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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 16:48

 

 

Médiapart - Blog

Préserver l’autre exception culturelle :

le droit des entreprises en difficulté au service de l’activité et de l’emploi

 

Dans sa dernière édition en date de juin 2013, le Conseil d’analyse économique (CAE), sous la plume de MM. Plantin, Thesmar et Tirole, consacre une note sur « les enjeux économiques du droit des faillites » (à télécharger en bas de ce document). Il est toujours vivifiant que des spécialistes d’une matière s’immiscent dans une autre. Ils peuvent apporter une vision différente et renouvelée. Cette immixtion permet également de mettre en exergue la pensée sous-jacente du spécialiste qui empiète le domaine du voisin. Pour le dire simplement, l’analyse économique qui prévaut en la matière dénote une méconnaissance de la pratique et du droit des entreprises en difficulté.

Ce sera la première observation. En décidant de s’intéresser au « droit des faillites » et non au « droit des entreprises en difficulté », le CAE commet soit un anachronisme, soit révèle ses véritables intentions. Anachronisme car depuis le Code de commerce de 1810, le droit a connu une lente évolution qui a consisté à distinguer l’homme de l’entreprise, limiter les intrusions des créanciers qui se comportaient trop souvent comme des charognards et permettre le redressement de l’entreprise par le maintien de l’activité et de l’emploi. En 1985, la loi Badinter a achevé cette évolution. Depuis lors, on constate une remise en cause de ces principes pour revenir par touches successives à une procédure collective au service des créanciers[1]. Et c’est bien l’objectif avancé par la note du CAE : sous prétexte d’un « rééquilibrage des procédures » c’est un grand retour en arrière qui est proposé en faveur exclusivement des créanciers. En effet, la note préconise que les créanciers «  puissent contrôler la durée des procédures, qu’ils aient la faculté de rejeter rapidement les plans de réorganisation du débiteur et de formuler des contre-propositions qui forcent éventuellement la dilution des actionnaires (par exemple par la conversion de dettes en actions) ».

Appelons un chat un chat. Derrière le vocabulaire aimable de « créanciers » se cache en réalité l’identité des banquiers qui deviennent, encore un peu plus, maitres de la vie et de la mort des entreprises et seraient susceptibles, pour les dossiers importants, de jouer au mécano industriel dans le seul intérêt de défendre leurs droits.

Là, les auteurs introduisent une information qui, loin de justifier leur présupposé, vient le priver de toute efficacité. En effet, ils constatent que « les crédits portés par les entreprises ayant été défaillantes en 2012 ne représentent que 0,5 % de l’encours total de crédit aux entreprises (1,4 % pour les PME). Ce montant est stable, à peine supérieur à son niveau antérieur à la crise de 2007. La faible fréquence des événements de crédit, pour les entreprises françaises, ne doit cependant pas conduire à sous-estimer l’importance des règles de gestion de la défaillance dans l’équilibre du contrat de dette ». Certes, mais cet « équilibre » (le mot fait sourire tant le rapport de force joue en faveur des prêteurs) n’est il pas couvert par les intérêts versés par l’emprunteur qui rémunèrent le risque pris par la banque ? Autrement dit, en plus d’une position de force économique, on souhaite établir un déséquilibre juridique pour limiter non seulement la volonté des débiteurs mais également le pouvoir d’appréciation des juges.

 

            Car c’est là une rupture significative avec la tradition française. En effet, le rapport du CAE propose que  « le juge ne puisse approuver un plan sans un soutien suffisant des classes de créanciers pivots – celles dont les créances sont partiellement, mais pas intégralement couvertes par l’actif disponible selon le plan ». Dit plus simplement, le pouvoir du juge se trouve encadré par la volonté des créanciers réunis en comité. La rupture vient aussi dans le choix des juges consulaires. Le rapport prend parti sur la réforme annoncée de la juridiction commerciale : « l’introduction de juges professionnels en première instance n’est pas le remède adapté aux dysfonctionnements relevés dans les Tribunaux de commerce compte tenu de leur distance vis-à-vis du monde de l’entreprise. Nous privilégions une réforme du statut des juges élus, de leurs obligations en matière de formation juridique, ainsi que du traitement des conflits d’intérêts ». Suis-je un esprit mal intentionné si je comprends en filigrane que les juridictions des faillites devraient être réservées … à d’anciens juristes de banques ?

 

            Parmi les autres ruptures avancées, le rapport du CAE propose « d’adapter le droit des faillites du XXIème siècle et redéfinir les « super-privilèges ». Derrière les formules euphémistiques se cache une nouvelle remise en cause des dernières protections des salariés dans un mouvement évidemment moderne, fluide et où le rêve de certains est en passe de se réaliser : produire de la richesse sans mains d’œuvre, les fameuses usines sans ouvrier !

 

            Enfin, la conclusion du rapport pourrait être presque prêtée à sourire. Le grand retour de la toute puissance des créanciers dans les procédures collectives de paiement, au détriment du redressement des entreprises et de la sauvegarde des emplois, se trouve justifier par le « contexte post-crise de réduction de la taille des bilans des institutions financières ». Il appartient donc aux entreprises en difficulté de supporter les errements et les gaspillages de la finance. Ce n’est pas sérieux !

 

            Ce document doit se comprendre comme une nouvelle offensive idéologique tendant à remettre en cause des pans entiers de notre droit au nom d’une modernité qui est le masque souriant d’une réaction et au nom d’un isolement supposé de notre droit qu’il reste à démontrer, tant l’influence de la loi Badinter de 1985 a été grande dans de nombreux pays.

 

Il faut ici réaffirmer la conception rhénane du capitalisme qui s’oppose au capitalisme anglo-saxon : le droit de la propriété n’est pas l’alpha et l’oméga de la pensée juridique. De même, l’intérêt social d’une société englobe non seulement l’intérêt de propriétaires (associés, actionnaires et/ou créanciers) mais aussi celui de ses parties prenantes, à savoir notamment ses salariés et ses cocontractants habituels. Dans la recherche du juste équilibre des intérêts en présence, le juge doit veiller à n’en privilégier aucun exclusivement et à trouver toute mesure afin de préserver (notamment en période de difficultés) l’emploi, l’activité et la pérennité de l’entreprise.

 

Christophe Lèguevaques est avocat au Barreau de Paris.

 


 

6 PROPOSITIONS POUR UNE REFORME DU DROIT DES FAILLITES

 

Proposition 1. Faire de la maximisation de la valeur totale de l’entreprise l’objectif privilégié des procédures collectives.

 

Proposition 2. Dans le cadre des procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde, classer les créanciers en fonction de leur rang et mettre la décision finale entre les mains de la classe pivot.

 

 

 

Proposition 3. Réduire le pouvoir de négociation des actionnaires dans les procédures en amont de la liquidation judiciaire.

 

Proposition 4. Créer la possibilié d’opter, au moment où le crédit est accordé, pour un régime dérogatoire d’administration séquestre.

 

Proposition 5. Préférer une réforme de la justice consulaire à un rôle accru des magistrats professionnels dans le droit des faillites

 

Proposition 6. Adapter le droit des faillites aux défis du XXIe siècle : redéfinir les « super-privilèges », infléchir le droit des groupes, poursuivre la suppression des stigmates des faillites et favoriser une convergence européenne pour limiter l’arbitrage réglementaire.

 Notes du CAE, n° 7, Juin 2013

 

 


[1] Christophe Lèguevaques,Le sort des créanciers après la loi de sauvegarde des entreprises : entre renforcement des droits et allègements des devoirs ? Petites affiches, N° Spécial, « Regards croisés de praticiens sur la loi de sauvegarde », 17 février 2006 - No 35, p. 63 et s.

Fichier attachéTaille Conseil_dAnalyse_Economique__Les_enjeux_economiques_du_droit_des_faillites_Note_du_CAE_ndeg7_juin_2013.pdf 80.21 Ko Note_CAE-note007_droit_des_faillites.pdf

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