Le Conseil Mondial de l'Eau, organisation internationale fondée en 1996 et qui regroupe des Etats, ONG et organisations internationales autour du problème de l'eau dans le monde, organise ce grand rassemblement tous les trois ans. Et pour sa sixième édition, le Forum mondial de l’eau a mis l'accent sur l’innovation, et la participation citoyenne avec l’implication d’acteurs « organisés » de la société civile, notamment des ONG.
Guy Fradin, vice-président du Comité international du 6e Forum de l’Eau : « Nous avons choisi de cibler les travaux du forum sur les solutions, car souvent l’on reproche à ce type de rencontre un aspect trop théorique et pas assez concret, se bornant à des analyses stratégiques, des généralités. Et derrière ce ciblage, il y a une incitation des partenaires à s’engager, donc à tout faire pour mettre en œuvre les projets présentés. »
Pour justement mieux faire connaître de nouveaux projets autour des grandes problématiques liées à l’eau (accès, potabilité, gouvernance), le site Des solutions pour l’eau a été mis en place il y a quelques mois en vue du forum. Au total, plus de 1 400 projets innovants ont été mis en ligne par différents acteurs, qui présentent ainsi leur travaux dont la plupart on déjà une application concrète. Cette plate-forme numérique perdurera au-delà de la rencontre et sera gérée par le Conseil international de l’eau.
Pour mieux faire connaître tous ces projets, un espace leur est dédié au Forum toute la semaine durant : le Village des solutions.
Des projets innovants
D’autres projets ont également retenu notre attention. Dans certains pays en voie de développement, le transport de l’eau est problématique : c’est une corvée difficile, souvent réservée aux femmes ou aux enfants. Le Keggo peut justement y remédier : il s’agit d’un baril cylindrique de quarante litres avec une courroie métallique qui passe au milieu pour pouvoir ainsi faire rouler le bidon sans trop d'efforts et sur de longues distances.
Un projet d'apparence simpliste, mais dont l’efficacité a été prouvée dans certains quartiers autour de Cape Town (Afrique du Sud), également parce qu'il permet de maintenir l'hygiène de l'eau et d'éviter ainsi toute contamination .
Dans le même ordre d’idée, citons le projet des toilettes sèches, qui sont une bonne alternative au problème d’accès aux sanitaires. Le système d'évacuation classique des excréments est remplacé par une fosse remplie de sciure de bois située en dessous des sanitaires : le tout peut ensuite être réutilisé comme compost. Ce type de système est déjà utilisé notamment lors de certains festivals de musique, et a prouvé son efficacité. Une invention prometteuse d'autant plus qu'à l'heure actuelle, 2,5 milliards de personnes ne disposent pas de toilettes privatives.
L’eau n’est bien sûr pas dissociable de l’alimentation, et par conséquent de l’agriculture. Dans des pays arides, le manque d’eau peut justement être un fléau pour les agriculteurs ne disposant pas des moyens pour faire face à des périodes de sécheresse. Une invention testée dans des champs agricoles en Tunisie devrait leur faciliter la tâche : un diffuseur enterré combiné à de la micro irrigation.
L’irrigation des plantations est souterraine et se fait goutte à goutte, pour éviter le gaspillage. « Cette technologie utilise deux fois moins d’eau pour arriver au même rendement (…) et présente d’autres avantages, tel la baisse du recours aux herbicides, la réutilisation des eaux de pluie directement dans le diffuseur … »
De nouveaux concepts autour de l’eau
Même si de nombreux projets peuvent être mis en place, sans bonne gestion rien ne va.
La Commission Racine et Citoyenneté a ainsi organisé des groupes de travail autour « d’objectifs cibles », et notamment l’un d’entre eux nous a semblé particulièrement novateur : Eau et spiritualité.
Alain Cabras, maître de conférence à l’université Aix-Marseille et à Sciencespo Aix, y participe.
« Pour changer la vision matérialiste et technicienne de l’eau, en soi un peu limitée, nous cherchons à établir une vision plus respectueuse de l’eau comme élément fondamental à la vie et symbole dans certaines cultures et religions. La spiritualité ou l'éthique, consiste à rappeler en quoi l’eau est fondamentale pour toute civilisation, et ainsi développer une vision différente par rapport à l’eau et son usage. »
Le principe est donc d’établir un lien entre des héritages des différents cultures et religions pour déterminer des comportements globaux par rapport à l’eau, le but étant d’améliorer la vie de chacun en instaurant un « respect de l'eau ». Mais comment le concrétiser ? Alain Cabras poursuit :
« Nous allons faire une demande à l’ONU d’adoption d’une Charte universelle du droit à l’eau (pour l’accès universel) et du droit de l’eau, donc de la protection de l’eau comme élément fondamental par le biais d'une sorte de personnification de l’eau. »
Il est vrai qu’aujourd’hui, l’on a beaucoup tendance à parler d’or bleu, où l’eau est considérée comme une richesse économique plus que spirituelle, alors que le contraire serait préférable.
« Dans certaines cultures d’Amazonie, on ne doit rien jeter dans l’eau pour ne pas la blesser. L’enjeu que nous visons est ainsi de réintroduire une dose de sacré pour considérer l’eau comme un élément respectable. », note Cabras.
Pour espérer une prise de conscience autour de l’eau, il faut bien sûr que la mobilisation soit générale, et soutenue. De même que la plate-forme des solutions, les réflexions qui émergent de ces groupes de travail visent plus loin qu’un simple effet d’annonce, mais un réel changement des mentalités. Alain Cabras conclue :
« Notre projet porte l’espoir d’être un électrochoc pour la prise de conscience dans toutes les politiques à venir. Surtout qu’aujourd’hui, 50 % des eaux utilisées par les entreprises ou les collectivités sont gaspillées, ou ne sont pas réutilisées… L’eau n’est pas un bien comme un autre, et toutes les spiritualités se retrouvent sur ce point. »
Le grand écart
D’après un rapport de l’UNESCO de 2009 repris par Jean-Patrice Poirier dans son ouvrage L’eau, objectif du Millénaire ? :
« Près de 5 000 enfants meurent ainsi chaque jour. Oui, deux millions d’enfants meurent chaque année pour s’être désaltérés avec de l’eau polluée. »
Axel Ducourneau est anthropologue au CNRS, plus particulièrement à l’OHM (Observatoire homme-milieu), créé en juin 2009 à Téssékéré, au Sénégal. Il participe ainsi au projet de la Grande muraille verte, qui vise à lutter contre la désertification dans le Sahel, notamment avec le concours des populations locales dont l’une des préoccupations majeures est l’accès à l’eau au quotidien.
C’est riche de son expérience de terrain qu’il témoigne :
« Ce sont souvent les solutions les plus simples qui sont les plus efficaces, comme le projet de toilettes sèches ou de bidon mobile pour transporter l'eau. Mais le problème majeur reste la diffusion des solutions.»
Il a pris ces photos il y a quelques jours à Widou Thiengoli, dans le Ferlo (nord du Sénégal), ce qui nous donne un aperçu de la difficulté pour les populations locales de trouver de l'eau.
« Je suis arrivé directement depuis le Sahel au Forum de Marseille, et j’avoue que la transition est un peu rude : passer de ces endroits où les gens ont besoin de l’eau pour leur vie, à celui-ci où les gens qui en parlent sont tous en costume. Mais le pouvoir et l’argent ne sont que d’un seul côté...»