blâmer que les pays en voie de développement. Il y a des prises de position politiques officielles fort justifiées... et la réalité. La Chine en est un exemple. Seule une attitude réaliste dans ce domaine comme dans les autres, nous permettra de faire face aux questions posées par la dégradation de notre environnement, il ne faut pas se le cacher. Il ne s’agit plus de rêver de l’abondance mais d’organiser la survie, de lutter – sur tous les plans – pour empêcher des centaines de millions de gens de mourir. Sans oublier que ces menaces et les pollutions, avant d’être des agressions physiques, engendreront des tensions sociales et politiques insupportables. »
Les écrits confidentiels et très pessimistes de Brice Lalonde, directeur exécutif des Nations unies pour cette conférence Rio+20, montrent que si la prise de conscience de l’opinion publique a progressé, celle des chefs d’Etat a beaucoup régressé...