
(Marseille, correspondant). Un millier d'habitants des quartiers nord de Marseille ont manifesté, samedi 1er juin, pour dénoncer la violence qui frappe les cités et réclamer un "plan Marshall" pour cette partie pauvre de la ville. Un défilé très bon enfant mais plein de gravité, les parents d'enfants victimes de règlements de comptes ouvrant la marche. En guise de coup d'envoi de la manifestation, les mères de famille de la cité La Savine ont chanté un texte qu'elles avaient composé :
"Ils n'ont jamais eu de travail, ils ne savent même plus sourire. Il n'y a même plus d'espoir dans leurs yeux si grands. Les enfants de nos quartiers embarqués sur un navire qui n'a plus ni voile ni avenir attendent le vent..."
Porte-parole du Collectif du 1er juin, Yamina Benchenni a résumé la philosophie de ce mouvement : "On ne veut plus pleurer, on ne veut pas plier. On veut s'organiser pour que les choses changent véritablement". Les mères de famille et les adolescentes composaient l'essentiel de la marche, les jeunes arborant des banderoles : "Font Vert, stop à la violence" ou énumérant simplement les noms des cités.
"LA MARMITE BOUILLAIT DEPUIS UN MOMENT"
Le Collectif du 1er juin s'est structuré depuis la fusillade de la cité Les Bleuets, un mercredi en milieu de matinée. Le 13 mars, sous les yeux des habitants et des enfants de la tour K, deux jeunes hommes ont été assassinés à la kalachnikov et un troisième blessé. "La marmite bouillait depuis un moment, explique un militant. Les mamans disaient qu'il y en avait assez de pleurer dans les marches blanches et qu'il fallait faire quelque chose".
Les mères de famille du collectif se connaissent pour s'être fréquentées tout au long de la scolarité de leurs enfants. Elles sont rejointes par des militants associatifs, directeurs de centres sociaux, éducatrices dont certaines, telle Yamina Benchenni, avaient pris part à La Marche pour l'Egalité et contre le racisme de 1983. Une plateforme de vingt-trois propositions concrètes se bâtit à partir de multiples rencontres et réunions.
Dans le sillage de la souffrance née de la mort violente de garçons souvent très jeunes s'exprime "un sentiment de ras-le-bol des réponses pas du tout adaptées" à des questions comme le chômage, le décrochage scolaire, la formation. "Il y a quelque temps, raconte Fatima Mostefaoui, j'apprends qu'il reste huit places en formation Greta au lycée Diderot. J'y emmène deux jeunes intéressés. Mais il faut passer par la mission locale. Les obstacles administratifs ont fait qu'un des jeunes a abandonné le projet, le second est en prison".
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"D'UN CÔTÉ ON A LE CLIENTÉLISME, DE L'AUTRE LE FRONT NATIONAL"
Accueillis dans les rangs de la manifestation, les élus ont été invités à ne pas occuper le "carré de tête" réservé aux mères de famille et à ne pas porter d'écharpe tricolore. Le clientélisme est dénoncé par le collectif comme un mal endémique des quartiers nord. "Pour voir leur demande de logement avancer, certaines familles seraient prêtes à aller coller des affiches", raconte Yamina Benchenni, selon laquelle "on est pris en étau. D'un côté on a le clientélisme, et de l'autre le Front national qui a déjà proposé des milices. Si on dénonce l'un, ça fait monter l'autre".
La condamnation récente de Sylvie Andrieux, députée (PS) de ces quartiers, pour avoir détourné des subventions du conseil régional à des fins clientélistes illustre "ce que nous vivons au quotidien". Les jeunes y ajoutent leur écœurement d'avoir vu "se gaver" les policiers de la brigade anticriminalité nord dont une vingtaine sont mis en cause pour corruption, vol et trafic de stupéfiants.
Débutant par "Nous souhaitons", les vingt-trois propositions du collectif ont été remises à l'issue de la manifestation aux préfets à l'égalité des chances, Marie Lajus, et de police, Jean-Paul Bonnetain.
La principale demande vise "la mise en place d'une instance officielle de dialogue et de travail permanent au plus haut niveau". "Ni victimes, ni complices, nous souhaitons être des acteurs de notre avenir" ont expliqué les membres de la délégation.
Certaines demandes sont qualifiées d'urgentes comme l'ouverture cet été des piscines, des gymnases, des terrains de sport, la gratuité des transports pour les jeunes pendant les vacances d'été ou encore l'interdiction de vente d'alcool dans les épiceries de nuit, "véritables sas de contamination pour les jeunes". Des mesures sont sollicitées en matière de soutien scolaire, d'égalité face aux services publics entre quartiers nord, pauvres, et quartiers sud, aisés, de réactivation des Points écoute destinés à la lutte contre les toxicomanies, une meilleure prise en charge de la maladie mentale...
Face au constat que "les ados sont durs" et au nombre important de familles monoparentales, le collectif considère que l'ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs doit être largement utilisée pour que "les jeunes qui cèdent à l'attractivité des réseaux et en subissent ensuite l'emprise soient protégés et leurs familles soutenues". La promesse est faite de rester mobilisés après cette marche car "la seule intervention répressive et pénale - actuellement en cours dans les différentes zones de sécurité prioritaires - ne peut répondre à la situation, même si elle démontre une certaine efficacité".