Certains s’évertuent à faire croire que le commerce équivaudrait à la paix. C’est notamment sur ce postulat complaisamment répandu que s’est construite l’Europe. On pourrait résumer la méthode Monnet de la sorte : « faisons des affaires, nous aurons la paix, et le reste viendra un jour ». Si l’on veut bien considérer que plus d’un demi-siècle après « le reste » est enfin venu, force est de constater que ce n’est pas le meilleur que nous avons obtenu.
Paraphrasons plutôt Jean Jaurès en l’adaptant à la situation. Comme la nuée porte l’orage, le commerce alimente des concurrences farouches et exacerbe les tensions diplomatiques. L’histoire de la Chine en apporte une illustration éclairante. Le XIX° siècle fut celui des « traités inégaux » que l’Europe infligea à l’empire chinois dirigé par une dynastie mandchoue sur le déclin. Par la « politique de la canonnière », avec notamment en points d’orgue la guerre de l’opium et celle des Boxers, les gouvernements européens se firent ouvrir le marché chinois.
Dans certains pays du tiers monde, les recettes douanières constituent un des premières sources alimentant le budget de la nation. Le commerce sans régulation renforce les rapports de force présidant aux relations entre Etats dans le seul but d’accumuler des profits : en d’autres temps le mot impérialisme aurait servi à désigner cette réalité.
La loi du commerce conduit au contraire à la dissolution des liens de solidarité. La réaction allemande est à cet égard édifiante. Sitôt la réaction chinoise exprimée, le gouvernement allemand s’est empressé de se désolidariser de la position européenne. La raison ? La volonté de préserver ses exportations. Les intérêts particuliers l’emportent sur toute forme de cohésion et de cohérence. Point de projet collectif à mener, mais un recentrage immédiat sur des solutions individuelles.
L’Europe et les Etats la composant sont-ils pour autant démunis face au rouleau-compresseur chinois ? Le sens des traités inégaux aurait-il changé de direction ? Non, absolument pas : les acteurs de la mondialisation sont interdépendants. Les Chinois craignent par-dessous-tout une fermeture du marché européen, ce qui priverait leur industrie de débouchés, aggravant les tensions sociales d’une société inégalitaire.
Par dogmatisme, nous nous désarmerions en liquidant l’exception culturelle tandis que nos concurrents savent défendre opportunément leurs intérêts vitaux. Le commerce version « concurrence libre et non faussée » n’est pas la paix. La promotion à l’échelle planétaire des valeurs de solidarité et de fraternité ne passe pas par l’acceptation des canons idéologiques de l’OMC. Au contraire, le commerce doit se fonder sur le concept d’échanges satisfaisant nécessairement des intérêts réciproques, ceux des peuples et non le gonflement de chiffres d’affaires. Ce serait se situer aux antipodes des notions de compétition et de conquête.
(*) Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée)