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30 janvier 2014 4 30 /01 /janvier /2014 18:09

 

Source : www.mediapart.fr

 

Le monde fou, fou, fou des banques centrales

|  Par Philippe Riès

 

 

 

Le choc financier reçu actuellement par nombre de grands pays émergents, de la Russie à la Turquie en passant par l'Argentine et le Brésil, est une retombée de la politique monétaire des principales banques centrales, surtout la Fed. Les « gardiens de la monnaie » se transforment en pompiers pyromanes.

Les armes de destruction massives font des victimes collatérales. Il en va de même de l’arme monétaire dont les principales banques centrales, celles des pays ou zone « avancés », font un usage brutal, aveugle, indistinct depuis l’éclatement en 2007 de la crise financière globale. Le passage en « mode panique » des grands pays émergents, atteints les uns après les autres d’un syndrome thaïlandais, est la parfaite illustration de ce qui se passe quand les « gardiens de la monnaie » se transforment en pompiers pyromanes. Bienvenu dans le monde fou, fou, fou des « seigneurs de la finance ».

Même si cette nouvelle mutation de la crise était prévisible (lire ici), le spectacle n’en est pas moins étonnant. La Turquie, par exemple, affiche tous les symptômes qui étaient apparus en Thaïlande au moment du déclenchement de la crise asiatique le 2 juillet 1997, comme si rien n’avait été compris ni appris, comme si le « système » était incapable de tirer les leçons des crises antérieures. Reflux soudain des capitaux flottants provoquant une chute brutale de la monnaie sanctionnant le caractère insoutenable du déficit des comptes courants et provoquant l’écroulement du château de cartes de dettes accumulées en devises étrangères, sur fond d’épuisement des réserves de change du pays : les rives du Bosphore ont ces jours-ci un petit air de Chao Phraya.

Le dispositif d’amorçage de la crise est le même : un choc exogène qui vient révéler la fragilité d’une situation apparemment solide. On se souvient peut-être que le déclencheur de la crise asiatique, « première crise financière du XXIe siècle » comme l’avait si bien diagnostiqué Michel Camdessus, alors directeur général du FMI, fut « l'accord du Plaza à l’envers » (l’expression est de Kenneth Courtis). Soit la décision prise à Washington et Tokyo de provoquer une soudaine réévaluation du dollar face au yen pour soulager une économie japonaise asphyxiée par des années « d’endaka » (yen fort).

Ce que font les principales banques centrales depuis 2008 est encore plus grave : elles manipulent le prix qui sert d’ancre à tous les autres, celui de l’argent. Après l’échec attendu de la politique de taux d’intérêt zéro (ZIRP) sur la partie basse de la courbe, celle où traditionnellement s’exerce l’action de la banque centrale, la Réserve fédérale s’est lancée à son tour, après la Banque du Japon pionnière en la matière, dans l’assouplissement quantitatif. Il s’agit alors d’influer sur les maturités longues de la courbe des taux (3 à 10 ans, voire plus) en achetant directement sur le marché des titres émis par des émetteurs publics ou privés, depuis le Trésor américain lui-même jusqu’aux municipalités et entreprises. À ce jour, le bilan de la Fed, qui était de quelque 800 milliards de dollars au début de l’aventure, a dépassé les 4 000 milliards.

Cette injection massive de liquidité n’a pas seulement un effet de distorsion artificielle considérable sur le coût de l’argent. Elle a provoqué une baisse du dollar, qualifiée de « guerre des monnaies » par un ministre brésilien des finances. En régime de changes flottants et de liberté des mouvements transfrontaliers de capitaux, l’argent privé de rendement aux États-Unis se déplace vers les marchés où la rémunération est plus forte.

C’est ce qui a enclenché, dans un premier temps, l’appréciation rapide des monnaies des pays émergents, de la livre turque au real brésilien, mettant à mal la compétitivité de ces économies et menaçant l’équilibre de leurs comptes courants. Ces afflux de « monnaie chaude » produisent toujours les mêmes effets : alimentation de bulles spéculatives sur les actifs mobiliers et immobiliers, aggravation de l’endettement des agents privés, accumulation de créances douteuses dans les banques locales qui se sont refinancées en devises étrangères.

La fête continue pour les riches

L’équivalent de l’accord du Plaza à l’envers de 1995, ce fut l’annonce maladroite au printemps 2013 par la Fed qu’elle allait commencer à réduire le montant de ses achats sur les marchés obligataires, fixés à 85 milliards de dollars par mois, déclenchant par anticipation un premier mouvement de reflux hors des marchés émergents. Comme on le sait, Ben Bernanke, qui a présidé cette semaine sa dernière réunion du conseil de politique monétaire de la banque centrale américaine, a ajouté une grave erreur de communication à une stratégie fondamentalement perverse. Le « tapering » (la réduction progressive de la posologie) n’a effectivement commencé que le 18 décembre 2013, le montant mensuel des achats n’étant réduit que de 10 milliards de dollars, à 75 milliards. Un nouvel effilage, de 10 milliards également, a été annoncé le 29 janvier.

Chaque mouvement attendu de la Fed agit désormais, par anticipation des opérateurs, comme une courroie de transmission de la crise aux économies émergentes, affectées en proportion de leurs faiblesses structurelles et des erreurs, parfois catastrophiques, de leurs dirigeants politiques (Argentine, Brésil, Inde), sans parler des pays en crise politique ouverte (Ukraine, Turquie). Comme le fait remarquer Arthur Kroeber, de Gavekal, les pays mieux gérés, comme l’Indonésie, encaissent beaucoup mieux le choc. La crise financière asiatique avait déjà procédé à une telle discrimination.

Bien entendu, c’est toujours, dans la propagande américaine, la faute aux autres. Pour éluder la responsabilité des États-Unis en général et de la Fed en particulier dans les dérèglements du système monétaire international, Ben Bernanke soi-même avait inventé la « théorie » du « savings glut » (excédent d’épargne) en Asie orientale. Ces damnés Asiates épargnaient trop et c’est ce qui expliquait la perte de contrôle par la Fed, le « conundrum » d’Alan Greenspan, l’énigme de l’incapacité des autorités américaines à faire remonter en 2005 les taux d’intérêts à long terme par le resserrement de la politique monétaire. Aujourd’hui encore, on pointe du doigt la Chine dont le ralentissement économique et le relatif serrage de vis monétaire seraient à l’origine des difficultés des émergents.

Comme se le demande Arthur Kroeber, comment se fait-il que des économies bien plus exposées à la Chine que la Turquie ou l’Inde résistent beaucoup mieux, comme la Thaïlande (malgré une crise politique majeure), les Philippines et bien sûr l’Indonésie ? En bref, écrit-il, « "l’effet Chine" est mauvais pour certaines économies émergentes mais beaucoup moins que le tapering de la Fed et des politiques nationales incompétentes ».

La course folle des banques centrales, à commencer par la Réserve fédérale, n’a pas fait que des victimes. Mais quels en ont été les principaux bénéficiaires ? Réaction de Stanley Druckenmiller, qui fit ses classes avec George Soros, à l’annonce de la réduction symbolique des achats obligataires de la Fed (lire ici) : « C’est une formidable nouvelle pour les riches. C’est la plus grande redistribution de richesse des classes moyennes et des pauvres en direction des plus riches. Qui possède les actifs ? Les riches, les milliardaires. Peut-être que cette politique monétaire qui donne de l’argent aux milliardaires, que nous allons dépenser, va marcher. Mais depuis cinq ans, cela n’a pas marché. » Réaction du gestionnaire d’un des principaux fonds d’investissement américain opérant au Japon, au terme d’une excellente année boursière : « J’espère que les Abenomics vont durer le plus longtemps possible. » Louée par les mêmes « observateurs » au front bas qui ont adoré successivement les calamiteux Alan Greenspan et Ben Bernanke, la politique économique de Shinzo Abe n’est qu’une surenchère sur celle qui avait échoué à tirer l’archipel nippon de deux décennies de stagnation économique.

Et en effet, à part récompenser la sphère financière pour sa contribution éminente à la plus grave crise économique depuis les années trente du siècle dernier, la stratégie irresponsable des principales banques centrales, « cela n’a pas marché ». En dépit du dopage exceptionnel pratiqué par la Fed, la contraction du crédit ne s’est achevée aux États-Unis qu’en août 2013. Et encore faudrait-il regarder dans le détail à qui et pour quels projets les banques américaines, autres grands bénéficiaires du dévergondage de la Fed, avancent de l’argent. Essentiellement aux entreprises, très peu aux ménages, le marché hypothécaire étant toujours pratiquement « nationalisé » à travers les agences spécialisées refinancées par la banque centrale. Quant à la baisse affichée du chômage, elle procède en grande partie de l’effondrement du taux de participation.

« Si seulement nous étions dans les années trente »

Dans la zone euro, où la BCE n’a pas voulu ou pas pu pousser aussi loin l’assouplissement quantitatif, le « credit crunch » se poursuit. Principales victimes, les entreprises non financières, surtout les petites et moyennes. Les banques refusent de prêter, en dépit des garanties pratiquement illimitées offertes par la BCE, et quand elles le font, c’est par priorité aux États noyés dans la dette souveraine. La dernière émission à dix ans de l’Espagne a été sur-souscrite quatre fois et le « spread » avec l’Allemagne a chuté à 150 points de base. 10 % du papier a été acheté par des investisseurs américains. Happy days are here again ? Pas vraiment. 

En réalité la dette souveraine, notamment celle des pays de la périphérie de la zone euro, fait partie des actifs qui, à travers la planète, sont dopés artificiellement par les largesses des banques centrales. La détente sur les dettes périphériques n’est que très partiellement justifiée par l’amélioration des données fondamentales de ces économies. L’argent qui dégorge des pays émergents doit bien trouver un havre temporaire.

Impossible de rabâcher ici ce qui a été écrit dans ces colonnes depuis six ans à propos de ce qui n’a pas été fait ni même pensé (la réforme du système monétaire international), de ce qui a été mal fait, trop peu et trop tard (la réglementation financière, la supervision bancaire), ce qui a été fait à contresens, dans l’improvisation et le désordre. Ni pour quels motifs avoués ou obscurs ce qui a été fait l’a été, et ce qui n’a pas été fait ne l’a pas été. En résumé très sommaire, sauver les banques et les banquiers plutôt que les économies, les ménages et les entreprises, prendre la pente de moindre résistance plutôt que d’affronter la dure réalité, utiliser l’homéopathie là ou la chirurgie aurait été nécessaire, comme expliqué déjà ici.

Les nouvelles turbulences sont simplement le signe que le tas de poussière sans cesse repoussé sous le tapis a pris de telles proportions que le temps approche où il va falloir sortir l’aspirateur et se retrousser les manches. On ne sort pas d’une trappe à liquidité sans un assainissement radical des circuits de financement, à commencer par les banques. On ne met pas fin à une déflation par la dette sans apurer le stock de créances douteuses, sans liquider les actifs correspondants, sans restructurer les dettes publiques. À cet égard, comme l’explique (ici) Nicholas Crafts à propos de l’eurozone, « si seulement nous étions dans les années trente »...


Dette publique: pire que dans les années trente 
Dette publique: pire que dans les années trente © Nicholas Crafts

En dépit de la fragile détente récente, les États surendettés n’ont ni les taux de croissance, ni les taux d’intérêt, ni les taux d’inflation qui rendraient le fardeau supportable, même sur très longue période. C’est bien pourquoi les cercles académiques et désormais officiels ont commencé à imaginer divers scénarios d’allégement de la dette, du plus sophistiqué (un exemple ici) au plus grossier. Dans cette dernière catégorie, on rangera l’idée avancée par des économistes du FMI, reprise dans le dernier bulletin mensuel de la Bundesbank, d’un prélèvement unique sur les actifs financiers. Selon l’objectif choisi (retour au niveau d’endettement d’avant la crise ou remise du compteur à zéro), le taux de prélèvement sur la fortune varierait, en Europe de 10 % (hypothèse du FMI) à plus de 30 %.

Vu le courage dont ont fait preuve jusqu’à présent les politiciens, ce n’est pas demain, en l’absence d’une contrainte absolue, que de tels remèdes seront prescrits. Et c’est mieux ainsi. Comme nous l’écrivions dès 1998 (Cette crise qui vient d’Asie), solder une crise financière consiste à répartir la facture.

Dans la présente crise et jusqu’ici, la répartition a été extrêmement inéquitable, à l’avantage de la finance, au détriment du contribuable, du salarié, du chômeur, de l’épargnant, de l’entrepreneur, du retraité. Symboliquement importante, la contribution de la classe politique (réduction de son train de vie) a été nulle. Celle de la baisse des coûts de fonctionnement de la sphère publique en général, très faible. 

Un traitement plus juste associerait un reprofilage de la dette (allongement de la maturité, baisse des taux), une contribution spécifique permanente du système bancaire et financier, des cessions massives mais étalées dans le temps du patrimoine de l’État, y compris de « prestige », une réduction significative de la sphère publique de manière à abaisser durablement son « point mort » et dans certaines situations les plus fragiles, comme ce fut le cas pour la Grèce, des abandons de créances. L’acceptation sociale (ownership) de tels programmes serait favorisée par une lutte enfin crédible contre la fraude fiscale et la corruption politique.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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