Iran. Le modéré Hassan Rohani en tête à la présidentielle!
De l'air! C'est ce qu'ont voulu crier les millions d'Iraniens en allant voter le 14 juin pour une élection présidentielle qui semblait totalement verrouillée par le Guide suprême, Ali Khamenei ( lire le portrait du maitre de la République Islamique dans le Marianne n°843 qui vient de sortir). En éliminant Hachemi Rafsandjani de la liste des candidats autorisés à se présenter, le Guide paraissait assurer la présidence à l'un de ses poulains, principalement le négociateur du dossier nucléaire, Saïd Jalili, arc bouté sur son refus de la moindre concession. Perdu dans la liste des concurrents, le religieux modéré Hassan Rohani, peu connu, ne semblait avoir aucune chance.
Et voilà que les premières estimations partielles du samedi 15 juin avant 12 heures lui donnent 52% des voix! Au Q.G de campagne de Rohani, on annonce 54%. Il l'emporte à Qom, bastion du clergé iranien, fief des mollahs!
Car tous les calculs de Khamenei ont compté pour rien face à la mobilisation de la société civile iranienne, toutes classes sociales confondues, asphyxiée par les sanctions économiques, indignée par les privilèges des Pasdarans, les Gardiens de la Révolution, l'armée du Guide suprême. Une société révoltée en profondeur, aussi, par la violence étatique qui condamne à la prison les opposants et a banalisé la torture.
Quel était le moyen d'agir pour cet Iran baillonné? Le vrai vainqueur de la présidentielle de 2009, Mir Hossein Moussavi, est en résidence surveillée comme Mehdi Karroubi qui avait emporté une large partie des suffrages. Tous les représentants de la Vague verte (le soulèvement de la jeunesse en juin 2009) sont au cachot ou en exil. Et l'homme qui devait, malgré tout, porter la volonté de changement populaire, Hachemi Rafsandjani, ultra-célèbre, était éliminé avant la course.
Face à cette opinion traumatisée, le Guide avait laissé, pour la forme pensait-il, subsister quelques apparences de choix. Un réformateur Mohamed Reza Aref, presque inconnu, un autre , Mohammad Gharazi qui, de son propre aveu, n'avait " ni argent, ni porte-parole, ni structure de campagne". Et Hassan Rohani, religieux qui, dans les rares meetings d'une campagne électorale ultra-brève, s'est brusquement révélé un défenseur de la cause de la jeunesse et un dénonciateur de la misère qui étrangle le peuple iranien.
Sentant le frémissement du "candidat violet"- c'est la couleur qu'il a choisie- les deux
poids-lourds Mohamed Khatami, l'ancien président réformateur, et Hachemi Rafsandjani, l'éliminé, ont appelé à voter en masse pour Rohani tandis que se désistait en sa faveur l'obscur Reza Aref.
A ce stade, quelques jours et quelques heures avant l'élection, le Guide pouvait-il arrêter la machine? Les rares observateurs et journalistes occidentaux présents à Téhéran ont constamment rappelé qu'il ne pouvait pas se permettre la réédition de la mascarade électorale de 2009. Il lui fallait sauver les apparences. Et les apparences semblaient absolument
contrôlées. L'un de ses poulains, Saïd Jalili probablement, devait gagner la fausse bataille.
Mais, tout à coup, la bataille est devenue vraie! Hassan Rohani a décidé de la jouer à fond tant les soutiens affluaient, tant la jeunesse avait troqué, dans un enthousiasme qu'on croyait anesthésié par la peur, les rubans verts d'hier contre les rubans violets d'aujourd'hui. Car la situation du pays est effrayante. Une inflation galopante, le taux de la monnaie en chute libre ( + de 80% depuis 2011). Des inégalités sociales et une terreur qui déclenchent régulièrement des émeutes dont les medias occidentaux ne parlent pas puisqu'ils ne sont pas là et que les medias d'opposition sont interdits.Mais les réseaux sociaux parviennent à laisser filtrer les infos, et les medias en persan basés en Occident entretiennent des contacts directs avec les Iraniens. Malgré les anathèmes jetés par le régime sur la BBC en persan et autres relais extérieurs, leurs équipes, jeunes, motivées, efficaces, n'ont rien à voir avec les vieilles lunes nostalgiques du Shah. Beaucoup sont arrivés d'Iran ces dernières années, contraints à l'exil par une répression féroce. Il faut revoir à ce propos une très éclairante émission d'Arte, les " Chroniques de l'Iran interdit" qui avait été diffusée le 12 juin.
La bataille est devenue vraie et les Iraniens sont allés voter car même un modéré, admis par le système, peut, sous la pression populaire, semer les germes d'un contre-pouvoir!
Si le processus des résultats va à son terme, si, ce soir ou demain, la victoire réelle de Hassan Rohani au premier tour, est validée par le Guide, ce qui semble être le cas, sauf à déclencher ce que Khamenei redoute le plus: une seconde insurection, alors une fenêtre peut s'ouvrir.
1) Sur les droits humains?
Hassan Rohani a promis à la jeunesse de la protéger. Seulement tout l'appareil judiciaire et policier est aux mains du Guide.
2) Sur le nucléaire?
Hassan Rohani a été le négociateur sur le nucléaire sous la présidence de Khatami ( c'est à dire jusqu'en 2005). Il avait accepté en 2003 la suspension de l'enrichissement de l'uranium et avait autorisé les inspections des installations nucléaires.
Seulement le Guide est sur la ligne inverse et son homme-lige sur le dossier reste Said Jalili.
Un second combat se prépare donc dans les allées du pouvoir iranien.
Hassan Rohani osera-t-il?
Ce matin, rapportent les correspondants, Téhéran était calme et vide.
Plongée dans l'attente.
ACTUALISATION A 15 HEURES:
51% pour Hassan Rohani après dépouillement des résultats de 65 bureaux de vote. Très loin derrière, avec 15% des voix vient le maire de Téhéran, Mohammed Ghalibaf, ex-chef des Gardiens de la Révolution. Le candidat favori du Guide, SaId Jalili, n'obtient que 11% des voix.
Des attroupements se forment devant le quartier général de Rohani puis se dispersent sur ordre des policiers.
Il faut plus de 50% des voix pour l'emporter. Sinon, un second tour aura lieu vendredi 21 juin.
ACTUALISATION A 17 H.30. LES ELECTEURS DE HASSAN ROHANI MANIFESTENT LEUR JOIE DANS LE CENTRE DE TEHERAN. Ils brandissent des affiches sur lesquelles on peut voir écrit: " Je suis heureux qu'on ait compté mon vote!" . Le slogan des manifestations de 2009, après le truquage des résultats, était: " Où est mon vote?"
18 HEURES. LE MINISTERE DE L'INTERIEUR ANNONCE LA VICTOIRE DE HASSAN ROHANI
* PRECISIONS: QU'EST-CE QU'UN RELIGIEUX MODERE EN IRAN?
Certains lecteurs faisant part de leur étonnement sur l'emploi du terme " religieux modéré", je crois utile de préciser le contexte. Car le contexte iranien est totalement différent de celui du reste du monde islamique. Il n'est pas question de comparer l'Iran avec la Turquie.
Le peuple iranien vit dans une république islamique où les droits de la personne sont bafoués avec constance. La femme est un être sans droits. Nos confrères et consoeurs de la presse iranienne qui n'a pas fait allégeance au régime sont en prison.
Le guide suprême, Ali Khamenei, a les pleins pouvoirs.
Néanmoins, il subsiste au dessous du guide un Parlement et des députés. Il y a des élections dont les résultats, truqués en 2009, peut-être véridiques en 2013, laissent filtrer la volonté populaire.
Un totalitarisme coiffant et étouffant une démocratie: voilà en quoi consiste l'incroyable ambiguité de la république islamique iranienne.
Pour ouvrir une brêche dans le totalitarisme, le peuple , au sens le plus large possible, pas seulement les intellectuels, mais la majorité de la société civile assoiffée de justice économique, de détente internationale avec allègement des sanctions, de démocratie non religieuse, de fin de la barbarie, ne peut que saisir la plus mince opportunité de changement.
Or, c'est un système religieux qui domine et l'occasion ne peut venir qu'en son sein. Sont qualifiés de "réformateurs" et de "modérés" les religieux qui arrivent à donner une chance aux réformes au coeur de la Bastille théocratique iranienne. Le président Khatami, jusqu'en 2005, avait tenté de le faire mais le système était tel qu'il n'a pas été capable de s'opposer à de spectaculaires liquidations d'intellectuels et d'universitaires par les milices des Gardiens de la Révolution.
Depuis, tout est verrouillé.
Le symbole électoral choisi par Hassan Rohani est la clé.
Les électeurs s'en sont emparés. Il faut savoir qu'une partie des Iraniens se sont détachés de la religion. Ils désespèrent d'un Islam trahi par des politiques cruelles.
Pour eux, voter pour un "modéré'", c'est voter pour celui qui est le plus loin possible de la main de fer qui les broie.
Je rappelle que je ne crois pas à la notion d'islamisme modéré ( ce qui est régulièrement explicité dans mes livres et mes articles) mais que le cas iranien se situe en deça de ce contexte.
Il s'agit en l'occurrence pour un peuple qui aspire à la fin de la théocratie ( en cela la jeunesse iranienne est la moins islamiste du monde musulman!) d'ouvrir un hublot sur l'air libre.
* Pour information, Marianne avait demandé de longue date un visa pour couvrir l'élection présidentielle iranienne. Il ne nous a pas été accordé.
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On s’attendait à ce qu’il fasse un bon score, mais à la surprise générale, il a arraché la majorité absolue dès le premier tour : Hassan Rohani, le candidat des réformistes (et d’une grande partie de la jeunesse) a remporté haut la main les élections présidentielles iraniennes. C’est un modéré qui prône une normalisation des relations avec les pays occidentaux. Son élection marque une rupture avec le très conservateur Mahmoud Ahmadinejad, le président sortant, qui a dirigé le pays pendant huit ans.
Rohani a obtenu 50,68% des voix, loin devant le maire de Téhéran Mohammad Bagher Ghalibaf (16,5%) et le candidat des conservateurs radicaux Saïd Jalili (8,6%), qui se déclarait « à 100% » contre la détente avec les ennemis de l’Iran. Le taux de participation a été de plus de 72% : la jeunesse, malgré les fraudes életorales de 2009, n’a pas été dégoûtée et est allée massivement aux urnes pour faire gagner ce candidat.
1 Qui est Hassan Rohani ?
Hassan Rohani est connu en Occident pour avoir été le responsable des négociations portant sur le programme nucléaire iranien, sous la présidence du réformateur Mohammad Khatami (1997-2005).
Seul clerc de la campagne électorale, il est né en 1948 à Sorkheh, et a suivi des études islamiques à Semnan puis à Qom, au début des années 60. Il a également étudié le droit en Ecosse, à la Glasgow Caledonian University.
Il a activement participé à la révolution de 1979, parcourant le pays pour soulever les foules contre le Shah, ce qui lui a valu d’être arrêté plusieurs fois. Après la révolution, il a été élu à l’assemblée consultative islamique, puis a occupé pendant seize ans le poste de secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale. Lorsque Mahmoud Ahmadinejad a été élu président de l’Iran, il a (été) démissionné.
Il s’est lancé dans la campagne en mars 2013, avec le soutien des réformistes et des libéraux :
- l’ancien président (1989-1997) Hachemi Rafsandjani, dont la candidature n’a pas été acceptée par le Conseil des gardiens de la révolution, lui a apporté son soutien, ce qui a donné un coup d’accélérateur à sa campagne. Ses meetings ont fait le plein, notamment chez les jeunes et les Iraniens de la bourgeoisie ;
- le candidat Mohammad Reza Aref s’est désisté à la demande de l’ancien président (1997-2005) Mohammad Khatami, ce qui a permis à Rohani d’apparaître comme le seule candidat des réformistes.
2 Quelle sera sa marge de manœuvre sur les questions internationales ?
Rohani devrait pousser dans le sens du dialogue et d’une plus grande souplesse vis-à-vis des Occidentaux, le but étant d’aboutir à la levée d’une partie des sanctions. Sur Israël, Rohani affiche une position modérée, ne souhaitant pas en faire un ennemi.
Mais sa marge de manœuvre ne sera pas très grande. Le vrai pouvoir est en Iran tenu par les mollahs et les gardiens de la révolution. C’est le Guide suprême (Ali Khamenei) qui reste le maître du jeu.
C’est lui qui décidera du calendrier et des formes d’éventuels assouplissements, s’ils doivent avoir lieu. Jusque-là, Ali Khamenei était sur une ligne dure, refusant toute concession.
3 Son élection à la présidence changerait-elle la situation en Syrie ?
Très peu probable : même si la guerre civile en Syrie est un sujet majeur pour l’Iran (y compris en termes budgétaires), elle n’est pas un sujet de débat : l’Iran soutient Bachar el-Assad et est désormais impliqué dans le conflit. La chute de Qousseir, désormais aux mains du régime syrien, a été directement provoquée par l’Iran et son allié le Hezbollah.
Comme les autres candidats, Rohani défend la politique iranienne actuelle.
4 Quel était le candidat du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei ?
Ali Khamenei est resté muet sur le sujet, même au moment de voter. Même ses enfants ne le savent pas, a-t-il indiqué. Jusque-là, il appuyait Ahmadinejad et les conservateurs les plus durs.
Le guide suprême a toutefois invité les électeurs à « voter contre l’impérialisme », ce qui a été interprété comme un soutien implicite à Jalili.
Mais une victoire de Rohani ne devrait pas gêner le régime. La situation économique iranienne est très mauvaise : un allégement des sanctions (sur les ventes de pétrole et sur les relations bancaires, notamment) soulagerait le pays.