C’est donc désormais officiel : il n’y aura pas de loi sur l’encadrement des salaires des grands patrons. Celle-ci avait pourtant été promise dans le feu du scandale des rémunérations de nababs qui agrémente l’histoire du CAC 40.
En juillet dernier, encore sur la lancée des premières mesures encourageantes prises au lendemain de l’élection de François Hollande (notamment dans le domaine fiscal), le gouvernement avait limité par décret les salaires des dirigeants d’entreprises publiques à 450.000€ par an.
Cela laisse des émoluments qui feraient rêver bien des citoyens ordinaires. Mais un tel niveau de salaire est à des années lumières de ce qui se pratique dans ces lieux où l’on considère que le niveau du Smic met en péril l’économie nationale. Jusqu’à preuve du contraire, les personnes concernées n’ont pas fui la France, et elles n’ont pas monnayé leurs talents à l’étranger, témoignant ainsi qu’il reste quelques esprits sereins et réalistes dans l’élite.
C’est plutôt rassurant.. Les dirigeants d’entreprises publiques ont continué à assumer leur responsabilité en prenant à leur compte une partie un effort de « rigueur » autrement douloureux pour d’autres, et voilà tout.
Certes, par définition, on ne peut pas appliquer la même logique aux entreprises privées. Mais la foire aux vanités financières étant ce qu’elle est, le gouvernement avait décidé d’encadrer les dispositifs de rémunération afin que le mot « justice », déjà bien galvaudé, puisse conserver un minimum de sens pour le plus grand nombre.
Le schéma envisagé restait modeste, loin des exigences d’un Mélenchon rêvant d’instituer un salaire maximum. Mais au yeux du patronat bling bling c’était encore trop.
Christine Boutin aime à rappeler qu’à ses yeux « il y a une loi supérieure à la loi de la République », ce qui constitue une extrapolation pouvant justifier n’importe quel putsch. Eh bien, pour le patronat, la loi du marché est supérieure à celle de la République, et l’on doit en rester là.
Pierre Moscovici, nolens volens, a dû endosser un concept surréaliste apparu sous la présidence de Laurence Parisot, celui d’ « autorégulation ». Il faut laisser nos amis les grands patrons s’autoréguler à des niveaux de salaires qui feraient tourner la tête à n’importe quel chef d’entreprise petite ou même moyenne. Le Medef a même accouché d’un « code éthique » (sic) autant respecté que la vérité par Jérôme Cahuzac. Ledit code a été béni par Pierre Moscovici, à charge pour les PDG de s’en tenir à une décence qu’ils ont toujours violé.
Certes, les scandales de ces dernières années ont incité à une (très) légère retenue, d’autant que les syndicats de salariés et les assemblées d’actionnaires demandent des comptes à ceux qui ont l’habitude de n’en rendre qu’à leurs pairs.
Mais il eût été souhaitable, juste, et nécessaire, d’en passer par la loi afin de mettre un minimum d’ordre là où règne le désordre de la finance folle, et d’en finir avec des pratiques (stock options, dividendes, retraites chapeaux) qui sont un défi à la justice. Comment peut-on faire du « coût du travail » l’ennemi public numéro 1 quand le « coût du capital » est considéré comme intouchable ?
Malheureusement, on en restera aux vœux pieux et aux bonnes intentions. Ce n’est pas vraiment une surprise. Quand François Hollande choisit de rendre hommage à un Gerhard Schröder passé de l’hymne à l’austérité au conseil d’administration de Gazprom, où il est largement rétribué par Poutine, c’est un signe qui ne trompe pas. C’est la preuve que l’on a choisi de caresser dans le sens du poil la finance dénoncée sur les estrades de campagne électorale.
Maurice Lévy (Publicis), Carlos Ghosn (Renault-Nissan), Bernard Arnault (LVMH) Franck Riboud (Danone) et tous les prolétaires du CAC 40 pourront continuer à faire comme bon leur semble, en n’ayant de comptes à rendre qu’à leur conscience, laquelle n’est pas cotée en Bourse. Au mieux, ils verseront leur écot comme les bourgeoises d’antan donnaient la pièce aux pauvres, au sortir de la messe.
Naguère, du temps où Renault était encore installé sur les rives de la Seine, la gauche disait qu’il ne fallait pas désespérer Billancourt. En préférant ne pas désespérer le Fouquet’s, le PS risque de perdre un peu plus de son crédit dans les couches populaires sans en gagner dans un grand patronat qui le considèrera toujours comme un intrus. C’est une forme de double peine.