Par Laurence Dequay
Et pourtant. Au moment même où des milliers de Maurice K. reprochent au service public de les négliger, ce dernier renonce officiellement, faute de budget et faute de troupes, à convoquer mensuellement ses 4,73 millions d'inscrits. C'était pourtant, en 2008 encore, la grande ambition du nouveau service de l'emploi (né de la fusion entre l'ANPE et les Assedic) : offrir, comme en Angleterre ou en Allemagne, un soutien suivi et individualisé à chaque inactif. Mais, quatre ans plus tard, on est encore très loin des performances de nos voisins aux derniers pointages, Pôle emploi disposait d'un ratio de 71 agents à temps plein pour 10 000 chômeurs, contre 113 en Grande-Bretagne et 110 outre-Rhin.
Renoncements contraints
Et les choses ne sont hélas pas près de s'arranger. D'abord parce que le sous-emploi de masse est en train d'enrayer totalement ce service public, dont les bénéficiaires comprennent de moins en moins le fonctionnement. Ces derniers temps, en effet, Pôle emploi a dû faire face à une explosion du nombre de ses inscrits (+ 7 % au premier semestre 2012), tandis que le nombre d'offres de recrutement, lui, chutait.
Ajoutez à cela que la qualité des jobs proposés, elle, s'est drastiquement dégradée en 2011, 11 millions de contrats portaient sur une durée inférieure à une semaine et vous comprendrez pourquoi, désormais, 62 % des dossiers traités par Pôle emploi concernent les cas complexes de chômeurs enkystés comme Maurice K. dans un dispositif dit d'« activité réduite », cumulant, au mois le mois, des petits jobs éphémères aux salaires ultrachiches, avec un peu d'allocation de retour à l'emploi (ARE), une pincée de revenu de solidarité active (RSA) ou encore un bout d'allocation spécifique de solidarité (ASS). Un dispositif si alambiqué que, selon la dernière enquête de l'Unedic, 92,4 % des bénéficiaires en ignorent les règles précises d'indemnisation ! Et, côté administration, c'est une galère sans nom.
« Cette énorme surcharge de travail embourbe Pôle emploi », s'alarme ainsi Jean-Louis Walter, médiateur de ce service public, et ancien secrétaire général de la CFE-CGC. De sorte qu'en cette rentrée les 32 000 conseillers en charge de l'accueil des chômeurs ne consacrent que deux ou trois demi-journées par semaine à cette activité.
propositions de postes rares
« La nouvelle majorité a beau avoir fait de la lutte contre le chômage une priorité nationale, c'est le serpent qui se mord la queue, critique Emmanuel M'Hedhdi, du SNU Pôle emploi FSU. Comment allons-nous convaincre en 2013 des patrons d'embaucher des jeunes en contrat d'avenir ou de génération si nous ne connaissons pas précisément leurs besoins ? » Même constat du côté du médiateur, Jean-Louis Walter, qui regrette que la collecte des postes disponibles « soit devenue la variable d'ajustement de l'activité de Pôle emploi ». « Quand un conseiller n'a pas d'offre à transmettre à un chômeur, tous les discours qu'il lui tient sur la nécessité de se former tombent un peu à l'eau », ajoute cet Alsacien de 60 ans à la bouille ronde.
formations opportunistes
Car, on peut le regretter, Pôle emploi propose surtout des formations opportunistes, sur les métiers dits en tension BTP, commerce, aide à domicile, ou des préparations opérationnelles sur des embauches ciblées. Par ailleurs, tout le dispositif de formation des chômeurs est pénalisé par le naufrage de l'Afpa, une association à but non lucratif qui dispense de l'apprentissage aux métiers manuels, avec laquelle Pôle emploi collabore fructueusement depuis des décennies.
Chômage de masse qui enraye la machine, manque de temps et d'agents pour s'occuper des demandeurs d'emploi et pour dénicher des offres, dégradation du dispositif de formation... A ces problèmes structurels lourds s'ajoutent des aberrations administratives qui pourrissent la vie des chômeurs. A ce titre, l'exemple des « contrôles suspensifs » est édifiant : les malchanceux tirés au sort par Pôle emploi (pour vérifier la régularité de leur situation) sont privés d'indemnités pendant la durée des contrôles. « Les chômeurs ont beau être patients dans leur très grande majorité, c'est le genre d'épreuve qui fait monter la tension au guichet ! » se désole Suzanne, conseillère dans le sud de la France, où les arrêts pour maladie de ses collègues repartent à la hausse...
Fragilité financière
Dans cette veine kafkaïenne, on peut également signaler l'absurdité des radiations rétroactives : souvent, les ordinateurs biffent les demandeurs d'emploi de leurs listings sans attendre que le chômeur reçoive un courrier motivant sa désinscription, comme le voudrait la loi (2). Un dysfonctionnement qui plonge certains dans une grande fragilité financière certains chômeurs apprenant dix ou vingt jours plus tard que leurs subsides ont été coupés. « Cette pratique nous expose à de nouvelles poursuites judiciaires », prévient Jean-Louis Walter. Mais l'Unedic, par pingrerie, préfère attendre la sanction du Conseil d'Etat pour l'interdire. Bravo, les partenaires sociaux !
Pour ces petits scandales du quotidien comme pour les problèmes structurels, syndicats et patronats ont du pain sur la planche. Et les discussions qui s'ouvrent ces jours-ci sur la sécurisation de l'emploi seront décisives. « Si on ne nous donne pas plus de moyens, nous allons droit dans le mur », martéle le secrétaire général de l'Unsa Pôle emploi, Dominique Nugues. Rêveur, il se souvient que, pendant la présidentielle, le député PS Alain Vidalies, alors pressenti pour la Rue de Grenelle, n'excluait pas d'aller plus loin que les 10 % des cotisations reversées aujourd'hui par l'Unedic à Pôle emploi, afin de passer le périlleux cap de 2013. Une audace bienvenue qui permettrait peut-être à Maurice K. et à des milliers d'autres de retrouver un travail...
* Le prénom a été modifié.
(1) Pôle emploi : de quoi j'me mêle, de Gaby Bonnand, éditions de l'Atelier.
(2) Les chômeurs en difficulté peuvent s'adresser au site recours-radiation.fr